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Date : 20200821


Dossier : IMM‑6302‑19

Référence : 2020 CF 847

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 21 août 2020

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

MOHAMED AHMED ALI ELAMIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Elamin sollicite le contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’asile. J’accueille sa demande, car les décideurs ont tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité qui ne peuvent être étayées par la preuve. Comme je ne suis pas en mesure de déterminer si le résultat aurait été le même sans ces conclusions, je renvoie l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

I.  Le contexte

[2]  M. Elamin est un citoyen du Soudan. À l’appui de sa demande d’asile, il allègue les faits qui suivent. En 2008 et 2009, lorsqu’il étudiait l’informatique à l’université, il a participé à des manifestations étudiantes contre le régime soudanais. Cela lui a valu d’être arrêté et battu à deux reprises.

[3]  Une fois son diplôme en main, M. Elamin a été embauché par le bureau de l’état civil soudanais, une organisation qui délivre des documents d’identité et des passeports. À un certain moment, cette organisation a été intégrée au ministère de l’Intérieur et était considérée comme une division de la police. À maintes reprises, M. Elamin se serait trouvé en désaccord avec ses supérieurs, qui lui auraient demandé d’effectuer des tâches illégales. En outre, il a refusé une affectation au Darfour, car il pensait qu’il serait alors contraint de participer à des missions militaires. Par conséquent, il a fait l’objet de mesures disciplinaires et a été privé de son salaire pendant un certain temps.

[4]  Néanmoins, M. Elamin a pu conserver son emploi au bureau de l’état civil. En 2015 ou 2016, prétendument après avoir versé un pot‑de‑vin au fonctionnaire responsable, il a été choisi pour une affectation de six mois à l’ambassade du Soudan à Washington. À la fin de cette affectation, M. Elamin n’est pas retourné au Soudan. Il est plutôt resté aux États‑Unis, et s’est rapidement rendu au Canada, où il a demandé l’asile.

[5]  Lors de son audience devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR], M. Elamin a déposé un document censé être un jugement d’un tribunal de police au Soudan, par lequel il aurait été condamné à six mois de prison pour s’être absenté du travail et pour ne pas être retourné au Soudan à la fin de son affectation. Il a déclaré avoir obtenu une photo de ce document d’un ami, qui l’avait lui‑même obtenu d’un employé du bureau de l’état civil au Soudan. Il a ajouté qu’il serait très imprudent de chercher à obtenir une copie certifiée conforme. En outre, il a affirmé qu’après sa défection, des policiers ont fouillé sa maison et interrogé des membres de sa famille pour savoir où il se trouvait.

[6]  La SPR a rejeté la demande de M. Elamin, principalement en raison de son manque de crédibilité. La SPR a d’abord conclu que le récit de M. Elamin n’était pas plausible, car des vérifications de ses antécédents auraient été effectuées au moment de son embauche par le bureau de l’état civil et auraient révélé toute information conservée par la police à son sujet. De plus, la SPR a conclu que M. Elamin avait cherché à l’induire en erreur en indiquant qu’il était technicien en informatique, alors que les documents officiels le décrivaient comme un sergent de police technique ou un policier. En ce qui concerne les mesures disciplinaires imposées à M. Elamin en 2015, la SPR a conclu qu’elles n’équivalaient pas à de la persécution et qu’elles découlaient plutôt de lois d’application générale. De surcroît, M. Elamin avait omis d’inclure une partie importante de son récit dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA], et avait attendu quelques jours avant l’audience pour fournir une déclaration supplémentaire. Par ailleurs, comme M. Elamin n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis et a attendu la fin de son affectation pour demander l’asile au Canada, la SPR a conclu que son comportement était incompatible avec celui d’une personne craignant la persécution. La SPR a également examiné le document censé constituer une peine d’emprisonnement, mais ne lui a accordé aucun poids, principalement parce que M. Elamin n’avait pas réussi à obtenir une copie certifiée.

[7]  La Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR a rejeté l’appel de M. Elamin à l’encontre de la décision de la SPR. La SAR s’est concentrée sur trois questions précises, probablement parce qu’elles constituaient les principaux motifs d’appel soulevés dans les observations écrites de M. Elamin. Premièrement, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le fait que M. Elamin n’ait pas demandé l’asile aux États‑Unis démontrait une absence de crainte subjective. Deuxièmement, selon la SAR, la crédibilité de M. Elamin a été sérieusement affectée par la contradiction entre son témoignage et les documents officiels relatifs à son poste. Puis, troisièmement, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle il y avait des motifs valables de douter de l’authenticité de la peine d’emprisonnement.

[8]  M. Elamin sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

II.  Analyse

[9]  La demande de contrôle judiciaire de M. Elamin porte sur des questions de crédibilité. Il a été dit à maintes reprises que les conclusions de fait, en particulier les conclusions relatives à la crédibilité, sont du ressort du décideur initial. Alors que cela était auparavant justifié par le fait que le décideur pouvait observer le comportement des témoins à la barre, on invoque maintenant des motifs institutionnels afin d’éviter que l’appel et le contrôle judiciaire ne deviennent une répétition de l’audience initiale : Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux paragraphes 15 à 18, [2002] 2 RCS 235. En ce qui concerne le contrôle judiciaire, la Cour suprême du Canada a récemment fait observer dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 125 [Vavilov], que « le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait ». Les Cours fédérales ont appliqué ces principes dans un grand nombre d’affaires, dont Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, et Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani].

[10]  Néanmoins, les conclusions relatives à la crédibilité ne sont pas à l’abri de tout contrôle. Dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 126, la Cour suprême affirme que « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte ». En outre, le décideur doit expliquer ses conclusions en matière de crédibilité en des « termes clairs et explicites » : Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228 au paragraphe 6. Il est bien possible que des motifs inadéquats « ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irationnelle [sic] », ce qui rend la décision déraisonnable : Vavilov au paragraphe 103.

[11]  Ainsi, je dois faire preuve de beaucoup de circonspection en analysant les conclusions tirées par la SAR quant à la crédibilité. Je suis toutefois convaincu que les conclusions tirées dans la présente affaire ne peuvent être confirmées. Il s’agit de l’un des rares cas où la Cour doit annuler une décision en raison de conclusions déraisonnables en matière de crédibilité.

[12]  Le problème en l’espèce est que M. Elamin a soulevé deux risques distincts à l’appui de sa demande d’asile, soit la découverte de sa participation à des manifestations lorsqu’il était à l’université et la peine imposée pour la défection de sa mission diplomatique aux États‑Unis. La majeure partie du récit figurant dans son FDA se rapportait au premier enjeu. On ne sera pas surpris que la décision de la SPR y soit principalement consacrée. Cependant, le deuxième risque doit également être analysé, indépendamment du premier.

[13]  Ainsi, je commencerai en examinant la conclusion de la SAR selon laquelle l’authenticité du document établissant la peine d’emprisonnement de M. Elamin était douteuse. Ce document était au cœur de l’allégation de M. Elamin concernant le risque découlant de sa défection. Cela m’amènera à me pencher sur la crédibilité de M. Elamin dans son ensemble, car c’est un facteur dont la SAR a tenu compte pour apprécier l’authenticité de la peine d’emprisonnement. Enfin, j’examinerai l’argument du ministre selon lequel, même si la peine d’emprisonnement était authentique, la défection de M. Elamin ne peut justifier une demande d’asile.

A.  La peine d’emprisonnement

[14]  Les motifs pour lesquels la SAR ne tient pas compte de la peine d’emprisonnement se trouvent aux paragraphes 33 et 34 de la décision :

À mon avis, il existait de bonnes raisons de douter de l’authenticité de ce document. Comme je viens de l’expliquer non seulement aucun original de ce document n’a été déposé devant la SPR, mais l’appelant n’a pas non plus fait d’efforts pour obtenir un affidavit de son ami qui aurait obtenu pour lui le document en question. Dans sa décision, la SPR a expliqué pourquoi le contenu même de ce document l’amenait à ne lui accorder aucune valeur probante, soit notamment le fait que les noms des témoins n’étaient pas mentionnés et que la nature de leur témoignage n’avait pas été précisée.

Chose certaine, selon la jurisprudence, un décideur peut tirer une conclusion à l’égard du poids à accorder à un document après en avoir apprécié la crédibilité ou la valeur probante ou les deux. En outre, il est loisible à la SPR de n’accorder aucune force probante aux évaluations ou aux rapports fondés sur des éléments sous‑jacents jugés non crédibles. Enfin, la preuve n’est pas analysée isolément de l’ensemble de la demande d’asile. Lorsque le témoignage personnel du demandeur n’est pas crédible, il est raisonnable pour la SPR d’avoir des préoccupations au sujet de la crédibilité de la preuve documentaire qui est présentée en appui à sa demande et elle peut ne leur accorder qu’un faible poids. Selon ma propre analyse, en n’accordant aucune valeur probante à ce document, la SPR n’a commis aucune erreur.

[Notes de bas de page omises.]

[15]  Il semble que la raison principale pour laquelle l’authenticité de ce document est mise en doute soit le fait que M. Elamin n’ait pas obtenu de copie certifiée conforme et d’affidavit de l’ami qui le lui a transmis. La SAR fait remarquer à juste titre que l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, impose aux demandeurs d’asile l’obligation d’étayer leur demande par une preuve documentaire, lorsque cela est raisonnablement possible. Comme les autorités canadiennes ne sont pas toujours en mesure d’apprécier l’authenticité d’un document, en particulier lorsque seule une copie est fournie, la manière dont un demandeur d’asile obtient un document clé est très pertinente, et une preuve peut être nécessaire à cet égard.

[16]  Le fardeau de fournir une preuve documentaire ne peut cependant pas dépasser ce que l’on peut raisonnablement attendre du demandeur. En l’espèce, il ne faut pas perdre de vue le fait qu’il est question du Soudan. Même un survol rapide du Cartable national de documentation [CND] tenu par la Direction des recherches de la CISR révèle que le Soudan est en proie à de graves problèmes dont, entre autres, le comportement arbitraire de la police et des forces de sécurité, la corruption ainsi que l’absence d’un système judiciaire indépendant.

[17]  À l’audience devant la SPR, le commissaire a demandé à M. Elamin comment il avait obtenu le document faisant état de la peine d’emprisonnement et pourquoi il n’en possédait pas l’original. M. Elamin a répondu qu’un ami avait pris une photo du document et la lui avait envoyée. Il a ajouté que, même pour une personne travaillant dans l’administration, il était très difficile et dangereux d’avoir accès à ce document. La SPR a conclu que M. Elamin aurait dû faire des efforts pour obtenir une copie certifiée du document.

[18]  À cet égard, la SAR a reconnu, au paragraphe 30 de sa décision, que l’« on peut comprendre qu’il pouvait être risqué de tenter d’obtenir une telle copie certifiée du document ». Il me semble que la SAR a ainsi reconnu que toute personne cherchant ouvertement à obtenir une copie certifiée serait perçue par les autorités soudanaises comme un complice de M. Elamin et s’exposerait à un risque important.

[19]  La SAR a tout de même ajouté que M. Elamin aurait dû obtenir un affidavit de l’ami qui lui a fourni une photo du document et que le défaut de le faire a affecté son authenticité. Avec tout le respect que je dois à la SAR, je ne comprends pas la différence entre demander une copie certifiée et obtenir un affidavit de l’ami. Dans les deux cas, la personne agissant au nom de M. Elamin ne peut pas révéler son identité et doit agir secrètement. Il est donc déraisonnable d’attendre de l’ami de M. Elamin qu’il signe un affidavit dans lequel il avouerait essentiellement avoir dérobé le document aux autorités soudanaises. Qui plus est, bien que le commissaire de la SPR ait interrogé M. Elamin sur la raison de l’absence de copie certifiée, il ne lui a pas demandé de justifier l’absence d’un affidavit de son ami. En effet, la SPR n’a pas mentionné l’absence d’affidavit comme raison de douter de l’authenticité du document. Il serait injuste, à mon avis, de soulever cette question à une étape ultérieure sans donner à M. Elamin l’occasion d’expliquer pourquoi il n’a pas obtenu un tel affidavit. En tout état de cause, comme je l’ai mentionné plus haut, l’explication est évidente.

[20]  Dans l’extrait cité ci‑dessus, la SAR a également invoqué le contenu du document comme motif supplémentaire pour douter de son authenticité. Ce que la SPR a dit à cet égard se trouve dans la description qu’elle donne du document, qui comprend la phrase suivante : « Des témoins auraient témoigné, mais l’avis ne donne pas leur nom et ne précise pas la nature de leur témoignage. » Il est cependant loin d’être évident que la SPR a considéré qu’il s’agissait d’un facteur défavorable affectant l’authenticité du document. La SPR s’est plutôt concentrée entièrement sur l’absence d’un original. L’absence des noms des témoins sur le document n’est pas un défaut qui jette un doute sur son authenticité. Les documents doivent normalement être appréciés en fonction de ce qu’ils contiennent, et non de ce qu’ils ne contiennent pas. Voir, par exemple : Yahia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 84 au paragraphe 41. Je n’ai aucune preuve quant à la forme habituelle des documents de cette nature au Soudan. Le document ne fait qu’une page. Il serait surprenant d’y trouver tous les détails de l’affaire, d’autant plus que celle‑ci a procédé par défaut, en l’absence de M. Elamin. De plus, la déclaration de la SPR concernant l’absence de toute description du contenu du témoignage est déroutante, car le document même mentionne que les témoins ont confirmé que M. Elamin avait disparu à partir du 2 mai 2017. Par conséquent, en reprenant les remarques de la SPR concernant le contenu du document comme motif pour douter de son authenticité, la SAR ne fait pas preuve d’un raisonnement intrinsèquement cohérent ni d’une prise en compte de la preuve, ce qui aurait permis d’établir le caractère raisonnable de la décision : Vavilov aux paragraphes 102 à 104 et 126.

B.  La crédibilité globale

[21]  Ces erreurs, cependant, pourraient bien être sans importance si la crédibilité globale de M. Elamin est compromise pour d’autres motifs. Dans la décision Lawani, au paragraphe 24, mon collègue le juge Denis Gascon a résumé la règle ainsi :

[...] le manque de crédibilité concernant les éléments centraux d’une demande d’asile peut s’étendre à d’autres éléments de la demande et les entacher [...] et s’appliquer de façon généralisée aux éléments de preuve documentaire présentés pour corroborer une version des faits.

[22]  C’est ce qu’a fait la SAR en l’espèce. Au paragraphe 34 de ses motifs, cité ci‑dessus, elle a invoqué le manque de crédibilité de M. Elamin comme motif supplémentaire pour mettre en doute l’authenticité de la peine d’emprisonnement. Cela serait inattaquable, pourvu que la conclusion quant à la crédibilité globale soit elle‑même raisonnable. J’ai cependant de sérieux doutes à cet égard.

[23]  Il y a plusieurs raisons pour lesquelles la SPR a conclu que M. Elamin n’était pas crédible. Cela comprend l’invraisemblance de son récit dans son ensemble, le fait qu’il n’ait pas inclus des parties importantes de son récit dans son formulaire FDA, sa tentative d’induire le tribunal en erreur en se présentant comme un technicien en informatique, alors que les documents officiels le décrivaient comme un « policier », ainsi que son défaut de demander l’asile aux États‑Unis à la première occasion. La SAR n’en a examiné que deux, soit le titre de « policier » de M. Elamin et la présentation tardive de la demande d’asile. À mon avis, l’appréciation qu’a faite la SAR de la question du titre de « policier » est déraisonnable, pour les motifs qui suivent.

[24]  À l’audience devant la SPR, M. Elamin a été interrogé sur la divergence entre son formulaire FDA, dans lequel il se décrivait comme un technicien informatique, et son passeport ainsi que d’autres documents officiels, dans lesquels il est décrit comme un« policier » ou un « sergent de police technique ». Le tribunal lui a demandé directement, [traduction« [é]tiez‑vous un policier? », ce à quoi M. Elamin a répondu, « un technicien informatique, mais avec une nomination policière ». Un long échange a suivi, au cours duquel le commissaire a tenté à plusieurs reprises d’amener M. Elamin à reconnaître qu’il était un policier. À la fin de l’audience, M. Elamin a été invité par son avocate à clarifier le sens du terme « policier ». Il a répondu qu’au Soudan, le terme n’était utilisé que pour décrire une personne portant des armes. La SPR a conclu que M. Elamin s’était contredit et avait tenté d’induire le tribunal en erreur.

[25]  Après son propre examen de la preuve, la SAR a donné raison à la SPR, concluant qu’il y avait effectivement une « contradiction majeure » entre le témoignage de M. Elamin et les documents officiels.

[26]  En toute déférence, je ne comprends pas en quoi cette conclusion est compatible avec la preuve. M. Elamin a expliqué de manière convaincante qu’il ne se décrivait pas comme un policier, bien qu’il ait été à l’emploi de la police. Il n’est pas en soi invraisemblable qu’au Soudan, la délivrance des certificats d’identité soit confiée à une division de la police. Ainsi, il n’y a pas de contradiction entre l’appartenance de M. Elamin à la police en tant qu’organisation et le fait qu’il n’exerce pas des fonctions communément associées à celles d’un policier. D’après mon examen de la transcription de l’audience, il semble que le commissaire de la SPR a très vite conclu qu’il y avait là une contradiction insurmontable. Par ailleurs, l’audience a été affectée par d’importants problèmes de traduction, ce qui explique peut‑être pourquoi le tribunal a eu du mal à saisir l’explication que M. Elamin tentait de donner.

[27]  La SPR a évoqué d’autres motifs pour mettre en doute la crédibilité globale de M. Elamin. Mon examen de la décision ne me permet pas de dire si ces motifs sont suffisants pour justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Je peux seulement dire que la question du titre de « policier » semble avoir joué un rôle majeur dans le raisonnement de la SPR. Compte tenu de la position qu’elle a adoptée sur cette question, la SAR n’a pas déterminé si les autres motifs étaient suffisants. Par conséquent, je dois renvoyer l’affaire afin qu’une nouvelle décision soit rendue.

C.  Les lois d’application générale

[28]  Le ministre soutient toutefois que, même si la SPR et la SAR avaient commis ces erreurs, la demande d’asile de M. Elamin serait néanmoins vouée à l’échec, car l’emprisonnement qu’il craint découle de la violation d’une loi d’application générale du pays d’origine.

[29]  En faisant valoir un tel argument, le ministre demande à la Cour de maintenir la décision de la SAR pour des motifs autres que ceux donnés par cette dernière. Dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 96, la Cour suprême du Canada a affirmé qu’« il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat ». C’est seulement quand « un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien » qu’une demande de contrôle judiciaire d’une décision fondée sur un raisonnement erroné peut être rejetée : Vavilov au paragraphe 142. À mon avis, la présente affaire relève de la règle générale et non de l’exception.

[30]  Il est vrai que les sanctions en cas de non‑respect des lois d’application générale ne sont généralement pas considérées comme équivalant à de la persécution. Des demandes d’asile ont été rejetées dans des cas où le demandeur avait refusé d’effectuer le service militaire obligatoire ou avait enfreint les lois de son pays concernant les absences autorisées du pays : Valentin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 CF 390 (CA); Ates c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 322. Ce principe a été appliqué dans une affaire concernant un employé de l’ambassade de Cuba qui s’était exposé à une peine d’emprisonnement pour avoir déserté sa mission : González Salcedo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 822.

[31]  Il existe une exception à ce principe lorsque la manière dont une peine d’emprisonnement serait appliquée constituerait en soi de la persécution. En effet, des demandeurs ont été considérés comme ayant une crainte fondée de persécution lorsque la preuve relative à la situation dans le pays concerné faisait état d’abus et de mauvais traitements généralisés à l’égard des prisonniers : Basbaydar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 158 aux paragraphes 33 à 35; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Akgul, 2015 CF 834 au paragraphe 12.

[32]  En l’espèce, ni la SPR ni la SAR n’ont tiré de conclusions concernant les conditions de détention au Soudan. Un examen sommaire des sections pertinentes du CND pour le Soudan révèle des préoccupations importantes à cet égard. Par conséquent, je ne peux pas affirmer que la demande de M. Elamin serait inévitablement rejetée.

[33]  Je refuse donc de maintenir la décision de la SAR sur la base de motifs que cette dernière n’a pas prononcés. L’ampleur du risque lié à l’éventuelle incarcération de M. Elamin au Soudan devra être appréciée au moment de rendre la nouvelle décision sur sa demande.

III.  Décision

[34]  La SAR a fondé sa décision sur des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité. Comme je ne suis pas en mesure de dire si le résultat aurait été le même sans ces conclusions, je dois annuler la décision et renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6302‑19

LA COUR STATUE :

1.  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour nouvelle décision;

2.  Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑6302‑19

 

INTITULÉ :

MOHAMED AHMED ALI ELAMIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidÉoconfÉrence ENTRE Montréal (QuÉbec) ET ottawa (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AOÛT 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 21 AOÛT 2020

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

POUR LE DEMANDEUR

 

Suzon Létourneau

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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