Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050520

Dossier : T-1261-03

Référence : 2005 CF 723

ENTRE :

L'ASSOCIATION DES PILOTES D'AIR CANADA

demanderesse

et

L'ASSOCIATION DES PILOTES DES LIGNES AÉRIENNES

et AIR CANADA

défenderesses

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                Le 4 janvier 2000, Air Canada a fusionné avec Lignes aériennes Canadien Ltée (Canadien). À l'époque, les pilotes syndiqués d'Air Canada étaient représentés par l'Association des pilotes d'Air Canada (APAC), et ceux de Canadien, par l'Association des pilotes des lignes aériennes (ALPA). Le 3 août 2000, le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a déclaré Air Canada employeur unique sous le régime du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code). Par la suite, Air Canada, l'APAC et l'ALPA ont confirmé au Conseil qu'il ne fallait plus y avoir deux unités de négociation accréditées pour les pilotes et lui ont demandé de les fondre en une seule unité.

[2]                Ce litige fait suite à l'incapacité prolongée des parties de résoudre la question de l'ancienneté relative des pilotes qui résultait de la fusion de deux unités de négociation distinctes en une seule unité commune.

APERÇU GÉNÉRAL

[3]                Tout en divergeant sur la question de l'ancienneté des pilotes, les parties se sont entendues sur la procédure à suivre pour résoudre le différend. Par consentement des deux syndicats, l'affaire a été soumise à l'arbitre Morton G. Mitchnick qui a établi une liste commune d'ancienneté pour les pilotes concernés. Sa décision a été ensuite intégrée dans une ordonnance du Conseil en date du 2 mai 2001.


[4]                À la suite de l'ordonnance du 2 mai 2001, ALPA en a demandé le réexamen en application de l'article 18 du Code. Le 10 juillet 2002, le Conseil a rendu publique sa décision portant annulation de la sentence de l'arbitre Mitchnick pour deux motifs, à savoir, en premier lieu qu'elle n'était pas conforme aux prescriptions du Code en matière d'intégration des listes d'ancienneté et, en second lieu, que la sentence arbitrale ne reposait pas sur des motifs suffisamment développés par écrit. Si par cette décision (Air Canada, [2002] C.I.R.B.D. no 31, [2002] CCRI Décision no 183), le Conseil n'a pas résolu la question des listes d'ancienneté, il a défini certains principes à observer pour leur intégration conformément au Code. Il a ordonné aux parties d'engager une autre procédure pour produire une nouvelle liste d'ancienneté à la lumière de ces principes, tout en conservant sa compétence en la matière jusqu'à la fin.

[5]                Les parties n'ont pu s'entendre pour produire une nouvelle liste d'ancienneté. Cependant, le « comité de fusion » de chaque groupe de pilotes et Air Canada se sont entendus sur une procédure de médiation/arbitrage à conduire par un banc d'arbitrage de trois membres sous la présidence de l'arbitre Brian Keller. Chaque syndicat de pilotes y nommerait un représentant pour en compléter la composition. Les parties ont signé à cet égard un accord prévoyant, entre autres, que la sentence du président serait réputée être celle du banc au cas où les représentants respectifs des parties ne la partageraient pas. L'accord prévoyait aussi que le banc fonctionnerait à titre de « banc tripartite de médiation/arbitrage » et qu'il « fixera le calendrier des audiences ainsi que sa propre procédure » après consultation des parties.


[6]                Le Conseil conservait son pouvoir de contrôle sur la procédure pour s'assurer que la liste d'ancienneté qui en résulterait serait conforme aux principes articulés dans sa décision du 10 juillet 2002.

[7]                Le président Keller a rendu sa sentence le 16 juin 2003. Les deux représentants syndicaux sur le banc d'arbitrage (M. Ronald A. Pink, c.r., pour l'ALPA, et M. Menno Vorster pour l'APAC) ont prononcé chacun des motifs dissidents. Ceux du représentant de l'APAC étaient datés du 25 juin 2003 et ceux du représentant de l'ALPA, du 8 juillet 2003. Le représentant de l'APAC et le président Keller ont par la suite rendu publics des addenda à leur décision respective. Ceux de l'APAC étaient datés du 6 août 2003 et ceux du président Keller, du 13 août 2003.

[8]                L'APAC a demandé au Conseil de réexaminer la sentence du président Keller au motif que celle-ci débordait les paramètres établis par la décision no 183 du Conseil. Le 28 janvier 2004, par sa décision Air Canada, [2004] C.I.R.B.D. no 4, CCRI Décision no 263, le Conseil a déféré aux conclusions de l'arbitre Keller, faisant savoir qu'il avait épuisé toute compétence résiduelle sur la procédure d'intégration des listes d'ancienneté, qu'il s'était réservée. Il a aussi conclu qu'il n'exercerait aucun pouvoir discrétionnaire pour entreprendre, de son propre chef, un examen de la question de l'intégration des listes d'ancienneté.


[9]                Par lettre en date du 19 février 2004, l'APAC a demandé au Conseil de revoir cette décision, et celui-ci a rejeté la demande le 14 décembre 2004 par lettre portant décision no 1170.

[10]            Le 14 février 2005, la Cour d'appel fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l'APAC contre la décision no 263 du CCRI, en faisant droit à la conclusion du Conseil que son intervention n'était ni nécessaire ni justifiée.

[11]            La demande de contrôle judiciaire en l'espèce vise la sentence du président Keller. L'APAC sollicite une ordonnance portant annulation de cette décision au motif que les divers actes et omissions du président Keller avaient pour effet de lui dénier l'équité procédurale et suscitaient une crainte raisonnable de parti pris.

LA POSITION RESPECTIVE DES PARTIES ET LES POINTS LITIGIEUX

[12]            Selon le mémoire de l'APAC, le président Keller :

[TRADUCTION]


4.              ... a été saisi d'un différend de la plus grande importance pour les milliers de pilotes concernés. N'empêche qu'il n'a même pas observé les principes les plus élémentaires d'équité procédurale. Le président a participé à une réception privée donnée par l'une des parties, réception à laquelle l'autre partie n'était invitée ni ne participait. Le président a publiquement critiqué les caractéristiques personnelles de l'une des parties, tout en faisant l'éloge de l'autre. Après avoir mis fin à l'audience, il l'a rouverte pour permettre à l'une des parties de produire de nouveaux éléments de preuve, tout en déniant à l'autre le droit de les contester ou de produire ses propres preuves nouvelles. Le président a même prétendu renvoyer le représentant de l'une des parties du banc, sans le lui dire. Dans chaque cas, les irrégularités commises par le président favorisaient l'ALPA et portaient préjudice à l'APAC. Enfin, le président a rendu une sentence qui a énormément favorisé l'ALPA et désavantagé l'APAC et les pilotes qu'elle représente.

[13]            Par suite, l'APAC a formulé comme suit les points litigieux soumis à la Cour :

[TRADUCTION]

(1)            L'arbitre Keller a-t-il violé les règles de justice naturelle en assistant à une réception offerte par l'une des parties durant la procédure d'arbitrage?

(2)            L'arbitre Keller a-t-il violé les règles de justice naturelle en faisant des remarques désobligeantes sur les représentants de l'une des parties?

(3)            L'arbitre Keller a-t-il commis une erreur de justice naturelle en excluant l'un des membres du banc des délibérations de ce dernier?

(4)            L'arbitre Keller a-t-il commis une erreur de justice naturelle en acceptant les conclusions de l'une des parties sans permettre à l'autre d'y répondre?

(5)            L'arbitre Keller a-t-il perdu compétence faute d'observer les directives en matière de procédure que le banc avait données aux parties?

[14]            Voici la réplique de l'ALPA :

[TRADUCTION]

(a)            L'APAC ne s'est pas vu dénier le droit à une procédure équitable. En particulier, elle était elle-même responsable des soi-disant vices dont elle se plaint maintenant. Ces vices résultaient de sa conduite durant la procédure et de sa décision d'abandonner l'arbitrage Keller.

(b)            Il n'y a aucune crainte raisonnable de préjugé de la part de M. Keller contre l'APAC.

(c)            En outre, il y a lieu pour l'honorable Cour de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder une réparation à l'APAC, qui n'est pas irréprochable dans le contexte de sa demande. D'ailleurs, le Conseil canadien des relations industrielles a déjà refusé de toucher au fond de la décision de M. Keller, au motif qu'elle est conforme au Code canadien du travail et qu'une saine politique des relations du travail comme le bon sens imposent de mettre un terme à ce différend interminable.


LES PREUVES ET TÉMOIGNAGES PRODUITS

[15]            À l'appui de son assertion que les agissements du président Keller ont eu pour effet de lui dénier l'équité procédurale et suscitent une crainte raisonnable de parti pris, l'APAC a versé au dossier l'affidavit du commandant Kevin Whiteside. Celui-ci, pilote de longue date d'Air Canada, faisait partie, pendant toute la période considérée, du comité de fusion de l'APAC, dont il était l'un des « spécialistes des données » . Ces spécialistes étaient des syndiqués qui savaient utiliser les données informatiques sur les pilotes, fournies par Air Canada pour inclusion dans la liste intégrée d'ancienneté, en conjugaison avec d'autres programmes logiciels, afin de produire la liste d'ancienneté qu'établirait telle ou telle méthode d'intégration des listes. Cette manipulation des données permettait d'apprécier les effets que telle ou telle proposition de liste intégrée d'ancienneté aurait sur le travail et le salaire des pilotes. L'APAC a aussi versé au dossier l'affidavit d'un second pilote, le commandant Bruce Durrer, au sujet du parti pris reproché au président.

[16]            En réponse à l'affidavit du commandant Whiteside, l'ALPA a déposé l'affidavit du commandant Robert McGinnis, pilote de longue date de Canadien qui travaille maintenant chez Air Canada. C'est lui qui présidait le comité de fusion de l'ALPA. Un affidavit supplémentaire du commandant McInnis a été déposé subséquemment, qui modifie légèrement le premier.


[17]            Les souvenirs des commandants Whiteside et McGinnis au sujet des incidents importants sont tout à fait divergents. Ni l'un ni l'autre n'a été contre-interrogé. La principale difficulté dans la présente demande de contrôle judiciaire est de dégager de ces témoignages contradictoires ce qui s'est réellement passé.

i) La conduite de l'arbitrage Keller - La version de l'APAC

[18]            L'APAC rapporte comme suit les faits importants touchant l'arbitrage.

Le banc passait plus de temps avec l'ALPA qu'avec l'APAC durant la médiation

[19]            L'APAC se rappelle que durant la phase de médiation, le banc passait le plus clair de son temps à examiner les solutions proposées par l'ALPA, et le président Keller ne manifestait pratiquement aucun intérêt pour les solutions et concepts proposés par l'APAC. Celle-ci en a fait grief au banc le dernier jour de la médiation. Le président Keller a commencé par refuser de lui accorder une journée supplémentaire mais, après l'intervention de M. Vorster, il a fini par revenir sur sa décision. L'APAC fait cependant savoir qu'en dépit de cette journée supplémentaire, le banc a passé bien plus de temps avec l'ALPA qu'avec elle.

La procédure établie


[20]            Le président Keller a informé l'APAC que la phase de médiation prendrait fin et l'audience reprendrait dès que le banc aurait conclu qu'il n'y aurait rien à gagner à pousser la médiation plus loin. C'est pourquoi l'APAC a fait connaître toutes ses concessions au stade de la médiation. Le président Keller a mis fin à la médiation le 13 avril 2003 (bien que subséquemment une journée supplémentaire fût accordée à l'APAC, le 2 mai 2003, afin que le banc pût pleinement saisir sa position). Le 4 mai 2003, à l'issue des audiences, le banc a différé sa décision et s'est retiré pour délibérer, en réunions directives, de la sentence définitive.

[21]            Avant la première réunion directive, le président Keller a donné les instructions suivantes aux parties par courriel adressé à leurs avocats respectifs :

[TRADUCTION]

Menno, Ron et moi-même avons discuté hier soir de la date et du lieu où aura lieu notre première, mais non pas nécessairement notre dernière, réunion directive, et il est nécessaire de clarifier certains points de procédure. En premier lieu, après que les parties auront terminé de présenter leurs observations, il appartiendra au banc de mener à bien la procédure de la façon qu'elle juge indiquée. En second lieu, les parties n'ont plus aucun rôle à jouer en cet état de la cause, sauf communication du banc et demande de sa part. En troisième lieu, les « experts » prendront part aux délibérations du banc, ils participeront aux réunions directives et leur rôle sera strictement consultatif. Comme indiqué précédemment, ils ne pourront plus en cet état de la cause communiquer avec leurs parties respectives, à moins que le banc ne le leur demande ou ne les y autorise. Ce dernier point est de la plus haute importance et doit être respecté pour que le banc puisse remplir sa mission!

Tout cela signifie qu'il appartient au banc seul de décider où, quand et comment tenir les réunions directives. Nous ne pouvons évidemment interdire à qui que ce soit d'être présent là où nous comptons délibérer, mais il faut qu'il soit clair que sa présence n'est ni demandée ni exigée. Tout ce dont nous aurons besoin ce sera un moyen de communiquer avec les avocats, lesquels communiqueront à leur tour avec leur client respectif si nécessaire.

La proposition MRAR


[22]            L'APAC fait savoir que l'avant-dernière journée de médiation, le président Keller l'a assurée qu'il n'accorderait pas le « MRAR » . Ce sigle désigne un mécanisme de rajustement de la liste d'ancienneté que demandait l'ALPA pour compenser, en faveur des anciens pilotes de Canadien, l'effet de leur ratio de retraites plus élevé (le sigle « MRAR » est l'abréviation de Maintien du ratio d'attrition respectif). Le MRAR aurait opéré en faveur des pilotes de Canadien et au détriment de ceux d'Air Canada. En conséquence, l'APAC était fortement opposée à la proposition de MRAR, mais n'a présenté aucune observation à ce sujet après que le président Keller l'eut assurée qu'il ne l'accorderait pas. L'APAC fait cependant remarquer que la sentence définitive du président Keller comprenait ce qui était au fond le rajustement MRAR de l'ALPA, dont il avait expressément assuré l'APAC qu'il ne l'accorderait pas. L'APAC fait savoir que le président Keller ne lui a donné aucune possibilité par la suite de se faire entendre au sujet des effets du rajustement MRAR.

Présentation de nouvelles propositions

[23]            Le troisième jour des réunions directives, le président Keller a informé les spécialistes des données d'un changement dans la procédure. Il a identifié certains faits et principes nouveaux qui régiraient la sentence du banc, et a invité chaque partie à soumettre trois nouvelles propositions incorporant ces nouveaux principes. L'APAC rappelle que l'ALPA a soumis trois propositions renfermant des éléments qui n'avaient jamais été soulevés ou débattus avant la fin des audiences, et que l'APAC ne s'est pas vu donner la possibilité d'y réagir. De son côté, l'APAC avait soumis toutes ses propositions au stade de la médiation, et avait cru que l'ALPA avait fait de même.


Observations supplémentaires et violation de la procédure établie

[24]            Le 6 juin, l'APAC a été informée par son représentant au banc que le président Keller avait demandé et accepté de nouveaux éléments de preuve et conclusions de l'ALPA seule, sans en informer le représentant de l'APAC ni inviter celle-ci à y répondre. Les preuves nouvelles concernaient la structure de route d'Air Canada, l'affectation des aéronefs et les capacités techniques de différents aéronefs. L'APAC s'est plainte auprès du président Keller de cette violation de la procédure établie du banc, mais celui-ci n'a pas donné suite à la plainte. Sa sentence définitive reposait expressément sur les preuves relatives à la structure de route et à l'affectation des aéronefs d'Air Canada.

[25]            Le 6 juin également, l'APAC a découvert que le président Keller était en train d'examiner, pour la première fois, une autre proposition de l'ALPA qui avait pour objet de dédommager les pilotes de Canadien de « l'effet Mitchnick » (à savoir, l'effet défavorable de la première sentence arbitrale Mitchnick sur les pilotes de Canadien). L'ALPA a produit de nouveaux calculs, différents des éléments de preuve qu'elle avait produits à l'audience, pour faire valoir que les pilotes de Canadien avaient perdu 13 millions de dollars par an en raison de la liste établie par la sentence Mitchnick. Les spécialistes des données de l'APAC n'ont pu déterminer sur quelle base reposaient ces calculs de l'ALPA.


[26]            Le même jour, l'APAC a été informée que le président Keller était déjà parvenu à une décision sur tous les éléments de l'arbitrage, à quelques exceptions près. Celui-ci avait décidé de la solution sans donner à l'APAC la possibilité de donner son avis sur les preuves nouvelles qu'il avait obtenues de l'ALPA.

Le retrait de l'APAC de la procédure

[27]            Vu le peu d'attention et d'intérêt manifesté par le président Keller pour les conclusions de l'APAC tout au long de la procédure, et vu sa violation de la procédure qu'il avait lui-même fixée, le comité de fusion de l'APAC lui a notifié qu'il retirait ses spécialistes des données qui servaient de personnes-ressources auprès du banc.

La réception

[28]            L'APAC a également produit des détails sur la dégustation de vins et fromages organisée par le comité de fusion de l'ALPA. Ce n'est qu'après que le président Keller eut mis au point sa décision qu'elle a appris que cette réception avait eu lieu et que celui-ci y avait pris part. Le représentant de l'APAC au banc n'y participait pas. En fait, alors que les membres du comité de fusion de l'ALPA y participaient en compagnie du président Keller, personne du côté de l'APAC ou de son comité de fusion n'y avait été convié.


La conversation

[29]            L'APAC a également produit une preuve concernant une conversation qui aurait eu lieu entre le président Keller et un pilote d'Air Canada, le commandant Durrer, assis à côté de ce dernier lors d'un vol au moment des audiences. Selon l'APAC, le président Keller a dit à ce pilote que les représentants des pilotes de Canadien étaient bien plus humbles que ceux des pilotes d'Air Canada, qu'il disait arrogants. Puis il l'a assuré que « dans deux ans, vous en serez revenu au point où vous êtes maintenant » .

ii) La conduite de l'arbitrage Keller - La version de l'ALPA

[30]            Voici la version des faits de l'ALPA au sujet de la procédure d'arbitrage.

Le banc passait plus de temps avec l'ALPA qu'avec l'APAC durant la médiation


[31]            L'ALPA reconnaît que durant la médiation, le banc passait effectivement plus de temps à examiner ses propositions. Elle soutient cependant qu'il s'agit là de la conséquence des deux approches différentes adoptées par les deux syndicats vis-à-vis de la procédure de médiation. L'APAC n'a présenté que peu de propositions, et le banc a été informé que celles-ci étaient finales et qu'il ne pourrait guère s'attendre à du nouveau dans les propositions subséquentes. Par contre, l'ALPA a soumis plusieurs propositions, y compris une proposition détaillée sur la façon d'intégrer les listes d'ancienneté sur une base proportionnelle (la proposition MRAR). Ainsi que l'a noté le président Keller dans les addenda à sa sentence, le banc était obligé de passer le temps nécessaire avec l'ALPA afin de bien saisir ses propositions. Étant donné que celle-ci faisait des propositions qu'il était nécessaire d'examiner, les circonstances imposaient de passer plus de temps avec ses représentants qu'avec ceux de l'APAC.

[32]          Après les séances de médiation, le banc a accordé à l'APAC une journée supplémentaire au cours de laquelle il l'entendrait exclusivement et lui consacrerait autant de temps qu'il le jugerait nécessaire. D'ailleurs, à la fin de cette journée supplémentaire, l'APAC a remercié le banc et déclaré qu'elle était satisfaite de la procédure. À part cette séance, l'APAC n'a jamais demandé plus de temps avec le banc.

La proposition MRAR


[33]            L'ALPA soutient que le président Keller n'a pas accordé le maintien du ratio d'attrition respectif. Elle avait fait cette proposition d'intégration des ratios par catégorie, en vue de compenser l'effet du nombre disproportionné de retraites à court terme chez les pilotes membres de l'ALPA. Le MRAR est un concept spécifique d'intégration, grâce auquel chaque groupe de pilotes suivrait son propre rythme d'attrition de façon qu'aucun groupe n'avance sur la liste au détriment de l'autre. Cette proposition s'expliquait par le fait qu'il y avait un plus grand nombre de retraites prévues chez les pilotes de Canadien et que ceux-ci devraient en avoir le bénéfice à l'avenir. Le président Keller a, à la fin, rejeté la proposition MRAR de l'ALPA. Ce rejet devrait ressortir de sa sentence, puisque le président Keller indique que le MRAR aurait créé deux listes d'ancienneté parallèles et distinctes, qui ne pourraient fusionner avant que tous les pilotes de Canadien ne soient à la retraite.

[34]          La mesure corrective adoptée à la fin par le président Keller était basée sur un ratio par catégorie, et il a rejeté la thèse que les retraites soient un droit protégé. Il a cependant fait un rajustement unique sur la liste pour remédier à l'effet de la sentence Mitchnick. L'ALPA note que ce rajustement unique avait été proposé lors des discussions entre le représentant de l'APAC et le président Keller.

La présentation de nouvelles propositions

[35]            Le 18 mai, le banc a informé les parties qu'il avait décidé des faits et principes à prendre en considération dans ses délibérations finales, et leur a demandé de soumettre trois nouvelles propositions pour la sentence, lesquelles devaient servir à rapprocher leurs propositions antérieures. Ces propositions devaient être soumises le 26 mai au plus tard. Le banc a informé les parties que chacune d'elles recevrait une copie des propositions de l'autre pour examen après qu'elle eut déposé les siennes propres. L'ALPA a soumis trois propositions, l'APAC n'en a présenté aucune dans le délai prévu. L'APAC a fini par présenter, tardivement le 6 juin, une proposition que le banc a acceptée et examinée. Au dépôt de sa proposition, l'APAC s'est vu remettre une copie de celles de l'ALPA. Elle n'y a rien objecté à ce moment-là ni n'a demandé à présenter d'autres conclusions juridiques sur ces nouvelles propositions.


[36]            Étant donné que les principes et faits adoptés le 18 mai étaient différents de la position respectivement prise jusque là par l'APAC et l'ALPA, il était clair que par cette demande de nouvelles propositions, le banc cherchait à obtenir quelque chose de nouveau chez les parties à la lumière de ses nouvelles conclusions sur les faits.

Observations supplémentaires

[37]            L'ALPA fait remarquer que l'APAC a été mise au courant des données qu'elle avait produites sur les itinéraires et l'utilisation de la flotte d'Air Canada, données que l'APAC a acceptées. Elle note cependant qu'il y avait une « compilation de données » supplémentaire qu'elle a produite le 7 juin pour servir de base aux délibérations de la réunion directive ce jour même. Cette compilation de données se rapportait à un rajustement unique et était préparée en réponse à la proposition faite le 6 juin par le représentant de l'APAC que ce rajustement fût considéré comme une mesure corrective dans la sentence définitive. Lorsque le président a communiqué cette suggestion à M. Pink, celui-ci a fait produire par l'ALPA une compilation de données sur cette question pour la réunion directive du lendemain. La compilation de données a été produite dans la matinée du 7 juin. La seule raison pour laquelle l'APAC ne l'a pas reçue est qu'elle s'était retirée de la procédure d'arbitrage ce matin même.


Le retrait de l'APAC de la procédure

[38]            Le 6 juin, le président Keller a communiqué aux représentants des parties le sens général que prendrait sa sentence. Il leur a dit qu'aucune décision définitive n'avait été prise au sujet des détails de la sentence, qui seraient débattus au cours d'autres réunions directives. Le 7 juin, l'APAC s'est retirée de la procédure d'arbitrage, et son représentant a fait de même. Par suite, le président a dit à M. Pink que, vu le retrait de cette dernière, il ne demanderait plus à l'ALPA ou à son représentant de faire valoir ses vues. Il a alors rédigé sa sentence, et le représentant de chaque partie, ses propres motifs dissidents.

La réception

[39]            La réception d'avril 2003 a été organisée par le comité du fusion de l'ALPA à l'intention de ses propres membres. Elle n'a pas été donnée spécialement pour le président Keller. À la fin de la session de médiation, les membres du banc et leurs conjoints ont été invités sans façon à la réception. L'arbitre et le représentant de l'ALPA y participèrent, et le comité de fusion de l'ALPA se souvient que le représentant de l'APAC y a participé aussi. Au cours de la réception, personne ne parlait de l'arbitrage. De même, à aucun moment avant l'introduction de la demande de contrôle judiciaire en l'espèce, l'APAC n'a exprimé quelque réserve que ce soit quant à la présence de l'arbitre à cette réception.


La conversation

[40]            L'ALPA conteste que la soi-disant conversation entre le président Keller et un pilote d'Air Canada ait jamais eu lieu. Le président Keller, dans une note annexée à l'affidavit du commandant McInnis, déclare qu'il ne se souvient pas d'une telle conversation et pense qu'il est improbable qu'elle ait eu lieu. En outre, à aucun moment avant la demande de contrôle judiciaire en instance, l'APAC ou son représentant n'a exprimé quelque réserve que ce soit quant à cette soi-disant conversation.

LA NORME DE CONTRÔLE

[41]            Les chefs de contestation de l'APAC se résument en deux questions, à savoir si elle a été entendue conformément aux règles d'équité procédurale, et s'il y a une crainte raisonnable de parti pris chez le président. Puisque les questions soulevées portent uniquement sur l'équité de la procédure d'arbitrage, il n'est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle. Il appartient à la Cour de trouver la réponse juridique à la question de savoir si les principes d'équité procédurale ont été respectés; voir Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, paragraphe 100; Canada (Procureur général) c. Fetherston, 2005 CAF 111; [2005] A.C.F. no 544, paragraphe 16.


L'OBLIGATION D'ÉQUITÉ

[42]            Il est hors de doute que le président qui conduisait la procédure de médiation/arbitrage en vue de l'intégration des listes d'ancienneté était tenu à l'obligation d'équité. Cela dit, « la notion d'équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » , voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphe 21. Dans Knight c. Indian Head School Division no 19, [1990] 1 R.C.S. 653, page 685, la Cour suprême a rappelé par décision majoritaire que les autorités administratives jouissent d'une certaine latitude pour définir leur propre procédure. Le contenu des règles à suivre par une autorité administrative est déterminé à la lumière de toutes les circonstances dans lesquelles elle rend sa décision. Mme le juge L'Heureux-Dubé s'est prononcée en ces termes, page 685:

49             Il ne faut pas oublier que tout organisme administratif est maître de sa propre procédure et n'a pas à se modeler sur les tribunaux judiciaires. L'idée n'est pas d'importer dans les procédures administratives toute la rigidité des exigences de la justice naturelle auxquelles doit satisfaire un tribunal judiciaire, mais simplement de permettre aux organismes administratifs d'élaborer un système souple, adapté à leurs besoins et équitable. Comme le fait remarquer de Smith (Judicial Review of Administrative Action (4e éd. 1980), à la p._240), on ne vise pas à créer la « perfection procédurale » , mais bien à établir un certain équilibre entre le besoin d'équité, d'efficacité et de prévisibilité des résultats. [Non souligné dans l'original.]

[43]            C'est le degré de rapprochement entre la procédure administrative en cause et la procédure judiciaire qui indique jusqu'à quel point ces principes directeurs devraient s'appliquer dans le domaine des décisions administratives (Knight, précité, page 683).


[44]            Dans Baker, précité, Mme le juge L'Heureux-Dubé a établi une liste non exhaustive des facteurs qui permettent de juger quand l'obligation d'équité s'impose dans un cas d'espèce. Voici ces facteurs :

i)           La nature de la décision et la procédure suivie pour y parvenir.

ii)          La nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l'autorité administrative concernée.

iii)          L'importance de la décision pour les personnes visées.

iv)         Les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision.

v)          Les choix de procédure que fait l'autorité administrative elle-même.


[45]            Mme le juge L'Heureux-Dubé souligne que « l'idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l'obligation d'équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur » .

[46]            En appliquant ces facteurs aux circonstances de la cause, on peut voir que l'intégration de listes d'ancienneté est différente d'une décision judiciaire en ce qu'elle requiert l'exercice de pouvoirs discrétionnaires considérables et la prise en considération d'un certain nombre de facteurs. Le Conseil a motivé en ces termes l'annulation de la sentence Mitchnick :

... la question qui découle inévitablement de la nécessité de réexaminer la décision Mitchnick en tenant compte des principes établis par le Code est celle de la procédure à appliquer pour effectuer cet examen. Mais avant de se pencher sur cette question, il convient de formuler certaines observations supplémentaires concernant la nature de l'ancienneté et les diverses méthodes qui peuvent être utilisées pour intégrer deux listes d'ancienneté distinctes. Tout d'abord, comme il a été mentionné précédemment, il faut tenir compte de tous les facteurs pertinents, mais en vertu des dispositions de l'article 18.1 du Code, la préservation des droits d'ancienneté et des droits connexes prévus dans les conventions collectives doit l'emporter sur le reste. Le Conseil doit s'atteler à la tâche en tenant compte des principes établis par le Code d'une manière qui favorise la réalisation des objectifs du Code, y compris la libre négociation collective et des relations patronales-syndicales harmonieuses, et aussi de manière à ce que chacun récolte sa juste part des fruits du progrès. Dans la mesure du possible, le Conseil doit prendre les mesures nécessaires, dans le contexte de l'intégration des listes d'ancienneté, pour qu'à l'issue de la procédure d'intégration aucune des parties n'ait acquis ou perdu des avantages. En d'autres termes, il ne doit y avoir ni gagnant ni perdant, toutes les parties doivent y gagner au change, et les droits inscrits dans la convention collective doivent être reconnus dans les faits et prorogés dans la mesure du possible. Rien n'empêche de s'appuyer aussi sur les décisions arbitrales antérieures, mais il faut alors procéder avec prudence en tenant compte des dispositions pertinentes du Code. Il convient en outre de préciser que chaque affaire est un cas d'espèce, et que les faits pertinents peuvent jouer un rôle déterminant. Ainsi que l'arbitre Nicolau l'a fait observer, l'intégration des listes d'ancienneté devrait être effectuée de manière juste et équitable, et chaque affaire devrait être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres. Les faits devraient être appliqués en tenant compte des principes pertinents. [Non souligné dans l'original.]


[47]            Le Conseil note aussi que la procédure d'intégration des listes donne les meilleurs résultats par un processus interactif. Ainsi donc, tout arbitre devait avoir en tout premier lieu la possibilité de jouer un rôle de médiateur entre les parties. C'est pourquoi le Conseil n'a pas immédiatement renvoyé l'affaire à un nouvel arbitrage, mais a ordonné à l'APAC et à l'ALPA d'essayer de nouveau de produire une liste d'ancienneté. Après que cette tentative eut échoué, les parties se sont entendues, par accord écrit, pour recourir à la procédure de médiation/arbitrage et ont expressément consenti au banc d'arbitrage le pouvoir de fixer lui-même sa propre procédure.

[48]            Ces faits, en particulier la portée envisagée du pouvoir d'appréciation discrétionnaire, n'impliquent à mon avis ni rigueur ni faiblesse des protections procédurales en place (voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, paragraphe 116).

[49]            Pour ce qui est de la nature du régime législatif, l'arbitrage fait suite au défaut des parties de s'entendre d'elles-mêmes sur une liste d'ancienneté. Cependant, le Conseil a retenu sa compétence sur le différend, et les parties se sont réservé le droit d'exercer un recours en contrôle judiciaire contre la sentence arbitrale. La disponibilité de ce recours signifie que les protections procédurales peuvent être moins rigoureuses.


[50]            En ce qui concerne l'importance que revêt la décision pour les intéressés, plus grand est l'effet sur la vie de l'individu, plus la nécessité des protections procédurales est impérieuse. Il est indubitable, comme l'a fait remarquer l'avocat représentant l'ALPA, que les listes d'ancienneté [traduction] « régissent jusqu'au dernier détail pratiquement toutes les facettes de la carrière d'un pilote » . Selon le représentant de l'ALPA, [traduction] « ce qui fait de la question de l'ancienneté une question aussi délicate c'est que pour les pilotes, l'ancienneté signifie la ville où ils habitent, les avions qu'ils pilotent, le salaire qu'ils gagnent, les jours où ils n'ont pas à travailler, les congés qu'ils prennent, les itinéraires qu'ils font et l'importance de la pension de retraite qu'ils toucheront » .

[51]            L'importance que revêt la décision pour les pilotes impose que les protections d'équité procédurale soient plus rigoureuses. Ces protections n'atteignent cependant pas le niveau exigé dans les cas où l'emploi même est en jeu.

[52]            En ce qui concerne les attentes légitimes des parties, il faut prendre en compte, dans le contexte de l'équité procédurale, les promesses ou les usages de l'autorité administrative concernée. En règle générale, il sera inique de la part de cette dernière d'aller à l'encontre de la procédure qu'elle a annoncée. Nous verrons plus loin si, en fait, le président et le banc sont revenus sur des engagements en matière de procédure, sans accorder d'importants droits de procédure.

[53]            Enfin, il convient d'examiner les choix de procédure faits par le banc, en particulier là où il s'est vu conférer le pouvoir de fixer lui-même sa propre procédure.


[54]            La procédure suivie par le banc a été décrite en ces termes par le commandant McInnis dans son affidavit :

[TRADUCTION]

40.            Les parties ont adopté une formule de médiation-arbitrage dans laquelle leurs représentants joueraient un rôle primordial au nom de leurs groupes de pilotes respectifs, à tous les stades de la procédure. Cette formule donnait lieu à un processus fluide dans lequel les parties pouvaient rencontrer, et ont effectivement rencontré le banc plénier, ou le président et un membre du banc, ou leur propre représentant seul. Les rencontres à part avec les représentants des parties étaient autant d'occasions importantes pour M. Keller de communiquer franchement à chaque partie toute directive spécifique et pour chaque partie d'exprimer l'impression qu'elle avait de la procédure à cette date et de l'efficacité de ses observations et positions. Ce protocole permettait au banc de concevoir une procédure informelle efficace pour entendre les arguments des parties et recueillir les renseignements nécessaires à la médiation et, éventuellement, à l'arbitrage dans l'affaire.

41.            Outre les nombreuses conclusions présentées avant l'audition de l'affaire, ainsi que les observations et témoignages à l'appui de leur interprétation de la décision no 183, les parties ont soumis d'autres documents au banc au fur et à mesure de la procédure. L'une et l'autre parties étaient en mesure de présenter au banc leurs observations et arguments sur toute question de leur choix. L'APAC et l'ALPA se sont prévalues l'une et l'autre de ces occasions pour rencontrer le banc plénier, ou encore M. Keller et leur représentant respectif, pour soumettre des documents au banc par l'intermédiaire de leur représentant respectif, ainsi que pour faire des observations au banc plénier lors des audiences formelles, en présence de la partie opposée. Le banc avait, de cette façon, accès aux pilotes bien informés, au logiciel avancé et aux représentants de la direction, ce qui lui permettait de saisir très rapidement les diverses propositions et options. Le banc a activement recherché les preuves et témoignages sur les mérites et les effets de diverses solutions d'intégration des listes d'ancienneté, que proposaient les parties ou que suggéraient les membres du banc eux-mêmes.

42.            Tout cela visait à investir le banc de l'autorité nécessaire pour concevoir une procédure de médiation-arbitrage efficiente et efficace, différente du modèle juridictionnel plus formel. Je pense qu'il s'agit là du modèle « interactif » que recherchait le Conseil dans sa décision no 183.

43.            Les séances du premier stade de médiation-arbitrage Keller ont eu lieu comme suit :


a.              29-30 mars              Toronto

b.              4-7 avril Vancouver

c.              12-13 avril               Toronto

d.              2-4 mai                     Ottawa

44.            Le banc Keller, ne parvenant pas à produire un résultat par consensus, a ordonné aux parties de déposer leurs derniers arguments écrits. Ceux-ci ont été débattus lors des deux dernières journées de médiation, les 3 et 4 mai 2003. Les conclusions soumises par l'ALPA et l'APAC à ces séances forment la Pièce 5 jointe à mon affidavit.

45.            À l'issue de la dernière séance, le banc a informé les parties qu'il délibérerait sur la sentence définitive au cours de réunions directives. Il a demandé aux parties de lui prêter le concours de leurs spécialistes des données relatives aux pilotes et de leurs experts en logiciel, pour façonner des modèles alternatifs découlant de ses délibérations. M. Keller a donné aux parties un aperçu des réunions directives prévues, par courriel en date du 24 avril 2003, lequel forme la Pièce 6 jointe à mon affidavit.

46.            Les comités de fusion respectifs de l'ALPA et de l'APAC étaient également sur place lors des réunions directives prévues, prévoyant que le banc pourrait faire appel à eux. Dans les limites fixées par ce dernier, les représentants des parties pouvaient consulter, et ont effectivement consulté, leurs mandants respectifs au cours des réunions directives.

[55]            Cette explication est dans l'ensemble conforme à la procédure rapportée par le commandant Whiteside, ainsi que par M. Pink dans ses motifs dissidents. En particulier, le commandant Whiteside décrit le rôle des deux représentants des parties sur le banc comme suit :

[TRADUCTION]

25.            Le président Keller a souligné dès l'ouverture des séances que les représentants syndicaux y joueraient un rôle double. En premier lieu, ils participeraient aux délibérations du banc pour garantir que les préoccupations de leurs mandants respectifs soient prises en compte. En second lieu, le président ferait de chaque représentant son « agent de liaison » pour communiquer ses messages au syndicat mandant et pour lui rapporter les réponses de celui-ci.

26.            Par suite, le comité de fusion de l'ALPA comptait principalement sur son représentant pour relayer messages ou directives entre le président et lui-même. Il n'était pas usuel pour le président de communiquer en personne les messages de ce genre.


[56]            M. Pink a donné la description suivante de la procédure suivie à l'issue des réunions directives :

[TRADUCTION]

Au cours des réunions des deux dernières journées, le président a essentiellement engagé les représentants à faire un effort accru de médiation pour leurs parties respectives comme il continuait à explorer la possibilité d'une solution. La médiation s'est déroulée telle qu'il l'a rapportée dans sa sentence et il a expressément déclaré qu'à l'issue de la dernière réunion directive, il avait l'intention de rendre une sentence définitive pour toutes les parties, à moins qu'il ne réussisse à obtenir un consensus.

M. Vorster ne conteste pas ce témoignage dans les addenda à ses motifs dissidents.

[57]            Je conclus que les témoignages ci-dessus décrivent fidèlement la procédure établie par le banc, et qui n'a en soi suscité aucune objection de la part des parties.

[58]            Pareille procédure est interactive et incompatible avec un modèle plus juridictionnel. Les parties ont consenti à une procédure dans laquelle un ou plusieurs membres du banc rencontraient l'une des parties hors la présence de l'autre, lorsque le banc devait s'assurer de la position respective des parties avant de passer au stade formel de l'arbitrage, et lors même que l'arbitrage eut pris fin, le président a engagé les représentants à faire un effort accru de médiation. M. Vorster note, dans ses motifs dissidents, qu'au moins avant que le comité de fusion de l'APAC n'annonçât qu'il ne participait plus à la procédure, les parties avaient, même durant les réunions directives, la capacité et la volonté de relever les effets des divers éléments de telle ou telle sentence envisagée.


[59]            Vu cet accord sur la procédure à suivre, je pense qu'il n'y a pas lieu d'appliquer les principes ou la jurisprudence propres à l'arbitrage fondé sur les règles de droit.

[60]            Les parties, aux instances du Conseil, ont opté pour un système souple, adapté à leurs besoins, et essentiellement équitable. Cette procédure convenue requiert que la Cour observe une certaine déférence et influe considérablement sur le contenu des impératifs d'équité procédurale.

[61]            Ayant examiné la teneur de l'obligation d'équité procédurale, j'en viens maintenant à chaque atteinte à cette obligation, telle que l'a alléguée l'APAC. Puisque durant les débats, l'avocat de cette dernière a reconnu que ce n'est pas chaque manquement reproché qui suffirait seul à justifier l'annulation de la sentence arbitrale, j'examinerai les atteintes alléguées dans l'ordre chronologique général de leur survenance supposée. Ce qui nous permettra de mieux saisir dans leur totalité les actes et omissions invoqués par l'APAC dans son assertion que le président, en de multiples occasions, n'a guère fait d'efforts pour être équitable ou pour paraître équitable, en particulier après l'ouverture des réunions directives.

LA DÉGUSTATION DE VINS ET FROMAGES


[62]            L'APAC fait savoir que le 8 avril 2003, durant une phase particulièrement acrimonieuse des audiences à Vancouver, le président « [a assisté] à une réception privée donnée par l'ALPA. Personne du côté de l'APAC n'a été invité, ni n'y a assisté, ni n'en a été informé. Le président était connu pour être un connaisseur de vins, et l'ALPA a fait de cette réception une dégustation de vins » .

[63]            L'APAC affirme que, aucun de ses membres n'étant présent, le comportement du président suscitait une crainte raisonnable de parti pris en faveur de l'ALPA.

[64]            L'assertion de l'APAC doit être examinée dans le contexte des conclusions de fait sur ce qui s'est réellement passé. J'ajoute foi au témoignage du commandant McInnis que la réception a été donnée par le comité de fusion de l'ALPA à l'intention de ses propres membres (dont beaucoup n'habitaient pas Vancouver), qu'il ne s'agissait pas d'une dégustation de vins en bonne et due forme, et que la réception n'a pas été donnée spécialement en l'honneur du président. J'ajoute foi à ce témoignage parce que les représentants de l'ALPA sont mieux à même de comprendre le pourquoi et le comment de cette réception, et que cette explication est conforme au bon sens et à la logique.


[65]            Il est constant que cette réception a eu lieu durant la phase de médiation et que tous les membres du banc et leurs femmes y ont été invités. Selon la femme de M. Vorster, ils n'ont reçu le message téléphonique laissé vers 17 h 30 pour les inviter à la réception que tard dans la soirée, à leur retour du dîner avec MM. Keller et Pink et leurs épouses. Que je sache, personne n'a contesté que M. et Mme Keller ainsi que M. et Mme Pink aient assisté à la dégustation de vins et fromages.

[66]            Il y a divergence sur la question de savoir si M. Vorster y assistait. Par déclaration non solennelle, sa femme affirme qu'il ne l'a pas fait, de même M. Vorster dans une lettre; mais dans son affidavit établi sous serment, le commandant McInnis réitère que M. Vorster a bien assisté à la réception, ce que confirment les membres du comité de fusion de l'ALPA. J'ajoute foi à la lettre de M. Vorster et conclus qu'il n'y a pas assisté. J'ajoute foi à ses affirmations sur ce point parce que personne n'est mieux placé que lui pour savoir s'il y était ou non. Et du fait qu'il est un arbitre chevronné et respecté en matière de conflits du travail, j'accepte la véracité de la déclaration qu'il a faite en témoignage devant la Cour.

[67]            Il est aussi constant que l'APAC n'a été mise au courant de la réception et de la présence du président que vers la mi-juin 2003 (après les audiences et les réunions exécutives), lorsque M. Vorster leur en a parlé.


[68]            En droit, le critère de la crainte raisonnable de parti pris se résume à la question de savoir « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle, selon toute vraisemblance, que [l'autorité administrative], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » ; voir Committee for Justice c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, page 394.

[69]            À mon avis, une personne bien informée prendrait acte de ce que le président était un arbitre chevronné qui était, du moins à l'origine, acceptable aux deux parties, et qui était à ce moment-là engagé dans la phase de médiation de la procédure, phase dans laquelle la communication ex parte avec l'une ou l'autre partie était prévue et acceptable. La même personne bien informée noterait que les autres membres du banc étaient invités, que Mme Keller et Mme Pink étaient présentes, que la réception n'a pas été donnée à l'intention du président, et que M. Vorster ne jugeait nécessaire d'en parler à l'APAC que tout près de deux mois après. Étant donné ces facteurs, je pense qu'une personne bien informée, examinant la question de façon réaliste et pratique et après mûre réflexion, ne conclurait pas que le président ne déciderait pas la question de l'intégration des listes de façon équitable du fait qu'il était présent à cette réception. La participation du président à la dégustation de vins et fromages n'inspire aucune crainte raisonnable de parti pris.

STADE DE LA MÉDIATION - POSSIBILITÉ INÉGALE DE SE FAIRE ENTENDRE

[70]            L'APAC, par voie d'affidavit du commandant Whiteside, se plaint de ce qui suit :

[TRADUCTION]

35.            Sous la direction du président, le banc passait le plus clair de son temps durant le stade de la médiation à rencontrer à part le comité de fusion de l'ALPA pour examiner ses propositions de solution sur la question des listes d'ancienneté.


36.            Le peu de temps que le banc a accordé au comité de l'APAC, celui-ci l'a passé surtout à répondre aux questions du président au sujet des propositions de l'ALPA. Le président ne manifestait pratiquement aucun intérêt pour les idées et concepts proposés par l'APAC. À de multiples reprises, il a rejeté nos tentatives d'expliquer les problèmes, disant qu'il les comprenait déjà.

37.            Il était prévu à l'avance que le banc passerait une journée de « médiation » (le 30 mars) à entendre l'exposé de l'APAC sur les éléments les plus importants de ses propositions, ainsi que sur les problèmes inhérents aux propositions de l'ALPA. Il s'agissait là des éléments fondamentaux du dossier de l'APAC.

38.            L'APAC avait communiqué à l'avance aux membres du banc le document écrit qui devait servir de base à son exposé. Le président est arrivé à la séance le jour prévu, sans son exemplaire du document. Après avoir reçu un exemplaire de rechange, il a affiché une totale inattention durant notre exposé.

39.            Par exemple, lorsque c'était notre tour de parler, il détournait souvent son regard de celui qui avait la parole, lisait des documents n'ayant aucun rapport avec l'affaire, ou échangeait des apartés avec les représentants. À plusieurs reprises, nos gens ont arrêté leur exposé pour attendre des signes plus visibles d'attention de sa part. Chaque fois, il nous a assurés qu'il avait entendu et qu'il comprenait ce que nous avions à dire, puis nous a dit de continuer.

40.            L'impression dominante que j'avais était que le président ne s'intéressait pas au contenu de notre exposé ni ne cherchait à le comprendre. D'autres membres de notre comité et notre conseiller juridique ont eu la même impression.

[...]

44.            Le 13 avril devait être la dernière journée de médiation. Ce jour-là, l'APAC a demandé au président de prévoir une journée additionnelle de médiation avec notre comité. Notre avocat lui a fait part de notre crainte que l'APAC n'eût pas été en mesure de faire valoir ses arguments vu le temps disproportionné passé jusque là avec l'ALPA et vu l'attention focalisée sur les propositions de cette dernière pendant le peu de temps passé avec l'APAC.

45.            Le président a répondu immédiatement, sans cacher son impatience : « Vous n'aurez pas une autre journée, je n'ai pas une autre journée à vous donner. » ou quelque chose d'approchant. Après intervention subséquente de notre représentant, il est revenu sur sa décision le lendemain.

46.            Même avec cette journée additionnelle, le banc a passé bien moins de temps avec l'APAC qu'avec l'ALPA.


[71]            M. Vorster indique, dans ses motifs dissidents, qu'il partageait l'inquiétude de l'APAC du fait que les deux parties ont eu pour instructions de focaliser leur attention sur les données démographiques avancées par l'ALPA.

[72]            Durant les débats, l'avocat représentant l'APAC a reconnu que ce sujet de préoccupation ne suffit pas à lui seul à vicier la décision du président, mais qu'il illustre une autre manifestation de favoritisme envers l'ALPA au détriment de l'APAC.

[73]            Une explication de l'attention attachée aux arguments de l'ALPA a été donnée par M. Pink dans ses motifs dissidents, et par le président dans les addenda à sa sentence.

[74]            M. Pink a fait l'observation suivante, visiblement en réponse à l'observation susmentionnée de M. Vorster dans ses propres motifs dissidents :

[TRADUCTION]

D'ailleurs, on ne peut critiquer injustement le président au sujet du temps passé avec l'une et l'autre parties. Il y a une différence marquée entre les positions respectives de ces dernières. L'ALPA voyait l'affaire comme si la sentence Mitchnick avait cessé d'exister et pensait que la procédure devait repartir de zéro, sous réserve des contraintes imposées par le CCRI. De son côté, l'APAC a fait tout ce qui était en son pouvoir pour maintenir la sentence Mitchnick et ses effets, ainsi que les gains qu'elle en tirait.

Le banc savait ce que disait la sentence Mitchnick et quels effets elle avait sur les parties. C'est ce qu'ont suffisamment bien expliqué les parties dans leur premier mémoire et leurs conclusions initiales. Le banc cherchait de nouvelles idées et solutions. C'était le comité de l'ALPA qui avançait de nouvelles idées et concepts, sur lesquels il fallait s'arrêter et qu'il fallait examiner. Il était nécessaire que la proposition de l'ALPA soit étudiée et analysée par l'APAC et vice versa.


Il a été dit durant la procédure que le banc passait trop de temps avec l'ALPA et trop peu de temps avec l'APAC. Pareille assertion est injuste. Le banc, informé de ce chef de plainte, a accordé à l'APAC une journée spéciale d'audition au cours de laquelle elle aurait son attention entière et pourrait lui soumettre toute question ou observation qu'elle voudrait. L'APAC en a remercié le banc à la clôture de nos audiences, en déclarant catégoriquement qu'elle était satisfaite de la procédure.

[75]            De son côté, M. Keller a répondu aux préoccupations de l'APAC dans les addenda à sa sentence comme suit :

[TRADUCTION]

1.              C'est un fait que le banc a passé plus de temps avec l'ALPA qu'avec l'APAC. Cependant, cela ne se faisait qu'au stade de la médiation. La raison en est très simple. Durant la médiation, après que chaque partie eut présenté sa proposition dès l'ouverture de la procédure, nous avons été informés par M. Vorster que la proposition de l'APAC était toute proche de sa position limite et que nous ne devrions nous attendre à aucun changement dans les propositions subséquentes. Et c'est ce qu'ont confirmé les propositions subséquentes de l'APAC durant la médiation.

Par contre, l'ALPA a soumis diverses propositions différentes au banc. Il y avait en particulier sa proposition de MRAR et ses variantes. Le banc était obligé de passer le temps nécessaire avec elle durant la médiation pour bien saisir ses propositions ainsi que la réaction de l'APAC à leur égard. Quiconque connaît la médiation comprendra qu'il n'est pas inhabituel de passer plus de temps avec une partie qu'avec l'autre selon les circonstances. Étant donné que l'ALPA faisait des propositions qui devaient être examinées, les circonstances imposaient en l'espèce de passer plus de temps avec elle.

La phase de médiation était suivie de l'arbitrage formel. À l'arbitrage, chaque partie s'est vu donner un temps égal pour faire au banc toutes les observations officielles qu'elle jugeait indiquées.

[76]            Comme noté précédemment, je suis disposée, sauf motif contraire, à accepter telles quelles les déclarations d'arbitres chevronnés et respectés en matière de travail. Ils sont moins intéressés par l'issue de l'affaire et comptent sur leur réputation professionnelle pour être nommés aux fonctions d'arbitre. Les déclarations faites dans leurs motifs de décision sont antérieures au présent recours.


[77]            Tout en notant la préoccupation exprimée par M. Vorster, je prends acte de l'affirmation non contestée de M. Pink qu'à l'issue de la séance spéciale, l'APAC a exprimé ses remerciements et déclaré « catégoriquement » qu'elle était satisfaite de la procédure. Je prends également acte de la déclaration respectivement faite par M. Pink et le président qu'ils voulaient recevoir de nouveaux concepts à examiner et que c'était l'ALPA qui a avancé de nouveaux concepts et idées, alors que selon M. Vorster, la première proposition de l'APAC se rapprochait déjà de sa position limite.

[78]            Je ne vois rien de mal à passer plus de temps avec une partie qu'avec l'autre. C'est quelque chose de courant.

[79]            En conséquence, je rejette l'assertion factuelle que le comportement du président au stade de la médiation trahissait un favoritisme ou un préjugé en faveur de l'ALPA ou un désavantage ou mauvaise disposition à l'égard de l'APAC.

LA CONVERSATION AVEC LE PILOTE D'AIR CANADA

[80]            Le commandant Durrer, un pilote d'Air Canada depuis 1987, témoigne, par affidavit établi sous serment, que le 27 avril 2003, il voyageait, en uniforme mais à titre de passager, à bord d'un avion d'Air Canada d'Ottawa à Toronto. Durant le vol, son voisin de siège a engagé la conversation et :

·            se présentait comme Brian Keller, le président du banc d'arbitrage sur l'ancienneté des pilotes;


·            a demandé au commandant Durrer « de quel côté » il était;

·            apprenant que le commandant Durrer était un pilote d'Air Canada, lui a demandé où il se trouvait sur la liste d'ancienneté des pilotes de cette compagnie;

·            lui a dit qu'il y avait encore deux journées d'audience prévues pour la fin de semaine suivante;

·            a déclaré spontanément (à plus d'une reprise) que les représentants des anciens pilotes de Canadien étaient « bien plus humbles » que les représentants de l'APAC, qu'il disait « arrogants » ;

·            n'a pas réagi lorsque le commandant Durrer lui dit que ce serait malheureux que les conflits de personnalité aient un effet négatif sur l'issue de l'affaire;

·            a donné au commandant Durrer l'impression qu'il avait pris sa décision. C'est, selon le commandant Durrer, ce qui ressort de son affirmation que « dans deux ans vous en serez là où vous êtes en ce moment » .


[81]            L'APAC soutient avec force que les propos du président suscitent une crainte raisonnable de parti pris, parce que ses propos désobligeants sur les représentants de l'APAC reflètent l'impression qu'il donnait tout au long des séances, qu'il faisait peu de cas des questions soulevées par l'APAC et des solutions qu'elle proposait. En outre, en faisant état d'une issue de la question de l'ancienneté, dont le commandant Durrer aurait à recouvrer, il a révélé un préjugé possible au sujet de cette issue.

[82]            L'ALPA conteste que cette conversation ait eu lieu. M. Keller a répondu par lettre, versée au dossier par consentement des avocats des deux parties :

1.          qu'il voyageait par avion le jour en question.

2.          qu'il ne se rappelle pas la conversation.

3.          que ce n'est pas une conversation qui aurait pu, en toute probabilité, avoir lieu le jour en question.

[83]            Il n'y a pas eu contre-interrogatoire sur ce point.

[84]            L'APAC n'a pas invoqué cette conversation avant l'introduction de la demande de contrôle judiciaire en instance.

[85]            Vu les témoignages produits, je conclus qu'en fait il y a bien eu une conversation entre M. Keller et le commandant Durrer le 27 avril 2003. Il s'ensuit qu'il y a une question de fait à trancher, à savoir si la teneur de cette conversation est telle que le commandant Durrer se la rappelle.


[86]            Pour parvenir à une conclusion sur ce fait, je prends en considération les faits suivants pris en contexte :

i)           À la date du 27 avril 2003, le banc avait passé plus de temps avec l'ALPA durant la phase de médiation. Nous savons d'après les addenda de M. Keller qu'à son avis, l'APAC ne faisait pas grand-chose dans cette procédure et l'ALPA était la partie qui a fait nombre de propositions différentes au banc.

ii)          La conversation en question a eu lieu avant la journée supplémentaire du 2 mai 2003 accordée à l'APAC, avant que les parties ne présentent leurs dernières conclusions les 3 et 4 mai, et avant les réunions directives, tenues les 17 et 18 mai, et les 6 et 7 juin.

iii)          Le 18 mai 2003, le président, par l'intermédiaire des représentants des parties sur le banc, a demandé à celles-ci de soumettre leurs propositions finales au 26 mai 2003 au plus tard, à la lumière des conclusions tirées par le banc à cette date sur les faits et sur les principes applicables. De l'avis de M. Pink à tout le moins, le président a cherché à engager les parties à faire connaître leur position limite afin de voir s'il y avait un terrain d'entente.


[87]            Vu ces faits, je conclus, selon la prépondérance de la preuve :

i)           que M. Keller a bien dit que les représentants de l'APAC étaient plus arrogants, ou moins accommodants, que ceux de l'ALPA. Pareille opinion aurait été dans le droit fil de l'observation que l'APAC est restée sur ses positions puis a demandé une journée d'audience supplémentaire.

ii)          que M. Keller n'a pas tenu des propos indiquant qu'il avait préjugé de l'issue. Je conclus qu'il était alors trop tôt dans la procédure pour qu'il en fût ainsi et je pense que pareil préjugé ne s'accorderait pas avec l'effort qu'il persistait à faire pour connaître la nouvelle position des parties. Cette conclusion est encore renforcée par le fait que, M. Keller eût-il déclaré expressément que sa décision était déjà prise, une plainte ou objection aurait été faite dès ce moment. Le commandant Durrer ne fait état que de propos qui lui donnaient une « impression » .

[88]            Vu ces conclusions sur les faits, les témoignages produits ne permettent pas de conclure à une crainte raisonnable de parti pris découlant d'une possibilité quelconque de préjugé sur les points litigieux.


[89]            Je ne pense pas non plus qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait que le président ne rendrait pas une décision juste parce qu'il trouvait les représentants de l'APAC arrogants et ceux de l'ALPA, humbles. À mon avis, une personne bien renseignée conclurait que les représentants des parties à un litige occupent généralement divers points le long de la gamme de l'humilité. En général, l'humilité (ou le défaut d'humilité) n'est pas un indicateur fiable de la probabilité d'une issue en particulier. Cette règle est d'autant plus probable qu'on est en présence d'un arbitre chevronné et respecté en matière de travail. La conversation du président avec le commandant Durrer était irréfléchie, mais je ne trouve pas qu'elle suscite une crainte raisonnable de parti pris.

ATTEINTE À LA PROCÉDURE ÉTABLIE POUR LES RÉUNIONS DIRECTIVES


[90]            L'APAC fait savoir que par les directives données aux parties avant la première réunion directive (reproduites au paragraphe 21, ci-dessus), le banc a fixé la procédure pour ces réunions. Cette procédure lui réservait le droit de rouvrir l'instance pour recueillir des preuves ou conclusions complémentaires, excluait les parties de tout rôle sauf demande expresse du banc, et prévoyait la mise à sa disposition des spécialistes des données. Cette procédure n'a jamais été modifiée mais, selon l'APAC, il y a été dérogé à trois reprises au bénéfice de l'ALPA, sans que l'APAC se voie donner la possibilité d'examiner les témoignages ou conclusions soumises par l'ALPA ou d'y répondre. L'APAC fait savoir qu'une autre fois, le président a même exclu son représentant des délibérations du banc.

[91]            L'APAC soutient que ces agissements non seulement portent atteinte à la règle audi alteram partem, mais justifient encore une crainte raisonnable de parti pris chez le président.

[92]            Nous examinerons successivement chaque allégation d'atteinte à la procédure.

(i) L'APAC s'est-elle vu dénier le droit de répondre à des témoignages cruciaux sur les vols et les itinéraires?

[93]            L e commandant Whiteside témoigne sous serment que le 6 juin 2003, M. Vorster a informé l'APAC que le président avait accepté de nouvelles preuves produites par l'ALPA sur la structure de route en vigueur d'Air Canada, l'affectation des divers types d'aéronefs aux divers types d'itinéraires, et les capacités techniques des différents aéronefs. Selon ce témoignage, le président n'a demandé ces éléments de preuve qu'à l'ALPA, sans en informer le représentant de l'APAC. Le témoignage sous serment du commandant Whiteside se poursuit comme suit :

[TRADUCTION]

82.            Le président n'avait pas invité l'APAC à produire des preuves sur le même point. Il ne l'avait pas invitée non plus à répondre aux preuves nouvelles produites par l'ALPA. Il n'en avait d'ailleurs nullement manifesté l'intention.


83.            Notre représentant a alors demandé une copie des preuves nouvelles de l'ALPA pour la montrer à nos spécialistes des données qui se trouvaient à Boston. Le président a accédé à cette demande. Notre représentant nous a alors communiqué ces preuves nouvelles.

84.            Nous avons immédiatement formulé trois chefs de plainte au sujet de l'admission par le président de ces preuves nouvelles, et avons demandé à notre représentant de les transmettre au président.

85.            Notre premier chef de plainte était que le président avait demandé et admis une contribution, quelle qu'elle fût, de la part d'une seule partie, en violation de la procédure qu'il avait lui-même fixée.

86.            Notre deuxième chef de plainte était que la preuve nouvelle dépassait la « compilation de données » dont le président avait jugé qu'elle serait le seul élément de preuve à admettre par le banc durant ses délibérations. Cette preuve nouvelle n'était pas le genre de données en la possession de notre spécialiste des données. Les spécialistes des données ne pouvaient que manier les données électroniques dans leurs bases de données, lesquelles ne comprenaient pas ce genre de renseignements sur les itinéraires ou sur l'affectation d'aéronefs aux différents itinéraires.

87.            Notre troisième chef de plainte était que nous ne pouvions vérifier l'exactitude de cette preuve nouvelle de l'ALPA ou y répondre sans faire nos propres recherches sur la structure de route et les affectations d'aéronefs d'Air Canada. À cette fin, il nous faudrait bien plus qu'un ou deux jours. Le président avait déjà déclaré son intention de mettre fin aux délibérations le lendemain, savoir le 7 juin.

88.            Le président n'a jamais répondu à aucun de ces chefs de plainte. Dans sa sentence définitive, il s'est cependant expressément fondé sur les preuves relatives à la structure de route et aux affectations d'appareils d'Air Canada, comme suit :

[TRADUCTION] Les dernières catégories ont été formulées compte tenu de la hiérarchie prévue à l'article 29 et aussi, notamment, du type de vol, de la distance, du type de fuselage (large ou étroit), de la longueur des étapes et de la capacité de chaque type d'aéronef. Le banc reconnaît que cette méthode n'est peut-être pas la seule qui permette de regrouper des entités semblables, mais celle qui, à notre avis, correspond le mieux à la façon dont la Compagnie considère et utilise chaque type d'aéronef.

[94]            Ce qui précède constitue, selon l'APAC, une preuve irréfutable d'iniquité procédurale et justifie une crainte raisonnable de parti pris.


[95]            L'assertion de l'APAC doit être examinée à la lumière de l'extrait suivant des motifs dissidents de M. Pink :

[TRADUCTION]

En outre, le représentant de l'APAC dit maintenant que le président avait en sa possession des renseignements qu'il avait demandés uniquement à l'ALPA. Ce chef de plainte se rapportait à « l'utilisation des divers types d'aéronefs » . Le président avait précédemment indiqué que pour se conformer au critère du CCRI de « l'appariement des entités semblables » et pour mettre en application le « critère de la catégorie » du CCRI, il prendrait en considération les types d'aéronefs pilotés par les intéressés. Le regroupement des aéronefs en catégories est devenu une considération majeure. En effet, il devait être l'une des premières décisions à rendre sur le plan des principes.

L'APAC se trompe si elle croit que le président a demandé la production de cet élément d'information. Durant le processus de réunions directives et entre les séances, il y a eu de nombreuses discussions entre le président et chacun des membres du banc. Lors des discussions sur le « ratio par catégorie » , j'ai, en ma qualité de membre du banc, insisté auprès du président sur la nécessité de comparer les aéronefs pilotés par les intéressés et leurs missions. J'ai demandé à l'ALPA de préparer une comparaison des diverses missions de divers appareils, que j'ai communiquée au président pour son édification. Le président n'en a jamais demandé la production. Le renseignement soumis au président a été communiqué au représentant de l'APAC pour examen et prise en considération. Il s'en est immédiatement allé le porter aux représentants de l'APAC pour qu'ils l'analysent. Il est revenu peu après pour dire que ceux-ci ne contestaient pas le contenu du document.

[96]            M. Vorster ne conteste pas l'explication de M. Pink. Dans ses propres motifs dissidents, prononcés avant ceux de M. Pink, il s'est contenté de faire observer ce qui suit :

[TRADUCTION]

Enfin, le 6 juin, le banc s'est vu communiquer des renseignements très détaillés sur les appareils qui assuraient certains itinéraires d'Air Canada. Cette information avait été produite par l'ALPA. Le comité de l'APAC n'était pas au courant de la demande faite à l'ALPA ni n'avait reçu la même demande. Il lui appert que le président se contentait de recevoir des renseignements d'un côté seulement.

[97]            Les addenda subséquents de M. Vorster étaient muets à ce sujet.


[98]            En examinant les témoignages sur ce point, je préfère les conclusions tirées par les arbitres dans leurs motifs de décision, au témoignage du commandant Whiteside. Cela tient à ce que les arbitres s'intéressent moins à l'issue de l'affaire que l'un et l'autre des groupes de pilotes, et à ce que les motifs de leur décision étaient rendus publics avant l'introduction du recours en instance.

[99]            Je conclus en conséquence que, lorsque le représentant de l'ALPA a informé les représentants de l'APAC de l'existence et du contenu de l'état des itinéraires et des renseignements techniques soumis au banc, ceux-ci étaient naturellement mécontents de ce que cette information provenait seulement de l'ALPA. Cependant, je conclus aussi que le président n'avait pas demandé cette information à l'ALPA, que l'APAC l'a reçue, examinée et analysée, que l'APAC a ensuite dit à M. Vorster qu'elle n'en contestait pas le contenu, ce que M. Vorster a rapporté au banc.

[100]        Vu les faits tels que je les ai constatés, je conclus qu'il n'y a eu ni violation de la règle audi alteram partem ni motif de conclure au parti pris chez le président du fait qu'il a reçu de l'ALPA des renseignements sur les itinéraires d'Air Canada et autres renseignements techniques.


(ii) Maintien du ratio d'attrition respectif

[101]        Le 5 avril 2003, durant la phase de médiation, l'ALPA a introduit le concept de maintien du ratio d'attrition respectif (MRAR). Il s'agissait d'une proposition visant à remédier à l'anomalie démographique que causait la flambée de retraites imminente chez les anciens pilotes de Canadien. Le rajustement MRAR proposé par l'ALPA est décrit en ces termes par le commandant Whiteside :

[TRADUCTION]

50.            Le rajustement proposé par l'ALPA opérerait comme suit : dès qu'un pilote prend sa retraire à l'âge de 60 ans, un pilote moins ancien de son groupe tel qu'il était avant la fusion avancerait sur la liste d'ancienneté pour prendre sa place. Le pilote moins ancien gagnerait des douzaines, voire des centaines de points d'ancienneté, et gagnerait immédiatement la capacité de prendre un poste bien plus rémunérateur, qu'il n'aurait pu jamais obtenir sans la retraite de l'un des pilotes plus anciens.

[102]        Le 3 avril 2003 (l'avant-dernière journée de médiation), le président a assuré le comité de l'ALPA qu'il n'accorderait pas le rajustement MRAR.

[103]        L'APAC fait cependant savoir que dans sa sentence, le président a rejeté le seul argument de l'ALPA en faveur du rajustement MRAR comme suit :

[TRADUCTION]

Les pilotes de l'ALPA exhortent instamment le banc à prendre en considération la caractéristique démographique des pilotes, savoir leur âge, parce qu'en moyenne, ils sont plus âgés et il leur reste moins d'années de service. Ils ont demandé au banc de préserver plus de postes de pilotes à haut salaire pour l'ALPA afin de maintenir l'égalité d'âge. À cette fin, ils proposent une méthode appelée « MRAR » . Le MRAR maintiendrait pour l'avenir le même nombre de postes dans chaque catégorie pour chaque groupe de pilotes. Essentiellement, il aurait créé deux listes d'ancienneté indépendantes, parallèles, qui ne fusionneraient qu'après la retraite de tous les pilotes existants de Canadien.

Le banc rejette cette approche.


L'âge n'est pas une considération d'égalité dans la convention collective que les pilotes de Canadien avaient au 17 octobre 2000. Le fait que les pilotes de l'ALPA sont plus âgés tient à ce que Canadien n'en a guère recruté pendant cinq années au moins avant 2000, à l'opposé d'Air Canada. Indubitablement, ce modèle de recrutement affectera la « capacité de supplantation » et les espoirs à long terme des pilotes de l'ALPA, mais il ne s'agit pas là d'une considération d'égalité; ce n'est donc pas quelque chose qui peut être légitimement protégé. [Non souligné dans l'original.]

[104]        Cependant, l'APAC, et M. Vorster dans ses motifs dissidents, font observer ce qui suit :

[TRADUCTION]

À la suite de sa conclusion sur la position de l'ALPA, le président déclare : « Le banc rejette cette approche. » Je dois cependant dire que tel n'était pas le sens de la sentence. Il est clair qu'en déplaçant la date pour appliquer ensuite le ratio, le président a en fait consacré la solution MRAR.La seule différence est qu'au lieu de rajuster le ratio chaque année, sa sentence le rajuste une fois après une période de deux années et deux tiers. MRAR pour une période plus courte est toujours MRAR. [Non souligné dans l'original.]

[105]        L'APAC soutient qu'en « rejetant » la seule justification du MRAR pour l'accorder ensuite, le président est allé à l'encontre de la procédure établie. À son sens, « n'importe quel tribunal équitable » admettrait des conclusions sur ce chef de recours.

[106]        Pendant que M. Vorster est d'avis que ce que le président a accordé en déplaçant la date et en appliquant un ratio, est toujours le MRAR, M. Pink conclut de son côté en ces termes :

[TRADUCTION]

Le président a rejeté le concept du MRAR et, à mon avis, il a eu tort.

On ne peut pas dire que rajuster le ratio revient à accorder le MRAR par « la porte de derrière » . Le MRAR aurait été un processus continu s'il y avait des changements annuels dans la liste d'ancienneté du fait des retraites. Certaines années il y aurait davantage de retraites que pendant certaines autres. La liste d'ancienneté est mise à jour chaque année dans tous les cas.


[107]        La Cour n'est pas appelée à se prononcer au fond sur la sentence du président. Vu les avis opposés de MM. Vorster et Pink sur la question de savoir si le MRAR a été accordé, je conclus que l'APAC n'a pas prouvé, selon la prépondérance de la preuve, que le président a accordé le MRAR.

[108]        Puisque j'ai conclu que l'APAC n'a pas prouvé qu'en fait, le président a accordé le MRAR, il n'y a eu ni violation de la procédure établie ni comportement susceptible de susciter une crainte raisonnable de parti pris au motif que le président a accordé le MRAR après avoir affirmé qu'il ne le ferait pas.

(iii) L'effet Mitchnick

[109]        L'APAC fait savoir que le 6 juin, elle a été également informée par M. Vorster que le président était en train d'examiner une autre proposition de l'ALPA, à savoir que les anciens pilotes de Canadien devraient être dédommagés de l'effet Mitchnick (tenant au fait que deux ans et demi après que le Conseil eut infirmé la sentence Mitchnick, les pilotes étaient toujours régis par la liste d'ancienneté établie par cette dernière). La question de savoir dans quelle mesure les anciens pilotes de Canadien en ont pâti a été vigoureusement débattue devant le banc.


[110]        L'APAC soutient qu'en dédommageant les anciens pilotes de Canadien de cet effet, le président a commis une erreur à deux égards : en premier lieu, il a accordé une mesure de redressement qui excédait ce qu'avait proposé l'ALPA et, en second lieu, il l'a fait sans avoir donné à l'APAC la possibilité de se faire entendre à ce sujet.

[111]        Je conclus des preuves et témoignages produits que l'effet, si effet il y avait, de la sentence Mitchnick avait été évoqué dès l'ouverture de la procédure. La position initiale de l'ALPA, en date du 24 janvier 2003, et qui est consignée dans la pièce 2 jointe à l'affidavit du commandant McInnis, indique en page 1 que l'un des principes et objectifs de la proposition de ses pilotes est de [traduction] « prévoir des rajustements appropriés pour remédier aux effets adverses de l'application entre-temps de la sentence Mitchnick » . Durant la phase de médiation, l'APAC a produit des éléments de preuve pour soutenir qu'à son avis, il n'y avait en règle générale aucune perte démontrable du fait de la sentence Mitchnick. Deux des propositions de l'ALPA, soumises le 26 mai 2003 suite à la directive du banc, visaient à une réduction annuelle du ratio de .06 sur cinq années pour permettre le recouvrement d'ici à 2008 des pertes découlant de l'application de la sentence Mitchnick. L'APAC a reçu les propositions de l'ALPA lorsqu'elle a soumis sa propre proposition au banc le 6 juin 2003 (celui-ci avait informé les parties que chacune d'elles recevrait copie de la proposition de l'autre quand elle déposerait la sienne propre). Il n'y da ans le dossier aucune preuve qu'à la réception de la proposition de l'ALPA, l'APAC a demandé une prorogation du délai pour répondre à la proposition de réduction du ratio sur cinq ans de cette dernière.


[112]        Le président s'est prononcé, dans ses motifs, sur ce point comme suit :

[TRADUCTION]

Ainsi donc, bien que le banc établisse la liste d'ancienneté à la date du 17 octobre 2000, le fait est que plus de deux ans et demi se sont écoulés et qu'il y a eu un certain nombre de postulations de postes par les pilotes. Ces postulations, comme noté précédemment, étaient toutes fondées sur la sentence Mitchnick qui a été infirmée, par exemple sur les garanties relatives aux aéronefs des types A330/340. Ce point a été soulevé devant nous par l'ALPA, qui prétendait que les effets de la liste d'ancienneté Mitchnick sur les postulations à ce jour ont considérablement désavantagé les anciens pilotes de Canadien. Selon leur analyse, ils auront subi pour des millions et des millions de dollars de « dommages » durant leur carrière à moins que quelque chose ne soit fait pour redresser les effets des postulations basées sur la liste d'ancienneté Mitchnick. Il n'est pas étonnant que l'APAC, tout en reconnaissant qu'il y a eu un certain effet en raison des garanties A330/340, ait soutenu que cet effet est minimal et n'appelle aucun redressement. La Compagnie reconnaît elle aussi que la liste Mitchnick produisait un certain effet mais conteste que cet effet soit aussi draconien que le prétend l'ALPA. Enfin, le CCRI a aussi pris acte de cette réalité, comme noté précédemment.

Parce qu'il y a eu, depuis la sentence Mitchnick et après le 17 octobre 2000, des postulations basées sur la liste et les garanties qui y étaient établies, si rien n'est fait, le plein effet de la présente sentence ne pourra se concrétiser. Afin de maintenir, autant que faire se peut, l'équité entre les parties à la date de la fusion, le banc a dû façonner une solution propre à mettre les parties dans la situation où elle auraient été à la date de la présente sentence n'eût été les effets de la sentence Mitchnick. C'est ce que cherche à réaliser la présente sentence par ses détails. La présente sentence va au-delà de ce que l'APAC estime nécessaire (puisqu'elle prétendait qu'aucune mesure de redressement n'était requise) et est loin de satisfaire la réclamation en « dommages » de l'ALPA. Il s'agit cependant, de l'avis du banc, d'une approche raisonnable à adopter pour essayer de concilier les intérêts opposés des deux groupes de pilotes.

[113]        Je tiens donc pour avéré que, ayant entendu les preuves, témoignages et arguments opposés de l'APAC et de l'ALPA, le président a choisi de rajuster le ratio pour certaines catégories de pilotes. Il y voyait une « approche raisonnable » pour « essayer de concilier les intérêts opposés des deux groupes de pilotes » . Je constate aussi que sa sentence allait au-delà de ce que l'APAC disait nécessaire, mais ne satisfaisait pas la réclamation de l'ALPA.


[114]        La Cour n'est pas saisie du fond de la sentence du président, mais est seulement appelée à décider si celui-ci est parvenu à sa conclusion en violation de son obligation d'équité. À cet égard, je constate que du moment que le point litigieux a été soumis au banc dès les débuts et que celui-ci a entendu les conclusions des deux parties là-dessus, le président n'a violé aucune obligation d'équité procédurale en se prononçant sur ce point comme il l'a fait. L'APAC n'a pas établi, selon la prépondérance de la preuve, que sa sentence excédait à ce point ce que demandait l'ALPA qu'elle était en soi entachée d'iniquité. Je conclus aussi que les preuves et témoignages produits ne font ressortir aucune crainte de parti pris.

L'EXCLUSION ALLÉGUÉE DU REPRÉSENTANT DE L'APAC ET LA COMPILATION DE DONNÉES DE 7 h 00

[115]        Le commandant Whiteside dépose sous serment que le comité de l'APAC est parvenu dans la soirée du 6 juin 2003 à la conclusion par consensus que le président manifestait une totale indifférence envers la position de l'APAC tout au long de la procédure d'arbitrage, de médiation et de délibérations. L'APAC a donc décidé de notifier au président à l'ouverture des délibérations du lendemain qu'elle « retir[ait] [son] spécialiste des données à titre de personne-ressource du banc » .


[116]        L'APAC soutient ensuite, par les addenda apportés par M. Vorster à ses motifs dissidents, que celui-ci a été exclu des délibérations du banc, sans en avoir été informé, et que plusieurs faits se sont produits à son insu, mais au su du représentant de l'ALPA.

[117]        Voici ce que dit M. Vorster à ce sujet dans les addenda à ses motifs dissidents :

[TRADUCTION]

Une révélation a été faite dans les motifs dissidents du représentant de l'ALPA en l'espèce. Je dois relever formellement ce point. Cette nouvelle information indique clairement qu'au dernier stade de la procédure d'arbitrage, les deux autres membres de ce banc ont reçu des renseignements sans me les communiquer. En second lieu, j'ai été irrégulièrement exclu des délibérations sur ce renseignement capital qui était manifestement un facteur central de la sentence du président.

M. Pink fait état d'une compilation de données faite à sa demande par l'ALPA à 7 heures, le dernier jour des réunions directives du Conseil. Il appert qu'il s'agit d'une « compilation de la proposition finale de l'ALPA » . M. Pink fait savoir que la compilation a été faite sur la base d'un rajustement de ratio de 0,30 pour le rajustement de ratio de juin, lequel était moins favorable à l'ALPA que le ratio de 0,25 que devait fixer le président par la suite. Le représentant de l'ALPA fait cependant observer que « le président savait exactement de quoi la procédure aurait l'air en fin de compte » .

[...]

Je ne savais rien de tout cela avant de prendre connaissance des motifs dissidents de M. Pink. Le président et l'autre membre du Conseil avaient des renseignements exclusifs qui devaient être déterminants dans la sentence du président. Il incombait au banc de m'informer que les deux autres membres du Conseil avaient des renseignements sur lesquels ils entendaient fonder leur décision, renseignements qui n'avaient pas été produits précédemment et sur lesquels je n'avais pas la possibilité de faire des observations.

Au moment où je rédigeais mes motifs dissidents, avant ceux qu'a déposés M. Pink, j'étais convaincu que le président n'avait pas fait un essai de programme du seul scénario qui comptât à la fin, c'est-à-dire celui qu'il a adopté à la fin. En outre, j'ai exprimé ma surprise devant les chiffres visiblement arbitraires qu'il avait utilisés. J'ai déclaré : « Sans aucune raison logique, la décision rajuste par 0,25 les ratios de pilotes affectés à chaque catégorie. Personne ne sait pourquoi ce chiffre est utilisé » . Je me suis trompé. Il semble que des trois membres du banc, j'étais le seul à ne pas savoir d'où il venait.


Je n'ai pas été informé que les informaticiens de l'ALPA avaient été chargés de procéder à un essai de programme de la proposition de cette dernière, ni ne savais que la compilation avait été produite. Personne ne m'a communiqué les résultats ou un renseignement quelconque sur les effets généraux de la proposition de l'ALPA que l'essai de programme a pu démontrer. Tout simplement, j'ai été privé de la possibilité de présenter mes observations ou mon avis au banc parce que je ne savais pas le moins du monde que ce renseignement existait. [Souligné dans l'original.]

[118]        Il s'agit là d'allégations des plus graves. Pour décider à bon droit si elles sont corroborées par les preuves produites et, au cas où elles l'auraient été, quels sont les effets des agissements reprochés, il est important d'examiner les points suivants :

i)           L'APAC a-t-elle simplement retiré ses spécialistes des données de la procédure?

ii)          Aux 6 et 7 juin 2003, quelles étaient les fonctions des représentants syndicaux au banc d'arbitrage?

iii)          Où en étaient les délibérations au moment où M. Vorster s'est retiré de la procédure?

iv)         M. Vorster s'est-il retiré du banc d'arbitrage?

i)           L'APAC a-t-elle simplement retiré ses spécialistes des données?

[119]        À mon avis, la meilleure preuve de ce qui s'est passé se dégage, sur ce point encore, des motifs de décision des trois arbitres.


[120]        Le président Keller en donne la relation la plus complète :

[TRADUCTION]

Le banc a tenu une réunion directive le 6 juin et, dans l'après-midi, le président a rencontré séparément chacun des représentants. D'autres réunions ont été fixées pour le 7 juin. Dans la matinée du 7 juin, le président a été prié de rencontrer le commandant David Coles, président du comité de fusion de l'APAC. Le commandant Coles, parlant au nom de ce dernier, fait part de son mécontentement vis-à-vis la direction que prend la sentence et vis-à-vis la procédure qui y a mené. Par suite, il a annoncé que son comité se retire de la procédure, ayant conclu qu'il ne servirait à rien de continuer à y participer. Le président a informé le commandant Coles qu'aucune décision définitive n'avait encore été prise sur le fond, mais que si le comité de fusion de l'APAC voulait mettre fin à sa participation, il n'y pouvait rien.

Le président a alors informé le représentant de l'ALPA de la décision de l'APAC et lui a dit que, vu le retrait de l'APAC, il ne demanderait plus aucune contribution de l'ALPA ou de son représentant. Du coup, la réunion directive a pris fin.

Le président tient à réitérer ce qu'il a dit au commandant Coles : aucune décision définitive sur les détails de la sentence n'avait été prise au moment où l'APAC a choisi de ne plus participer à la procédure. Un sens général avait été communiqué aux représentants, mais il y avait plusieurs directions que celle-ci pourrait prendre et qui auraient un effet différent sur chaque groupe. De fait, le représentant de l'APAC, dans ses discussions avec le président le 6 juin, a soulevé diverses questions relatives à ces détails que le président comptait examiner avec l'APAC le 7 juin. Regrettablement, cela n'était pas possible à cause des actions de cette dernière et la présente sentence sera rendue sans le bénéfice de la dernière contribution de l'APAC, que le président escomptait recevoir le 7 juin. [Non souligné dans l'original.]

[121]        M. Vorster mentionne le départ du comité de fusion de l'APAC en ces termes : [traduction] « le président ne pouvait penser qu'il pourrait demander la compilation de données après que le comité de fusion de l'APAC eut fait savoir qu'il n'était plus disposé à participer ... » [non souligné dans l'original]. Voici ce qu'on peut lire vers la fin de ses motifs dissidents :

[TRADUCTION]

Bien qu'il soit malheureux que les tensions aient pu atteindre ce point, le comité de fusion de l'APAC s'est retiré à la dernière journée prévue de réunions directives. Tous les éléments de preuve avaient été reçus et le président a fait clairement savoir qu'il ne demanderait ni n'accepterait plus aucune nouvelle observation ou conclusion de l'une ou l'autre partie. Toute nouvelle information serait relayée par l'intermédiaire des représentants respectifs. [Non souligné dans l'original.]


[122]        M. Pink relate le retrait comme suit :

[TRADUCTION]

Durant les deux dernières journées de réunions directives, le président a essentiellement engagé les représentants à faire un effort accru de médiation au nom des parties qu'ils représentaient cependant qu'il continuait à explorer les solutions possibles. La médiation a été entreprise telle qu'elle a été décrite dans la sentence du président, et le président a expressément exprimé son intention de rendre la sentence définitive pour toutes les parties à moins de consensus, une fois terminée la dernière réunion directive.

L'APAC s'est retirée de la procédure à notre grande surprise et chagrin. Elle a simplement décidé de mettre fin à sa participation parce que « la direction que prenait la procédure ne lui plaisait pas » . C'était là sa position telle que son représentant l'a communiquée au banc. Ce n'était pas une question de procédure. Il s'agissait clairement là de l'expression par les pilotes de l'APAC de leur sentiment que la décision définitive leur serait défavorable. Je n'arrive pas à comprendre comment ils ont pu parvenir à pareille conclusion alors que le président n'était pas encore parvenu à une décision définitive. Les débats allaient bon train dans les réunions directives et le président m'avait dit qu'il était loin de prendre une décision et qu'il cherchait, même le dernier jour, une solution qui serait utile pour les deux parties même si ni l'une ni l'autre n'était satisfaite de la décision définitive.

[123]        À mon avis, c'est inexact de la part du commandant Whiteside de dire que l'APAC n'a retiré que ses spécialistes des données. Je conclus des motifs des trois arbitres que le retrait de l'APAC était plus fondamental. Les membres de son comité de fusion qui étaient présents ont mis fin à leur participation.

ii)          Aux 6 et 7 juin 2001, quelles étaient les fonctions des deux représentants syndicaux?

[124]        L'APAC dit qu'à ce moment-là, les débats étaient terminés et le banc était passé aux délibérations en vue de la sentence.


[125]        Cette caractérisation étroite n'est pas acceptable non plus. Je vois plutôt que les réunions directives s'apparentaient aux séances de médiation avec négociations entre les membres du banc et contributions de la part des deux syndicats. On peut citer pour preuve les faits suivants :

i)           Le président rappelle, dans ses motifs susmentionnés, qu'après le retrait de l'APAC, il a dit au représentant de l'ALPA qu'il ne demandait plus des contributions de sa part ou de la part de son représentant. Ce qui signifie que durant les réunions directives, il avait obtenu des contributions non seulement du représentant de l'ALPA, mais de ce syndicat lui-même.

ii)          M. Vorster note dans ses motifs dissidents qu'outre l'accès aux compilations de données au stade de l'audition, [traduction] « le banc a demandé à deux experts de l'une ou l'autre partie de lui communiquer des renseignements de façon continue, confidentielle, seulement pendant les réunions directives » . M. Vorster ne limite pas l'information continue aux compilations de données.

iii)          De même, M. Vorster note que lors de la dernière journée prévue de réunions directives, « le président a clairement fait savoir qu'il ne demanderait ni n'accepterait plus les observations de l'une ou l'autre partie » . Il s'ensuit que lors des réunions directives précédentes, il avait demandé et accepté de telles observations.


iv)         M. Pink rappelle que pendant les deux dernières journées de réunions directives, le président a engagé les représentants à faire un effort accru de médiation pour le compte des parties.

v)          M. Pink note qu'à la suite de discussions entre le président et M. Vorster, le premier a été en mesure de l'informer qu'un « rajustement unique » à l'égard de la sentence Mitchnick pourrait être acceptable. On peut voir que le président rencontrait séparément les représentants, toujours dans le but de trouver un terrain d'entente.

vi)         Dans les addenda à sa sentence initiale, le président note ce qui suit :

[TRADUCTION]

5.              La dernière fin de semaine de la procédure, les membres des deux comités de fusion étaient présents. Les deux représentants communiquaient avec eux et recevaient d'eux leurs instructions. C'est de cette façon que la procédure a été organisée et acceptée par les deux parties.

En se retirant, l'APAC, qui était partie à l'instance, a unilatéralement mis fin à la phase interactive de la procédure. En fait, M. Vorster a informé les autres membres du banc que dans ces conditions, lui non plus ne pensait pas qu'il pouvait continuer, qu'il se retirait et qu'il ne participait plus à la procédure. Il ne me restait plus qu'à préparer la sentence définitive.

Le retrait de l'APAC a , dans les faits, mis fin à la phase interactive de la procédure. Je ne pouvais rien faire d'autre que de rédiger la sentence en l'absence d'une partie, étant donné que la procédure qui avait été établie et suivie jusque là, requérait la présence et la participation à la fois de l'ALPA et de l'APAC. [Souligné dans l'original.]


[126]        Ayant conclu que jusqu'à la matinée du 7 juin 2003, le banc fonctionnait encore de façon interactive, les représentants syndicaux sur le banc communiquant chacun de son côté avec les représentants de leur syndicat respectif et discutant en aparté avec le président, j'en viens maintenant à la question connexe de savoir où en était la sentence définitive au moment du retrait de l'APAC.

iii)         Où en était la sentence arbitrale

[127]        Comme noté précédemment, le président fait savoir qu'au moment du retrait de l'APAC, il avait communiqué aux représentants le sens général de la conclusion qu'il tirerait, tout en faisant remarquer que ce sens général pourrait prendre différentes directions.

[128]        Le commandant Whiteside dépose sous serment qu'à la date du 6 juin 2003, [traduction] « l'un et l'autre représentants syndicaux avaient dit au président qu'ils avaient l'intention de prononcer des motifs dissidents » de telle façon que la sentence du président serait celle du banc. Le témoignage du commandant Whiteside s'accorde avec cette observation au paragraphe 6 des addenda du président :

[TRADUCTION]

6.              Ce serait fallacieux de dire que le banc d'arbitrage a laissé la place à un arbitre siégeant seul. Malgré ce qui s'est passé la dernière journée, il était pratiquement évident dès le commencement que je rédigerais une sentence avec deux avis dissidents. Les parties n'ont jamais été près de s'entendre sur quoi que ce fût, leurs représentants non plus malheureusement.

[129]        Je conclus par conséquent qu'au moins au moment du retrait de l'APAC (ou peut-être même plus tôt), les parties s'attendaient à ce que le président prononce sa propre sentence et chaque représentant, ses motifs dissidents.


iv)         M. Vorster s'est-il retiré du banc d'arbitrage?

[130]        Comme noté précédemment, M. Keller fait savoir dans les motifs de sa sentence initiale que, par suite du retrait de l'APAC, il a dit au représentant de l'ALPA qu'il ne demanderait plus aucune contribution de sa part ou de l'ALPA elle-même. Après que ces motifs eurent été prononcés et que M. Vorster eut prononcé ses motifs dissidents, celui-ci ne s'en est pas plaint du tout.

[131]        Ce n'est que dans les addenda à ses motifs dissidents que M. Vorster indique qu'il a été mis au courant par les motifs dissidents de M. Pink de la compilation de données de 7 h 00; il fait donc observer que les autres membres du banc avaient un élément d'information qui ne lui était pas communiqué et qu'il était ainsi exclu des délibérations sur un élément d'information primordial qui était « au coeur » de la sentence du président. M. Vorster soutient, dans ses addenda, que le retrait de l'APAC n'aurait dû avoir aucun effet sur les délibérations à venir du banc et qu'il ne s'était pas retiré en sa qualité de représentant sur le banc.

[132]        À cela le président réplique dans ses addenda que : « M. Vorster a informé les autres membres du banc que dans ces conditions, lui non plus ne pensait pas qu'il pouvait continuer, qu'il se retirait et qu'il ne participait plus à la procédure. »


[133]        M. Pink fait état dans ses motifs dissidents du fait que le président a pris connaissance d'une dernière compilation de données « après que le représentant de l'APAC se fut retiré de la procédure » .

[134]        Je conclus des motifs ci-dessus des arbitres que le retrait de M. Vorster ne signifiait pas qu'il démissionnait du banc d'arbitrage ou qu'il ne préparait pas ses motifs dissidents. Je constate cependant qu'il s'est effectivement retiré du processus interactif de médiation qui se poursuivait jusqu'aux dernières journées de réunions directives. Cette conclusion est compatible avec les observations faites par le président et par M. Pink dans leurs motifs respectifs, avec le fait que le président a décidé alors qu'il ne pouvait plus recevoir des contributions de l'ALPA ou de son représentant (du fait que l'APAC et son représentant n'étaient pas là pour apporter leurs contributions), et avec la logique et le bon sens du fait que M. Vorster ne pouvait plus prendre part à la médiation ou au processus interactif en l'absence de l'APAC. Cette conclusion est aussi compatible avec le fait que tous les membres du banc d'arbitrage savaient qu'ils prononceraient chacun leurs motifs respectifs. Il n'y avait alors plus aucune raison de poursuivre les délibérations entre les membres du banc puisque chacun avait déjà décidé de prononcer sa propre sentence.

v)          La compilation de données de 7 h 00

[135]        Les circonstances de la création de ces nouvelles données sont rapportées par M. Pink en ces termes :


[TRADUCTION]

Cependant, il ne faut pas oublier où en était la procédure au moment du retrait de l'APAC. En ma qualité de représentant de l'ALPA, je défendais vigoureusement la méthodologie du ratio dégressif comme moyen d'atténuer « l'effet Mitchnick » (sur lequel je reviendrai plus loin). Pendant le « coup de collier » vers la conclusion, le président m'a informé que le concept de rajustement annuel du ratio était entièrement inacceptable pour le représentant de l'APAC et ne pouvait former la base d'un accord. Il m'a cependant fait savoir que ce dernier pensait qu'un « rajustement unique » pourrait être plus acceptable.

L'ALPA avait recommandé un ratio dégressif de six points de base par an, pour un total de 30 points de base sur cinq ans.

À ma demande, le comité informatique de l'ALPA a produit une « compilation » des effets d'une réduction unique de 30 points de base du ratio en vigueur à la date du 17 octobre 2000, sur les pilotes demeurés au service de la nouvelle compagnie Air Canada.

[136]        M. Pink confirme aussi que le président a vu la dernière compilation de données :

[TRADUCTION]

Le fait est que le président a effectivement vu la compilation finale de la proposition de l'ALPA. Celle-ci a été faite après que le représentant de l'APAC se fut retiré de la procédure. Le comité informatique de l'APAC, s'étant retiré de la procédure, ne pouvait présenter ni analyse ni commentaire. Ils a tout simplement « plié bagage » . Ce serait faux de dire que le président n'avait pas la moindre idée ou concept de la proposition finale. Il a vu une compilation de données relative à la proposition finale de l'ALPA. Cette compilation a été faite à ma demande à 7 h 00, le dernier jour de réunions directives, par le comité informatique de l'ALPA. Cela a été fait en prévision des discussions qui devaient avoir lieu ce matin-là. La dernière « compilation » vue par le président était plus favorable à la position de l'ALPA que la conclusion finalement tirée par ce dernier.

[137]        Les observations consignées par le président dans les addenda de sa sentence s'accordent avec ce qui précède :

[TRADUCTION]

7.              Lors de mes dernières discussions vendredi avec mes collègues, M. Pink nous a répété, à M. Vorster et à moi-même, que la position « finale » de ses clients était un rajustement du ratio sur cinq ans. Inutile de dire que M. Vorster s'y est vivement opposé. Il a renouvelé son objection avec force lors d'un tête-à-tête subséquent avec moi. J'avais arrangé des discussions séparées avec M. Pink et M. Vorster afin de combler le fossé et de trouver un terrain d'entente. Lors de ma rencontre vendredi avec M. Vorster hors la présence de M. Pink, il m'a dit qu'au lieu d'un rajustement du ratio dans la liste sur cinq ans, peut-être un rajustement unique serait plus acceptable. Nous en sommes restés là et la question devait être examinée plus en détail le lendemain.


J'ai parlé à M. Pink de cette idée, savoir un rajustement unique, et il s'est engagé à faire faire à l'ALPA une compilation de données séparée pour les délibérations du lendemain. Cette compilation a apparemment été faite tôt dans la matinée du samedi et m'a été présentée à mon arrivée ce matin-là. Elle devait faire l'objet de délibérations plus poussées entre mes collègues et moi-même. Ces délibérations, pour la raison rappelée précédemment, n'ont jamais eu lieu. Le résultat final est que j'avais bien en main la « compilation » , mais elle n'a jamais fait l'objet d'aucune discussion entre M. Pink et moi-même, ou entre le comité technique de l'ALPA et moi-même. Quoi qu'il en soit, il y a lieu de répéter que ce qui était dans cette « compilation » ne servait pas de base à la sentence qui a été formulée en dernier lieu.

[138]        Je conclus des éléments de preuve produits que M. Pink a demandé une compilation supplémentaire de données, qu'il l'a obtenue et qu'il l'a remise au président. Cette compilation n'a pas été communiquée à M. Vorster.

vi)         L'effet du défaut par MM. Keller et Pink de communiquer la dernière compilation de données à M. Vorster

[139]        Puisque M. Vorster n'a pas démissionné de ses fonctions d'arbitre, il avait droit à ce qu'on lui communique la compilation de données de 7 h 00 pour sa propre gouverne, afin qu'il fût en mesure, le moment venu, d'exprimer ses vues à ce sujet au président et à M. Pink. L'équité procédurale exigeait que les trois membres du banc d'arbitrage aient ce document en main. La question se pose donc de savoir si le défaut d'en faire tenir une copie à M. Vorster vicie la sentence du président.


[140]        Les faits suivants sont déterminants à ce sujet. En premier lieu, je conclus que cette erreur (à savoir le défaut de communiquer le document à M. Vorster) est grave, mais qu'elle n'a pas été commise de mauvaise foi. Elle s'est produite parce que l'APAC s'est retirée de la procédure, après quoi M. Vorster s'est retiré du processus interactif, et M. Keller a déclaré à M. Pink qu'il ne demanderait plus des contributions de l'ALPA ou de son représentant. C'est dans ce contexte que la compilation de données de 7 h 00 n'a pas été communiquée à M. Vorster, en raison d'un oubli ou de l'impression que, la phase interactive étant terminée à la suite du retrait de l'APAC, il ne servait à rien de produire ces données pour les délibérations.

[141]        En second lieu, j'ajoute foi à la déclaration du président qu'il n'a jamais discuté de la compilation de données avec M. Pink ou avec des représentants de l'ALPA, et qu'elle ne servait pas de base à la sentence arbitrale qu'il formulait. J'ai conclu que M. Vorster s'est retiré du processus interactif. Cela ne signifie pas qu'une sentence différente aurait été prononcée s'il avait vu cette compilation de données. Je conclus par conséquent, selon la prépondérance de la preuve, que cette compilation de données eût-elle été communiquée à M. Vorster, la sentence du président n'aurait probablement pas été bien différente.


[142]        Si l'obligation d'équité procédurale exigeait que le document en question soit communiqué à M. Vorster et si normalement, tout manquement à cette obligation vicie la procédure, pareille conséquence n'est pas inéluctable. Dans Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, en page 228, la Cour suprême du Canada a souscrit à cette observation : « il peut être justifiable d'ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir » .

[143]        J'ai conclu que la compilation de données retenue à tort n'aurait pas produit un résultat différent si elle avait été communiquée en temps voulu à M. Vorster. Il s'agit là d'un important facteur à prendre en considération pour examiner si le défaut de communication est un motif d'annulation de la sentence arbitrale.

[144]        En outre, je fais droit à l'argument proposé par l'ALPA que le contrôle judiciaire ne vise pas exclusivement à préserver les droits individuels. Comme il a été noté dans Brown & Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles (Toronto : Canvasback Publishing, 1998), en pages 3-1 à 3-2, [traduction] « l'intérêt public dans la bonne gouvernance, y compris le principe qu'elle doit être conforme à la loi, a été également un facteur important dans le développement des règles de droit en matière de contrôle judiciaire » . Il est de droit constant que les mesures de réparation prononcées sur demande de contrôle judiciaire relèvent du pouvoir d'appréciation discrétionnaire de la Cour.

[145]        Dans sa décision CCRI no 263 citée précédemment, le Conseil a conclu en ces termes :


57             Pour décider si oui ou non le Conseil doit examiner la sentence Keller, même de manière limitée, le Conseil doit aussi prendre en considération les objectifs du Code qui sont énoncés dans son préambule. Le Code précise que la législation et la politique du travail sont conçues de façon à favoriser non seulement la pratique des libres négociations collectives, mais aussi le règlement positif des différends. Le Code appuie également de saines relations entre travailleurs et employeurs. La création d'un tribunal administratif dont le mandat est de statuer sur ces questions fondamentales vise à éviter les longs et interminables processus devant les tribunaux et à garantir qu'une tribune experte règle en temps utile les conflits de travail, de manière à éviter l'interruption, sauf dans certaines conditions limitées, non seulement des activités des employeurs, mais aussi du moyen de subsistance des travailleurs syndiqués, lesquels sont reconnus comme contribuant au bien-être économique de notre pays.

58             Les relations du travail et, de fait, toutes les formes de relations humaines, ne relèvent pas de la science exacte. Elles sont faites de compromis. Vient un moment, dans tout processus, où les parties doivent soit régler leur différend, soit accepter qu'elles ont obtenu le maximum possible. Vient un moment également où le bon sens doit l'emporter.

59             Le différend sur les listes d'ancienneté des pilotes d'Air Canada a été soumis au Conseil en 2000. Nous sommes maintenant en 2004, et l'affaire n'est pas encore réglée. Les pilotes sont, depuis ce temps, continuellement parties à une instance ou à une autre, qu'elle revête la forme d'une conférence traitant de la gestion de l'affaire, d'une audience, d'un contrôle judiciaire ou d'observations écrites. Aucune d'entre elles n'a porté fruit. Les observations écrites des parties remplissent des quantités de classeurs. Leurs avocats ont plaidé toute la jurisprudence et toute la doctrine possibles. Leur preuve a été revue en long et en large non seulement par l'ancien président du Conseil, mais aussi par les tribunaux civils. De plus, les pilotes ont eu la possibilité de présenter leurs preuves devant des décideurs chevronnés. L'arbitre Mitchnick est l'ancien président de la Commission des relations de travail de l'Ontario, tandis que l'arbitre Keller est un ancien vice-président du Conseil canadien des relations du travail. Tous deux sont considérés comme étant d'éminents arbitres du domaine des relations du travail, respectés de tous.

60             Il ne sert à rien d'attendre la décision « parfaite » ou la décision qui donne satisfaction à tous; elle n'arrivera jamais. C'est là la nature du processus décisionnel. Bien que les parties n'aient pas choisi le banc du Conseil, elles ont certainement pu choisir les arbitres indépendants à qui elles s'en sont remises pour rendre une décision pour leur compte. Un bref examen de la sentence Keller permet de constater que l'arbitre a longuement examiné la décision no 183 et cité la jurisprudence pertinente sur les principes à appliquer. Non seulement l'arbitre Keller a-t-il examiné la sentence Mitchnick elle-même, mais il a pris en considération également la perspective des événements subséquents et leur effet sur le contexte de cette sentence.

61             La décision d'un autre banc du Conseil au terme d'un examen de la sentence Keller ne serait qu'un autre point de vue informé et obligerait le Conseil à lancer encore une fois dans un nouveau litige le dossier au complet, dont ont été saisis un banc antérieur du Conseil et deux bancs d'arbitrage. En outre, rien ne permet de garantir qu'une décision d'un banc de révision engendrera une conclusion satisfaisante. Si l'on se fie aux événements passés, elle provoquera probablement une autre ronde d'examen.


62             À cet égard, le Conseil doit admettre avec l'ALPA que l'examen de la sentence Keller ne consisterait pas simplement à apporter quelques modifications à la sentence; il nécessiterait une évaluation de l'équilibre complexe du résultat complet de la sentence arbitrale.

63             Compte tenu des observations des pilotes, représentés par les comités de fusion, le Conseil est d'avis que les motifs de l'insatisfaction actuelle des pilotes à l'égard des sentences des arbitres ou des décisions du Conseil sont de nature financière - leur rang sur la liste d'ancienneté - et ne résultent pas d'un manquement à leurs droits sous le régime du Code. Les pilotes ont eu toutes les occasions possibles aux termes du paragraphe 18.1(2) du Code de s'entendre sur une liste d'ancienneté intégrant les deux groupes de pilotes qui travaillent maintenant pour Air Canada. Cette dernière société a, quant à elle, respecté le rang d'ancienneté qui a été établi par chacune des sentences arbitrales. Le Conseil est par conséquent convaincu que les conditions énoncées au paragraphe 18.1(2) du Code ont été respectées en ce que le protocole Keller représente l'entente que les parties ont conclue pour régler le différend sur l'ancienneté des pilotes.

D - Décision

64             Pour ces motifs, le Conseil accepte les conclusions qui ont été tirées dans la sentence Keller, statue qu'il a épuisé toute compétence résiduelle à l'égard du processus d'intégration des listes d'ancienneté et en arrive à la décision de n'exercer aucun pouvoir discrétionnaire pour entreprendre de son propre chef une enquête sur la question de l'intégration des listes d'ancienneté.

[146]        Cette décision articule de bonnes raisons, fondées sur les principes, de ne pas accorder le redressement demandé. En particulier, il est conforme à l'intérêt général de résoudre le différend une fois pour toutes. De même, à la lumière de l'observation faite par le Conseil que le bon sens doit l'emporter, que la décision rendue par un autre banc du Conseil sur réexamen de la sentence arbitrale « ne serait qu'un autre point de vue informé » et que les conditions prévues au paragraphe 18.1(2) du Code étaient remplies, la question se pose sérieusement de savoir à quoi cela servirait de renvoyer la sentence arbitrale au Conseil pour réexamen, comme le demande l'APAC.


[147]        En conséquence, attendu que je ne suis pas convaincue que le manquement à l'équité procédurale ait faussé l'issue de l'affaire et ayant mis dans la balance les principes d'ordre social et l'utilité douteuse de la réparation demandée, j'exerce mon pouvoir discrétionnaire en la matière pour refuser cette réparation, malgré le défaut de communiquer la compilation de données de 7 h 00 à M. Vorster.

DÉCISION

[148]        Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[149]        L'une et l'autre parties prétendent aux dépens, mais n'ont soumis aucune conclusion sur ce point à l'audience. Par suite, la défenderesse Association des pilotes des lignes aériennes aura 14 jours de la réception des présents motifs pour signifier et déposer des conclusions écrites sur les dépens. Après quoi l'Association des pilotes d'Air Canada aura 14 jours pour signifier et déposer ses conclusions en réponse. L'Association des pilotes des lignes aériennes aura 5 jours après la réception de ces dernières pour signifier et déposer sa réplique, le cas échéant.


[150]        Après examen des conclusions susmentionnées, la Cour rendra une ordonnance pour rejeter la demande de contrôle judiciaire et décider la question des dépens.

                                                                                                             « Eleanor R. Dawson »       

      Juge

Toronto (Ontario)

le 20 mai 2005

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1261-03

INTITULÉ :                                        ASSOCIATION DES PILOTES D'AIR CANADA

demanderesse

et

ASSOCIATION DES PILOTES DES LIGNES

AÉRIENNES et AIR CANADA

défenderesses

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                22 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                       20 MAI 2005

ONT COMPARU :

Steve Waller                                          POUR LA DEMANDERESSE

Ainslie Benedict                                     Association des pilotes d'Air Canada

Paul Cavalluzzo                                     POUR LA DÉFENDERESSE

James Hayes                                         Association des pilotes des lignes aériennes

Non représentée                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Air Canada


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Nelligan O'Brien Payne LLP                              POUR LA DEMANDERESSE

Avocats                                                             Association des pilotes d'Air Canada

Ottawa (Ontario)

Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre                    POUR LES DÉFENDERESSES

& Cornish                                                         Association des pilotes des lignes aériennes

Toronto (Ontario)                                              et Air Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.