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                                                                                                                                           Date : 20010509

                                                                                                                             Dossier : IMM-2205-00

                                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 448

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD                                  

ENTRE :

                                     SYED MUHAMMAD AMIN et NAVEED IQBAL

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


1-                   Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 3 avril 2000, qui a statué que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention suivant la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1].

2-                   Syed Muhammad Amin, âgé de 62 ans, et son fils Naveed Iqbal, âgé de 21 ans, ont déposé conjointement leurs revendications du statut dès le début de la procédure. Ils ont présenté un exposé narratif commun qui a été signé par M. Amin.

3-                   Les demandeurs, des citoyens du Pakistan, sont arrivés au Canada le 12 septembre 1997 et ont revendiqué le statut de réfugié le 24 septembre 1997.


4-                   Les demandeurs affirment craindre d'être persécutés au Pakistan du fait de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social, les Mohajirs du Pakistan qui sont les partisans de la faction Muttahida, aussi connus sous le nom de Mohajir, Quami Movement-Altaf Hussain, ci-après nommée le MQM-A. Les demandeurs étaient des partisans mais non pas des membres de cette faction.

5-                   Le 3 avril 2000, la Section du statut de réfugié, ci-après nommée la SSR, a établi que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. La SSR a conclu qu'il n'y avait pas de preuve convaincante, fiable ou digne de foi démontrant que les demandeurs, en tant que Mohajirs, avaient raison de craindre d'être persécutés pour des motifs énoncés à la Convention, s'ils retournaient au Pakistan.

6-                   Les demandeurs ont obtenu l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire le 20 novembre 2000 et leur demande est fondée sur les deux questions litigieuses suivantes :

           1.         La SSR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en décidant de traiter conjointement les revendications?

2.         La SSR a-t-elle par ailleurs commis une erreur de droit, violé les principes de justice naturelle ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?


7-                   Dans de telles affaires, la norme de contrôle comporte deux volets. Premièrement, toutes les questions de droit à être tranchées par la SSR sont assujetties à la norme de la décision correcte, selon les motifs du juge Bastarache dans l'arrêt Pushpanathan[2]. Deuxièmement, toutes les conclusions de fait sont régies par la norme du caractère manifestement déraisonnable selon ce que le juge Décary a déclaré dans l'arrêt Aguebor :                                                        

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent?    Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire[3].

8-                   Après avoir établi les normes de contrôle dans la présente affaire, je vais maintenant traiter des deux questions soulevées par l'avocat des demandeurs. La première question est de savoir si la SSR a commis une erreur susceptible de contrôle en joignant les revendications dans une même instance.


9-                   Le paragraphe 10(1) des Règles de la SSR[4] prévoit que deux ou plusieurs revendications peuvent être jointes dans une même instance si le vice-président adjoint ou un membre coordonnateur estime qu'une telle mesure ne risque pas de causer d'injustice aux parties. Le paragraphe 10(3) de ces Règles prévoit qu'à la demande d'une partie, ou à leur propre initiative au moment de l'audience, les membres peuvent ordonner que les revendications soient entendues séparément « [...] s'ils estiment que le fait d'entendre conjointement les revendications ou les demandes risque de causer une injustice à l'une ou l'autre des parties. »

10-              En résumé, la question est de savoir si la jonction des revendications a vraisemblablement causé une injustice à l'une ou l'autre des parties.

11-              La SSR a rejeté la requête des demandeurs pour la tenue d'audiences distinctes pour les motifs suivants :

Après avoir apprécié la preuve, le tribunal a décidé que les revendications seraient entendues conjointement car a) les trois revendicateurs appartiennent à la même famille, b) leurs revendications semblaient découler de leur crainte d'être persécutés du fait de leurs opinions politiques, même s'ils étaient membres de partis différents, c) il pourrait se révéler nécessaire de contre-interroger une partie sur le témoignage de l'autre, et d) ils sont tous venus ensemble au Canada[5].

12-              Les demandeurs allèguent que la SSR n'a pas pris en compte la question du risque de l'injustice pour les parties et a par conséquent commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

13-              Le demandeur, M. Amin, allègue qu'il serait émotionnellement bouleversé s'il devait témoigner en présence de son fils Shiraz. En outre, les demandeurs prétendent que l'animosité qui existe entre le père et le fils a créé une situation telle qu'une audience conjointe constituait en soi un préjudice et une injustice à l'égard des demandeurs.


14-              À l'appui de leur prétention, les demandeurs ont soumis le rapport du Dr Baruch, une psychiatre qui a examiné le demandeur M. Amin. L'étude du rapport de la psychiatre révèle ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] Je pense qu'il serait extrêmement difficile pour M. Amin de témoigner pour lui-même. Un autre facteur contribuant à cette difficulté est le fait qu'il est en présence de son fils avec lequel il est en mauvais termes[6].

La psychiatre semble suggérer que M. Amin, le père, aurait de la difficulté à témoigner quelles que soient les circonstances et que le fait qu'il soit en présence de son fils, avec lequel il est en mauvais termes, est un autre facteur qui contribue à cette difficulté. Même si nous admettions que la jonction des revendications peut causer au demandeur, M. Amin, une plus grande anxiété, ce n'est pas suffisant, à mon avis, pour établir qu'il subit une injustice. C'est d'autant plus vrai, si on prend en compte la nature des contradictions du témoignage sur lequel la SSR a fondé ses conclusions quant au manque de crédibilité et de fiabilité. Je partage l'opinion du défendeur selon laquelle un trouble émotif et une incapacité à se concentrer ne peuvent expliquer les contradictions importantes et les incohérences que renferment le témoignage et la preuve des demandeurs. Je me réfère en particulier à leur soi-disant participation à la politique au Pakistan. Même sans le témoignage du fils du demandeur avec lequel ce dernier était brouillé (Shiraz), la SSR a conclu qu'il existait d'importantes contradictions et incohérences entre les demandeurs, et cette conclusion était, à mon avis, une conclusion que la SSR pouvait tirer.


15-              Pour les motifs mentionnés précédemment, je suis d'avis que les demandeurs n'ont pas réussi à prouver que la jonction des revendications leur a causé une injustice. Je conclus par conséquent que la SSR n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en entendant les demandes des revendicateurs lors de la même audience.

16-              La deuxième question litigieuse est de savoir si la SSR a commis une erreur de droit, a violé les principes de justice naturelle ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée d'une façon abusive ou arbitraire ou sans avoir tenu compte des éléments dont elle disposait.

17-              Je suis d'avis que la SSR pouvait conclure comme elle l'a fait. Je conclus, après avoir examiné la preuve, que les demandeurs n'ont pas réussi à s'acquitter du fardeau qui consistait à démontrer que la SSR ne pouvait pas raisonnablement tirer les conclusions qu'elle a tirées. Je suis d'avis que les conclusions de la SSR sont fondées sur les éléments de preuve dont elle disposait et que, pris dans leur ensemble, ces éléments permettaient à la SSR de tirer les conclusions qu'elle a tirées.

18-              Pour réussir dans une revendication du statut de réfugié, les demandeurs doivent établir, au moyen d'une preuve fiable et digne de foi, un lien entre leur crainte et l'un des motifs de persécution énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.


19-              Les demandeurs affirment craindre avec raison d'être persécutés au Pakistan du fait de leurs opinions politiques et de leur appui à un groupe social, le MQM-A du Pakistan. Les demandeurs ont témoigné qu'ils étaient des partisans de la faction MQM-A et qu'ils étaient en danger à cause de leur appui à ce groupe et du lien établi avec leur famille, le fils aîné de M. Amin, Nasir, étant membre de la faction MQM-A.

20-              Les demandeurs prétendent que la SSR a mal interprété la preuve en décrivant les demandeurs comme étant très engagés et comme ayant un rôle actif dans les activités de la faction MQM-A. Les demandeurs prétendent que la SSR a commis une erreur en concluant que, compte tenu de leur degré de participation à des activités politiques, les demandeurs avaient une connaissance insuffisante de la faction MQM-A et de la situation politique du Pakistan. Les demandeurs ont déclaré que leur participation consistait à appuyer de façon générale la faction MQM-A. Le demandeur Iqbal participait au mouvement en aidant des amis à organiser des groupes et en transmettant le message de la faction MQM-A, en aidant aux activités de financement et en participant à la préparation de lettres et de discours. Il contactait des gens, distribuait des dépliants et assistait à des rassemblements politiques. Le demandeur, M. Amin, prétend qu'il a pris part aux dernières élections fédérales au Pakistan, mais qu'il participait [TRADUCTION] « dans l'ombre et non pas ouvertement » . Il informait les gens du programme ou des intentions de la faction MQM-A. Il en faisait ressortir l'importance pour leur survie.


21-              Je conclus que les activités politiques des demandeurs, telles que décrites par la SSR, correspondent tout à fait à celles d'individus très engagés et ayant un rôle actif. À tout le moins, une telle conclusion est une conclusion raisonnable à laquelle la SSR pouvait arriver en se fondant sur la preuve. Je suis d'avis qu'il était raisonnable pour la SSR de tirer une conclusion défavorable du manque de connaissances des demandeurs relativement à la politique au Pakistan de façon générale et à la faction MQM-A en particulier.

22-              La SSR a tiré plusieurs inférences défavorables des contradictions et des incohérences que la preuve et le témoignage des deux demandeurs renfermaient et ces inférences m'apparaissent être celles qu'elle pouvait raisonnablement tirer. Ces inférences ont conduit la SSR à décider que les deux demandeurs induisaient délibérément le tribunal en erreur quant à leurs activités politiques au Pakistan de façon générale, et quant à leur participation réelle à la faction MQM-A en particulier.

23-              La SSR a conclu qu'il n'y avait aucune preuve convaincante, fiable ou digne de foi permettant d'établir un lien entre la crainte de persécution des demandeurs au Pakistan et leur identité en tant que Mohajirs et membres de la faction MQM-A.

Par contre, le tribunal, est disposé à accepter que les revendicateurs viennent d'un milieu Mohajir, mais il n'est pas disposé à aller plus loin pour ce qui est de la crédibilité de ces deux revendicateurs. Toutefois, le tribunal ne trouve aucune preuve convaincante, fiable ou digne de foi indiquant que les Mohajirs, en tant que groupe, sont systématiquement persécutés au sens de la définition de réfugié au sens de la Convention. En outre, le tribunal ne trouve aucune preuve convaincante, fiable ou digne de foi indiquant que l'identité de Mohajirs de MM. Iqbal et Amin donne lieu à une crainte fondée de persécution s'ils devaient retourner aujourd'hui au Pakistan. En fait, M. Iqbal a lui-même déclaré qu'il n'avait jamais été officiellement membre du MQM-A[7].

Je suis d'avis que la conclusion de la SSR selon laquelle il n'y avait pas de lien avec les motifs énoncés dans la Convention était raisonnable compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait.


24-              Le principe énoncé par le juge MacGuigan dans l'arrêt Sheikh s'applique à la présente affaire :

[M]ême sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication [...]. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage[8].

25-              En appliquant les principes de l'arrêt Sheikh à la présente affaire, la SSR a décidé, après avoir déterminé que les demandeurs n'étaient pas dignes de foi, de rejeter leurs demandes. Il est clairement établi que la Cour ne devrait pas intervenir quant aux conclusions tirées par la Section du statut de réfugié à moins d'être convaincue que cette dernière a fondé sa décision sur des éléments de preuve non pertinents ou qu'elle n'a pas pris en compte des éléments de preuve.

26-              Le demandeur prétend que la SSR n'a pas pris en compte ou a mal interprété la preuve des demandeurs quant à la torture subie en mai 1997, aux liens des demandeurs avec la faction MQM-A, au moment du voyage de M. Iqbal à Singapour, et que, ce faisant, elle a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

27-              J'ai examiné attentivement la preuve et je suis convaincu que, dans l'ensemble, la SSR a pris en compte la preuve dont elle disposait et a fait les inférences et tiré les conclusions qu'elle devait normalement faire et tirer.


28-              Relativement aux prétentions des demandeurs selon lesquelles la SSR a décidé de façon non à propos que le temps pris par les demandeurs avant de présenter leur revendication de réfugié au sens de la Convention n'était pas conséquent avec leur peur subjective de persécution, je suis d'avis, une fois de plus, que selon la preuve, la SSR pouvait raisonnablement arriver à cette conclusion dans la mesure où le délai pour présenter la revendication n'était pas le seul facteur pris en compte dans sa décision. Je suis convaincu que c'est le cas en l'espèce.

29-              Après avoir étudié et examiné les forces et les faiblesses de la preuve soumise à la SSR, je conclus que la SSR n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle judiciaire.

30-              Pour ces motifs, le demande de contrôle judiciaire est rejetée.

31-              Il n'y a pas de question grave de portée générale aux fins de la certification.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.         la demande d'une ordonnance annulant la décision rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 3 avril 2000, qui a statué que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention suivant la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, soit rejetée.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                                   IMM-2205-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Syed Muhammad Amin et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                 Le 14 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                 MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                           Le 9 mai 2001

ONT COMPARU

Douglas Lehrer                                        POUR LES DEMANDEURS

Marissa Bielski                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER           

VanderVennen, Lehrer                           POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi. « réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, [...].

Immigration Act, R.S.C. 1985, c. I-2

2. (1) In this Act, "Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, (...).

[2]            Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982,

au paragraphe 50.

[3]            Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732.

[4]              DORS/93-45, Règles de la section du statut de réfugié; SOR/93-45, Convention Refugee Determination Division Rules.

[5]           Dossier des demandeurs, p. 7.

[6]           Dossier des demandeurs, p. 223.

[7]           Dossier des demandeurs à la p. 17.

[8]            Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.), p. 244.    

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