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Date: 19990324


Dossier :T-1109-96



Affaire intéressant les articles 38, 56 et 59

de la Loi sur les marques de commerce 1993, ch. 15


- et -


Affaire intéressant un appel de la décision rendue par

le registraire des marques de commerce relativement à une

opposition formulée contre la demande

d'enregistrement no 660,985 pour la marque de commerce

NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE


ENTRE :

Enter Style of Cause just after [Comment] code

-      LONDON LIFE, COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE,


appelante,



- et -



LA COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE MANUFACTURERS


- et -


LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,


intimés.



MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED :

[1]      Il s'agit d'un appel de la décision rendue par la Commission des oppositions des marques de commerce qui a rejeté l'opposition formulée par la London Life, Compagnie d'Assurance-vie, à l'égard de la demande d'enregistrement de la marque de commerce « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » , présentée par la Compagnie d'Assurance-Vie Manufacturers, pour être employée en liaison avec des services d'assurance-vie. La London Life est propriétaire des marques « FREEDOM 55 » et « LIBERTÉ 55 » , de même que d'autres marques contenant les mots « freedom » ou « liberté » . Ces marques sont enregistrées pour être employées en liaison avec des services d'assurance, de planification financière, de placements et des régimes d'épargne-placement.

[2]      L'équivalent français de « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » , « LA LIBERTÉ DE PLANIFIER VOTRE AVENIR » fait également l'objet d'une procédure d'opposition et d'un appel interjeté devant la présente Cour (T-1284-97). Certains arguments des avocats sont communs aux deux affaires et certains motifs de la décision le sont aussi.

[3]      La London Life prétend que le commissaire a commis une erreur en concluant que « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » était une marque de commerce enregistrable. C'est une erreur, selon elle, parce que : (1) il existe un risque de confusion entre cette marque et les marques « FREEDOM 55 » et « LIBERTÉ 55 » enregistrées par l'appelante (article 6 et alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, modifié); (2) l'intimée n'est pas une personne qui a le droit d'enregistrer la marque de commerce en question parce qu'elle n'a pas prouvé que cette marque ne créait pas, à la date de la demande d'enregistrement, de confusion avec la marque de l'appelante (paragraphe 16(1) de la Loi sur les marques de commerce); (3) l'intimée n'a pas prouvé que sa marque était distinctive (comme l'exigent les alinéas 38(2)b) et d), combinés à l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce).

Dispositions législatives

     Une marque de commerce n'est pas enregistrable lorsque...

[4]      L'article 12 de la Loi sur les marques de commerce précise quand une marque de commerce peut être enregistrée et par qui. L'extrait applicable au présent appel est l'alinéa d) qui traite de la confusion.

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivant :
d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

[5]      Selon la définition donnée à l'article 2 de la Loi, le terme « créant de la confusion » s'entend au sens de l'article 6 :

6. (1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.
(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale. [Non souligné dans l'original.]

[6]      Pour apprécier si une marque crée de la confusion, il faut la considérer dans son ensemble. Il ne faut pas l'analyser en ses éléments1. Il faut également tenir compte de l'idée suggérée par la marque2.

[7]      Pour décider si une marque de commerce crée ou non de la confusion, le tribunal doit aussi, conformément au paragraphe 6(5), tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris_:

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;
b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;
c) le genre de marchandises, services ou entreprises;
d) la nature du commerce;
e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

Il n'est pas nécessaire d'accorder la même importance à chacun de ces critères3.

[8]      Une marque de commerce peut créer de la confusion en anglais ou en français. Il est possible qu'une marque crée de la confusion ou décrive le produit en anglais, mais non en français, et vice versa. Il importe de tenir compte des deux possibilités en décidant si la marque en question crée de la confusion avec une autre4.

[9]      En général, pour décider si une marque de commerce crée de la confusion

la Cour doit se demander si, comme première impression dans l'esprit d'une personne ordinaire ayant un vague souvenir de l'autre marque ou de l'autre nom, l'emploi des deux marques ou des deux noms, dans la même région et de la même façon, est susceptible de donner l'impression que les services reliés à ces marques ou à ces noms sont fournis par la même personne, que ces services appartiennent ou non à la même catégorie générale5.

[10]      La date à retenir pour apprécier si la marque crée de la confusion pour l'application des articles 6 et 12 est la date à laquelle la Commission a rendu sa décision, soit le 12 mars

1996.

     Un requérant peut enregistrer une marque de commerce lorsque...

[11]      Le paragraphe 16(1) de la Loi sur les marques de commerce prévoit :

     (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l'article 30 en vue de l'enregistrement d'une marque de commerce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l'article 38, d'en obtenir l'enregistrement à l'égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l'a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n'ait créé de la confusion_:
a)      soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;
b)      soit avec une marque de commerce à l'égard de laquelle une demande d'enregistrement avait été antérieurement produite au Canada par une autre personne;
c)      soit avec un nom commercial qui avait été antérieurement employé au Canada par une autre personne. [Non souligné dans l'origninal.]

[12]      Comme la demande présentée par l'intimée vise une marque qu'elle projette d'employer, la date à retenir pour apprécier si cette marque crée de la confusion avec la marque de l'appelante est la date de la production de la demande, soit le 26 juin 1990.

     Une personne peut s'opposer à l'enregistrement aux motifs que...

[13]      Les paragraphes 38(1) et (2) prévoient que l'opposant à une demande d'enregistrement peut invoquer un certain nombre de motifs d'opposition déterminés :

     (1) Toute personne peut, dans le délai de deux mois à compter de l'annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d'opposition.
     (2) Cette opposition peut être fondée sur l'un des motifs suivants_:
a)      la demande ne satisfait pas aux exigences de l'article 30;
b)      la marque de commerce n'est pas enregistrable;
c)      le requérant n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement;
d)      la marque de commerce n'est pas distinctive.[Non souligné dans l'original.]

[14]      La date à laquelle il faut se placer pour décider s'il y a risque de confusion (non-enregistrabilité) ou absence de caractère distinctif est la date de la production de l'opposition, soit le 21 juin 1991.

Le rôle de la Cour en appel

[15]      L'approche que doit adopter la Cour en appel d'une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce a été définie par le juge Heald dans l'affaire Clorox Co. c. E.I. Du Pont de Nemours and Co. (1995), 64 C.P.R. (3d) 79, à la page 82 :

Dans l'affaire McDonald's Corp. c. Silcorp. Ltd. (1989) 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F., 1re inst.), à la p. 210, 25 F.T.R. 151, 23 C.I.P.R. 292; conf. par (1992) 41 C.P.R. (3d) 67, 139 N.R. 319, 54 F.T.R. 80n (C.A.F.), le juge Strayer (c'était son titre alors) a bien décrit le rôle joué par la Cour dans le cadre d'un appel à l'encontre d'une procédure d'opposition.
         Il semble clair qu'en matière d'opposition, lorsque le litige porte essentiellement sur des faits relatifs à la confusion ou au caractère distinctif, la décision du registraire ou de la Commission constitue une conclusion de fait et non l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, la Cour ne devrait pas réviser cette décision avec autant de retenue que s'il s'agissait de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. La Cour est donc libre d'examiner les faits afin d'établir si la décision du registraire ou de la Commission était exacte; cependant cette décision ne devrait pas être annulée à la légère compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionnelles.
Dans des circonstances semblables, le juge Denault a déclaré :
[...] dans les affaires de ce genre, l'appelante a une double obligation. En premier lieu, elle doit établir que l'agent d'audition a commis une erreur dans son appréciation des faits ou dans son interprétation du droit. Il est bien établi que pareille décision a pris un poids considérable et qu'elle ne doit pas être annulée à la légère...
(Mitac Inc. c. Mita Industrial Co. Ltd., (1992) 40 C.P.R. (3d) 387, 51 F.T.R. 281, 31 A.C.W.S. (3d) 289 (C.F. 1re inst.), aux pages 391 et 392.)
En conséquence, je conclus qu'il appartient à l'appelante de démontrer que le registraire a commis une erreur dans l'appréciation des faits ou dans l'interprétation de la loi. J'estime que le registraire avait raison de considérer que la question de la confusion entre les deux marques de commerce constituait la principale question à résoudre. La Cour a qualifié l'appréciation de la question de la confusion comme une question de fait et, dans le cadre d'un appel, la Cour a compétence pour s'assurer que la conclusion à l'égard de la confusion était correcte.

        

[16]      Le juge Rouleau a indiqué, dans l'affaire Choice Hotels International Inc. c. Hotels Confortel Inc. (1996), 67 C.P.R. (3d) 340, à la page 344, que la Cour, lorsqu'un supplément de preuve (une preuve non présentée au registraire) était présenté devant elle, avait une plus grande marge de manoeuvre pour arriver à une conclusion différente de celle du registraire :

Face à un appel d'une décision d'un registraire, cette Cour ne sera justifiée d'intervenir que si l'appelante démontre que le registraire a erré en droit ou dans l'appréciation des faits en l'espèce. En effet, comme le registraire est un tribunal spécialisé possédant une expertise dans le domaine des marques de commerce, cette Cour doit agir avec retenue : Welch Foods Inc. c. Del Monte Corp. (1992), 44 C.P.R. (3d) 205 (C.F., 1re inst.); McDonald's Corp. et al. c. Silcorp Ltée (1992), 41 C.P.R. (3d) 67 (C.A.F.); Mitac Inc. c. Mita Industrial Co. (1992), 40 C.P.R. (3d) 387 (C.F., 1re inst.). Néanmoins, lorsque de la preuve additionnelle est produite selon le paragraphe 56(5) de la Loi, cette Cour jouit d'une plus grande latitude envers la décision du registraire.

Nouveaux éléments de preuve

[17]      L'appelante a produit beaucoup de nouveaux éléments de preuve à l'appui de son appel. Le plus important est un sondage pour lequel on a fait appel à Mme Ruth Corbin de l'entreprise Decision Resources Inc., compagnie spécialisée dans les sondages et les études d'opinion. Les autres nouveaux éléments de preuve ne sont pas sensiblement différents des éléments produits devant la Commission. Ils établissent, cependant, que la marque de l'appelante « FREEDOM 55 » est très célèbre.

[18]      L'avocat de l'intimée a contesté l'admissibilité de certains de ces nouveaux éléments de preuve. Il s'est opposé en partie à l'affidavit d'Ingrid Whyte, à sa mention et à son utilisation des chiffres sur les « impressions brutes » . Ces chiffres permettent d'évaluer le nombre de fois où les gens de certains groupes d'âge vont vraisemblablement voir une publicité. Ils reposent en partie sur des statistiques et des renseignements relatifs à l'ensemble des téléspectateurs pour des émissions de télévision précises (par exemple, Seinfeld, Murphy Brown), lesquels sont fournis par Nielsen et le Bureau of Broadcast Management, BBM. Même si les agences et les acheteurs de publicité se servent de ces chiffres, on a admis que Mme Whyte, employée de l'agence de publicité de la London Life, ne pourrait attester, dans son témoignage, de la manière dont ils sont obtenus ou rassemblés. L'avocat soutient qu'il s'agit de ouï-dire. Il ajoute que les calendriers publicitaires qui font partie de son affidavit sont des documents qu'elle n'a pas préparés et qui lui ont été remis par des conseillers-média. Comme elle ne peut attester de leur provenance ou de leur origine, il s'agit donc de ouï-dire et d'éléments inadmissibles.

[19]      Je suis disposée à considérer ces deux éléments comme faisant partie intégrante de la preuve, dans la mesure où il s'agit de documents sur lesquels l'appelante et elle se sont fondés pour décider quelle publicité acheter. Je reconnais que l'exactitude des chiffres est une question de ouï-dire. Dans le contexte de l'ensemble de la preuve, toutefois, cela n'a guère d'importance. D'autres éléments de preuve, dont, par exemple, le sondage réalisé, établissent la renommée des marques.

La décision de la Commission des oppositions et les conclusions de la Cour

[20]      Le commissaire a apprécié l'existence d'un risque de confusion à la date du 26 juin 1990, date à laquelle la Manufacturers a produit sa demande d'enregistrement de la marque de commerce, parce que c'était, selon lui, la date à laquelle l'argumentation de l'opposante était la plus solide. Il a signalé qu'il incombait à la Manufacturers d'établir qu'il n'existait aucun risque raisonnable de confusion entre la marque dont elle demandait l'enregistrement, « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » , et la marque déposée, « FREEDOM 55 » (paragraphes 16(3) et 16(5)).

[21]      En appréciant le risque de confusion, il a établi que « FREEDOM 55 » ne possédait qu'un faible caractère distinctif inhérent, tout comme « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » . Ces décisions sont manifestement correctes et il n'a été produit par la suite aucun élément de preuve susceptible de mener à une conclusion différente. Le Commissaire a conclu que « FREEDOM 55 » avait acquis un caractère distinctif d'un degré important, tandis que « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » , étant une marque dont l'emploi était projeté, n'en avait pas. Le supplément de preuve produit montre que, à la date de la décision de la Commission, « FREEDOM 55 » était en fait une marque très célèbre. À ce titre, elle a droit à une large protection.

[22]      La Commission a apprécié les facteurs mentionnés aux alinéas b), c), d) et e) de l'article 6 de la Loi sur les marques de commerce et a conclu que la période pendant laquelle les marques respectives avaient été en usage et le chevauchement du genre de services susceptibles d'être vendus sous les deux marques constituaient des éléments qui penchaient en faveur de la London Life. En ce qui concerne le deuxième facteur, le commissaire a signalé que ce qui compte, c'est l'emploi que la Manufacturers pourrait faire de la marque, selon la description donnée dans la demande d'enregistrement, et non son emploi actuel de la marque (en liaison avec un régime d'assurance - le UL100). Il a conclu que les deux compagnies exploitaient leur entreprise plus ou moins de la même manière, même si l'une passait uniquement par l'intermédiaire de courtiers, tandis que l'autre vendait ses services directement au public en général. Il a estimé qu'il existait une certaine ressemblance visuelle et auditive entre les marques étant donné que le mot « FREEDOM » était commun aux deux marques et se trouvait au début de celles-ci. Toutefois, selon lui, les idées suggérées par chacune d'elle étaient différentes : [TRADUCTION] « La marque de l'opposante évoque un certain genre d'émancipation, tandis que celle dont l'enregistrement est demandé suggère l'idée d'une stratégie de planification personnelle, innovatrice et souple » . Je ne suis pas convaincue que ces conclusions soient erronées ni que les éléments de preuve produits devant moi conduisent à une conclusion différente, même si je considère que le chevauchement entre les idées que suggèrent les deux marques est plus grand que ce qu'a décrit la Commission.

[23]      Pour apprécier s'il existe un risque de confusion, il faut tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce. Le commissaire a considéré que deux de ces facteurs étaient particulièrement pertinents : le fait que, dans ce secteur d'activités, on emploie habituellement une marque de commerce qui est en étroite association avec le nom d'une compagnie d'assurance en particulier, et le fait que la sorte de services financiers vendus en liaison avec les marques ne soient pas achetés à la hâte - leur achat se réalise seulement après que l'acheteur éventuel a passé du temps avec un courtier ou un agent qui lui a expliqué la police. La preuve, tant celle produite devant la Commission que celle qui m'a été soumise, étaye entièrement ces conclusions.

[24]      Le commissaire a mentionné également que les deux marques avaient été employées entre la date de la demande d'enregistrement de la marque de commerce et celle de sa décision et que rien ne prouvait qu'il y avait eu confusion réelle. Je conviens avec l'avocate de l'appelante que, dans l'appréciation du risque de confusion futur, l'absence de confusion réelle est un facteur qui compte relativement peu, surtout si la Manufacturers étendait l'emploi de sa marque de commerce, comme elle aurait le droit de le faire une fois sa marque enregistrée.

[25]      On a fait allusion à la famille de marques de l'appelante, mais la preuve n'établit pas l'existence d'un emploi important de ces marques sauf celles de « FREEDOM 55 » et de « LIBERTÉ 55 » . Ce n'est donc pas un facteur important. En l'espèce, la question fondamentale est de savoir si le supplément de preuve, et plus particulièrement le sondage déposé par la London Life, étaye la conclusion qu'il existe un risque raisonnable de confusion si les deux marques sont employées en liaison avec les services décrits. Le sondage, commandé par la London Life, visait à mesurer la reconnaissance des expressions « FREEDOM 55 » et « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » employées en liaison avec la commercialisation de services d'assurance-vie et pour déterminer si l'expression « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » était associée à la compagnie qui commercialisait ses services sous la marque de commerce « FREEDOM 55 » .

[26]      Il ressort des résultats du sondage que « FREEDOM 55 » est une marque très bien connue et que « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » ne l'est pas. Toutefois, il est moins évident de savoir quelles conclusions les résultats du sondage, tels qu'interprétés par les experts respectifs, permettent de tirer quant à l'existence d'un risque raisonnable de confusion.

[27]      La preuve relative à ce point se trouve exposée dans sept affidavits : les affidavits de Mme Corbin, datés du 12 mai et du 8 août 1996; l'affidavit de M. Heeler, du 3 septembre 1996; l'affidavit en réponse de Mme Corbin, daté du 10 décembre 1996, et celui de M. Chakrapani, du 10 décembre 1996; l'affidavit en réplique de M. Heeler, du 21 mai 1997, et le contre-affidavit de M. Chakrapani, daté du 27 mai 1997. Bon nombre des critiques formulées à l'endroit du sondage viennent de M. Heeler. Pour plusieurs d'entre elles, il est inutile d'examiner la preuve en profondeur. Il suffit d'exposer mes conclusions.

[28]      Je ne suis pas convaincue qu'il y ait eu erreur sur la population sondée, soit parce qu'on n'a pas demandé aux personnes interrogées si elles cherchaient à acheter des assurances, soit parce qu'on les a interrogées sur le revenu du ménage plutôt que sur leur revenu personnel. J'accepte la déclaration de Mme Corbin selon laquelle les sondages portent sur le marché potentiel et non sur le marché-cible réel de la compagnie ou sur le marché réel des acheteurs d'assurance. J'accepte la déclaration de M. Chakrapani qui affirme que l'utilisation du revenu du ménage plutôt que du revenu personnel comme critère de sélection n'a pas influencé grandement les résultats du sondage.

[29]      J'estime que la critique formulée par M. Heeler qui accuse Mme Corbin d'avoir présenté ses résultats d'une manière trompeuse n'est pas valable. Je cite un extrait de la réponse donnée par Mme Corbin :

     [TRADUCTION] J'ai fait très attention de ne pas exagérer les résultats, et je note, en fait, que M. Heeler le confirme lorsqu'il reconnaît que je me suis abstenue de donner une signification statistique lorsqu'il n'y en avait pas. J'ai signalé seulement les faits et j'ai fourni toutes les données brutes et la taille des échantillons afin d'éviter toute possibilité de méprise de la part du lecteur.


[30]      Je n'accepte pas non plus la critique de M. Heeler selon laquelle le haut taux de refus invalide le sondage. Tant Mme Corbin que M. Chakrapani ont affirmé que ces taux s'inscrivaient dans les normes pour ce genre de sondages au Canada.

[31]      Le principal point en litige porte sur les conclusions à tirer des réponses données aux questions conçues pour vérifier si les gens associaient les expressions « FREEDOM 55 » et « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » à des services d'assurance provenant de la même compagnie.

[32]      Le sondage a été mené par téléphone, à l'aide d'une ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur). Un fort pourcentage des personnes interrogées, soit 84 %, ont prétendu connaître la marque de commerce « FREEDOM 55 » . Une série de questions de contrôle leur ont été posées et je juge inutile de les décrire en détail. La dernière de ces questions demandait à la moitié des personnes interrogées (150 environ) si elles croyaient que les services d'assurance vendus sous le nom de « FREEDOM 55 » et sous celui de « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » étaient vendus par (1) la même compagnie, (2) différentes compagnies ou (3) ne sait pas. (Ce groupe constitue le « groupe principal » .) On demandait à l'autre moitié des personnes interrogées si elles croyaient que les services d'assurance vendus sous le nom de « FREEDOM 55 » et sous celui de « MORE SECURITY TO PLAN FOR TOMORROW » (une formule publicitaire fictive) étaient vendus par (1) la même compagnie, (2) différentes compagnies ou (3) ne sait pas. (Ce groupe constitue le « groupe témoin » .) Ces deux questions étaient rigoureusement posées à tour de rôle aux personnes interrogées. Dans le groupe principal, 39 % des personnes interrogées ont répondu qu'elles croyaient que les services étaient vendus par la même compagnie. Dans le groupe témoin, 29 % d'entre elles ont répondu dans le même sens.

[33]      À part ces questions, certaines réponses à d'autres questions semblent indiquer que les deux marques pourraient être associées à la même source. Mme Corbin a présenté les résultats de l'sondage de la manière suivante :

[TRADUCTION] 47.      En résumé, les données montrent qu'une majorité importante de Canadiens connaissent bien le nom « FREEDOM 55 » . De plus, cinq différentes mesures indiquent que les personnes interrogées percevaient un lien entre « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » et « FREEDOM 55 » d'une manière plus élevée que ne peut l'expliquer le hasard :
(i)      Certaines personnes interrogées ont associé « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » avec « FREEDOM 55 » lorsqu'on leur a demandé de décrire le service vendu sous le nom de « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » .
(ii)      Certaines personnes interrogées ont associé « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » à la compagnie London Life.
(iii)      Certaines personnes interrogées ont dit que la compagnie qui vendait un service appelé « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » vendait aussi « FREEDOM 55 » .
(iv)      Certaines personnes interrogées ont dit qu'elles avaient vu l'annonce de « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » , mais elles pensaient manifestement à l'annonce de « FREEDOM 55 » .
(v)      Certaines personnes interrogées ont carrément affirmé qu'elles croyaient que « NEW FREEDOM TO PLAN YOUR FUTURE » et « FREEDOM 55 » étaient des services vendus par la même compagnie. Le résultat démontrant cette perception est fiable sur le plan statistique.

[34]      Les parties ont convenu que les alinéas (i) à (iv) ne renvoient pas à des résultats statistiquement significatifs. M. Heeler fait remarquer que même les résultats mentionnés à l'appui de l'alinéa (v) n'ont qu'une signification statistique négligeable. (Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'examiner en détail cette analyse, puisque que j'ai cru comprendre que les experts s'entendent sur ce point). Il fait également valoir que les résultats sur lesquels reposent les conclusions tirées à l'alinéa (v) ne satisfont pas à la norme statistique qui s'applique pour distinguer entre les résultats obtenus au hasard et ceux qui ne le sont pas (test 2). Il ajoute que, si on apprécie les résultats du groupe principal et ceux du groupe témoin séparément, comme il prétend qu'il faut le faire pour évaluer la fiabilité des réponses données à la dernière question, on n'obtient pas le degré de confiance voulu de 95 %.

[35]      Mme Corbin et M. Chakrapani ne contestent pas bon nombre de ces énoncés. Ils affirment, cependant, que la signification statistique est un test mécanique et arbitraire, et qu'on peut encore tirer des conclusions des résultats qui ne correspondent pas à ces tests mécaniques. Compte tenu des résultats du test 2, par exemple, le groupe principal était plus proche du caractère non aléatoire que le groupe témoin.

[36]      C'est donc dans le contexte de l'ensemble de la preuve relative au sondage qu'il faut apprécier les conclusions d'une signification statistique négligeable tirées de l'alinéa (v) ainsi que les résultats sans signification statistique, mais orientés dans une certaine direction, qui sous-tendent les alinéas (i) à (iv). Ce contexte comprend : le fait que ce sondage, comme dans la plupart des cas, est artificiel, en ce sens qu'il ne tente pas de reproduire une situation de vie réelle d'un vendeur d'assurance (courtier ou autre) qui vend les services d'assurance pertinents à des clients; il n'inclut pas la présentation de documents écrits à l'acheteur potentiel, dans lesquels il est d'usage, dans ce secteur d'activités, d'employer des marques de commerce en étroite relation avec le nom de la compagnie. Par ailleurs, mentionnons aussi que, dans ce contexte, la formule publicitaire fictive utilisée comme témoin ne contenait pas le mot « freedom » - si cela avait été le cas, la différence entre les réponses aux deux questions aurait pu ne pas être aussi prononcée. L'avocat de l'intimée soutient que l'appelante ne peut revendiquer un monopole sur le mot « freedom » et il signale qu'il ressort de la lecture de la documentation relative aux services financiers et services d'assurance que le mot « freedom » est souvent employé comme terme descriptif. Ces éléments sont des facteurs importants dans l'appréciation des conclusions à tirer des résultats du sondage dont la signification statistique est négligeable, mais qui sont orientés dans une certaine direction. Les résultats du sondage appréciés à la lumière de l'ensemble de ces facteurs ne me convainquent pas qu'ils étayent la conclusion que l'appelante aimerait me voir tirer.

[37]      Pour les motifs qui précèdent, j'en arrive à la même conclusion que la Commission des oppositions. L'appel sera rejeté.



« B. Reed »

Juge

TORONTO (ONTARIO)

24 mars 1999


Traduction certifiée conforme


Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats et avocats inscrits au dossier


NUMÉRO DU GREFFE :          T-1109-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LONDON LIFE, COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE

                         - et -


                         LA COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE MANUFACTURERS
- et -
LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

DATE DE L'AUDIENCE :          LE MARDI 23 FÉVRIER 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE REED, le mercredi 24 mars 1999.

ONT COMPARU :             

Adèle Finlayson                  pour l'appelante,                     

Michael E. Charles

Mark Robbins                  pour les intimés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shapiro Cohen                  pour l'appelante,

Avocats et procureurs

2001-112, rue Kent

B.P. 3440, station D

Ottawa (Ontario)

K1P 6P1

Bereskin & Parr                  pour les intimés.

Avocats et procureurs

B.P. 401, 40, rue King Ouest

Toronto (Ontario)

M5H 3Y2             


                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA


                                 Date : 19990323

                        

         Dossier : T-1109-96


                             Entre

LONDON LIFE, COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE,

                            

                                 demanderesse,

                             - et -

                             LA COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE MANUFACTURERS,

- et -

                             LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

                        

défendeurs.



                    

                            

            

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE     

                            




__________________

1Park Avenue Furniture c. Wicks Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, à la page 424 (C.A.F.).

2 Leaf Confections Ltd. c. Maple Leaf Gardens Ltd. (1986), 12 C.P.R. (3d) 511, à la page 520 (C.F., 1re inst.).

3      Polysar Ltd. c. Gesco Distributing Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 289, à la page 298 (C.F., 1re inst.).

4      101482 Canada Inc. c. Registrar of Trade-marks (1985), 7 C.P.R. (3d) 289, à la page 292.

5      Miss Universe Inc. c. Bohna (1995), 58 C.P.R. (3d) 381, à la page 387 (C.A.F.).

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