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Date: 20200908


Dossier : IMM-3931-20

IMM-4024-20

Citation : 2020 CF 887

Montréal (Québec), le 8 septembre 2020

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

CHONDY PIERRE

Demandeurs

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

Défendeur

ORDONNANCE

VU les deux requêtes présentées par le demandeur, M. Chondy Pierre, afin d’obtenir le sursis de l’exécution d’une mesure d’expulsion émise contre lui et ordonnant son renvoi sous escorte vers Haïti, son pays de citoyenneté, en matinée le 9 septembre 2020;

CONSIDÉRANT que, dans le dossier IMM-3931-20, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire [DACJ] à la base de la requête en sursis vise une décision rendue en date du 16 avril 2015 par la Section de l’immigration [SI], concluant que M. Pierre était interdit de territoire au Canada en raison de la gravité de son dossier criminel, aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR];

CONSIDÉRANT que, dans le dossier IMM-4024-20, la DACJ à la base de la requête en sursis vise une décision rendue en date du 29 août 2020 par une agente d’exécution de la loi [Agente] de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], refusant de reporter le renvoi de M. Pierre;

LECTURE FAITE des deux dossiers de requête de M. Pierre et des réponses déposées au nom du ministre défendeur dans chacun des dossiers, et ayant considéré les représentations orales des procureurs des deux parties lors d’une audience tenue par vidéo conférence le 8 septembre 2020;

CONSIDÉRANT qu’une suspension de l’exécution d’une mesure de renvoi constitue un remède extraordinaire et discrétionnaire en « équité » qui exige des circonstances spéciales et convaincantes (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Harkat, 2006 CAF 215 au para 10) et oblige M. Pierre à démontrer les éléments suivants :

  1. M. Pierre doit satisfaire le test tripartite établi par la Cour suprême du Canada dans RJR-Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 pour l’émission d’injonctions interlocutoires et de sursis, et appliqué par la Cour d’appel fédérale aux sursis de renvois en matière d’immigration dans Toth c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF).

  2. Ce test tripartite exige que M. Pierre démontre à la Cour : 1) qu’il existe une question sérieuse à trancher; 2) qu’il subira un préjudice irréparable s’il est renvoyé du Canada à Haïti; et 3) que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur (R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5 au para 12).

  3. Tel que la Cour suprême l’a affirmé dans Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 [Google], la question fondamentale est « essentiellement de savoir si l’octroi d’une injonction est juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire », ce qui « dépendra nécessairement du contexte » (Google au para 25).

  4. Le test est conjonctif et chacune de ses trois composantes doit être satisfaite (Western Oilfield Equipment Rentals Ltd. c M-I L.L.C., 2020 CAF 3 au para 7; Janssen Inc c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112 [Janssen] au para 19). Ainsi, si M. Pierre échoue sur l’un ou l’autre des éléments du test tripartite, sa demande de sursis doit être rejetée.

  5. Lorsque le redressement provisoire demandé a l’effet pratique de décider de l’action sous-jacente, le critère de la question sérieuse est plus exigeant; c’est notamment le cas lorsque la décision visée par le recours sous-jacent est celle de ne pas différer un renvoi. Dans un tel cas, le critère de la question sérieuse à débattre devient plus élevé et « se transforme en critère de vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie » (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148 [Wang] au para 11). Les demandeurs doivent alors démontrer une possibilité vraisemblable de succès dans leur DACJ (Fox c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 346 au para 21).

  6. L’article 48 de la LIPR oblige le ministre à exécuter toute mesure de renvoi valide « dès que possible » (Lewis c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2017 CAF 130[Lewis] au para 54), si bien que le pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution de la loi de reporter un renvoi en vertu du paragraphe 48(2) est limité (Baron c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron] aux para 49, 67). Cette discrétion est réservée aux affaires où le défaut de reporter le renvoi exposerait un demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain, ou encore lorsqu’existent des facteurs pratiques ou logistiques impérieux et temporaires ayant une incidence sur le moment du renvoi (tels que les arrangements de voyage, des problèmes de santé ou le calendrier scolaire des enfants) (Lewis au para 55; Atawnah c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 144 [Atawnah] aux para 13-15; Canada (Ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286 [Shpati] au para 43; Baron aux para 49-51; Wang au para 48).

  7. Par ailleurs, la norme de contrôle applicable à une décision de refuser le report d’un renvoi est celle de la décision raisonnable. Pour être jugée raisonnable, une décision doit être fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et être « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 85, 101);

CONSIDÉRANT que M. Pierre ne se présente pas devant cette Cour avec les « mains propres », et que cela suffit pour que la Cour rejette ses demandes de sursis :

  1. Puisqu’une requête en sursis est un recours discrétionnaire exceptionnel, les demandeurs qui s’adressent à la Cour afin d’obtenir un tel remède doivent n’avoir rien à se reprocher (Massoni Vasquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 FC 1144 au para 27; Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 256 au para 2; Chavez c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 830 au para 13). Quand ce n’est pas le cas, ceci peut constituer une fin de non-recevoir à une demande de sursis (comme le réclamait d’ailleurs ici le ministre), ou à tout le moins peser en faveur du ministre dans la balance des inconvénients.

  2. En d’autres termes, quiconque cherche l’équité doit agir à l’avenant (« those who seek equity must do equity ») (Wright c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2002 CFPI 113 au para 26; voir également Canada (Citoyenneté et Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14 aux para 9-10).

  3. La Cour a maintes fois statué qu’un sursis peut être refusé à ceux qui n’ont pas les « mains propres » ou ne se présentent pas devant la Cour avec la meilleure bonne foi et une attitude irréprochable (Baron au para 65). Dans l’arrêt Canada (Revenu national) c Cameco Corporation, 2019 CAF 67 [Cameco], la Cour d’appel fédérale a récemment répété que la théorie des « mains propres » était « une doctrine en équité selon laquelle une partie peut être inadmissible à une réparation à laquelle elle aurait autrement eu droit, en raison d’une conduite qu’elle a eue par le passé ou parce qu’elle a fait preuve de mauvaise foi. Fait important, pour que la conduite passée justifie le refus d’accorder une réparation, elle doit être directement liée à l’objet même de la demande » (Cameco au para 37).

  4. C’est précisément le cas en l’espèce.

  5. M. Pierre avait déjà contesté la décision de la SI devant cette Cour dans le dossier IMM-5643-15, mais il s’était désisté de cette demande. Il avait exercé son droit d’appel de la décision de la SI devant la Section d’appel de l’immigration [SAI], mais, vu le défaut de M. Pierre d’y donner suite, la SAI a prononcé le désistement de son appel. En janvier 2019, la SAI a ensuite refusé une demande de réouverture déposée par M. Pierre, et ce dernier a contesté devant la Cour la décision défavorable alors rendue par la SAI à son égard (dossier IMM-499-19). La Cour a rejeté la DACJ de M. Pierre dans ce dossier. Au surplus, dans une ordonnance motivée et détaillée rendue le 8 février 2019, la Cour a refusé d’accorder le sursis alors demandé par M. Pierre.

  6. Toutefois, M. Pierre a décidé de ne pas se présenter pour son renvoi à la date prévue, et un mandat d’arrestation d’immigration a dû être émis contre lui. Ce n’est pas avant le mois de juillet 2020 que M. Pierre a décidé de se présenter aux autorités d’immigration et que le mandat d’arrestation à son endroit a pu être exécuté.

  7. M. Pierre a donc délibérément choisi d’ignorer et de désobéir à une ordonnance d’expulsion valide, dans le cadre d’un dossier qui soulevait les mêmes faits que M. Pierre tente aujourd’hui de réintroduire devant la Cour. M. Pierre a, à dessein, enfreint les lois d’immigration canadiennes, il a sapé l’intégrité du système d’immigration, et il a affiché un profond mépris envers l’autorité de la Cour.

  8. Le ministre soutient que ce seul motif justifie le rejet des présentes requêtes. Je suis tout à fait d’accord. L’inconduite de M. Pierre milite contre l’exercice de la discrétion de la Cour, qui ne saurait cautionner un tel comportement.

CONSIDÉRANT qu’au surplus et qu’à tout événement, M. Pierre ne satisfait aucun des trois éléments du test tripartite bien établi pour l’octroi d’un sursis;

CONSIDÉRANT que, pour les raisons suivantes, M. Pierre n’a pas démontré l’existence d’une question sérieuse à trancher dans l’un ou l’autre de ses deux dossiers de requête :

  1. Il n’y a aucune question sérieuse à débattre dans le dossier IMM-3941-20 car la Cour a déjà rejeté les motifs de contestation que M. Pierre avance aujourd’hui eu égard à la décision de la SI.

  2. Il n’y a pas plus de question sérieuse à débattre dans le dossier IMM-4024-20 relatif à la décision de l’Agente refusant de reporter le renvoi :

    1. Dans ses représentations, M. Pierre se contente de répéter des allégations similaires à celles qu’il a faites sans succès dans ses recours antérieurs devant la SAI et devant cette Cour. M. Pierre a été entendu sur sa demande de réouverture et a pu faire valoir ses arguments invoquant une erreur quant aux conclusions de grande criminalité à son endroit ou encore un manquement aux principes de justice naturelle dans le traitement de son dossier. La SAI a rejeté ces arguments, et la Cour a confirmé cette décision.
    2. En somme, M. Pierre tente ici de remettre en cause une question particulière qui a déjà été tranchée lors d’une instance antérieure à laquelle il était partie. Il y a manifestement chose jugée en l’espèce (Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44 au para 33; Tuccaro c Canada, 2014 CAF 184 au para 14). M. Pierre ne peut donc pas aujourd’hui demander à la Cour de reconsidérer le bien-fondé des conclusions de grande criminalité émises à son égard, ainsi que les décisions antérieures rendues par la SI et la SAI, et par cette Cour.
    3. Je souligne par ailleurs que les arguments soulevés par M. Pierre eu égard à l’arrêt Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50 auraient pu l’être lors de son audience devant la SAI en juillet 2018. Ils ne l’ont pas été, et M. Pierre ne peut aujourd’hui les resoumettre à la faveur d’un recours de facture essentiellement identique à celui que la Cour lui a déjà refusé.
    4. Au surplus, la DACJ de M. Pierre est manifestement hors délai, et aucune preuve ni aucun argument n’ont été soumis pour convaincre la Cour que M. Pierre pourrait satisfaire les critères applicables pour obtenir une prorogation de délai (Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 au para 61; Canada (Attorney General) v Hennelly, [1999] FCJ No 846 (FCA) au para 3).
    5. La DACJ de M. Pierre eu égard à la décision d’avril 2015 de la SI n’a donc aucune chance de succès.
    1. Puisque le remède recherché par M. Pierre dans cette deuxième requête de sursis est le même que dans sa DACJ sous-jacente, soit de rester au Canada, le critère de la question sérieuse à débattre est ici plus exigeant et se transforme en critère de vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie (Wang au para 11). M. Pierre devait donc démontrer une possibilité vraisemblable de succès dans sa DACJ à l’encontre de la décision de l’Agente refusant sa demande de report de renvoi.
    2. Je souligne que la question sérieuse à déterminer n’est pas de savoir si, à lumière de ses représentations, M. Pierre devrait être renvoyé dans son pays de citoyenneté ou non; il s’agit plutôt d’identifier si la décision de l’Agente dont M. Pierre recherche l’annulation soulève une question telle que son renvoi devrait être suspendu le temps que la Cour puisse examiner cette question au mérite.
    3. Or, je ne décèle aucune question sérieuse qui pourrait offrir à M. Pierre une chance raisonnable de succès à l’encontre de la décision de l’Agente. En effet, une revue de cette décision révèle que, même si les motifs sont brefs, l’Agente a analysé la preuve soumise de façon rigoureuse, mais que la preuve des risques allégués par M. Pierre était déficiente, que ce soit sur sa contestation de la décision d’avril 2015 de la SI, sa demande de parrainage en cours, son fils au Canada ou la présence prétendument requise de M. Pierre pour sa mère ou son frère en raison de leur état de santé. Tous les éléments pertinents ont été considérés par l’Agente, mais ils ont été jugés incomplets, lacunaires et insuffisants pour soutenir la demande de M. Pierre.
    4. M. Pierre ne m’a donc pas convaincu que, devant une telle trame factuelle et considérant le pourvoir discrétionnaire limité d’un agent d’exécution de la LIPR dans le cadre d’une demande de sursis administratif, l’Agente aurait commis une erreur de fait ou de droit dans son appréciation du dossier. Je ne suis pas persuadé que M. Pierre pourrait démontrer que la décision attaquée n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti.Je conclus plutôt que la décision de l’Agente possède les attributs de justification, de transparence et d’intelligibilité requis, et qu’elle est bien fondée et raisonnable.

CONSIDÉRANT que, pour les raisons suivantes, M. Pierre n’a pas non plus fait la preuve qu’il souffrira d’un préjudice irréparable entre maintenant et la date d’une décision à venir sur l’une ou l’autre de ses DACJ, advenant son retour en Haïti :

  1. Aux termes de la loi et de la jurisprudence, le préjudice irréparable est un critère sévère qui oblige à démontrer l’existence d’une menace sérieuse à la vie ou à la sécurité des demandeurs (ou de leurs proches). Il exige une preuve claire, concluante et non spéculative à son soutien, allant au-delà de ce qui est inhérent à la notion même de renvoi ou d’expulsion (Palka c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CAF 165 au para 12; Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261 [Selliah] au para 13).

  2. La Cour d’appel fédérale a fréquemment insisté sur la qualité de la preuve requise pour établir un préjudice irréparable :

  3. Au titre du préjudice irréparable, le dossier de M. Pierre se résume à bien peu de choses. M. Pierre mentionne le fait d’avoir été injustement jugé inadmissible pour grande criminalité; l’effet néfaste de son renvoi sur sa famille et sa conjointe; la promesse faite à son beau-père sur son lit de mort; et sa demande pendante de parrainage à titre d’époux. Son affidavit est avare de détails et se résume à des affirmations générales.

  4. Après analyse, je conclus que la preuve fournie par M. Pierre est largement insuffisante pour satisfaire le critère sévère et élevé de préjudice irréparable. Elle ne démontre aucunement que, sur la base de la prépondérance des probabilités, M. Pierre serait exposé à un risque sérieux pour sa vie et sa sécurité s’il retourne à Haïti.

  5. Les risques personnels invoqués par M. Pierre, comme le fait d’avoir un dossier criminel au Canada et d’être expulsé pour cette raison, ont déjà fait l’objet d’examens et ont été rejetés par un agent d’examen des risques avant renvoi [ERAR].

  6. Je rappelle aussi que l’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement un bouleversement important et son lot de difficultés (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 23). Comme la Cour d’appel fédérale l’a indiqué, « les difficultés et perturbations causées à la vie familiale sont une des conséquences regrettables entraînées par les mesures de renvoi, mais elles ne constituent manifestement pas un préjudice irréparable » (Baron au para 69). Le fait que les difficultés familiales causées par un renvoi ne sont pas, en soi, un préjudice irréparable fait d’ailleurs l’objet d’un large consensus dans la jurisprudence (Tesoro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 148 au para 42 ; Atwal au para 16 ; Tran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 394 au para 10). Les impacts négatifs sur la famille de M. Pierre, hélas, sont des conséquences difficiles et malheureuses inhérentes à la notion d’expulsion et causées par les mesures de renvoi (Selliah au para 13).

  7. Au surplus, il est bien établi que les risques déjà allégués devant les autorités canadiennes en matière d’immigration, et jugés insatisfaisants, ne peuvent pas renaître de leurs cendres et constituer un préjudice irréparable au stade d’une requête en sursis (Yafu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 125 au para 5; Ellero c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 1364 aux para 45-47; Nalliah c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1649 au para 18). C’est le cas ici pour le préjudice invoqué en lien avec la situation à Haïti, qui a été analysée dans le cadre de la demande ERAR de M. Pierre. Il n’y a pas non plus, dans le présent dossier, de preuve de nouvelles allégations de risque qui auraient été omises ou ignorées par les autorités d’immigration dans le traitement du dossier de M. Pierre, ou qui auraient surgi depuis sa demande ERAR (Atawnah au para 14; Shpati aux para 41-42).

  8. J’ajoute enfin que la demande de parrainage de M. Pierre poursuivra son cours et que le simple fait qu’un renvoi puisse rendre plus difficile une demande pendante devant les autorités canadiennes d’immigration ne constitue pas, en soi, un préjudice irréparable et un motif de sursis en l’absence de circonstances exceptionnelles. Le simple fait d’avoir une demande de parrainage pendante au Canada n’est pas un préjudice irréparable, à moins qu’une décision à son sujet ne soit imminente. Rien dans la preuve ne suggère que ce soit le cas ici.

  9. Après analyse, je ne peux donc identifier aucun élément de preuve suffisant pour satisfaire les exigences sévères d’un préjudice irréparable que pourrait subir M. Pierre suite à son renvoi.

    1. Le préjudice irréparable exige une preuve claire et non-spéculative (AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2011 CF 505 au para 56, conf 2011 CAF 211; Aventis Pharma SA c Novopharm Ltd, 2005 CF 815 aux para 59-61, conf 2005 CAF 390).
    2. Simplement alléguer que le préjudice irréparable est possible est insuffisant : « [i]l ne suffit pas de démontrer qu’un préjudice irréparable « pourrait » se produire » (United States Steel Corporation c Canada (Procureur général), 2010 CAF 200 au para 7; Centre Ice Limited v National Hockey League (1994), 53 CPR (3d) 34 (FCA) p 52).
    3. La preuve de préjudice irréparable requiert plus qu’une série de possibilités, d’hypothèses ou d’affirmations générales et non étayées (Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 [Gateway City Church] au para 15; Singh Atwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 427 [Atwal] au para 14).
    4. Il faut plutôt démontrer une probabilité réelle de préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé (Gateway City Church au para 16) : « [p]our établir l’existence d’un préjudice irréparable, il faut produire des éléments de preuve suffisamment probants dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé. Les hypothèses, les conjectures et les affirmations discutables non étayées par les preuves n’ont aucune valeur probante » (Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 31).
    5. De vagues hypothèses et de simples affirmations, plutôt que des éléments de preuve détaillés et précis, ne peuvent ainsi justifier un redressement aussi important qu’un sursis (Janssen au para 24).

CONSIDÉRANT que, pour les raisons suivantes, la prépondérance des inconvénients favorise aussi le ministre dans les circonstances :

  1. L’intérêt public milite en faveur de la protection de l’intégrité du système canadien d’immigration et de protection des réfugiés, lequel prévoit que le renvoi dans le pays d’origine doit s’effectuer dès que possible et qu’une ordonnance d’expulsion soit exécutée à la date fixée (paragraphe 48(2) de la LIPR; Lewis au para 54; Selliah aux para 21-22). Il en va « de l’intégrité et de l’équité du système canadien de contrôle de l’immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système » que les mesures de renvoi soient exécutées promptement (Selliah au para 22).

  2. De plus, le fait qu’une personne qui recherche le report d’une mesure de renvoi ait bénéficié de plusieurs recours infructueux dans le cadre du système canadien d’immigration peut être pris en compte dans la détermination de la prépondérance des inconvénients. Dans un tel cas, les refus répétés font pencher la balance en faveur de l’exécution de la loi par le ministre (Selliah aux paras 21-22). Ici, M. Pierre a pu intenter, entre avril 2015 et aujourd’hui, différents recours pour demeurer au Canada aux termes de la LIPR (multiples demandes devant la SI et la SAI, demande d’ERAR). Chaque fois, il a reçu des décisions administratives défavorables. La prépondérance des inconvénients ne milite donc pas en faveur d’un nouveau report de l’accomplissement de l’obligation du ministre de le renvoyer dans son pays d’origine.

  3. Au surplus, le fait que M. Pierre ait cavalièrement ignoré une ordonnance préalable de la Cour refusant sa demande de sursis contribue à faire pencher la balance des inconvénients en faveur du ministre;

CONSIDÉRANT qu’un sursis d’exécution est une mesure extraordinaire pour laquelle M. Pierre devait établir des circonstances spéciales et impérieuses donnant ouverture à une intervention judiciaire exceptionnelle, ce qui n’est absolument pas le cas en l’espèce;

CONSIDÉRANT qu’en regard de l’ensemble des circonstances des présents dossiers, l’octroi d’un sursis ne serait ni juste et équitable; 

LA COUR ORDONNE que :

  1. Les deux requêtes demandant le sursis de l’exécution de la mesure d’expulsion concernant le demandeur, M. Chondy Pierre, soient rejetées, sans dépens.

« Denis Gascon »

Juge

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