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Date: 19990825

Dossier : T-2263-98

ENTRE

KWOK LEUNG YIP,

appelant,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

intimé.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]         Il s'agit d'un appel interjeté conformément au paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté contre la décision par laquelle le juge de la citoyenneté a refusé d'attribuer la citoyenneté à l'appelant parce qu'il ne satisfaisait pas aux conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de cette loi. L'alinéa 5(1)c) exige que le demandeur (1) « [ait] été légalement admis au Canada à titre de résident permanent » , (2) « n'[ait] pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration » et (3) « [ait] dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout [...] » .

[2]         Le paragraphe 24(1) de la Loi sur l'immigration prévoit qu'emporte déchéance du droit de résident permanent « le fait de quitter le Canada ou de demeurer à l'étranger avec l'intention de cesser de résider en permanence au Canada [...] » et le paragraphe 24(2) prévoit que « le résident permanent qui séjourne à l'étranger plus de cent quatre-vingt-trois jours au cours d'une période de douze mois est réputé avoir cessé de résider en permanence au Canada [...] » . Cette présomption de renonciation à la résidence peut être réfutée si la personne en cause réussit à convaincre l'agent d'immigration que, bien qu'elle se soit longuement absentée du Canada, elle n'avait pas l'intention de cesser de résider en permanence au Canada. Le résident permanent qui s'attend à être à l'étranger pendant plus de six mois peut obtenir un permis de retour pour résident permanent et, en l'absence d'une preuve contraire, ce permis est réputé prouver qu'il n'avait pas l'intention de cesser de résider en permanence au Canada. (La présence au pays ou l'absence du pays pendant moins de six mois comporte, bien sûr, des conséquences fiscales).

[3]         L'avocat de l'appelant soutient que le juge de la citoyenneté n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents dans ce cas-ci parce que, dans ses motifs, il n'a pas mentionné que l'appelant avait obtenu des permis de retour pour résident permanent pour chacune des trois années en question; que, tant dans sa demande de résidence permanente que dans sa demande de citoyenneté, il avait déclaré être apatride (il était né dans la République populaire de Chine et, avant de venir au Canada, il avait résidé à Hong Kong); qu'il avait quitté le pays pour des raisons d'ordre professionnel.

[4]         Comme il en a ci-dessus été fait mention, les permis de retour pour résident permanent sont pertinents lorsqu'il s'agit de savoir si la personne qui s'est longuement absentée du pays devrait être considérée comme ayant renoncé à la résidence; cela ne dit pas au décideur si le troisième élément de l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (trois années de résidence au pays) a été respecté. Par conséquent, le fait que, dans ses motifs, le juge de la citoyenneté n'a pas mentionné que le demandeur avait obtenu des permis de retour pour résident permanent ne constitue pas une omission de tenir compte d'un élément de preuve pertinent lorsque la question dont le juge est saisi est de savoir si l'exigence relative aux trois années de résidence a été satisfaite.

[5]         De plus, le présumé statut d'apatride de l'appelant n'a rien à voir avec la question de savoir si celui-ci a résidé au Canada pendant trois des quatre années qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté. De plus, le juge de la citoyenneté n'a pas omis de tenir compte de la raison pour laquelle l'appelant avait été à l'étranger pendant de longues périodes. Dans ses motifs, voici ce qu'il dit : [TRADUCTION] « [I]l est évident, selon moi, que vous devrez vous rendre régulièrement à Hong Kong et en Chine pour subvenir aux besoins de votre famille. »

[6]         L'avocat de l'appelant soutient que le juge de la citoyenneté n'a pas analysé la preuve à fond et que ses motifs sont imprécis et montrent qu'il a mal compris le droit et les faits pertinents. Je suis d'accord pour dire que les motifs sont imprécis et que l'analyse qui a été faite est peut-être incomplète. Toutefois, je ne suis pas convaincue que la conclusion qui a été tirée soit erronée.

[7]         L'appelant se trouve dans la même situation que de nombreuses personnes qui sont le principal soutien de leur famille et pour lesquelles il est difficile de résider au Canada pendant trois des quatre années conformément aux exigences de l'alinéa 5(1)c). Toutefois, leurs conjointes et leurs enfants sont souvent en mesure de le faire et d'obtenir la citoyenneté après avoir résidé ici pendant trois ans. Les conjointes et les enfants peuvent, bien sûr, rester en dehors du pays aussi longtemps qu'ils le veulent, en résidant dans un pays pendant une période indéfinie, tout en continuant à avoir droit à la protection du Canada en leur qualité de citoyens, puis rentrer au Canada n'importe quand. Je puis comprendre qu'un mari et père qui se voit refuser la citoyenneté parce qu'il lui est difficile de satisfaire à l'exigence relative aux trois années de résidence, alors que sa conjointe et ses enfants peuvent le faire, considérerait la situation comme inéquitable.

[8]         Néanmoins, comme l'avocate du ministre le souligne, l'exigence relative aux trois années de résidence vise à assurer que la personne qui présente une demande de citoyenneté ait eu au moins une possibilité quelconque de nouer des liens avec le Canada -- essayer d'empêcher qu'une personne obtienne la citoyenneté canadienne pour de simples raisons de convenance, lorsque la personne en question n'a pas vraiment d'attaches avec ce pays ou n'a pas réellement pris d'engagement envers ce pays.

[9]         Dans le cas de l'appelant, l'avocat m'invite à effectuer l'analyse qui, selon lui, n'a pas été effectuée par le juge de la citoyenneté et d'apprécier la qualité du lien que l'appelant a avec le Canada afin de conclure que ses absences devraient être considérées comme des périodes de résidence. Il m'invite en outre à considérer que les facteurs qui ont été énoncés dans la décision Re Koo (1992), 19 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.), sont pertinents à cet égard. C'est ce que je ferai, mais comme je l'ai mentionné, cette analyse ne permet pas pour autant de conclure que le juge de la citoyenneté est arrivé à la mauvaise conclusion.

[10]       Le premier facteur à prendre en considération consiste à savoir si la personne qui présente une demande de citoyenneté a vécu au Canada pendant une longue période avant de s'absenter du pays pour une période prolongée. Ainsi, dans la décision Re Papadogiorgakis (1978), 88 D.L.R. (3d) 243 (C.F. 1re inst.), la personne en cause avait vécu au Canada pendant environ six ans avant de quitter le pays pour poursuivre ses études aux États-Unis. En l'espèce, l'appelant n'était pas au pays depuis longtemps lorsqu'il s'est absenté pour la première fois. Il n'était au pays que depuis environ quatre mois lorsqu'il s'est vu obligé de s'absenter pour des raisons d'ordre professionnel. Ce facteur ne joue pas en sa faveur.

[11]       Le deuxième facteur à prendre en considération consiste à savoir si la famille immédiate de l'appelant est établie au Canada. Comme il en a été fait mention, la conjointe et les enfants de l'appelant sont établis ici depuis qu'ils ont été admis à titre de résidents permanents. Ses parents sont venus au Canada. Il a deux soeurs au Canada. Le fait que des membres de la famille immédiate sont au Canada permet de considérer les absences de l'appelant comme des périodes de résidence au pays.

[12]       Le troisième facteur à prendre en considération consiste à savoir si l'appelant s'est simplement absenté pendant quelques jours sur les 1095 jours nécessaires, ou s'il s'est absenté plus longtemps. Dans ce cas-ci, il s'agit de longues absences. L'appelant a été en dehors du pays plus souvent qu'il n'y a été présent. Il lui manque 590 jours sur le nombre de jours nécessaires.

[13]       Le quatrième facteur consiste à savoir si les absences sont de nature temporaire, ou si elles sont susceptibles d'être d'une durée indéfinie. Le juge de la citoyenneté a axé sa décision sur ce facteur, à mon avis à juste titre. Dans les observations qu'il a faites au juge de la citoyenneté, l'appelant a lui-même déclaré que, tant qu'il continuait à exercer les activités qu'il exerce à l'heure actuelle (la conception et la vente de puces personnalisées pour micro-ordinateurs pour des clients de la Chine continentale), lesquelles constituent la source de son gagne-pain et relèvent de son domaine de compétence, les voyages d'affaires qu'il devrait faire l'empêcheraient de satisfaire aux exigences relatives à la résidence de trois ans. Par conséquent, ses absences ne sont pas susceptibles de diminuer en durée ou en nombre, et les liens établis avec le Canada ne sont pas susceptibles d'être plus étroits dans l'avenir immédiat.

[14]       L'avocat de l'appelant m'a référé à un certain nombre de décisions qui semblent montrer que lorsqu'une personne s'absente du pays pour des raisons d'ordre professionnel, la Cour a considéré ces absences comme des périodes de présence au pays. Dans ces décisions, la Cour a fait remarquer que la solution de rechange est que la personne en question ne peut pas obtenir la citoyenneté à moins de mettre fin à ses activités ou d'y renoncer pendant trois ans. Cependant, l'exigence relative à la résidence prévue par la législation est établie pour une raison. Je ne suis pas prête à omettre d'en tenir compte. Il est communément reconnu qu'une personne tend à établir sa résidence là où cela lui convient pour ses affaires ou pour son emploi. Une personne qui doit régulièrement s'absenter du pays pour gagner sa vie n'est pas susceptible d'établir des attaches ou de prendre un engagement avec le Canada pendant ce temps. Ce facteur ne joue pas en faveur du demandeur.

[15]       Un autre facteur à prendre en considération consiste à savoir si les absences de l'appelant tendent à montrer que lorsqu'il revient au Canada, il revient chez lui plutôt que d'effectuer simplement un séjour. Ce facteur est neutre dans le cas de l'appelant. Comme il en a été fait mention, la conjointe et les enfants de l'appelant sont ici et l'appelant et sa conjointe ont acheté une maison familiale ici. Ce sont des indices qui permettraient de conclure que lorsque l'appelant revient au Canada, il revient chez lui. D'autre part, la mobilité de la conjointe est assujettie à des contraintes, si elle veut devenir citoyenne canadienne -- elle doit résider au Canada pendant trois ans. Ce fait, auquel vient s'ajouter le fait que les activités commerciales de l'appelant se déroulent principalement à Hong Kong et en Chine, nous amène à conclure que les voyages que l'appelant effectue au Canada ne constituent que des séjours et n'établissent pas qu'il a l'intention d'adopter le Canada comme pays où il réside normalement et habituellement. Avec le temps, il deviendra peut-être clair que la famille a axé son mode de vie au Canada, mais en ce moment cela n'est pas évident.

[16]       Enfin, on se demande si la preuve montre que les attaches qu'une personne avec le Canada sont plus étroites que les attaches qu'elle a avec un autre pays. La preuve ne permet pas de répondre à cette question par l'affirmative. L'appelant et sa conjointe ont acheté une maison ici. Il est possible de constater l'existence de tous les indices habituels qui existent dans des cas comme celui-ci (par exemple, un permis de conduire, une carte d'assurance-maladie, un compte bancaire, une carte d'assurance sociale, etc.) et qui disent en fait fort peu de choses au sujet de la qualité des attaches d'une personne au Canada. Lorsque l'appelant retourne à Hong Kong, il habite chez un parent. Lorsqu'il se rend en Chine, il habite dans les locaux d'habitation de l'usine. L'appelant a constitué une société canadienne et a embauché un ingénieur en logiciel à plein temps. Même si cette société est rentable, elle ne semble l'être que fort peu. Il faut conclure que c'est en Chine, ce qui comprend maintenant Hong Kong, plutôt qu'au Canada, que l'appelant a le plus d'attaches.

[17]       Avec le temps, il deviendra peut-être clair que l'appelant a adopté le Canada comme lieu de résidence et qu'il a résidé ici pendant trois des quatre années nécessaires pour pouvoir obtenir la citoyenneté. Toutefois, la demande est tout simplement prématurée. Pour les motifs susmentionnés, l'appel est rejeté.

                         « B. Reed »

                              Juge

Vancouver (Colombie-Britannique),

le 25 août 1999.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 T-2263-98

                                                           

INTITULÉ DE LA CAUSE :Kwok Leung Yip c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 19 août 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE REED en date du 25 août 1999

ONT COMPARU :

            Andrew Wlodyka                      pour le demandeur

            Avocat

            Pauline Anthoine                        pour le défendeur

            Ministère de la Justice

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

            Lawrence Wong et associés       pour le demandeur

            Vancouver (C.-B.)

            Morris Rosenberg                      pour le défendeur

            Sous-procureur général

            du Canada

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