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Date : 20040916

 

Dossier : IMM‑8460‑03

 

Référence : 2004 CF 1257

 

Montréal (Québec), le 16 septembre 2004

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

 

 

ENTRE :

 

                                                 ANTONIO RAMIREZ ANGELES

 

                                                                                                                                          demandeur

 

                                                                             et

 

 

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                            défendeur

 

 

 

                               MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 


[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision datée du 1er octobre 2003 dans laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel du demandeur contre un rapport établi par un agent d’immigration le 3 décembre 2002 conformément au paragraphe 44(1) de la LIPR. La SAI a confirmé la décision de l’agent d’immigration suivant laquelle le demandeur était interdit de territoire au Canada parce qu’il n’avait pas respecté l’obligation de résidence énoncée à l’article 28 de la LIPR et a conclu qu’aucune forme de mesure spéciale n’était justifiée en l’espèce.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[2]               La question dont je suis saisi est de savoir si la SAI a tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable, ou si elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision.

 

[3]               Je réponds à cette question par la négative et je rejette la présente demande pour les motifs exposés ci‑dessous.

 

LES FAITS

 


[4]               Le demandeur est un citoyen des Philippines. Son père a parrainé sa demande d’immigration et il est devenu résident permanent du Canada le 15 octobre 1992. Le demandeur est également un employé permanent de Philippines Airlines depuis environ 10 ans, et, selon ce qu’indique son passeport, il a passé approximativement 360 jours au Canada au cours des cinq dernières années (de 1997 à 2002). Le 3 décembre 2002, le demandeur est arrivé au Canada, où il a été interviewé par un agent d’immigration qui a conclu que, vu sa période de résidence au Canada, il n’avait pas respecté l’obligation de résidence de 730 jours prévue à l’article 28 de la LIPR. En conséquence, un rapport a été établi conformément à l’alinéa 44(1)b) de la LIPR, et une mesure d’interdiction de séjour a été prise contre le demandeur.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DE LA DEMANDE DE CONTRÔLE

 

[5]               Le 1er octobre 2003, la SAI a rejeté l’appel du demandeur, a jugé que la mesure de renvoi était valide en droit et a conclu qu’il n’existait pas de motifs suffisants justifiant la prise d’une mesure spéciale fondée sur des considérations humanitaires. Au paragraphe 17 de sa décision, la SAI a dit que le demandeur :

 

[...] a eu toutes les occasions possibles de donner davantage d’explications au tribunal pour préciser quand il est entré au Canada, ce qu’il a fait pendant qu’il était là et quand il est reparti, mais la plupart du temps, le [demandeur] a refusé de répondre aux questions ou était tout simplement incapable de se souvenir. On a rappelé de temps à autres [au demandeur] que c’était à lui qu’incombait le fardeau de la preuve. Le tribunal n’a donc pas eu d’autre choix que de conclure, après avoir vérifié le passeport du [demandeur], qu’il n’y avait aucune raison de douter de la conclusion de l’agent d’immigration.

 

Le 29 octobre 2003, le demandeur a déposé une demande fondée sur l’article 72 de la LIPR en vue d’obtenir l’autorisation d’introduire une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAI le 1er octobre 2003 et cette autorisation fut accordée.

 


PRÉTENTIONS DES PARTIES

 

Le demandeur

 

[6]               Le demandeur soutient que la SAI n’a pas respecté les principes de justice fondamentale lorsqu’elle a permis la poursuite de l’affaire sans au préalable lui avoir fourni les services d’un interprète, sans avoir jugé que l’agent d’immigration ne lui avait pas fourni les services d’un interprète à l’aéroport et sans s’être assurée qu’il était représenté par un conseil compétent (sa soeur) lors de l’appel. Le demandeur prétend également que, suivant l’article 5.4 du document intitulé « OP 10 – Détermination du statut de résident permanent » (page 9) et le paragraphe 28(2)c) de la LIPR, l’agent d’immigration avait l’obligation de tenir compte des considérations humanitaires relatives à la demande avant de prendre une décision et que, par conséquent, la procédure dans son ensemble était illégale depuis le tout début. Il ajoute que la SAI a également manqué à son obligation de tenir compte de ces considérations. (La SAI ne pouvait traiter de l’argument d’illégalité puisqu’il n’avait été soulevé ni par le demandeur ni par son conseil.) Le demandeur maintient également qu’en rejetant son appel, la SAI n’a pas tenu compte d’un document dont elle était saisie, lequel indiquait qu’il avait passé 853 jours au Canada de 1997 jusqu’à la date de l’audience; toutefois, au paragraphe 5 de son mémoire des faits et du droit, il affirme :

 


[traduction] [...] durant l’audience, elle [la représentante du demandeur] a produit un document qui contenait des renseignements détaillés tirés du passeport du demandeur; il s’agissait non pas d’une preuve, mais uniquement d’une compilation de ce qui était contenu dans le passeport. Le conseil a soumis ce document à la Cour pour que celle‑ci puisse comparer son contenu à celui du passeport [...]

 

[7]               Le demandeur prétend également qu’un appel devant la SAI est une audience de novo et que le temps qu’il a passé au Canada en attendant que son appel soit entendu, après la production du rapport visé au paragraphe 44(1) de la LIPR, devrait compter dans le calcul de sa période de résidence. Il prétend donc que la SAI a commis une erreur en ne considérant pas ce facteur.

 

Le défendeur

 

[8]               Le défendeur soutient que la SAI a conclu à bon droit que le paragraphe 28(1) de la LIPR est clair et sans équivoque en ce qu’il exige des résidents permanents qu’ils soient physiquement présents au Canada pendant au moins 730 jours sur une période de cinq ans. Dans sa décision, la SAI a noté que le demandeur avait eu pleinement la possibilité de témoigner en son propre nom, mais qu’il n’avait pas réussi à établir avec un certain degré de certitude les dates auxquelles il était entré au Canada et en était ressorti durant la période de 1997 à 2002. La SAI a examiné les notes de l’agent d’immigration et, après avoir confirmé l’exactitude des calculs en faisant ses propres vérifications dans le passeport du demandeur, elle a donné à cette preuve sa pleine valeur probante et a raisonnablement conclu que l’obligation de résidence prévue dans la LIPR n’avait pas été respectée.

 

 

[9]               Le défendeur prétend également que, si le demandeur voulait ajouter des documents à la preuve soumise à l’appui de son appel devant la SAI, il aurait dû les produire conformément aux lignes directrices procédurales applicables pour la communication de documents, lesquelles sont prévues aux articles 32 à 36 des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002‑230 (les Règles), et que son omission de le faire ne saurait être interprétée comme une erreur commise par la SAI.

 

ANALYSE

 

[10]           C’est la norme de la décision manifestement déraisonnable que la Cour doit appliquer lorsqu’elle est appelée à contrôler une décision de la SAI. Plusieurs décisions de cette Cour et de la Cour d’appel fédérale ont renforcé cette norme, qui est exposée notamment dans l’arrêt Jessani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 270 N.R. 293, [2001] A.C.F. no 662 (C.A.) (QL).

 

Calcul de la période de résidence physique

 


[11]           Compte tenu de la preuve dont je suis saisi, je suis convaincu que la SAI a examiné comme il se doit les calculs de l’agent d’immigration et qu’elle a bien révisé le passeport du demandeur. Je suis également convaincu que le paragraphe 28(1) de la LIPR est clair et sans équivoque en ce qu’il exige des résidents permanents qu’ils soient physiquement présents au Canada pendant au moins 730 jours sur une période de cinq ans. Je me fonde donc sur le paragraphe 62(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, pour conclure que la période passée au Canada après que l’agent d’immigration eut établi son rapport du 3 décembre 2002 ne pouvait être comptée dans le calcul de la période de résidence physique requise aux termes du paragraphe 28(1) de la LIPR.

 

Preuve documentaire

 

[12]           Je note que le document (qui indiquait que le demandeur avait passé 853 jours au Canada jusqu’à la date de l’audience), s’il avait été déposé conformément aux Règles, n’aurait rien changé à la situation, et ce, pour les motifs exposés au paragraphe qui précède. Par conséquent, je n’ai pas besoin de me pencher sur les autres questions que soulève cet argument.

 

Considérations d’ordre humanitaires

 


[13]           J’ai noté que la SAI avait bel et bien tenu compte des considérations humanitaires, et je suis d’accord avec le défendeur que l’un des facteurs‑clés dont la SAI doit tenir compte dans son appréciation est l’intention du demandeur et que, comme on l’a affirmé dans la décision Kuan c. Canada (M.C.I.), [2003] D.S.A.I. no 638; Nos VA2‑02440, 3481‑8672 (DSAI) (QL), les intentions d’une personne au cours de périodes prolongées de résidence à l’extérieur du Canada constituent un facteur important à prendre en considération dans l’évaluation d’un appel fondé sur des motifs discrétionnaires. Se basant sur les soumissions fournies, je suis convaincu que la SAI a examiné attentivement le degré d’établissement du demandeur au Canada et qu’elle a fourni des motifs valables à l’appui de sa décision défavorable, notamment en affirmant ce qui suit au paragraphe 20 :

 

[traduction] En l’espèce, il n’y avait absolument aucune preuve d’efforts faits par le [demandeur] pour s’établir au Canada. De fait, la preuve indiquait exactement l’inverse, dans la mesure où le [demandeur] a conservé son emploi avec son employeur aux Philippines, conservé son domicile permanent aux Philippines avec son épouse et ses enfants, n’a jamais essayé d’obtenir un emploi permanent au Canada bien que ses frères et sœurs soient déjà établis au Canada, et n’a jamais essayé de parrainer son épouse ni ses enfants pour qu’ils puissent venir le rejoindre au Canada, bien qu’il soit marié depuis 1997.

 

 


[14]           Je suis également convaincu, après avoir examiné la preuve soumise, que la SAI a dûment tenu compte des facteurs de la réunification des familles et du préjudice lorsqu’elle a apprécié les considérations humanitaires. J’estime donc que le demandeur avait peut‑être l’intention de s’établir au Canada à un moment donné dans l’avenir, dans l’espoir d’améliorer le niveau de vie de sa famille, et je conclus qu’il n’a jamais pris racine au Canada et qu’il n’a jamais non plus, entre 1992 et 2003, pris quelque mesure que ce soit démontrant qu’il avait l’intention de s’établir ici de façon permanente. Je conclus donc que la SAI n’a pas commis d’erreur en jugeant que, même s’il s’agissait de motifs valables pour chercher à immigrer dans un autre pays et vu que la mesure de renvoi était fondée sur le non‑respect par le demandeur des conditions énoncées dans la LIPR, les motifs d’ordre économiques invoqués étaient insuffisants pour satisfaire aux critères établis pour l’octroi d’une mesure de redressement spéciale fondée sur des considérations humanitaires. Vu l’argument du conseil du demandeur suivant lequel l’agent d’immigration n’a pas tenu compte des considérations humanitaires avant de prendre sa décision, ce qui a donné lieu à une situation illégale qui a rendu la procédure d’appel illégale en soi, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le demandeur a le fardeau de présenter sa preuve et que l’agent n’a pas une telle obligation à cet égard. (Voir le paragraphe 28(1) et l’alinéa 28(2)c) de la LIPR.)

 

Principes de justice fondamentale

 


[15]           Après avoir examiné attentivement l’ensemble des observations écrites et orales, j’estime que le demandeur a eu pleinement la possibilité de témoigner pour son propre compte devant la SAI et qu’il n’a pas réussi à établir avec un certain degré de certitude les dates auxquelles il était entré au Canada et en était ressorti, durant la période de 1997 à 2002. Ce faisant, j’ai également examiné attentivement la transcription de l’audience devant la SAI tenue le 1er octobre 2003 et, bien que la représentante du demandeur semble avoir eu de la difficulté à satisfaire aux exigences procédurales de l’audience et que la demande d’ajournement qu’elle a déposée afin de pouvoir dûment produire des documents a été rejetée (page 8 de la transcription), je ne trouve aucun élément de preuve me permettant de conclure que le demandeur ou sa représentante ont montré à la SAI qu’ils se posaient quelques questions que ce soit quant à savoir si les services d’un conseil compétent devaient être retenus. Cela étant dit, je me fonde sur les commentaires suivants du juge Rothstein dans la décision Huynh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 F.T.R. 11, [1993] A.C.F. no 642 (C.F. 1re inst.) (QL), et je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la conduite du conseil ne pose aucun problème quant au respect par le tribunal administratif des principes de justice naturelle :

 

[...] Le fait que l’histoire du requérant n’ait pas été racontée ou ne se soit pas fait jour peut avoir été une faute de la part de l’avocat, ou il se peut que le requérant n’ait pas donné à l’avocat l’information appropriée. Selon mon interprétation des faits, le requérant a librement choisi son avocat. Si l’avocat ne représentait pas adéquatement son client, c’est une affaire entre le client et l’avocat.

 

Je conclus donc que la SAI n’était pas tenue d’intervenir relativement au conseil choisi par le demandeur et qu’en l’espèce, la « compétence du conseil » n’est pas un argument qui justifierait une conclusion suivant laquelle la SAI a manqué aux principes de justice naturelle.

 


[16]           J’ai également examiné attentivement les observations portant sur la question relative aux services de traduction et je ne puis trouver aucun élément de preuve à l’appui de l’allégation suivant laquelle la SAI a manqué aux principes de justice naturelle à cet égard. À titre d’exemple, rien ne prouve que le demandeur ou sa représentante ait demandé l’aide d’un interprète, et je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il est bien établi qu’une violation des principes de justice naturelle doit être soulevée à la première occasion (voir à titre d’exemple l’arrêt Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 172 N.R. 308, [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F.) (QL). Ne l’ayant pas fait, le demandeur ne peut maintenant prétendre avoir été privé de ses droits. Je conclus donc que la SAI a respecté les principes de justice naturelle pour rendre sa décision. Cela étant dit, je souligne que le demandeur a admis dans son affidavit daté du 17 novembre 2003, qu’il a versé à son dossier, qu’il parlait [traduction] « un peu l’anglais » et que son conseil [traduction] « parl[ait] anglais » (voir les paragraphes 8 et 11).

 

[17]           Pour tous ces motifs, je conclus que la décision de la SAI en l’espèce est raisonnable et qu’elle doit donc être confirmée.

 

[18]           On a demandé aux parties de proposer une question à certifier, mais elles ne l’ont pas fait.

 

                                       ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Simon Noël »

Juge

 


                                    COUR FÉDÉRALE

 

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8460‑03

 

INTITULÉ :                                                  ANTONIO RAMIREZ ANGELES

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         LE 14 SEPTEMBRE 2004

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 16 SEPTEMBRE 2004

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harry Blank                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Andrea Shahin                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harry Blank                                                    POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

Morris Rosenberg                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 


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