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Date : 20060705

Dossier : IMM‑3853‑05

Référence : 2006 CF 851

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

NIRANJAN CLAUDE FABIAN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Pour la troisième fois en quatre ans, un représentant du ministre a estimé que Niranjan Claude Fabian constitue un danger pour le public au Canada. Des représentants du ministre ont également déterminé deux fois que M. Fabian ne serait pas exposé à un risque appréciable de subir la torture ou des peines cruelles et inusitées s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

[2]               Par cette demande, M. Fabian souhaite contester le plus récent avis de danger, affirmant que le représentant du ministre a commis une erreur parce qu’il a déterminé qu’il constituait un danger pour le public au Canada en se fiant exclusivement aux anciennes déclarations de culpabilité prononcées contre lui, sans évoquer ou considérer d’autres facteurs donnant à penser qu’il constitue encore un danger pour le public.

 

[3]               M. Fabian dit aussi que le représentant du ministre a commis une erreur parce qu’il a évalué le risque qu’il court au Sri Lanka sans tenir compte de preuves importantes attestant ce risque, et parce qu’il a appliqué une norme juridique incorrecte l’amenant à conclure que la situation avait suffisamment changé au Sri Lanka pour que M. Fabian n’ait pas à s’inquiéter des conséquences d’un retour dans ce pays.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le représentant du ministre n’a pas commis d’erreur, et la demande sera donc rejetée.

 

Les faits

[5]               L’historique de la présente affaire est long et tortueux; il est donc nécessaire de comprendre les faits antérieurs et ainsi de mettre en contexte les points soulevés par cette demande.

 

[6]               M. Fabian est né au Sri Lanka en 1968. En 1986, il fut pour la première fois incarcéré par les autorités sri‑lankaises. Durant sa détention, il a été battu et torturé.

 

[7]               M. Fabian a quitté le Sri Lanka cette année‑là, pour se rendre en Angleterre, où il est demeuré jusqu’en 1990. Il est alors retourné au Sri Lanka, croyant qu’il n’y avait plus de risque pour sa sécurité. Il a de nouveau été arrêté, puis interrogé assez longuement sur ses activités en Angleterre. Durant sa détention, M. Fabian fut accusé d’avoir entretenu des contacts avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) au Sri Lanka.

 

[8]               En échange d’un pot‑de‑vin, M. Fabian fut relâché, après quoi il est parti pour le Canada, où il est arrivé en juin 1990. À son arrivée dans ce pays, M. Fabian a demandé l’asile. Sa demande d’asile fut finalement acceptée, et il est devenu résident permanent du Canada en 1995.

 

[9]               En 1998, M. Fabian était identifié par la police de la communauté urbaine de Toronto comme le deuxième ou troisième chef des VVT, une bande criminelle tamoule de caractère violent qui sévissait dans la région du grand Toronto.

 

[10]           La même année, M. Fabian était déclaré coupable de complot en vue de commettre une agression causant des lésions corporelles, de complot en vue de commettre une infraction criminelle (falsification d’un passeport canadien) et de tentative d’entrave à la justice. Pour ces infractions, M. Fabian a été condamné à sept mois d’emprisonnement, en plus des neuf mois qu’il avait déjà passés en détention préventive. Il a aussi été mis en probation pour une période additionnelle de deux ans.

 

[11]           Au moment de déterminer la peine à imposer à M. Fabian, le juge Wake, de la Cour de l’Ontario (Division provinciale), avait déclaré ce qui suit :

[traduction]

Pour mesurer le niveau de criminalité des activités de M. Fabian et imposer une peine adéquate, je dois considérer qu’il était disposé, afin de protéger son intérêt dans le commerce illicite de passeports, à recourir, s’il le fallait, à la violence, au risque de blesser des tiers innocents. Ses activités criminelles et ses penchants criminels montrent qu’il a très peu de respect pour la loi.

 

Manifestement, si c’est là sa tournure d’esprit et celle des individus avec qui il traitait, alors l’élément de dissuasion spécifique et celui de dissuasion générale revêtent une importance très réelle dans la détermination de la peine.

 

Je dois garder à l’esprit qu’il s’agit de la mentalité criminelle reflétée dans les ententes qui sont à l’origine des accusations de complot et qui sont le mal qu’il convient d’éradiquer par la peine à imposer.

 

 

[12]           Après avoir purgé sa peine, M. Fabian a été détenu en vertu de la Loi sur l’immigration. Il a aussi été déclaré un danger pour le public et il a fait l’objet d’une mesure d’expulsion en août 1998, conformément à l’alinéa 53(1)d) de la Loi sur l’immigration, en raison des déclarations de culpabilité prononcées contre lui. Une demande de contrôle judiciaire a alors été déposée à l’encontre de cette décision.

 

[13]           M. Fabian est demeuré en détention d’immigration jusqu’en juillet 2000, date à laquelle il a été relâché moyennant certaines conditions, notamment celle lui interdisant de fréquenter des criminels notoires. Peu après sa libération, M. Fabian a été vu en compagnie d’un autre chef des VVT, contrevenant ainsi aux conditions de sa mise en liberté. Cependant, M. Fabian n’a pas été à ce moment‑là mis en détention.

 

[14]           M. Fabian dit que cette rencontre avait été le fruit du hasard et qu’il l’avait signalée aux autorités.

 

[15]           En septembre 2001, M. Fabian était arrêté et accusé de fraude par carte de crédit pour une somme de plus de 5 000 $, ainsi que d’abus de confiance. L’accusation d’abus de confiance se rapportait à une présumée escroquerie, assez complexe, commise par l’intermédiaire de la station‑service où il travaillait. C’est alors que M. Fabian fut à nouveau remis en détention.

 

[16]           Ces accusations criminelles ont été retirées au printemps de 2002, mais M. Fabian est resté jusqu’à ce jour en détention d’immigration. Sa détention a été revue périodiquement par la Section d’arbitrage (plus tard appelée Section d’immigration) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, mais M. Fabian est resté en détention après que la Commission eut estimé qu’il ne s’était pas réadapté et qu’il constituait encore un danger pour le public.

 

[17]           En mars 2002, la Cour a annulé l’avis de danger de 1998, par consentement des parties, parce que les exigences d’équité procédurale établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, n’avaient pas été observées dans le cas de M. Fabian.

 

[18]           En décembre 2002, un deuxième avis de danger était produit, où l’on concluait à nouveau que M. Fabian constituait un danger pour le public au Canada. Le représentant du ministre estimait aussi que M. Fabian ne serait pas exposé à la persécution, à la torture ou à des peines cruelles et inusitées s’il devait retourner au Sri Lanka et, par conséquent, a permis son renvoi vers ce pays.

 

[19]           Un sursis d’exécution de la mesure de renvoi a alors été accordé par la Cour et, le 30 décembre 2003, le second avis de danger était annulé par ordonnance du juge Russell : Fabian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1527.

 

[20]           Selon le juge Russell, la conclusion du représentant du ministre selon laquelle M. Fabian n’était plus exposé à un risque de torture de la part des autorités publiques par suite de l’évolution de la situation au Sri Lanka était raisonnable et ne devait pas être modifiée.

 

[21]           Le juge Russell était également convaincu de la gravité des activités criminelles de M. Fabian. S’agissant du rôle de M. Fabian dans le commerce de passeports falsifiés, le juge Russell n’a vu aucune erreur dans la conclusion du représentant selon laquelle une activité de ce genre serait considérée par tout observateur raisonnable comme une activité dont on pouvait craindre qu’elle servirait à aider les terroristes.

 

[22]           Cependant, selon le juge Russell, le représentant du ministre avait commis une erreur dans l’évaluation de la menace que présentaient les TLET pour M. Fabian, parce qu’il avait fait abstraction de la preuve de présumées menaces de mort censément proférées par les TLET. L’avis de danger a donc été annulé, et l’affaire a été renvoyée pour nouvelle décision.

 

[23]           Le 14 juin 2005, un troisième avis de danger était produit à l’encontre de M. Fabian, avis où l’on concluait à nouveau qu’il constituait un danger pour le public au Canada et qu’il ne serait pas exposé, au Sri Lanka, à un risque appréciable de subir la torture ou des peines cruelles et inusitées. C’est cet avis qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

La décision du représentant du ministre

[24]           D’après le représentant du ministre, les activités criminelles de M. Fabian, et en particulier son rôle avéré au sein d’une bande criminelle, étaient très graves, et il était un récidiviste probable dont la présence au Canada présentait pour le public un risque inacceptable.

 

[25]           Le représentant du ministre n’a pas accepté l’explication de M. Fabian lorsque celui‑ci lui avait dit que sa rencontre avec un chef notoire du VVT, peu après sa mise en liberté en 2000, avait été « le fruit du hasard ». Le représentant a relevé que la beignerie où la rencontre avait eu lieu était un lieu notoire de rassemblement de la bande. La police avait aussi observé que, à son arrivée à la beignerie, le chef de la bande s’était dirigé tout de suite vers le véhicule de M. Fabian et que la rencontre avait duré environ dix minutes.

 

[26]           Quant à l’affirmation de M. Fabian, qui disait avoir signalé cette rencontre aux autorités, le représentant du ministre a indiqué qu’il était difficile de croire que c’est ce qu’il avait fait, puisque l’agent d’immigration censément concerné ne se souvenait pas, semblait‑il, qu’on la lui avait signalée. Que la rencontre ait ou non été signalée, le représentant du ministre a considéré qu’elle avait eu lieu, et que M. Fabian n’avait pas véritablement cherché à l’éviter, ce qui attestait un manque évident de jugement.

 

[27]           Sur la question de la réadaptation, le représentant du ministre n’a pas été persuadé que le passage du temps permettait à lui seul de conclure que M. Fabian ne présentait plus aucun danger pour le public. Tout en prenant note des diverses communications, expressions de remords et lettres de travailleurs sociaux, d’ecclésiastiques, d’amis et de proches déposées à l’appui de M. Fabian, le représentant du ministre faisait observer que des lettres semblables avaient été produites à l’appui de la libération de M. Fabian en 2000, et que cela ne l’avait pas empêché de transgresser les conditions de sa mise en liberté dans les jours qui avaient suivi. Le représentant a donc estimé que la conduite passée de M. Fabian affaiblissait le poids des pièces produites en sa faveur et que M. Fabian ne l’avait pas persuadé qu’il avait fondamentalement changé ses manières ou qu’il ne constituerait plus un danger s’il était remis en liberté.

 

[28]           Ayant estimé que M. Fabian constituait encore un danger pour le public, le représentant du ministre s’est alors demandé s’il serait exposé à un risque appréciable de subir la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités en cas de renvoi au Sri Lanka.

 

[29]           Sur ce point, le représentant du ministre a passé en revue la preuve documentaire à sa disposition, en relevant que, même si aucune solution permanente n’avait été trouvée pour venir à bout du conflit de longue date au Sri Lanka, un processus de paix avait été engagé. Un climat de violence régnait encore dans le pays, mais il était limité à certaines régions, celles de Batticaloa et de Trincomalee.

 

[30]           S’agissant du sort réservé à des personnes qui étaient revenues de l’étranger, des rapports néerlandais, suisse et britannique, ainsi que des rapports du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés indiquaient tous que les nationaux qui reviennent au pays ne semblent plus être l’objet du même « fichage » auquel ils étaient soumis auparavant.

 

[31]           Le représentant du ministre a ensuite examiné la situation particulière de M. Fabian, estimant que, même si des journaux canadiens et sri‑lankais avaient publié des reportages sur ses activités au Canada, il n’était pas établi que les groupes de presse ou autres continuaient de s’intéresser à lui au point de le rendre notoire ou de compromettre son retour au Sri Lanka.

 

[32]           Le représentant du ministre a estimé par ailleurs que la possible notoriété de M. Fabian pouvait jouer en sa faveur puisque les cercles de défense des droits internationaux et des droits de la personne allaient scruter sa condition au Sri Lanka après son retour dans ce pays.

 

[33]           Le représentant du ministre a accordé peu de poids à la preuve des présumées menaces de mort que M. Fabian disait avoir reçues d’un membre des TLET en 1999 ou 2000, étant donné l’absence de preuves confirmant les menaces, la rareté des détails sur la manière dont les menaces avaient été proférées et l’absence d’explication des raisons pour lesquelles M. Fabian croyait que les menaces subsistaient. Le représentant a aussi relevé qu’il n’était pas établi que les menaces avaient été proférées à nouveau au cours des dernières années, étant donné que la situation politique avait changé au Sri Lanka.

 

[34]           Le représentant a également fait remarquer que les violences qui avaient été signalées avaient eu lieu dans la partie orientale du Sri Lanka, une région avec laquelle M. Fabian n’avait pas de liens, et qu’elles concernaient des individus qui sont activement mêlés aux activités des TLET ou autres groupes militants. Comme M. Fabian affirme qu’il n’a aucun lien avec les TLET, il est peu probable qu’il soit l’une de leurs cibles.

 

[35]           Le représentant du ministre a conclu qu’il n’y avait pas de preuve que M. Fabian était plus exposé au danger que ne l’étaient d’autres Sri‑Lankais qui retournaient dans leur pays. Il a donc estimé que M. Fabian ne serait vraisemblablement pas exposé à un risque de persécution, de torture ou de peines cruelles et inusitées de la part des autorités sri‑lankaises s’il était renvoyé au Sri Lanka.

 

[36]           Finalement, le représentant du ministre a considéré les aspects humanitaires du cas de M. Fabian, faisant observer en particulier que nombre de ses proches sont au Canada et qu’il a une fille adolescente dans ce pays. Cependant, il a souligné que, en raison de son incarcération de longue durée, M. Fabian avait vécu éloigné de sa fille durant la majeure partie de la vie de celle‑ci. Tout compte fait, les considérations familiales ne l’emportaient pas sur la conviction du représentant que M. Fabian constituait un danger pour le public au Canada.

 

Points litigieux

[37]           Selon M. Fabian, la conclusion du représentant du ministre selon laquelle il constitue un danger pour le public au Canada est déraisonnable, parce que le représentant s’est fondé uniquement sur les anciennes déclarations de culpabilité prononcées contre lui, sans évoquer ou considérer d’autres facteurs donnant à penser qu’il constitue encore un danger pour le public.

 

[38]           M. Fabian soutient aussi que le représentant du ministre a commis une erreur dans son évaluation de la situation qui a cours au Sri Lanka, parce qu’il a laissé de côté des preuves essentielles.

 

[39]           Finalement, M. Fabian dit que le représentant du ministre a appliqué la mauvaise norme juridique lorsqu’il a dit que la situation au Sri Lanka avait changé au point que M. Fabian n’était plus exposé à un risque.

 

Norme de contrôle

[40]           Dans l’arrêt Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 72, 2002 CSC 2, au paragraphe 16, la Cour suprême du Canada écrivait que la décision selon laquelle une personne constitue un danger pour la sécurité du Canada doit être revue d’après la norme de la décision manifestement déraisonnable. Plus exactement, la question que doit se poser la Cour est de savoir si la décision en cause a été rendue arbitrairement ou de mauvaise foi, si elle est ou non étayée par la preuve ou s’il a ou non été tenu compte des facteurs pertinents. La Cour ne doit pas apprécier à nouveau les facteurs pertinents, ni intervenir uniquement parce qu’elle serait arrivée à une autre conclusion.

 

[41]           Quant à savoir si M. Fabian est exposé à un risque appréciable de torture en cas de renvoi au Sri Lanka, la Cour suprême écrivait ce qui suit au paragraphe 17 de l’arrêt Ahani :

 

[L]e tribunal ne peut modifier la décision du ministre que si elle n’est pas étayée par la preuve ou ne tient pas compte des facteurs appropriés. Le tribunal doit également reconnaître que la nature de l’examen peut limiter la preuve exigée. Même si l’expulsion d’une personne vers un pays où elle risque la torture met en jeu l’art. 7 de la Charte et, partant, revêt un caractère constitutionnel, la décision du ministre est en grande partie fondée sur les faits. Parmi les facteurs à considérer pour déterminer si M. Ahani s’expose à un risque sérieux de torture, il faut examiner les données sur le respect des droits de la personne dans le pays d’origine, le risque personnel couru par le demandeur, les assurances obtenues selon lesquelles il ne sera pas soumis à la torture, la valeur de ces assurances et, à cet égard, la capacité du pays d’origine de contrôler ses propres forces de sécurité. Ces questions échappent en grande partie au domaine d’expertise des tribunaux de révision et comportent un aspect juridique minime. Une grande retenue s’impose donc.

 

 

 

[42]           Les deux parties sont d’avis que la norme de contrôle applicable à tous les points soulevés dans la demande est la décision manifestement déraisonnable. Compte tenu de l’arrêt Ahani, cité plus haut, qui concernait la disposition remplacée depuis par l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, j’admets que cette norme est clairement la norme de contrôle devant s’appliquer aux premier et deuxième points soulevés par M. Fabian.

 

[43]           Pour ce qui concerne le troisième point soulevé par M. Fabian, c’est‑à‑dire le fait que le représentant du ministre aurait appliqué la mauvaise norme juridique lorsqu’il a évalué l’évolution de la situation qui a cours au Sri Lanka, cet aspect de la décision du représentant du ministre semble à première vue soulever une question de droit. Il appellerait donc, pourrait‑on dire, une norme de contrôle plus rigoureuse. Cependant, pour des raisons qui seront expliquées au cours de mon analyse, je suis d’avis que ce contre quoi proteste M. Fabian est fondamentalement une conclusion de fait tirée par le représentant du ministre. La norme de contrôle applicable à cette conclusion est donc effectivement la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

Analyse

[44]           Le premier point que la Cour doit trancher est celui de savoir si le représentant du ministre a commis une erreur parce qu’il a dit que M. Fabian constitue encore un danger pour le public au Canada, et cela en se fondant uniquement sur les anciennes déclarations de culpabilité prononcées contre lui, sans évoquer ou considérer d’autres facteurs pertinents.

 

[45]           Tout en reconnaissant que c’est la troisième fois qu’il est déclaré un danger pour le public au Canada et que le juge Russell avait jugé raisonnable un avis antérieur produit en ce sens, M. Fabian soutient néanmoins que, dans la présente affaire, le représentant du ministre s’est fondé indûment sur les déclarations de culpabilité, sans tenir compte d’autres facteurs pertinents. Plus précisément, il fait valoir qu’il n’a pas été déclaré coupable d’infractions criminelles depuis plusieurs années, ajoutant que, finalement, son casier judiciaire est tellement ancien que son importance a diminué.

 

[46]           Un examen de la décision du représentant du ministre révèle que le représentant savait parfaitement que les dernières déclarations de culpabilité prononcées contre M. Fabian remontaient à 1998. On constate aussi que le représentant n’a pas fondé sa décision uniquement sur ces déclarations de culpabilité. Il était également préoccupé par la nature des condamnations, en particulier la condamnation pour falsification de passeports.

 

[47]           Le représentant était par ailleurs préoccupé par l’évidente propension de M. Fabian à faire peu de cas des conditions de sa mise en liberté, puisqu’il avait rencontré un chef du VVT dans les jours qui avaient suivi sa libération.

 

[48]           Le représentant du ministre était également d’avis, et ce à juste titre, que, même si M. Fabian n’avait pas été déclaré coupable d’une infraction criminelle depuis 1998, ce constat ne prouvait pas sa réadaptation, puisqu’il avait été détenu durant la majeure partie de la période visée.

 

[49]           Le représentant a aussi exposé les motifs lucides et convaincants qui l'ont amené à ne pas tenir compte des lettres de soutien produites par les amis et les proches de M. Fabian, compte tenu de ses antécédents.

 

[50]           Finalement, rien ne prouve que le représentant du ministre s’est fondé sur des accusations criminelles qui ont été retirées et qui n’ont pas débouché sur une déclaration de culpabilité.

 

[51]           Dans ces conditions, je suis d’avis que la conclusion du représentant du ministre selon laquelle M. Fabian constituait encore un danger pour le public au Canada était une conclusion assez raisonnable à laquelle il pouvait arriver au vu de ce dossier, et que cette conclusion ne devrait pas être modifiée.

 

[52]           Je dois ensuite me demander si, parce qu’il a fait abstraction d’un élément de preuve important, le représentant du ministre a commis une erreur manifestement déraisonnable lorsqu’il a évalué le sort réservé aux anciens demandeurs d’asile sri‑lankais qui retournent dans leur pays.

 

[53]           Au soutien de cette prétention, l’avocat de M. Fabian signale surtout plusieurs paragraphes d’un rapport de 27 pages rédigé par le professeur Anthony Good sur le cas d’une autre personne passible d’expulsion au Sri Lanka. Le professeur Good est un professeur d’anthropologie sociale à l’Université d’Édimbourg, où il se consacre à l’enseignement, à l’écriture et à la recherche sur la société, l’histoire et la culture de l’Asie du Sud, en s’intéressant plus spécialement aux Tamouls.

 

[54]           Les passages du rapport invoqués par M. Fabian précisent que les autorités sri‑lankaises disposent d’une base de données informatisée des personnes recherchées et que cette base de données est accessible aux agents chargés du contrôle des passeports des passagers arrivant au Sri Lanka.

 

[55]           En règle générale, la Commission n’est pas tenue de faire expressément état de chacun des éléments de preuve produits, et elle sera présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve au moment d’arriver à sa décision : voir l’arrêt Woolaston c. Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration), [1973] R.C.S. 102, et la décision Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. n° 946, 147 N.R. 317.

 

[56]           Cela dit, plus est importante la preuve qui n’est pas expressément mentionnée et analysée dans une décision, plus les cours de justice seront disposées à en déduire que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve : Cepeda‑Gutierrez c. Canada (MCI) (1998), 157 F.T.R. 35, aux paragraphes 14 à 17.

 

[57]           Les documents que le représentant du ministre avait devant lui et qui concernaient la situation au Sri Lanka étaient considérables. Les parties s’accordent à dire que la communication initiale de l’information sur la situation du pays comportait quelque 1 300 pages, les pièces pertinentes dépassant finalement 2 000 pages.

 

[58]           Il ressort clairement de l’examen de la décision du représentant du ministre qu’il a expressément dirigé son attention sur le sort réservé aux Sri‑Lankais qui reviennent dans leur pays, y compris ceux ayant un profil semblable à celui de M. Fabian, pour finalement conclure que la situation actuelle était telle que M. Fabian ne serait pas plus exposé à un risque que ne l’était tout autre Sri‑Lankais revenant au pays.

 

[59]           Les paragraphes isolés que M. Fabian a choisis pour examen parmi la masse de documents dont disposait le représentant du ministre ne contredisent pas spécifiquement cette conclusion, et je ne suis pas persuadée que, dans ces conditions, la valeur probante des éléments de preuve évoqués par M. Fabian soit telle que le représentant du ministre a commis une erreur sujette à révision pour ne pas en avoir fait expressément état dans sa décision.

 

[60]           Le point ultime que la Cour doit trancher est celui de savoir si le représentant du ministre a appliqué la mauvaise norme juridique lorsqu’il a dit que la situation au Sri Lanka avait changé au point que M. Fabian n’était plus exposé à un risque dans ce pays.

 

[61]           Sur ce point, M. Fabian dit que la jurisprudence établit une norme détaillée lorsqu’il s’agit de déterminer si un changement est survenu dans les conditions ayant cours dans un pays, et il affirme qu’un tel changement doit être « durable, réel et important ». Par ailleurs, de dire M. Fabian, il ne suffit pas à un décideur de dire qu’un changement s’est produit dans un pays, sans expliquer comment les principes juridiques pertinents ont été appliqués. Selon M. Fabian, il n’en a pas été ainsi dans la présente affaire, ce qui constitue une erreur sujette à révision.

 

[62]           Il est répondu à l’argument de M. Fabian par un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1995] A.C.F. n° 35, au paragraphe 2, où l’on peut lire ce qui suit :

 

[…] la question du « changement de situation » risque, semble‑t‑il, d’être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu’elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d’origine du demandeur n’est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s’il y a, au moment de l’audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l’éventualité de son retour au pays. Il s’agit donc d’établir les faits, et il n’existe aucun « critère » juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L’emploi de termes comme « important », « réel » et « durable » n’est utile que si l’on garde bien à l’esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l’art. 2 de la Loi : le demandeur du statut a‑t‑il actuellement raison de craindre d’être persécuté? [Non souligné dans l’original]

 

[63]           En l’espèce, le représentant du ministre a minutieusement passé en revue la volumineuse documentation qu’il avait devant lui et qui portait sur la situation ayant cours au Sri Lanka, et il a tenu compte de cette situation dans la mesure où elle intéressait le cas des Sri‑Lankais en général qui retournent dans leur pays, et le cas de M. Fabian en particulier, compte tenu de son profil personnel. Après examen de cette preuve, le représentant est arrivé à la conclusion, motifs à l’appui, que M. Fabian ne serait pas exposé à un risque s’il retournait au Sri Lanka.

 

[64]           On ne saurait dire que la conclusion du représentant du ministre n’était pas une conclusion qu’il pouvait raisonnablement tirer d’après la preuve qu’il avait devant lui, et je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

 

Dispositif

[65]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Question à certifier

[66]           Aucune des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée, et aucune question semblable ne se pose ici.

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3853‑05

 

 

INTITULÉ :                                       NIRANJAN CLAUDE FABIAN c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 15 juin 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               la juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                       le 5 juillet 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Sandaluk                                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Anshumala Juyal

Mary Matthews                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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