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Date : 20200901


Dossier : IMM-6621-19

Référence : 2020 CF 875

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2020

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

ISOKEN ZILLAH AMEH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Isoken Zillah Ameh, une citoyenne du Nigéria, a demandé l’asile au Canada au motif qu’elle craignait d’être persécutée en raison de sa bisexualité. Elle introduit la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a maintenu la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle elle n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  La demanderesse a soutenu devant la SPR et la SAR que sa bisexualité a été révélée en mars 2014 lorsqu’elle a été découverte dans une chambre d’hôtel avec sa partenaire, une femme prénommée Joy, qu’elle fréquentait depuis 14 mois. Les femmes ont été attaquées par une bande d’émeutiers et Joy a été assassinée. La demanderesse a réussi à s’échapper, mais elle a subi des blessures. Un article de journal faisant état de l’attaque, qui aurait été publié une semaine plus tard, révélait le nom de la demanderesse ainsi que sa bisexualité, et mentionnait qu’elle était recherchée par la police.

[3]  À la suite de cet événement, la mère de la demanderesse l’a obligée à se marier avec un homme. Elle s’est mariée en mars 2015 et a changé de nom de famille. En février 2016, la police se serait rendue au domicile de la demanderesse et aurait dit à son mari, qui ignorait que sa femme était bisexuelle, que celle‑ci était recherchée par la police et par des groupes anti‑bisexualité. Le mari de la demanderesse l’a aidée à se cacher dans un village éloigné pendant plusieurs mois. Lorsqu’elle a appris que sa sœur avait été tuée par le groupe d’autojustice anti‑bisexualité qui était à sa recherche, la demanderesse a décidé de fuir le Nigéria. Elle est entrée aux États‑Unis le 22 septembre 2016 et s’est rendue au Canada le 30 novembre 2017 pour y demander l’asile.

[4]  La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse. La crédibilité était la question déterminante. La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas entretenu de relation avec Joy comme elle le soutenait, qu’elle n’était pas bisexuelle et qu’elle n’avait pas été pourchassée par des groupes opposés à la bisexualité ou par la police.

[5]  La demanderesse a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. La SAR a rejeté l’appel. Elle a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité et a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle avait eu une relation sexuelle avec une femme, qu’elle était bisexuelle ou que sa bisexualité avait été révélée. La SAR a conclu que la demanderesse ne s’exposerait pas à une possibilité sérieuse de persécution pour un motif prévu par la Convention, ou à une menace à sa vie, à des peines cruelles et inusitées ou au risque d’être soumise à la torture si elle devait retourner au Nigéria.

[6]  Bien que la demanderesse ne conteste pas les conclusions défavorables de la SAR quant à la crédibilité de son témoignage, y compris le fait qu’elle n’a pas établi qu’elle est bisexuelle, elle soutient que la décision de la SAR était déraisonnable puisque cette dernière a focalisé son analyse sur la question de savoir si elle était réellement bisexuelle et ne s’est pas demandé si elle était perçue comme bisexuelle par les agents de persécution. En outre, elle fait valoir qu’il existait une preuve indépendante distincte de son témoignage, qui présentait un intérêt pour la question de son orientation sexuelle perçue, et que la SAR a mal apprécié cette preuve.

[7]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demanderesse n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable. Je rejette la demande de contrôle judiciaire au motif que la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte de la perception des agents de persécution ou en omettant d’apprécier correctement la preuve.

II.  Questions en litige

[8]  À la lumière des observations écrites et orales des deux parties, les questions en litige sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La SAR a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable en n’examinant pas pleinement la question de savoir si la demanderesse craint avec raison d’être persécutée ou si elle a la qualité de personne à protéger en raison de sa sexualité perçue?

  3. La SAR a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable en n’appréciant pas correctement la preuve indépendante relative à la sexualité perçue de la demanderesse?

III.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[9]  Les décisions administratives sont susceptibles d’examen selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 23. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable, mais ne s’entendent pas sur la façon dont elle devrait s’appliquer. En particulier, elles ne sont pas d’accord au sujet du degré de retenue dont la Cour devrait faire preuve envers les conclusions de la SAR relatives à la crédibilité.

[10]  La demanderesse conteste la thèse du défendeur selon laquelle un degré élevé de retenue s’impose lorsque les conclusions contestées se rapportent à la crédibilité du récit du demandeur. La demanderesse soutient plutôt que l’arrêt Vavilov exige de la cour de révision qu’elle tienne compte des contraintes juridiques et factuelles applicables et qu’elle s’assure que la décision du tribunal est justifiée à la lumière de ces contraintes. Dans certains cas, l’omission de justifier la décision en regard d’une des contraintes pertinentes peut suffire à amener la cour de révision à perdre confiance dans le caractère raisonnable de la décision : Vavilov, au para 194.

[11]  Selon la demanderesse, les contraintes applicables en l’espèce donnent lieu à un nombre restreint de conclusions acceptables relatives à la crédibilité. Ces contraintes englobent la nécessité d’assurer la conformité avec la Convention relative au statut des réfugiés, 22 avril 1954, 189 RTNU 150 (la Convention), de reconnaître qu’une décision défavorable porte atteinte aux droits (comme la protection contre le renvoi vers un pays où le demandeur s’exposerait à un risque), et de comprendre les conséquences que représente une évaluation sévère de la crédibilité pour les demandeurs d’asile. La demanderesse fait valoir qu’un des objectifs de la LIPR est de protéger les réfugiés et elle cite le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCNUR (le Guide du HCNUR), au para 196 :

[B]ien que la charge de la preuve incombe en principe au demandeur, la tâche d’établir et d’évaluer tous les faits pertinents sera‑t‑elle menée conjointement par le demandeur et l’examinateur. Dans certains cas, il appartiendra même à l’examinateur d’utiliser tous les moyens dont il dispose pour réunir les preuves nécessaires à l’appui de la demande. Cependant, même cette recherche indépendante peut n’être pas toujours couronnée de succès et il peut également y avoir des déclarations dont la preuve est impossible à administrer. En pareil cas, si le récit du demandeur paraît crédible, il faut lui accorder le bénéfice du doute, à moins que de bonnes raisons ne s’y opposent.

La demanderesse mentionne également les lignes directrices canadiennes et internationales concernant les demandes d’asiles fondées sur l’orientation sexuelle, qui établissent les difficultés liées à la preuve qui sont inhérentes à ce type de demandes.

[12]  Je conviens avec la demanderesse que l’arrêt Vavilov exige que la cour de révision soit convaincue qu’une décision administrative est justifiée eu égard aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes ayant une incidence sur celle‑ci. Les contraintes juridiques et factuelles cernent les limitent de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solutions qu’il peut retenir : Vavilov, au para 90. Cependant, la demanderesse propose une façon d’aborder le contrôle judiciaire qui détermine d’abord les contraintes relatives aux demandes d’asile en général (ou du moins aux demandes d’asile fondées sur une persécution attribuable à l’orientation sexuelle), et qui présuppose sur le fondement de ces contraintes que [traduction] « le nombre de conclusions acceptables relatives à la crédibilité qui pourraient déboucher sur une décision raisonnable est restreint ». Au contraire, l’arrêt Vavilov préconise une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision », obligeant plutôt la cour de révision à commencer par se demander comment le décideur est arrivé à son interprétation, puis à décider si cette interprétation pouvait se justifier au regard des contraintes applicables : Vavilov, aux para 82-87; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, aux para 26 et 41. Par ailleurs, la norme de la décision raisonnable est une norme unique qui tient compte du contexte : Vavilov, au para 89. À mon avis, la méthode préconisée par la demanderesse, qui appelle à plus ou moins de retenue à l’égard de la décision administrative fondée sur un examen préliminaire des contraintes applicables au type de procédure, est incompatible avec la norme unique de la décision raisonnable.

[13]  Finalement, les conclusions relatives à la crédibilité sont des conclusions de fait. La cour de révision doit éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne modifie pas ses conclusions de fait (Vavilov, au para 125; Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 16, aux para 16‑17). Dans l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 125 et 126, les juges majoritaires de la Cour suprême ont écrit ce qui suit :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur ». D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire.

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte…

[Renvois omis]

[14]  En résumé, la cour de révision devrait commencer par s’intéresser aux motifs, ainsi qu’à la justification de la décision et à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, puis se demander si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes : Vavilov, au para 99. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

B.  La SAR a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable en n’examinant pas pleinement la question de savoir si la demanderesse craint avec raison d’être persécutée ou si elle a la qualité de personne à protéger en raison de sa sexualité perçue?

[15]  La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en n’abordant pas son orientation sexuelle perçue ou présumée selon le point de vue des agents de persécution. Elle invoque l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, 1993 CanLII 105 (CSC), [1993] 2 RCS 689 [Ward], dans lequel la Cour suprême a statué que « [l]es opinions politiques imputées au demandeur et pour lesquelles celui‑ci craint d’être persécuté n’ont pas à être nécessairement conformes à ses convictions profondes » et que « [d]es considérations similaires sembleraient s’appliquer aux autres motifs de persécution » (Ward, à la p 747). La demanderesse invoque également les Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre, qui prévoient qu’« [u]ne personne peut faire l’objet de persécution en raison de son OSIGEG [orientation sexuelle, identité et expression de genre] perçue ou présumée ». La demanderesse soutient qu’« [u]n demandeur peut certainement fonder sa demande d’asile sur son appartenance présumée à un groupe social particulier alors qu’il n’appartient pas vraiment à ce groupe » (Amaya Jerez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 209, au para 24).

[16]  Bien que la demanderesse reconnaisse que le fondement de sa demande d’asile ne soulevait pas la question de sa bisexualité perçue, elle soutient qu’il incombe au décideur administratif, et pas au demandeur, de rapprocher ces éléments des critères pertinents de la Convention sur les réfugiés de 1951 (Guide du HCNUR, art 205(b)iii)). Selon la demanderesse, la SPR et la SAR se sont uniquement demandé si la preuve établissait qu’elle était bisexuelle. Le dossier contenait des éléments de preuve cruciaux et pertinents — deux affidavits et un rapport de plainte déposé auprès de la police nigérienne — pour établir si les agents de persécution craints par la demanderesse la percevraient comme bisexuelle. La demanderesse fait valoir que les deux sections étaient tenues d’aborder sa bisexualité perçue et qu’elles ont commis une erreur en recourant au mauvais cadre d’analyse.

[17]  À l’audience, on a demandé à la demanderesse si, en appel devant la SAR, elle avait soulevé le fait que la SPR n’avait pas considéré sa bisexualité perçue comme une question en litige. Elle a répondu que la question avait été soulevée en substance. Devant la SAR, elle a soutenu que la SPR avait commis une erreur en accordant peu de poids à la plainte que son cousin avait déposé auprès de la police en 2018, qui relatait l’expérience qu’il a vécue lorsqu’il a visité la maison familiale en 2016 et que des voisins lui ont appris que la sœur de la demanderesse avait été tuée par un groupe anti‑bisexualité qui pourchassait la demanderesse. Selon la demanderesse, la SAR a ignoré le fait que ce rapport constituait une preuve indépendante relative à son orientation sexuelle perçue.

[18]  Je ne suis pas convaincue que la demanderesse a soulevé en appel le fait que la SPR n’a pas considéré sa bisexualité perçue comme une question en litige. La SAR s’est penchée sur les erreurs soulevées par la demanderesse concernant le rapport de police et, comme je le mentionne plus loin, elle a raisonnablement conclu qu’aucun poids ne devrait lui être accordé (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au para 103; Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257, art 3(3)g)). Comme la Cour l’a expliqué dans la décision Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12, au paragraphe 23, la décision de la SAR doit être examinée en fonction de la manière dont la demanderesse a formulé ses motifs d’appel :

[L]a décision de la SAR doit être examinée dans le contexte de la manière dont les demandeurs ont formulé leurs motifs d’appel. Les demandeurs n’ont soulevé aucune erreur relativement à l’évaluation faite par la SPR des rapports médicaux ou de police. Il est bien établi que la SAR n’est pas tenue d’examiner les erreurs potentielles qu’un appelant n’a pas soulevées : voir les décisions Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration)2015 CF 321, aux par. 18 à 20Ilias c Canada (Citoyenneté et Immigration)2018 CF 661, au par. 39Broni c Canada (Citoyenneté et Immigration)2019 CF 365, au par. 15Canada (Citoyenneté et Immigration) c Chamanpreet Kaur Kaler, 2019 CF 883, aux par. 11 à 13 (IMM‑57‑19).

[19]  De plus, le défendeur souligne à juste titre que la perception des agents de persécution reposait uniquement sur la relation de la demanderesse avec une femme, qui a été révélée en mars 2014 lors de l’attaque à l’hôtel. Selon le dossier, la demanderesse n’a rien présenté d’autre pour étayer qu’elle pouvait être perçue comme bisexuelle. Cependant, elle n’a pas réussi à établir qu’elle entretenait une relation avec une femme ou que l’attaque de 2014 s’est bien produite. L’article de journal qui décrivait l’attaque s’est révélé frauduleux et la SAR a conclu que le journal n’était pas distribué au Nigéria. En outre, la demanderesse n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi son mari ignorait son orientation sexuelle ou comment elle a pu vivre en sécurité pendant des années après la révélation présumée de sa bisexualité. La SAR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’était pas recherchée par un groupe opposé à la bisexualité ou par la police, que son orientation sexuelle n’a pas été révélée et qu’elle n’a pas fui le Nigéria parce que sa sexualité avait été révélée. À mon avis, dans ses conclusions, la SAR a abordé non seulement la bisexualité présumée de la demanderesse, mais également la perception qu’entretenaient les agents à cet égard.

[20]  Par conséquent, la demanderesse n’a pas établi que la décision de la SAR était déraisonnable parce qu’elle ne s’était pas demandé si elle craignait avec raison d’être persécutée ou si elle avait la qualité de personne à protéger en raison de sa sexualité perçue.

C.  La SAR a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable en n’appréciant pas correctement la preuve indépendante relative à la sexualité perçue de la demanderesse?

[21]  La demanderesse soutient que l’appréciation de ses deux affidavits et du rapport de police effectuée par la SAR était déraisonnable. Elle fait valoir qu’il s’agissait d’éléments de preuve indépendants pertinents pour déterminer si les agents de persécution la percevaient comme bisexuelle.

[22]  Premièrement, la demanderesse soutient que la SPR et la SAR ont manqué de cohérence dans la façon dont elles ont traité les affidavits et le rapport de police. La SPR a accordé un [traduction] « certain » poids aux affidavits et [traduction] « peu » de poids au rapport de police même s’ils contenaient des renseignements similaires, et la SAR n’a pas mentionné les affidavits du tout. Cependant, je souligne que, en appel devant la SAR, la demanderesse n’a soulevé aucune erreur relative à la façon dont la SPR a traité les affidavits. Dans les circonstances, la SAR n’était pas tenue d’aborder les incohérences de la SPR dans la façon dont elle a traité les affidavits et le rapport de police. Comme je l’ai déjà mentionné, le rôle de la SAR est d’examiner les erreurs soulevées en appel, mais elle n’est pas tenue d’examiner les erreurs potentielles que le demandeur n’a pas soulevées : Kanawati, au para 23.

[23]  Deuxièmement, la demanderesse soutient que la SAR a mal évalué le rapport de police. Selon elle, la SAR a affirmé à tort que le rapport ne faisait que répéter ses allégations, puisqu’en réalité, il renfermait la version du cousin. De plus, la demanderesse fait valoir que la SAR lui a injustement reproché son incapacité à expliquer pourquoi le rapport de police ne mentionnait pas l’existence de rapports antérieurs concernant les événements en question (sans fournir de preuve que des rapports antérieurs sont habituellement mentionnés), et qu’elle a utilisé cette incapacité à mauvais escient pour tirer « une inférence défavorable » et miner la crédibilité du rapport de police.

[24]  À mon avis, la conclusion de la SAR selon laquelle le rapport de police reprenait les allégations de la demanderesse ne témoigne pas d’une mauvaise compréhension du contenu du rapport. Le cousin a affirmé s’être rendu à la maison familiale de la demanderesse, qu’il a trouvée déserte. Son constat des raisons pour lesquelles la maison était vide, soit que la sœur de la demanderesse avait été tuée par le groupe opposé à la bisexualité qui pourchassait la demanderesse depuis l’attaque de 2014 à l’hôtel, n’était pas fondé sur ses propres observations. Le rapport relaie plutôt des renseignements obtenus auprès de voisins non identifiés et d’amis de la famille, sans révéler la source de ces renseignements. En fait, il est probable que cette source soit la demanderesse elle‑même. Le témoignage de la demanderesse était la seule preuve originale de l’attaque à l’hôtel au dossier, et ce dernier n’a pas été jugé crédible. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de n’accorder aucun poids au rapport de police qui décrivait le même événement sur la foi de renseignements provenant d’une source non précisée.

[25]  Je conviens avec la demanderesse que la SAR n’a pas clairement indiqué pourquoi elle a tiré une inférence défavorable relativement au rapport de police en raison de son incapacité à expliquer pourquoi aucun rapport antérieur concernant l’attaque de 2014 à l’hôtel et l’attaque de 2016 à la maison familiale n’y était mentionné. Cependant, la décision de la SAR de n’accorder aucun poids au rapport de police n’était pas uniquement fondée sur cette inférence, et je ne suis pas convaincue que cette lacune est suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov, au para 100. La SAR a souligné à juste titre que le rapport de police résumait des renseignements présentés à un agent en 2018, au moins deux ans après les événements présumés, et qu’il ne renfermait aucune observation faite par la police ou des témoins des attaques. Dans l’ensemble, la SAR a présenté des motifs suffisants pour justifier sa conclusion selon laquelle aucun poids ne devrait être accordé au rapport de police.

[26]  Troisièmement, la demanderesse soutient que la SAR n’a pas apprécié la preuve indépendante selon la perspective des agents de persécution. J’ai déjà traité de ce point. La SAR n’a pas examiné la preuve selon une perspective erronée, et les conclusions de la SAR portaient non seulement sur la bisexualité présumée de la demanderesse, mais également sur la perception des agents à l’égard de celle‑ci.

[27]  En résumé, je conclus que l’évaluation de la preuve effectuée par la SAR, y compris le poids qu’elle lui a accordé, était raisonnable.

IV.  Conclusion

[28]  Compte tenu de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[29]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-6621-19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6621-19

 

INTITULÉ :

ISOKEN ZILLAH AMEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO) et WINNIPEG (MANITOBA) (par VIDÉOCONFÉRENCE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JUIN 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 1ER SEPTEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sydney Pilek

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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