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     Date: 20000517

     Dossier: IMM-1257-99

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2000

Devant : Monsieur le juge Pinard

ENTRE :


TUAN RAMAIYAN AHAMADON

GNEI AZMARA AHAMADON

GNEI SEENAR AHAMADON (alias Anei Seenar Ahamadon)


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION


défendeur


ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu, le 10 février 1999, que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention est rejetée.


                                 YVON PINARD

                         ____________________________________

                                 JUGE

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.



     Date: 20000517

     Dossier: IMM-1257-99


ENTRE :


TUAN RAMAIYAN AHAMADON

GNEI AZMARA AHAMADON

GNEI SEENAR AHAMADON (alias Anei Seenar Ahamadon)


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD

[1]      Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 10 février 1999, qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      La Commission a jugé invraisemblable le fait que la Force aérienne sri-lankaise (la FASL) mette à l'épreuve la loyauté du demandeur en lui ordonnant de superviser l'enlèvement de deux Tamouls. Premièrement, selon ce que la Commission sait au sujet des revendications sri-lankaises et selon la preuve documentaire, c'est l'Armée sri-lankaise (l'ASL) qui arrête et qui détient les Tamouls. Deuxièmement, il est invraisemblable que l'on n'ait pas fait confiance au demandeur puisqu'il travaillait pour la FASL, qu'il avait été promu à trois reprises et qu'il était responsable des communications et des relations publiques de nature délicate. Enfin, la preuve documentaire montre que les musulmans ne seraient pas normalement victimes de discrimination au sein des forces armées. En outre, le demandeur n'aurait pas été soupçonné d'être un non-musulman déguisé en musulman puisque son nom, qui était musulman, était inscrit sur sa carte d'identité de la FASL.

[3]      Quant aux documents que les demandeurs ont déposés, la Commission a jugé invraisemblable le fait que la FASL laisse huit mois s'écouler avant d'enquêter sur l'absence du demandeur, comme en fait foi le document de la Cour d'enquête daté du 8 octobre 1997. En ce qui concerne les articles de journaux d'Iqbal Athas, il était selon la Commission invraisemblable qu'il soit fait mention du personnel ayant fait l'objet d'une arrestation publique et non de la désertion d'un officier qui avait déjà été interrogé.

[4]      La Commission doutait en outre des circonstances dans lesquelles le demandeur s'était évadé. Plus précisément, elle ne croyait pas que les sous-officiers et qu'un individu ayant le même grade que le demandeur aient pu faire sortir celui-ci de sa cellule ou que Mohammad ait risqué son emploi et sa vie parce qu'il avait reçu deux ans plus tôt une somme de 5 000 roupies pour une faveur. De plus, la Commission a conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur ait pu se cacher chez des membres de sa famille pendant une période aussi longue et qu'il ait pu quitter Sri-Lanka à partir du principal aéroport du pays, avec sa conjointe et son enfant, en passant inaperçu.

[5]      En ce qui concerne la demanderesse, la Commission a conclu ce qui suit :

         [TRADUCTION]
             Étant donné les conclusions susmentionnées, nous ne pouvons croire le témoignage de la demanderesse adulte selon lequel trois hommes, dont un officier de la Force aérienne, étaient venus la chercher en jeep. Selon la prépondérance des probabilités, nous concluons qu'elle n'a pas été interrogée au sujet des allées et venues de son mari. Nous ne jugeons donc pas crédible le témoignage selon lequel elle avait été victime d'une agression sexuelle entre les mains des individus qui l'avaient interrogée. Nous ne jugeons pas crédible le témoignage selon lequel, pendant les neuf mois où son mari se cachait, elle n'a pas eu de ses nouvelles. Si le mari se croyait suffisamment en sécurité chez les membres de sa famille, il n'est pas raisonnable qu'au moins un membre de la famille n'ait pas cherché à apaiser l'inquiétude de la demanderesse pendant une période aussi longue et n'ait pas trouvé une façon de lui dire où son mari était. À notre avis, on ne saurait croire que, si le mari s'est évadé au mois de mars et si la Force aérienne le cherchait dans le cadre d'une enquête relative à un acte de sabotage, ce n'est qu'au mois d'août, soit six mois plus tard, que la sécurité lui a rendu visite, pour la première et la dernière fois. Nous ne croyons pas son témoignage. Étant donné les graves questions de crédibilité soulevées par le témoignage de la demanderesse, la formation conclut qu'il est inutile d'examiner pour le compte de la demanderesse les lignes directrices de la section du statut concernant les Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe.

[6]      Par conséquent, la Commission a conclu qu'il n'existait pas de possibilité sérieuse que le demandeur ou la demanderesse soient persécutés s'ils retournaient à Sri Lanka. Elle a en outre conclu que le demandeur mineur était trop jeune pour qu'il soit considéré qu'il est en danger sauf par rapport à ses parents.

[7]      En ce qui concerne l'appréciation générale des faits effectuée par la Commission et les conclusions que cette dernière a tirées au sujet de la crédibilité, j'ai examiné la preuve et je ne suis pas convaincu que le tribunal spécialisé ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.

[8]      Plus précisément, en ce qui concerne l'allégation du demandeur selon laquelle la Commission a commis une erreur parce qu'elle ne s'est pas demandé si la désertion du demandeur constituait une opinion politique qui pouvait donner lieu à des actes de persécution au sens de la Convention, j'estime que la Commission n'a pas examiné la question parce qu'elle ne croyait pas que le demandeur avait déserté. À la page 3 de sa décision, voici ce qu'a dit la Commission :

         [TRADUCTION]
             Dans ses observations, l'avocat a attiré l'attention de la formation sur une série de documents intitulés : [TRADUCTION] « Ordres courants de base, Force aérienne de Sri Lanka, China Bay » . L'un des documents provient d'une cour chargée d'enquêter sur l'absence illégale de trois membres du personnel, dont le demandeur. La Cour d'enquête devait tenir une audience le 8 octobre 1997. Étant donné que le demandeur a témoigné qu'il était caché depuis le mois de mars 1997, il est invraisemblable que la Force aérienne ait laissé huit mois s'écouler avant d'enquêter sur son absence. [Note de base de page omise.]

[9]      À mon avis, cette déclaration, considérée isolément, est ambiguë. Elle pourrait vouloir dire que la Commission ne croyait pas que le demandeur avait déserté au mois de mars 1997 ou elle pourrait vouloir dire que la Commission doutait de l'authenticité du document de la Cour d'enquête lui-même. Toutefois, plus loin dans ses motifs de décision, la Commission fait une remarque générale au sujet de l'absence de crédibilité. À la page 5 de ses motifs, voici ce qu'elle a conclu :

         [TRADUCTION]
             Nous avons constaté des invraisemblances sur tous les aspects importants du témoignage du demandeur. Nous estimons que ce témoignage n'est pas crédible et qu'il n'est pas digne de foi. Selon la prépondérance des probabilités, nous concluons que l'on n'a pas mis la loyauté du demandeur à l'épreuve et que la FASL n'a pas arrêté le demandeur. Selon la prépondérance des probabilités, nous concluons que le demandeur n'a pas été « sauvé » par Mohammad et qu'il ne s'est pas caché pendant neuf mois.

[10]      Pareille conclusion peut avec raison s'appliquer à tous les éléments de preuve pertinents tirés du témoignage du demandeur, et notamment du document de la Cour d'enquête. Je crois donc que la décision, considérée dans son ensemble, montre que non seulement la Commission ne croyait pas la version donnée par le demandeur au sujet de sa présumée désertion, mais aussi qu'il avait déserté. À mon avis, la Commission pouvait avec raison tirer cette conclusion. Je ne crois donc pas que la Commission ait commis une erreur en omettant de se demander si la présumée désertion, à elle seule, donnerait lieu à des actes de persécution.
[11]      La seule autre question que les demandeurs ont soulevée devant moi est de savoir si la Commission est autorisée à prendre connaissance d'office des faits. Dans sa décision, la Commission a dit que [TRADUCTION] « selon ce qu'elle sait au sujet des revendications sri-lankaises et selon la preuve documentaire concernant Sri Lanka, c'est l'armée qui arrête et qui détient les civils tamouls » . Les demandeurs affirment que ces renseignements ne relèvent pas des connaissances spéciales de la Commission et qu'ils n'ont pas été avisés du fait que la Commission avait l'intention de prendre connaissance de ces renseignements.
[12]      La Commission n'a pas cité les éléments précis de la preuve documentaire lorsqu'elle a fait sa remarque au sujet de l'ASL, mais selon certains éléments figurant dans le dossier certifié, c'est surtout l'armée qui se livre aux enlèvements et aux tueries extrajudiciaires1. Je crois donc que ces renseignements sont du ressort de la spécialisation de la Commission et qu'il s'agit du genre de renseignements que la Commission peut admettre d'office en vertu du paragraphe 68(4) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).
[13]      En outre, je suis convaincu que la Commission a informé les demandeurs qu'elle avait l'intention d'admettre d'office ces renseignements et qu'elle leur a donné la possibilité de présenter leurs observations à cet égard conformément aux exigences du paragraphe 68(5) de la Loi2. La Commission a fait remarquer ce qui suit (page 343 du dossier certifié) :
         [TRADUCTION]
             La formation croit comprendre que, dans les régions où sévit un conflit, cette tâche incombe à la sécurité, lorsque les Tamouls doivent être arrêtés et ainsi de suite, qu'il incombe en général à la sécurité d'accomplir cette tâche, et je crois comprendre qu'il s'agit des forces terrestres, [...]

[14]      L'avocat du demandeur a posé à son client la question suivante (page 344) :

         [TRADUCTION]
             Selon la preuve documentaire ou ce que nous savons au sujet des opérations du personnel de la sécurité sri-lankaise, ce sont les forces terrestres qui se livrent à ce genre d'opération plutôt que le personnel de la force aérienne, pouvez-vous donc nous expliquer pourquoi vous croyez que vous deviez participer à ce genre d'opération? Pourquoi croyez-vous qu'ils ont choisi un officier de la force aérienne pour effectuer ce travail?

[15]      De même, la Commission a dit ce qui suit (à la page 364) :

         [TRADUCTION]
             Oui. En ce qui concerne la question précédente se rapportant au fait que ce sont les forces terrestres plutôt que la force aérienne qui sont chargées de l'enlèvement des Tamouls, voici ce que vous avez dit : « Ils essayaient de mettre ma loyauté à l'épreuve. » Cependant, vous ne savez pas pourquoi c'est la force aérienne plutôt que l'armée qui participait à pareilles opérations. Pourquoi la force aérienne s'est-elle rendue dans le secteur pour enlever des Tamouls? Pourquoi?

[16]      À mon avis, la Commission a mis les demandeurs au courant de son intention de prendre connaissance des renseignements figurant dans la preuve documentaire, selon lesquels c'était l'armée plutôt que la force aérienne qui était responsable de l'enlèvement des Tamouls. La Commission a donné au demandeur la possibilité d'expliquer pourquoi le personnel de la force aérienne aurait participé à pareille opération, mais elle a conclu que ses explications n'étaient pas crédibles. Je ne crois donc pas que la Commission ait violé l'article 68 de la Loi.

[17]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                                 YVON PINARD

                             ___________________________

                                 JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 mai 2000

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-1257-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Tuan Ramaiyan Ahamadon et autres c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 4 avril 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Pinard en date du 17 mai 2000


ONT COMPARU :

Lorne Waldman          pour les demandeurs

Godwin Friday          pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman et associés          pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg          pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Voir par exemple le dossier certifié aux p. 157-159 (Government's response to widespread "disappearances" in Jaffna ), 164 (Sri Lanka: Highest Number of "Disappearances" Reported Since 1990), 175 (UNHCR Background Paper on Refugees and Asylum Seekers from Sri Lanka), 217 et 227 (Sri Lankan Tamils, the Home Office and the Forgotten War), 249 (Sri Lanka: Internal Flight Alternatives: An Update).

2      Voir par exemple Portilla c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (29 mai 1998), IMM-4110-97 (C.F. 1re inst.).

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