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Date : 20060626

Dossier : IMM‑4060‑05

Référence : 2006 CF 804

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

ROWLAND GEORGE DANIEL COHEN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 22 septembre 2005 d’une agente des visas (l’agente) qui lui a refusé un visa de résident permanent. Le refus de l’agente était fondé sur le fait que le demandeur était interdit de territoire en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), parce que l’état de santé de son épouse risquait vraisemblablement d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé en raison de sa polyarthrite rhumatoïde.

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur est un ressortissant britannique qui est marié et père de trois enfants. Il a reçu une offre d’emploi comme plombier et monteur d’installations au gaz en Colombie‑Britannique. Il a demandé la résidence permanente et a obtenu suffisamment de points pour être considéré comme étant un ouvrier qualifié.

 

[3]               Par lettre datée du 16 septembre 2004 (la lettre d’équité), l’agente informait le demandeur qu’il ne répondait sans doute pas aux conditions de l’immigration au Canada en raison de l’état de santé de son épouse. Elle invitait le demandeur à produire d’autres renseignements sur l’état de santé de son épouse, après quoi elle rendrait une décision définitive sur la demande de résidence permanente. Le demandeur s’est exécuté et a communiqué d’autres renseignements à l’agente.

 

LA DÉCISION DE L’AGENTE

[4]               Bien que le demandeur fût considéré comme étant un travailleur qualifié, l’agente des visas a refusé sa demande de résidence permanente parce qu’elle a estimé, conformément au paragraphe 38(1) de la Loi, que son épouse, atteinte de polyarthrite rhumatoïde, est une personne dont l’état de santé risquait vraisemblablement d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada.

 

LE POINT LITIGIEUX

[5]               L’agente des visas a‑t‑elle commis une erreur dans son interprétation des mots « fardeau excessif »?

 

ANALYSE

[6]               Les dispositions de la Loi qui intéressent la présente affaire sont les suivantes :

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

 

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

 

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

 

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

 

(a) is likely to be a danger to public health;

 

(b) is likely to be a danger to public safety; or

 

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.

 

 

[7]               Les dispositions applicables du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), sont les suivantes :

20. L’agent chargé du contrôle conclut à l’interdiction de territoire de l’étranger pour motifs sanitaires si, à l’issue d’une évaluation, l’agent chargé de l’application des articles 29 à 34 a conclu que l’état de santé de l’étranger constitue vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risque d’entraîner un fardeau excessif.

20. An officer shall determine that a foreign national is inadmissible on health grounds if an assessment of their health condition has been made by an officer who is responsible for the application of sections 29 to 34 and the officer concluded that the foreign national’s health condition is likely to be a danger to public health or public safety or might reasonably be expected to cause excessive demand.

 

34. Pour décider si l’état de santé de l’étranger risque d’entraîner un fardeau excessif, l’agent tient compte de ce qui suit :

34. Before concluding whether a foreign national’s health condition might reasonably be expected to cause excessive demand, an officer who is assessing the foreign national’s health condition shall consider

 

a) tout rapport établi par un spécialiste de la santé ou par un laboratoire médical concernant l’étranger;

(a) any reports made by a health practitioner or medical laboratory with respect to the foreign national; and

 

b) toute maladie détectée lors de la visite médicale.

(b) any condition identified by the medical examination.

 

1(1) « fardeau excessif » Se dit :

1(1) “excessive demand” means

 

a) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses pour les services de santé et pour les services sociaux sur une période de cinq années consécutives suivant la plus récente visite médicale exigée par le présent règlement ou, s’il y a lieu de croire que des dépenses importantes devront probablement être faites après cette période, sur une période d’au plus dix années consécutives;

(a) a demand on health services or social services for which the anticipated costs would likely exceed average Canadian per capita health services and social services costs over a period of five consecutive years immediately following the most recent medical examination required by these Regulations, unless there is evidence that significant costs are likely to be incurred beyond that period, in which case the period is no more than 10 consecutive years; or

 

b) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé qui viendrait allonger les listes d’attente actuelles et qui augmenterait le taux de mortalité et de morbidité au Canada vu l’impossibilité d’offrir en temps voulu ces services aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents. (excessive demand)

 

(b) a demand on health services or social services that would add to existing waiting lists and would increase the rate of mortality and morbidity in Canada as a result of the denial or delay in the provision of those services to Canadian citizens or permanent residents. (fardeau excessif)

 

 

[8]               Dans l’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.S. no 58, la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de contrôle à appliquer est la décision correcte lorsqu’il s’agit de savoir si un agent s’est fourvoyé en disant que l’état de santé d’un demandeur risquait vraisemblablement d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, en application du sous‑alinéa 19(1)a)(ii) (aujourd’hui le paragraphe 38(1)) de la Loi.

 

L’agente des visas a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse des mots « fardeau excessif »?

 

[9]               Le demandeur fait valoir que la manière dont l’agente des visas et le médecin agréé ont interprété les mots « fardeau excessif » est viciée parce que tous deux ont manqué à leur obligation de calculer les coûts des services de santé et les coûts des services sociaux sur une période de cinq ans, pour le Canadien moyen et pour l’épouse du demandeur.

 

[10]           Selon le demandeur, la décision de l’agente de lui refuser la résidence permanente est fondée sur l’idée que, pour maîtriser son état, l’épouse du demandeur a besoin d’un médicament coûteux, l’Entanercept. Cependant, comme l’a indiqué le demandeur, si l’agente avait tenu compte des arguments qu’il avait présentés en réponse à la lettre d’équité, l’agente serait arrivée à la conclusion que l’épouse du demandeur n’a pas besoin de l’Entanercept pour maîtriser son état. Le demandeur affirme donc que l’état de santé de son épouse n’entraînerait pas un fardeau excessif pour le système de santé.

 

[11]           J’ai scrupuleusement examiné les documents produits comme preuve, en particulier les notes manuscrites du médecin agréé, le Dr Georges Giovinazzo, son affidavit et la transcription du contre‑interrogatoire. J’ai aussi examiné la transcription de l’agente des visas, Mme Anne Vanden Bosch, son contre‑interrogatoire et son affidavit. J’ai aussi examiné le dossier médical.

 

[12]           Je suis particulièrement troublé par certaines contradictions apparaissant dans le calcul des coûts effectué par le médecin agréé. Il existe un seuil des besoins annuels prévus en services de santé et services sociaux pour le Canadien moyen. Ce seuil a été fixé en vertu du Règlement d’après la somme établie par le Centre canadien d’information sur la santé. À l’époque de l’évaluation du demandeur, le seuil se chiffrait à 3 950 $ par année.

 

[13]           Le médecin agréé a calculé que les coûts de l’Entanercept au Royaume‑Uni – le médicament que prenait l’épouse du demandeur – dépassaient 17 000 $ par année. Pour calculer combien ledit médicament coûterait en Colombie‑Britannique, le médecin agréé a tenu compte de certains abattements qui s’appliquent dans cette province et il est arrivé au chiffre d’environ 10 000 $ par année.

 

[14]           Plus tard durant son contre‑interrogatoire, le médecin agréé a répondu que l’épouse du demandeur pourrait avoir besoin de l’Entanercept durant un an et demi avant qu’elle puisse compter uniquement sur une nouvelle thérapie de substitution appelée « Margaret Hills ». Le médicament allait donc coûter environ 15 000 $ pour la période de dix‑huit mois. Après cela, l’épouse du demandeur n’aurait sans doute plus besoin de prendre le coûteux médicament. Si l’on considère le fardeau excessif sur une période de cinq ans, comme le requiert la Loi, on voit que le coût total serait inférieur au seuil susmentionné établi pour le Canadien moyen.

 

[15]           Si nous prenons les notes, l’affidavit et la transcription comme formant un ensemble, nous voyons que le médecin agréé est sceptique sur les résultats de la thérapie « Margaret Hills » et qu’il croit que, si la thérapie échoue, le demandeur devra à nouveau compter sur le coûteux médicament qui était parvenu auparavant à régulariser l’état de son épouse.

 

[16]           Néanmoins, trop de suppositions entourent le dossier, et ni l’agente des visas ni le médecin agréé n’ont été suffisamment précis dans leurs conclusions.

 

[17]           À mon avis, cela équivaut à une erreur sujette à révision qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[18]           Les deux parties ont proposé des questions à certifier :

    1. Le calcul du « fardeau excessif », selon le paragraphe 1(1) du Règlement, englobe‑t‑il les coûts des services de santé et des services sociaux, ou bien les coûts des services de santé ou des services sociaux?

 

    1. Dans l’établissement du seuil permettant de dire si un demandeur entraînera un fardeau excessif pour les services de santé ou les services sociaux, ce seuil doit‑il comprendre dans tous les cas à la fois les coûts des services de santé et ceux des services sociaux pour le Canadien moyen?

 

[19]           Selon moi, les conclusions tirées dans cette affaire sont fondées sur une évaluation imprécise de la part de l’agente des visas et du médecin agréé. Si, conformément à la législation existante, l’évaluation est faite d’après les chiffres établis par le Centre canadien d’information sur la santé, alors le régime réglementaire en vigueur répond aux questions proposées.

 

[20]           Les questions proposées ne sont pas des questions graves de portée générale, et elles ne seront donc pas certifiées.

 

JUGEMENT

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.      L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas et à un autre médecin agréé, pour nouvelle décision;

3.      Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                       IMM‑4060‑05

 

INTITULÉ :                                                      Rowland George Daniel Cohen c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 24 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                           LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 26 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter A. Chapman

 

POUR LE DEMANDEUR

Banafsheh Sokhansanj

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chen et Leung

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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