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Date : 20000609


Dossier : IMM-2798-99


ENTRE :

     AMAN PREET SINGH ARORA,

     requérant,


     et




     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.




     MOTIFS DU JUGEMENT


MADAME LE JUGE DAWSON

[1]          Aman Preet Singh Arora, le requérant, est un citoyen de l'Inde qui a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre d'immigrant indépendant dans la catégorie des parents aidés.

[2]          M. Arora avait reçu de son oncle du Canada une offre d'emploi pour le poste de gérant d'un magasin de détail que son oncle comptait ouvrir. Par suite de cette offre, un agente des visas a évalué la demande de résidence permanente au Canada de M. Arora en accordant une attention spécifique à l'emploi qu'il avait l'intention d'exercer, soit gérant - commerce de détail. Ce poste correspondait à la catégorie 0621 de la Classification nationale des professions. ( « CNP » ).

[3]          M. Arora n'a pas obtenu suffisamment de points d'appréciation pour être admissible à titre d'immigrant indépendant au Canada dans la catégorie des parents aidés.

[4]          Au soutien de la présente demande, M. Arora a soutenu qu'à trois occasions avant l'évaluation, le bureau des visas a obtenu des renseignements anonymes le concernant. Selon les communications reçues, M. Arora n'avait aucune expérience comme gérant; il n'avait aucun lien familial avec l'homme qui prétendait être son oncle; il était marié et enverrait chercher sa femme à son arrivée au Canada; il travaillait dans un hôtel et présenterait de faux documents à son entrevue.

[5]          Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Arora demande une ordonnance annulant la décision par laquelle l'agente des visas a conclu qu'il ne respectait pas les exigences relatives à l'immigration au Canada et une ordonnance renvoyant l'affaire pour nouvelle décision par un autre agent des visas.

QUESTIONS EN LITIGE

[6]          Le requérant a relevé quatre questions à trancher au sujet de la décision de l'agente des visas. Voici les arguments qu'il a invoqués :

1.      Les principes d'équité procédurale et de justice naturelle n'ont pas été respectés, parce que l'agente des visas n'a pas informé M. Arora des communications anonymes.
2.      L'évaluation que l'agente des visas a faite au sujet du critère de sélection de la personnalité n'était pas raisonnable.
3.      L'évaluation que l'agente des visas a faite en ce qui concerne le critère de l'expérience de travail n'était pas raisonnable.
4.      L'agente des visas a commis une erreur de droit en omettant d'exercer un pouvoir discrétionnaire positif conformément au paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-122, et ses modifications ( « Règlement » ).

NORME D'EXAMEN

[7]          Dans l'affaire Hao c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),[2000] A.C.F. no296, Madame le juge Reed, de la Cour fédérale, a passé en revue les décisions que la Cour a rendues au sujet de la norme d'examen applicable à la révision d'une décision prise par un agent des visas et a adopté la norme du caractère raisonnable. Je souscris à l'analyse de Madame le juge Reed et j'adopte à mon tour la norme du caractère raisonnable.

[8]          La Cour doit donc décider si la décision de l'agente des visas est raisonnable et si les motifs de l'agente résistent à un examen assez fouillé.

ANALYSE

(i) Y a-t-il eu manquement aux principes de justice naturelle ou d'équité procédurale?

[9]          Dans la déclaration sous serment qu'elle a présentée afin de contester la présente demande, l'agente des visas s'est exprimée comme suit au paragraphe 8 :

     [TRADUCTION]
     8. Nous avons reçu une lettre et des messages anonymes concernant le contenu du dossier de M. Arora, ce que j'ai souligné dans ma note consignée dans le Caips. Cependant, je n'ai nullement été influencée par les allégations formulées contre M. Arora ni n'en ai tenu compte lorsque j'ai rendu ma décision.

[10]          Bien que l'agente des visas ait été contre-interrogée au sujet de sa déclaration sous serment, aucune question n'a porté sur son affirmation selon laquelle sa décision n'a nullement été influencée par les allégations formulées contre M. Arora.

[11]          Après avoir examiné l'ensemble du dossier dont j'ai été saisie ainsi que le témoignage non contesté de l'agente des visas, j'en arrive à la conclusion que celle-ci ne s'est pas fondée sur les allégations formulées dans les communications anonymes.

[12]          À mon avis, étant donné que l'agente des visas ne s'est nullement fondée sur ces renseignements, l'omission d'informer le requérant de l'information n'a pas eu pour effet de rendre inopérante sa décision qui est examinée en l'espèce. J'en arrive à cette conclusion parce que la notification au requérant aurait eu pour but de lui permettre de réfuter les renseignements contenus dans lesdites communications. Étant donné que l'agente ne s'est nullement fondée sur ces renseignements, il n'y avait rien à réfuter.

[13]          La situation de la présente affaire est bien différente de celle dont la Cour était saisie dans le jugement Aujla c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no1007 (C.F. 1reinst.), que le requérant a cité. Dans cette décision, pour en arriver à la conclusion que l'agent des visas aurait dû aviser une partie requérante des renseignements défavorables qu'il avait reçus, la Cour a précisé qu'il s'agissait d'éléments de preuve « qui influençaient la décision sur l'affaire » .

(ii) L'évaluation que l'agente des visas a faite au sujet de la personnalité était-elle déraisonnable?

[14]          Le paragraphe 6(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa version modifiée, énonce le principe général suivant :

6. (1) Subject to this Act and the regulations, any immigrant, including a Convention refugee, and all dependants, if any, may be granted landing if it is established to the satisfaction of an immigration officer that the immigrant meets the selection standards established by the regulations for the purpose of determining whether or not and the degree to which the immigrant will be able to become successfully established in Canada, as determined in accordance with the regulations.

6. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, tout immigrant, notamment tout réfugié au sens de la Convention, ainsi que toutes les personnes à sa charge peuvent obtenir le droit d'établissement si l'agent d'immigration est convaincu que l'immigrant satisfait aux normes réglementaires de sélection visant à déterminer s'il pourra ou non réussir son installation au Canada, au sens des règlements, et si oui, dans quelle mesure.


[15 ]          Le paragraphe 8(1) du Règlementest ainsi libellé :

8. (1) Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant

(a) in the case of an immigrant, other than an immigrant described in paragraph (b) or (c), on the basis of each of the factors listed in column I of Schedule I;

(b) in the case of an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factor set out in item 5 thereof;

(c) in the case of an entrepreneur, an investor or a provincial nominee, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factors set out in items 4 and 5 thereof.

8. (1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint :


a) dans le cas d'un immigrant qui n'est pas visé aux alinéas b) ou c), suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I;

b) dans le cas d'un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur visé à l'article 5 de cette annexe;

c) dans le cas d'un entrepreneur, d'un investisseur ou d'un candidat d'une province, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, sauf ceux visés aux articles 4 et 5 de cette annexe.

[16]          Les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I comprennent la personnalité et l'expérience acquise dans la profession qui fait l'objet de l'évaluation.

[17]          M. Arora a soutenu que l'agente des visas a abaissé l'évaluation du facteur de la personnalité parce qu'elle avait l'impression que l'entreprise de l'oncle du requérant pourrait échouer et que celui-ci n'avait aucun autre plan d'emploi. Selon M. Arora, la viabilité de l'entreprise n'était pas un élément que l'agente des visas devait évaluer et celle-ci a donc commis une erreur touchant l'évaluation de sa personnalité.

[18]          Voici ce que l'agente des visas a déclaré lorsqu'elle a été contre-interrogée à ce sujet :

         [TRADUCTION]      Q. Maintenant, j'aimerais parler des trois points accordés pour la personnalité. Cette évaluation est-elle fondée sur la conviction que l'entreprise ne fonctionnerait pas à très court terme?
                     R. Non, cela n'a rien à voir avec l'offre d'emploi ou avec l'entreprise. Nous évaluons l'adaptabilité ou la personnalité du candidat, devrais-je dire. J'ai examiné des facteurs comme l'adaptabilité précise ou la motivation, ou d'autres éléments. Je ne sais pas jusqu'à quel point ce candidat pouvait être ingénieux. La facilité avec laquelle il pourrait s'adapter à un nouvel environnement. L'expérience qu'il a vécue auparavant et qui l'aiderait à s'adapter plus facilement à son nouvel environnement, en l'occurrence, le Canada. Alors, je n'ai pas examiné l'offre d'emploi ni n'en ai tenu compte pour évaluer ce facteur.
                     Q. Pourquoi avez-vous mentionné qu'il n'a pas cherché de solution de rechange à l'offre d'emploi dans l'entreprise familiale?
                     R. Il a convenu lui-même que, lorsqu'il a terminé ses études en Inde, à peine quelques jours après avoir reçu son diplôme en Inde, il a obtenu un emploi non seulement en fonction de sa propre valeur, mais grâce aux recommandations de son oncle, soit un emploi qui ne correspondait pas tout à fait au domaine des études qu'il avait poursuivies.
                     Par conséquent, le fait qu'il n'avait cherché aucun autre emploi dans son propre domaine pour le cas où la première possibilité ne fonctionnerait pas m'indiquait qu'il n'était pas assez ingénieux pour se trouver un autre emploi si ce projet échouait, ou comme solution ou plan B ou C. C'étaient tous des facteurs.

[19]          Pour déterminer le nombre de points d'appréciation à accorder à l'égard du critère de la personnalité, l'agent est tenu, selon l'article 8 du Règlement sur l'immigrationet l'annexe I de celui-ci, de vérifier si le requérant est en mesure de réussir son installation au Canada d'après sa facilité d'adaptation, sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et d'autres qualités semblables.

[20]          Après avoir examiné le témoignage de l'agente des visas dans le contexte de son mandat d'origine législative, je ne puis conclure que son évaluation de la personnalité n'était pas raisonnable.

(iii) L'évaluation du critère de l'expérience de travail faite par l'agente des visas était-elle déraisonnable?

[21]          M. Arora a également soutenu que l'agente des visas a commis une erreur en concluant que l'expérience de travail qu'il possédait n'était pas exportable, parce qu'il s'agissait d'une expérience acquise en Inde, et en omettant d'examiner les tâches exigées par l'offre d'emploi réelle. Il a allégué que l'agente des visas a suivi « au pied de la lettre » la description de la CNP correspondant à l'emploi offert.

[22]          En ce qui concerne le premier argument, il n'appert nullement des notes de l'agente consignées dans le CAIPS ou d'un autre élément de preuve que celle-ci a jugé que l'expérience de travail précédemment acquise n'était pas exportable.

[23]          Dans le cas du deuxième argument, l'agente des visas était saisie d'une preuve indiquant que les fonctions antérieures du requérant ne comprenaient pas l'organisation de l'exploitation ou des activités d'un établissement qui vend des marchandises au détail, l'exécution d'une étude de marché visant à déterminer la demande des consommateurs, le fait d'autoriser les dépenses du budget ou la mise en oeuvre des politiques relatives au prix et au crédit. Ces tâches constituent quelques-unes des principales fonctions correspondant à la catégorie 0621 de la CNP, gestionnaire - commerce de détail.

[24]          Selon l'annexe I du Règlement, l'expérience de travail doit être évaluée en fonction du nombre d'années au cours desquelles le requérant a exercé l'occupation visée par la demande.

[25]          L'agente des visas a déclaré sous serment ce qui suit :

     [TRADUCTION] 6. Une partie seulement des tâches de M. Arora étaient des tâches de manutention et correspondaient à celles d'un gérant de magasin de détail. M. Arora avait commencé à exercer les fonctions de son poste actuel, soit [TRADUCTION] « gestionnaire de bureau et marchandiseur » , peu après avoir obtenu son diplôme universitaire. Il a confirmé lui-même avoir appris les tâches de l'emploi qu'il exerce « sur le tas » et avoir obtenu une formation sur place de ses autres collègues sans avoir été exposé antérieurement aux responsabilités qui lui incombaient. Par conséquent, lorsque j'ai évalué le critère de l'expérience de travail, j'ai tenu compte uniquement de la deuxième année de son emploi, au cours de laquelle il avait acquis plus de connaissances au sujet des aspects de son travail qui faisaient partie des tâches d'un gérant de magasin de détail, la profession pour laquelle il avait reçu une offre d'emploi au Canada. Par conséquent, je lui ai accordé 2 points pour l'expérience, ce qui correspondait à une année d'emploi comme gestionnaire de bureau et marchandiseur.

[26]          L'agente des visas a témoigné dans le même sens au cours de son contre-interrogatoire.

[27]          À mon avis, il était raisonnable pour l'agente des visas d'accorder deux points pour l'expérience de travail de M. Arora en présumant que la première des deux années au cours desquelles il a acquis de l'expérience comme gestionnaire de bureau et marchandiseur en Inde avait été une année de formation sur place.

(iv) L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d'exercer le pouvoir discrétionnaire positif conféré par le paragraphe 11(3) du Règlement ?

[28]          Dans l'arrêt Lam c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(1998), 152 F.T.R. 316, le juge Rothstein, alors juge de la Section de première instance de la Cour, a examiné une situation similaire et statué comme suit :

     ... il [le requérant] soutient que l'agente des visas a commis une erreur faute d'avoir exercé son pouvoir discrétionnaire conformément au paragraphe 11(3) du Règlement [voir note de bas de page 1]. Cette dernière disposition ne dit pas dans quelles conditions l'agent des visas exerce le pouvoir discrétionnaire qui y est prévu. Rien ne l'empêche de l'exercer de son propre chef s'il le juge indiqué. Mais si c'est le demandeur qui veut qu'il l'exerce, il semblerait qu'il faut qu'il en fasse la demande sous une forme ou sous une autre. Bien qu'il n'y ait pas une formule réglementaire à employer, il devrait à tout le moins présenter quelques bonnes raisons pour soutenir que la décision relative aux points d'appréciation ne reflète pas ses chances d'établissement au Canada. Il n'y a eu aucune demande de ce genre en l'espèce. [note de bas de page omise]

[29]          Je souscris à cette analyse et la fais mienne.

[30]          Dans la présente affaire, l'argument du requérant ne peut être retenu, parce qu'il n'a pas demandé à l'agente des visas d'exercer un pouvoir discrétionnaire positif avant que celle-ci en arrive à sa décision finale.

[31]          Par conséquent, j'en suis arrivé à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[32]          À la fin des plaidoiries, j'ai différé ma décision et convenu de communiquer mes motifs afin de permettre aux avocats de présenter des observations écrites au sujet de la certification d'une question. Par conséquent, bien que les présents motifs aient été rédigés sous forme finale et communiqués, aucune ordonnance n'a encore été rendue. L'avocat du requérant peut, jusqu'à la fermeture des bureaux du greffe de la Cour à Ottawa le 16 juin 2000, déposer et signifier des observations écrites au sujet de la certification d'une question. Par la suite, l'avocat de l'intimé pourra, jusqu'à la fermeture des bureaux du greffe de la Cour à Ottawa le 23 juin 2000, déposer et signifier des observations écrites au nom de l'intimé. L'avocat du requérant pourra ensuite produire et signifier des observations écrites à la Cour jusqu'à la fermeture des bureaux le 29 juin 2000.

[33]          Un jugement portant rejet de la présente demande de contrôle judiciaire sera rendu après examen des observations écrites présentées à la Cour.


                                 « Eleanor R. Dawson »

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 9 juin 2000


Traduction certifiée conforme


___________________________

Martine Brunet, LL.B

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  IMM-2798-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          AMAN PREET SINGH ARORA

                                 c.

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              10 mai 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE MADAME LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :                  9 juin 2000


ONT COMPARU :

MeM. Max Chaudhary              POUR LE REQUÉRANT

MeAdrian Joseph                  POUR L'INTIMÉ


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Chaudhary Law Office

Toronto (Ontario)                  POUR LE REQUÉRANT

MeMorris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          POUR L'INTIMÉ

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