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Date : 20021016

Dossier : IMM-1857-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1077

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY                          

ENTRE :

                                                                     FATIN ANWAR

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, visant une décision de la Section du statut de réfugié (SSR) en date du 3 avril 2002 par laquelle le statut de réfugié au sens de la Convention a été refusé à la demanderesse.


LE POINT EN LITIGE

[2]         La SSR a-t-elle commis une erreur en décidant que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention?

[3]         La demande devrait être accueillie pour les motifs suivants.

LES FAITS

[4]         La demanderesse est une citoyenne de l'Iraq. Elle est née en Iraq en 1981. Elle appartient au groupe ethnique turkmène.

[5]         La demanderesse est arrivée au Canada le 17 mai 2000. Selon son Formulaire de renseignements personnels ( « FRP » ), elle a quitté l'Iraq le 8 mai 2000, s'est rendue en bateau et à pied en Turquie pour prendre l'avion là-bas le 17 mai 2000; elle a fait transit dans un autre pays dont elle ignore le nom, avant d'arriver à l'Aéroport international Pearson de Toronto.


[6]         La demanderesse a déposé un exposé des faits en appui à son FRP. Dans cet exposé des faits, elle déclare que son frère, Bahir, a déserté l'armée iraquienne en septembre 1997 et a quitté le pays en mars 1998. La famille n'a eu aucune nouvelle de lui depuis ce temps. Entre-temps, les autorités iraquiennes sont venues régulièrement dans la famille pendant une période de trois mois. Pendant leurs visites, la maison faisait l'objet d'une fouille systématique, la demanderesse était agressée et interrogée au sujet de son frère; ses parents aussi.

[7]         Dans son école, on savait que son frère avait déserté l'armée et fui le pays. On a exercé des pressions sur elle pour qu'elle adhère à l'union étudiante, une branche du parti Ba'ath. Son refus d'obtempérer a entraîné un harcèlement additionnel à celui généré par les activités de son frère.

[8]         Par la suite, la demanderesse a été accusée de distribution de documents hostiles au régime et de participation à un mouvement d'opposition turkmène. Elle a réfuté ces allégations.

[9]         En janvier 1999, les agents du Service secret iraquien ont arrêté la demanderesse et l'ont amenée à leur quartier général où elle a été torturée et les allégations mentionnées plus haut ont été réitérées. Elle les a encore réfutées et a été relâchée une semaine après son arrestation. Elle a été à nouveau arrêtée, battue et interrogée à trois autres occasions en 1999.

[10]       Le 12 mars 2000, elle est arrêtée une cinquième fois, détenue pendant trois semaines et menacée de viol. Après sa libération, elle est entrée dans la clandestinité. Après avoir suffisamment économisé jusqu'en mai 2000, son père a retenu les services d'un passeur qui l'a amenée en Turquie où un autre passeur l'a aidée à finalement se rendre au Canada.


DÉCISION DE LA SSR

[11]       La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a entendu la revendication le 15 janvier 2002 et rendu sa décision le 19 mars 2002.

[12]       Dans son exposé des motifs de huit pages, le tribunal composé de deux commissaires, a expliqué sa conclusion que la version de la revendicatrice sur les événements n'est ni plausible, ni crédible, et qu'elle ne craint pas avec raison d'être persécutée.

[13]       Le tribunal a conclu qu'il n'est pas vraisemblable que les autorités iraquiennes n'aient pas pris de mesures contre la revendicatrice avant mars 1999, dix-huit mois après la désertion de son frère. Le tribunal a également du mal à croire que les autorités s'en sont prises à elle, malgré le fait qu'elle est de sept ans plus jeune que son frère, sans prendre des mesures semblables contre son père, bien qu'en 1999, ce dernier fût âgé de soixante et un ans. Le tribunal ne croit pas que les autorités iraquiennes soient moins agressives envers les personnes âgées qui, selon elles, détiennent des renseignements sur des activités antigouvernementales, comme une désertion.

[14]       Le tribunal a conclu qu'il n'est pas vraisemblable que la demanderesse ait pu continuer à fréquenter l'école après quatre arrestations et le tribunal ne croit pas l'explication de cette dernière qu'elle ne voulait pas manquer les classes et qu'elle pensait que, alors qu'elle n'avait rien fait de mal, le fait de demeurer à la maison aurait signifié le contraire.


[15]       Après la cinquième arrestation, elle est entrée dans la clandestinité. Le tribunal a conclu que sa conduite ainsi que celle de sa famille à la suite de chacune des quatre premières arrestations étaient incompatibles avec le comportement d'une personne qui craint avec raison d'être persécutée. Le tribunal s'est dit que la demanderesse serait normalement entrée dans la clandestinité à la suite d'une de ses premières arrestations qui ont également mené à des périodes de détention pendant lesquelles des sévices corporels ont été infligés. À la page 4 des motifs, le tribunal a dit :

[...] Nous ne trouvons pas que cela témoigne du comportement d'une personne ayant une crainte fondée d'être persécutée.

[16]       Le tribunal ne croit pas non plus que la demanderesse ait été libérée à plusieurs reprises pour être arrêtée à nouveau en vue d'un interrogatoire plus poussé (dossier de la revendicatrice page 10) :

[...] Le régime de ce pays règle le problème des prisons surpeuplées en recourant à des exécutions.[Omission de la note de bas de page]. Nous n'avons pas de preuves crédibles que les autorités aient l'habitude de recourir à la torture subtile.

[17]       Le tribunal a répété qu'il avait de la difficulté à accepter que la demanderesse ait choisi d'entrer dans la clandestinité seulement après la cinquième arrestation alors qu'elle savait que chaque fois que les femmes sont détenues, elles courent un risque élevé de viol de la part des autorités iraquiennes.


[18]       Le tribunal a alors exprimé l'opinion selon laquelle le Canada n'était pas la destination la moins chère que la demanderesse aurait pu choisir pour échapper aux autorités iraquiennes. Le tribunal a conclu qu'il n'est pas plausible que, parce qu'elle n'avait pas de parents ou d'amis dans un pays sûr autre que le Canada, la demanderesse soit restée en Iraq exposée aux épreuves qu'elle a prétendu avoir subies.

[19]       Le tribunal n'a pas non plus cru que les étudiants de son école la soupçonnaient juste parce qu'elle n'avait pas cédé aux pressions exercées sur elle pour qu'elle adhère au parti Ba'ath. Le tribunal s'est référé à la preuve documentaire selon laquelle le parti Ba'ath exigeait de ses membres tant une pureté idéologique qu'une pureté personnelle et il a conclu que la revendicatrice n'avait pas ces qualités à cause des allégations ayant trait à la désertion de son frère.

[20]       Le tribunal a également conclu qu'il est invraisemblable que la demanderesse ait été arrêtée à plusieurs reprises parce qu'elle n'a pu fournir de renseignements sur la distribution de tracts ou sur toute activité du mouvement politique turkmène.

[21]       Le tribunal de la SSR a conclu qu'il n'est pas vraisemblable que la cinquième arrestation ait provoqué le départ de la demanderesse d'Iraq, plus de deux ans après la désertion de son frère, et a réaffirmé qu'il a du mal à croire que la demanderesse a été arrêtée, libérée, arrêtée à nouveau aussi fréquemment qu'elle l'a prétendu.


LES ALLÉGATIONS DES PARTIES

La demanderesse

[22]       La demanderesse soutient que le tribunal a commis une erreur quand il a douté de la vraisemblance de son témoignage en se fondant sur l'arbitraire et la brutalité du régime iraquien, sans tirer de conclusions fondées sur des contradictions ou le comportement.

Bénéfice du doute

[23]       La SSR n'a même pas mentionné ce principe. Aucune pièce dans la preuve documentaire ne contredit expressément les allégations de la demanderesse. En conséquence, ce principe aurait dû être appliqué. Il a été appliqué dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

[24]       En tout état de cause, si le témoignage de la demanderesse concorde avec la preuve documentaire, la demanderesse a droit au bénéfice du doute en ce qui a trait aux éléments qu'elle n'a pu fournir. L'approche recommandée par le Guide des procédures a été acceptée par la Cour suprême du Canada dans Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593.


[25]       Dans la présente affaire, le témoignage de la revendicatrice n'a pas été contredit par la preuve documentaire. En se fondant sur la preuve documentaire, la SSR a conclu que les déclarations de la demanderesse ne sont pas plausibles. En n'appliquant pas le bénéfice du doute, la SSR a commis une erreur. L'application de ce principe aurait pu conduire au même résultat, mais la SSR devait au moins en tenir compte.

Hypothèses

[26]       En rejetant la revendication de la demanderesse après l'avoir soumise à des hypothèses, le tribunal de la SSR a commis une erreur. Cet argument reprend ceux avancés par la demanderesse dans ses allégations suivant lesquelles elle aurait dû avoir le bénéfice du doute.

Interprétation erronée de la revendication de la demanderesse

[27]       En concluant que la cinquième arrestation n'est pas vraisemblable parce qu'elle a eu lieu deux ans après la désertion du frère, le tribunal a mal interprété la revendication. La demanderesse n'a pas été détenue seulement à cause des activités de son frère; son propre témoignage affirme le contraire. En particulier, elle était elle-même soupçonnée d'activités subversives et de participation à un parti d'opposition.


[28]       Le reste des principales allégations de la demanderesse porte sur les conclusions de la SSR relatives à l'invraisemblance. La demanderesse a fait remarquer que dans Nebea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 152 F.T.R. 106; [1998] A.C.F. no 1168 (C.F. 1re inst.) (QL), la Cour a conclu que les conclusions sur la vraisemblance ne relèvent pas exclusivement du pouvoir discrétionnaire du juge des faits. De telles conclusions font dès lors l'objet de moins de retenue judiciaire en matière de contrôle judiciaire que celles qui sont des conclusions de fait que la SSR est mieux placée pour apprécier.

[29]       En rejetant purement et simplement le témoignage de la demanderesse sur la base de sa propre opinion selon laquelle il est invraisemblable que la demanderesse ait continué à fréquenter l'école après chacune de ses arrestations, la SSR a commis une erreur. L'insistance de la demanderesse sur la fréquentation de l'école, sachant pertinemment qu'elle courait un danger, est celle d'une personne convaincue de son opinion politique. La Cour a déclaré dans Samani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no1178 (C.F. 1re inst.) (QL), qu'une action n'est pas invraisemblable seulement parce qu'elle peut se révéler dangereuse pour une personne politiquement engagée.

[30]       Quant à la nature subtile de la torture en Iraq, il n'y a aucune preuve que la torture « subtile » n'existe pas, ni que c'était une erreur de classer les allégations de la demanderesse comme étant des allégations de persécution « subtile » . La preuve documentaire parle de torture psychologique et cette preuve documentaire contredit les conclusions du tribunal, les rendant manifestement déraisonnables.


[31]       En concluant qu'il n'est pas vraisemblable que la famille de la demanderesse soit demeurée tranquille ou n'ait pas agi lors des quatre premières arrestations, la SSR a commis une erreur. Comme l'a affirmé la demanderesse elle-même, ce sont les menaces de viol dont elle a fait l'objet à l'occasion de la cinquième arrestation qui ont déclenché les démarches visant à la faire sortir d'Iraq. En outre, les membres de la famille sont des tiers qui ne comparaissent pas devant la SSR. Le tribunal a donc commis une erreur en fondant une conclusion sur leur prétendu état d'esprit.

[32]       La SSR a reconnu qu'elle n'avait aucune preuve en ce qui concerne les montants réclamés par les passeurs pour leurs services. C'était donc une erreur de spéculer sur le fait qu'il aurait été moins dispendieux pour la demanderesse de fuir vers un pays autre que le Canada.

[33]       Une autre erreur commise par le tribunal est qu'il a pris pour acquis que les personnes arrêtées et incarcérées sont toujours détenues pendant une longue période et que le régime règle la question du surpeuplement des prisons en recourant régulièrement à des exécutions, de sorte que le témoignage de la demanderesse selon lequel elle avait été arrêtée et libérée n'est pas vraisemblable. Aucune preuve documentaire ne contredit le témoignage de la demanderesse.


[34]       La preuve documentaire ne contredit pas non plus la demanderesse en ce qui a trait à la pression exercée sur elle pour qu'elle adhère au parti Ba'ath. La preuve documentaire ne contredit pas la demanderesse. La conclusion selon laquelle la demanderesse n'aurait pas eu la pureté idéologique ni la pureté personnelle requises pour adhérer au parti Ba'ath, en raison des activités de son frère, manque de logique et le tribunal n'est pas fondé à tirer cette conclusion hâtive.

[35]       La demanderesse prétend également que le tribunal a commis une erreur en concluant que ses arrestations n'étaient pas vraisemblables. Le tribunal a commis une erreur en présumant qu'il n'est pas vraisemblable que la demanderesse ait été arrêtée à plusieurs reprises malgré le fait qu'elle a déclaré aux agents qui l'ont arrêtée qu'elle ignorait tout de ce sur quoi on l'interrogeait, ou en affirmant qu'il n'est pas vraisemblable que la cinquième arrestation ait eu lieu, étant entendu que deux années s'étaient écoulées depuis la désertion de son frère de l'armée iraquienne.

Le défendeur

[36]       L'avocat du défendeur a résumé les allégations en ces termes :

a)         Les conclusions du tribunal en ce qui a trait à la crédibilité et à la vraisemblance sont raisonnables compte tenu du dossier.

b)         La SSR n'a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.


c)         La SSR n'a commis aucune erreur de droit en décidant que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention;

d)         Aucun élément de preuve ne donne à penser que la SSR a refusé d'examiner un élément de preuve, ou qu'elle a fait abstraction d'un élément de preuve, ou qu'elle a tiré une conclusion erronée;

[37]       La défenderesse a cité les arrêts Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1998] 1 R.C.S. 982, et Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.); [1999] A.C.F. no 551 (C.A.F.) (QL), en appui à ses prétentions selon lesquelles la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[38]       La demanderesse a mal compris l'arrêt Chan de la Cour suprême du Canada en ce qui a trait au principe du bénéfice du doute. Ce principe ne signifie pas que le témoignage du demandeur doit nécessairement être tenu pour véridique. Il renvoie plutôt à un assouplissement des règles de preuve; le paragraphe 68(3) de la Loi sur l'immigration (la Loi) codifie déjà ce principe.


[39]       Le tribunal n'a pas créé ses propres hypothèses mais a utilisé celles ci-haut mentionnées pour rejeter la demande. La demanderesse a en fait omis de préciser les hypothèses auxquelles elle se réfère.

[40]       La SSR a raisonnablement interprété le fondement de la revendication de la demanderesse. Les rapports avec son frère, un déserteur, constituent seulement une des prétentions que le tribunal accepte.

[41]       Contrairement aux prétentions de la demanderesse, la Cour ne fait pas preuve de moins de retenue judiciaire en ce qui a trait aux conclusions d'invraisemblance. L'arrêt de la Cour d'appel fédérale Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.); [1992] A.C.F. no 481 (C.A.F.) (QL), n'énonce pas un critère différent d'intervention judiciaire selon que la question porte sur la « vraisemblance » ou la « crédibilité » . Au contraire, ce tribunal spécialisé a pleine compétence pour évaluer la vraisemblance du témoignage qui lui est présenté.

[42]       Les conclusions de la Section du statut de réfugié sur la crédibilité de la demanderesse n'étaient pas manifestement déraisonnables et s'appuyaient sur des motifs clairs et explicites. La situation du tribunal le place dans une position privilégiée pour des évaluations de crédibilité et en conséquence la Cour devrait s'abstenir d'intervenir. (Voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.).


[43]       Il convient et il est raisonnable qu'un tribunal rende une décision défavorable sur la crédibilité d'un demandeur en se fondant sur des contradictions ou des incohérences ou sur l'invraisemblance.

[44]       Une conclusion défavorable sur la crédibilité, que tire la SSR en se fondant sur des problèmes propres au témoignage du demandeur, relève d'emblée du pouvoir discrétionnaire du juge des faits. Lorsque la SSR tire des conclusions de ce genre, la Cour ne devrait pas intervenir.

ANALYSE

[45]       Il est admis que les commissaires de la SSR sont en général dans une meilleure position pour juger de la crédibilité des revendicateurs qui comparaissent devant eux. Ceci ressort dans les arrêts de la Cour d'appel fédérale comme Leung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 685 (C.A.F.) (QL) et Aguebor, précité). Comme le remarque le juge Décary dans Aguebor, au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.[...] [Non souligné dans l'original.]                                  


[46]       Cependant, la Cour conserve une compétence générale et l'obligation de contrôler les décisions de la SSR, pour s'assurer qu'elles respectent les normes de décision applicables. Les décisions précitées proposent une norme d'examen fondée sur la retenue. Néanmoins, même les décisions rendues en fonction de la norme d'examen fondée sur la retenue sont susceptibles de contrôle judiciaire si les conclusions du tribunal ne sont pas justifiées par le dossier soumis à la Cour.

[47]       Considérant le dossier, qui contient la transcription de ce qui a été dit à l'audience de la SSR, la Cour n'est pas dans une position très désavantageuse pour évaluer les conclusions que le tribunal a tirées de la preuve admise à l'audience. Bien qu'elle ne révise pas le dossier pour tirer ses propres conclusions et les substituer à celles du tribunal, la Cour a néanmoins un rôle à jouer pour évaluer les conclusions de la SSR et le cheminement que le tribunal a suivi pour aboutir à ses conclusions. C'est en ayant à l'esprit ces considérations que les conclusions du tribunal sont examinées ci-après.

[48]       L'analyse faite par le tribunal en ce qui a trait aux arrestations de la revendicatrice et à ses comportements subséquents mérite un examen. Le tribunal a conclu que le comportement de la demanderesse et de sa famille lors des quatre premières arrestations n'était pas vraisemblable. Une telle conclusion a été formulée et expliquée tout au long des motifs du tribunal.


[49]       À mon avis, le tribunal a cependant évalué la vraisemblance de leur conduite pendant cette période avec un recul qui ne convient pas. En jetant un coup d'oeil rétrospectif sur la période concernée, on voit quatre arrestations successives en 1999. Le fait que la revendicatrice ait continué à aller à l'école après chacune des quatre premières arrestations, plutôt que de demeurer à la maison, a constitué un élément qui a amené le tribunal à conclure que la version des événements présentée par la demanderesse était invraisemblable.

[50]       Toutefois, le dossier qui contient la transcription de l'audience, révèle que la revendicatrice agissait en étant convaincue qu'elle n'avait rien fait de mal et que par conséquent elle ne devrait pas changer la manière dont elle menait sa vie. Dans Samani, précitée, le juge Hugessen a dit au paragraphe 4 :

[...] L'argument voulant qu'une action soit invraisemblable simplement parce qu'elle peut se révéler dangereuse pour celui qui la commet par engagement politique, n'a jamais été particulièrement convaincante.

[51]       J'hésite à accepter complètement la prétention de la demanderesse que le fait qu'elle aille à l'école dans les circonstances devait être considéré comme le comportement d'une personne politiquement engagée. Cependant, j'accepte le raisonnement du juge Hugessen pour qui le comportement qu'un demandeur rapporte dans son témoignage n'est pas invraisemblable simplement parce qu'il est considéré comme à risques à partir de la position d'observation privilégiée d'un tribunal de la SSR, ou de celle d'une cour de justice qui procède à un contrôle judiciaire en ayant à sa disposition un dossier complet. Sans m'engager dans une spéculation comme celle qui a amené le tribunal à s'égarer dans la présente affaire, je ne peux m'imaginer que la preuve documentaire ou toute autre preuve au dossier mènerait nécessairement à la conclusion que la demanderesse n'avait aucune raison de croire, ou d'espérer, qu'après la première période de détention, pendant laquelle elle a nié être au courant de ce qui était allégué, ses démêlés avec les autorités prendraient fin.


[52]       Le tribunal a constaté que ses trois premières périodes de détention avaient duré respectivement une semaine, deux jours et cinq jours et qu'entre mai 1999 et mars 2000, la demanderesse n'avait pas été arrêtée. Il n'était pas invraisemblable pour elle de croire, pendant cette période, que le pire pour elle était passé. Il n'était pas non plus invraisemblable de croire que malgré les atteintes à son intégrité physique, comme le fait d'avoir reçu des électrochocs, d'avoir été battue et arrosée d'eau froide, il ait fallu une menace à son intégrité sexuelle pour faire naître chez elle la volonté d'entrer dans la clandestinité. Les conclusions du tribunal à cet égard sont déraisonnables étant entendu qu'elles ne sont pas justifiées par le dossier qui m'est soumis.

[53]       L'affirmation du tribunal selon laquelle il y avait des endroits sûrs autres que le Canada, où la revendicatrice aurait pu se rendre à un coût moindre est fondée sur des présomptions qui ne sont pas corroborées par le dossier. Le tribunal a admis à la page 5 de ses motifs qu'il ne trouve aucun document qui atteste des montants exigés par les passeurs en Iraq.


[54]       Les affirmations du tribunal selon lesquelles les frais auraient été moins élevés pour la demanderesse si elle avait retenu les services d'un passeur pour l'amener en Europe sont sans fondement. Le tribunal présume que, dans la mesure où le prix du billet par n'importe quel moyen de transport pour une destination européenne est moins élevé que celui d'un billet pour le Canada, cette différence entre les coûts du transport se traduirait par des frais moindres exigés par les passeurs. Le tribunal s'est ainsi empressé de tirer une conclusion injustifiée en l'espèce et sa décision est déraisonnable à première vue dans la mesure où cette considération a été un des éléments qui ont mené à ses conclusions sur la vraisemblance. Je suis d'avis que tous les motifs du tribunal à ce sujet ne sont pas pertinents quant à la revendication de la demanderesse.

[55]       Le tribunal a également exagéré la portée du comportement adopté par la famille de la demanderesse. Le tribunal a conclu que le témoignage de la revendicatrice quant aux pressions exercées sur elle pour qu'elle adhère au parti Ba'ath était invraisemblable considérant que la désertion de son frère de l'armée iraquienne a compromis sa personnalité et sa pureté idéologique, la disqualifiant ainsi pour l'adhésion au parti. En fait, la preuve documentaire ne permet pas de conclure que le comportement d'un membre d'une famille a de telles répercussions sur la personnalité et la pureté d'un autre membre. En conséquence, considérant la preuve dont il disposait, la conclusion du tribunal n'est pas justifiée.

[56]       On pourrait dire que l'attention excessive que le tribunal a portée au frère de la revendicatrice a eu des répercussions sur ses motifs. Le tribunal de la SSR a conclu qu'il est invraisemblable que les autorités aient eu pour cible la revendicatrice plutôt que son père. Il est possible que les autorités s'en soient pris au père de la demanderesse et à son frère à la suite de la désertion de ce dernier, mais ce n'est pas le père de la demanderesse qui a été soupçonné d'être affilié au parti turkmène d'opposition ou de participer à la publication de documents hostiles au régime. Avec égards, cet aspect de la question a été négligé par le tribunal.


[57]       De même, l'affirmation suivante a été faite à la page 2 des motifs :

Ce que le tribunal ne trouve pas plausible dans la revendication dont il est saisi, c'est que les autorités aient attendu jusqu'en mars 1999 pour s'en prendre, prétendument, à la revendicatrice alors que son frère avait supposément déserté environ dix-huit mois plus tôt. [...]                          

[58]       Cette affirmation peut amener le lecteur à croire que la désertion du frère est le principal motif des arrestations de la revendicatrice. Il est vrai qu'en mars 1999 une année s'était déjà écoulée après la désertion de son frère, mais le mois de mars 1999 fait également partie de la période pendant laquelle la revendicatrice a été accusée d'avoir elle-même mené des activités politiques. En rapprochant les arrestations de la revendicatrice du moment de la désertion du frère de celle-ci, le tribunal n'a pas tenu compte d'une des raisons alléguées pour la persécution de la revendicatrice et il a ainsi, à première vue, commis une erreur.


[59]       La quiétude alléguée des membres de la famille de la revendicatrice est un autre élément dont le tribunal a à tort tenu compte pour évaluer la crédibilité de la revendicatrice. Les membres de la famille de la revendicatrice n'ont pas comparu devant le tribunal et ne sont pas parties à cette revendication; de ce fait, le tribunal aurait dû accorder une importance moindre à leurs actions ou inactions. De plus comme mentionné plus haut, nous savons à présent qu'il y a eu en tout cinq arrestations et rien ne prouvait à l'époque que la troisième ou la quatrième arrestation allait être la dernière. On devrait également tenir compte du fait que la crainte du régime, dont les actions ne sont pas prévisibles avec la même rationalité que celle à laquelle on s'attendrait ailleurs, a empêché la famille d'agir plus tôt qu'elle ne l'a fait. Dans la même veine, cette crainte de représailles pour être entré dans la clandestinité ou avoir fui pouvait ne pas être surpassée par le désir de prendre le risque de fuir jusqu'à ce qu'interviennent les menaces d'agression sexuelle. Ces considérations ne sont ni tangentielles ni accessoires et le tribunal aurait dû en tenir compte.

[60]       Dans son mémoire supplémentaire, la demanderesse a proposé la question suivante pour certification :

[TRADUCTION] « Le bénéfice du doute énoncé au paragraphe 203 du Guide des procédures et critères du HCR est-il un principe juridique dont la Section du statut de réfugié doit tenir compte pour examiner une revendication du statut de réfugié qui lui est présentée? » [Non souligné dans l'original.]

[61]       Le défendeur n'est pas d'accord pour que la Cour certifie cette question. Après une analyse de l'arrêt Chan, en particulier celle des paragraphes 137 et 142, je suis d'accord avec le juge en chef adjoint Lutfy dans Nduwimana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 812, paragraphe 18 :

De même, c'est à tort que la demanderesse invoque l'arrêt Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, à l'appui de son argument selon lequel la SSR, dans les circonstances, était tenue de lui accorder le bénéfice du doute. J'accepte les observations du défendeur portant que les extraits de l'arrêt Chan invoqués par la demanderesse, en particulier les paragraphes 137 et 142, ne font rien de plus que répéter le principe que la SSR peut appliquer des règles informelles de présentation de la preuve : paragraphe 68(3) de la Loi sur l'immigration. [Non souligné dans l'original.]                    

[62]       Considérant le caractère déraisonnable des conclusions de fait, je ne vais pas certifier la question proposée.                                


[63]       Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SSR est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SSR pour que celui-ci procède à une nouvelle audition. Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.

                  

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                    La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SSR pour que celui-ci procède à une nouvelle audition.

2.                    Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                                                         IMM-1857-02

INTITULÉ :                                                        FATIN ANWAR et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 2 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                                  le 16 octobre 2002

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Neeta Logsetty                                                    

Ministère de la Justice                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                    

Toronto (Ontario)


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