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Date : 1997/11/14


Dossier no : T-1529-95

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 14 décembre 1997

EN PRÉSENCE DE M. LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

ENTRE :


ALINE ELIZABETH HUZAR, JUNE MARTHA KOLOSKY, WILLIAM BARTHOLOMEW McGILLIVRAY, MARGARET HAZEL ANNE BLAIR, CLARA HEBERT, JOHN EDWARD JOSEPH McGILLIVRAY, MAURICE STONEY, ALLAN AUSTIN McDONALD, LORNA JEAN ELIZABETH McREE, FRANCES MARY TEES, BARBARA VIOLET MILLER (NÉE McDONALD),

Demandeurs,


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et WALTER PATRICK TWINN,

en sa qualité de chef de la BANDE INDIENNE DE SAWRIDGE,

Défendeurs.

     SUR REQUÊTE déposée le 23 mai 1997 au nom des défendeurs, Walter Twinn et la bande indienne de Sawridge, conformément aux Règles 419 et 415, et tendant à la radiation de la Déclaration ou de certaines parties de celle-ci ainsi que de certaines parties de la réponse à la demande de détails complémentaires et, subsidiairement, de la demande de plus amples détails :


ORDONNANCE

1.      Le paragraphe 34 de la Déclaration est radié, avec autorisation de modifier celle-ci, les demandeurs devant déposer une déclaration modifiée dans les 15 jours;
2.      Le reste de la requête en radiation et en détails complémentaires est rejeté;
3.      Les requérants disposent de 30 jours, à compter de la réception de la Déclaration modifiée des demandeurs, pour déposer leur défense;
4.      Les demandeurs auront droit, en tout état de cause, aux dépens de l'audience inachevée du 20 août 1997, d'un montant de 500 $; et
5.      Les demandeurs auront en tout état de cause droit aux dépens des préparatifs subséquents exigés par la requête, y compris les dépens relatifs au contre-interrogatoire et à l'audition de la requête, le 22 octobre, ces dépens étant taxés selon la moyenne des sommes prévues à la colonne 4 du tarif B.

(Signature) " John A. Hargrave "

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.


Date : 1997/11/14


Dossier no : T-1529-95

ENTRE :


ALINE ELIZABETH HUZAR, JUNE MARTHA KOLOSKY, WILLIAM BARTHOLOMEW McGILLIVRAY, MARGARET HAZEL ANNE BLAIR, CLARA HEBERT, JOHN EDWARD JOSEPH McGILLIVRAY, MAURICE STONEY, ALLAN AUSTIN McDONALD, LORNA JEAN ELIZABETH McREE, FRANCES MARY TEES, BARBARA VIOLET MILLER (NÉE McDONALD),

Demandeurs,


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et WALTER PATRICK TWINN,

en sa qualité de chef de la BANDE INDIENNE DE SAWRIDGE,

Défendeurs.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

M. LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

[1]      Les présents motifs font suite à une demande déposée au nom des défendeurs Walter Patrick Twinn, chef de la bande indienne de Sawridge, et la bande indienne de Sawridge (la " bande de Sawridge ", les deux étant collectivement dénommés " défendeurs de Sawridge ") tendant à la radiation intégrale de la Déclaration ou, subsidiairement, d'une partie de la Déclaration ainsi que d'une partie de la réponse à la demande de détails complémentaires, ou, subsidiairement encore, de la demande de plus amples détails, ainsi qu'une prorogation des délais prévus pour le dépôt d'une défense.

[2]      La requête est rejetée pour les motifs exposés ci-dessous, sauf en ce qui concerne le paragraphe 34 de la Déclaration, qui est effectivement radié avec autorisation d'y apporter des modifications, et un délai supplémentaire de 30 jours pour le dépôt d'une défense, à partir de la signification d'une déclaration modifiée. Examinons maintenant certaines des circonstances pertinentes de cette affaire.

ARRIÈRE-PLAN

[3]      Les demandeurs sont des Indiens inscrits au titre de la Loi sur les Indiens (la Loi), L.R.C. (1985), ch. I-5 modifiée. Ils font valoir que leurs ancêtres étaient membres de la bande de Sawridge, ou bien l'étaient devenus en raison de leur adhésion au traité no 8, traité qui avait été signé par divers Indiens regroupés au sein de ce qu'on appelait le " Groupe du traité no 8 ", dont faisait partie la bande de Sawridge. Feu Walter Twinn, chef de la bande de Sawridge, avait été contre-interrogé sur l'affidavit qu'il avait déposé à l'appui de cette requête : il reconnaissait que tous les demandeurs étaient rattachés à la bande de Sawridge [Traduction] " par leurs parents " (p. 98). En raison de cette appartenance à la bande, les ancêtres des demandeurs avaient les droits et avantages découlant normalement du statut de membre de la bande, y compris l'attribution de terres, diverses mesures d'incitation agricoles et économiques, ainsi qu'un droit sur les biens de la bande de Sawridge. Les demandeurs voudraient bénéficier d'une situation comparable.

[4]      Dans leur Déclaration, les demandeurs relèvent qu'à une certaine époque les membres d'une bande indienne pouvaient, selon les dispositions de la Loi, perdre la qualité de membres de la bande, mais le retrait unilatéral de la qualité de membre, retrait qui, pour les demandeurs, était discriminatoire, a été aboli par les modifications apportées à la Loi en 1985. Ces modifications sont évoquées dans la Déclaration, y compris en son paragraphe 19 où les demandeurs exposent la manière dont fonctionnent, d'après eux, les cinq nouveaux articles de la Loi qui forment les actuels articles 8 à 12 de la Loi.

[5]      Les demandeurs, qui sollicitent de la Cour un jugement déclaratoire attestant leur appartenance à la bande de Sawridge, font valoir que les modifications apportées à la Loi en 1985 donnent aux personnes dont le nom a été omis ou radié de la liste de bande, ainsi qu'à certaines autres personnes, le droit de voir leur nom inscrit sur la liste des membres de la bande dressée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC). Les demandeurs font en outre valoir que si une bande indienne peut, effectivement, aux termes de Loi, établir sa propre liste de membres, ce pouvoir de contrôle est soumis à certaines limites qui ne justifient pas que la bande de Sawridge ait pu refuser aux demandeurs la qualité de membre.

[6]      Alors que les demandeurs détiennent tous des cartes d'inscription que leur a délivrées le MAINC, conformément aux modifications apportées à la Loi en 1985, et les identifiant en tant que membres de la bande de Sawridge, la bande a refusé de les réintégrer.

[7]      La bande de Sawridge est riche. C'est pourquoi, selon elle, on a constaté, depuis 1985, des " centaines " de demandes d'adhésion (p. 89 du contre-interrogatoire de Walter Twinn et " plus de deux cents " (ibid p. 39). Aucune de ces demandes n'a été soumise aux membres de la bande de Sawridge pour approbation (ibid p. 40). Ajoutons que le chef et le conseil de la bande de Sawridge n'ont lu aucun des questionnaires de 42 pages remplis par ceux qui sollicitaient l'adhésion à la bande de Sawridge (ibid p. 68). Depuis 1985, deux personnes seulement ont été accueillies au sein de la bande, en l'occurrence deux soeurs du chef Walter Twinn.

[8]      C'est dans ce contexte que les demandeurs revendiquent leur appartenance à la bande. Cette revendication est exposée de manière détaillée dans une déclaration relativement longue mais qui se lit néanmoins sans difficulté, déposée le 20 juillet 1995.

[9]      Le 22 septembre 1995, les défendeurs, Walter Twinn et la bande de Sawridge, signifiaient aux demandeurs une demande de détails complémentaires en 12 points. Le 4 mars 1996, les demandeurs apportent à cette demande de détails une réponse circonstanciée : on pourrait même dire que cette réponse est excessivement circonstanciée, et que, prise avec la Déclaration, elle ne laisse absolument rien à l'imagination, du moins en ce qui concerne les détails susceptibles d'être invoqués dans le cadre de la procédure écrite.

[10]      Le 2 mai 1996, les défendeurs de Sawridge demandent de plus amples détails. Ayant lu la Déclaration, la demande de détails complémentaires, la réponse à celle-ci et la demande de plus amples détails, on voit mal quels pourraient être les détails nécessaires, voire susceptibles d'être fournis ou d'aider les défendeurs de Sawridge à déposer une défense. D'ailleurs, dans son affidavit à l'appui de cette requête, Walter Twinn n'explique pas en quoi la préparation d'une défense exigerait l'obtention de détails complémentaires.

[11]      La présente requête a été déposée le 23 mai 1997 et devait initialement être entendue le 20 août 1997. La requête fait état de l'affidavit déposé à l'appui par M. Twinn, mais cet affidavit ne date que du 13 août 1997. Il a été signifié à l'avocat des demandeurs à la dernière minute. L'audition de la requête a donc été ajournée afin de permettre à l'avocat des demandeurs de prendre connaissance de cet affidavit et de contre-interroger son auteur, ce qui a effectivement été fait. La requête a donc été entendue le 22 octobre 1997.

ANALYSE :

Quelques principes applicables

[12]      Les défendeurs de Sawridge sollicitent, en premier lieu, la radiation de la Déclaration dans son intégralité, soit au motif que, aux termes même de la Règle 419(1)a), elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action, soit au motif qu'elle est scandaleuse, futile ou vexatoire (Règle 419(1)c)).

[13]      Toute requête en radiation présentée au titre de la Règle 419 impose au requérant une lourde charge en matière de preuve. On allègue, en l'espèce, l'absence de cause raisonnable d'action, mais je suis, pour ma part, tenu d'accueillir la Déclaration comme si les faits qui y sont exposés avaient été démontrés, à moins, bien sûr, que ces faits soient manifestement déraisonnables. S'agissant de dire s'il existe effectivement une cause raisonnable d'action, aucune preuve par affidavit n'est admise sauf sur la question de la compétence. Pour être radiée, il faut qu'une déclaration soit nettement et indubitablement futile. Lorsqu'un requérant allègue qu'une action est scandaleuse, futile ou vexatoire, selon les termes mêmes de la Règle 419(1)c), le critère est tout aussi sévère, voire plus sévère qu'au regard de la Règle 419(1)a) : Waterside Ocean Navigation Co. c. International Navigation Ltd. [1997] 2 C.F. 257, à la p. 259. Une cour de justice ne s'opposera jamais à une procédure engagée devant elle si le demandeur a la moindre chance d'obtenir gain de cause. On doit donc donner suite à toute demande susceptible d'aboutir. De plus, si une demande est susceptible d'aboutir à condition que l'on modifie la Déclaration, cette modification doit être autorisée : pour que l'on refuse l'autorisation de modifier une déclaration, il faut que celle-ci ne contienne pas le moindre début d'une cause d'action.

[14]      Lorsqu'une affaire soulève des questions de droit importantes ou contentieuses, des points de droit controversés, ou des points sur lequel le droit n'est pas nettement fixé, ce n'est pas dans le cadre d'une requête sommaire en radiation qu'il y a lieu de les examiner mais, plutôt, à l'occasion d'un procès ou sont exposés l'ensemble des faits de la cause : Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine [1976] 1 C.F. 8 à la p. 18, Vulcan Equipment Co. Ltd. c. Coats Co. Inc. (1981) 58 C.P.R. (2d) 47, à la p. 48 (C.A.F.), refus d'autorisation de pourvoi en Cour suprême du Canada (1982) 63 C.P.R. (2d) 261, ainsi que La Reine c. Amway of Canada Ltd. (1986) 2 C.F. 312, à la p. 326, confirmé [1986] 2 C.T.C. 339, à la p. 340.

[15]      En matière de procédure, le dernier point à rappeler est qu'une cour de justice n'ordonnera pas la radiation des parties superfétatoires d'une déclaration dans la mesure où elle ne causent aucun préjudice : Belanger Inc. c. Keglonada Investments Ltd. (1986) 1 F.T.R. 238, à la p. 241; Pater International Automotive Franchising Inc. c. Mister Mechanic Inc. [1990] 1 C.F. 237, à la p. 243 et Copperhead Brewing Co. c. John Labatt Ltd. (1995) 61 C.P.R. (3d) 317, à la p. 322 (C.F. 1re inst.).

[16]      L'avocat de la bande de Sawridge cite l'article 10 de la Loi, insistant sur le fait qu'une bande indienne peut décider d'établir sa propre liste des membres. Cet argument ne permet pas de savoir si la bande de Sawridge avait effectivement assumé un tel pouvoir de contrôle car il semblerait que, à part deux admissions qui devaient tout au népotisme, la bande n'avait, en fait, instauré aucun mécanisme ou aucune procédure en vue de prendre ou d'examiner les décisions relatives aux demandes d'adhésions.

[17]      L'avocat des défendeurs a également cité les articles 6 et 11 de la Loi en en faisant valoir sa propre interprétation. D'après lui, la Déclaration ne fait état d'aucun fait susceptible de permettre à l'un des demandeurs de satisfaire aux exigences énoncées dans la Loi et, éventuellement, d'adhérer à la bande de Sawridge. Je précise ici que les règles d'adhésion de la bande ne peuvent pas priver quelqu'un qui, aux termes de la Loi, avait le droit d'adhérer à la bande, d'y adhérer effectivement.

[18]      Plutôt que d'exposer ici ma propre interprétation de la manière dont les modifications apportées à la Loi en 1985 affectent le droit qu'a une personne de réintégrer la bande de ses ancêtres, je vais me reporter à la glose des passages pertinents de la Loi modifiée, à laquelle s'est livrée la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Twinn c. La Reine, A-779-95 et A-807-95, arrêt non publié en date du 3 juin 1997 :

         " Le présent appel concerne une action introduite en 1986 en vue de faire déclarer invalides certains articles de la Loi sur les Indiens . Ces articles ont été ajoutés au moyen d'une modification en 1985. En résumé, ce texte, tout en conférant aux bandes indiennes le droit d'établir leurs propres listes de membre, obligeait les bandes à inclure certaines personnes ayant acquis le droit au statut d'Indien en vertu de ces dispositions. Il s'agissait des personnes suivantes : les femmes qui avaient perdu leur droit au statut d'Indienne en raison de leur mariage avec des non-Indiens, et les enfants de ces femmes, les personnes qui avaient perdu leur statut d'Indien parce que leur mère et leur grand-mère paternelle n'étaient pas indiennes et avaient acquis le statut d'Indien par leur mariage à un Indien et les personnes qui avaient perdu le statut d'Indien parce qu'elles étaient des enfants illégitimes d'une Indienne et d'un non-Indien. Les bandes qui recevaient le pouvoir d'établir leurs listes seraient tenus d'accueillir toutes ces personnes dans leurs rangs. Elles seraient également autorisées, si elle le voulaient, à accepter certaines autres catégories de personnes auparavant exclues du statut d'Indien. " (p. 2)                 

Pertinente en l'espèce est l'idée que les enfants de femmes qui, par leur mariage à un non-Indien, avaient perdu le statut d'Indien, pourraient, en vertu des modifications apportées en 1985 à la Loi, retrouver cette qualité. D'ailleurs, lors de son contre-interrogatoire, Walter Twinn a lui-même dit que tous les demandeurs avaient avec la bande un lien de rattachement [Traduction] " par leurs parents ".

[19]      Si j'ai bien compris la Déclaration, chacun des demandeurs, Indien inscrit désigné par le MAINC comme membre de la bande de Sawridge, est soit le fils soit la fille d'un parent qui, à une certaine époque, était membre de la bande de Sawridge, et le petit-fils ou la petite-fille d'un ou de plusieurs membres de la bande de Sawridge. Ces faits ne sont pas manifestement déraisonnables et je suis donc tenu de les accepter aux fins de la présente requête comme s'il s'agissait de faits établis. Ces faits relèvent des conclusions adoptées par la Cour d'appel dans l'affaire Twinn c. La Reine (supra) concernant les personnes qui, en raison des modifications apportées à la Loi en 1985, avaient de nouveau le droit d'adhérer à la bande. Les défendeurs n'ont pas démontré que l'action intentée en l'espèce est nettement et indiscutablement futile.

[20]      À partir du moment où est établie l'existence d'une cause raisonnable d'action, un défendeur aura souvent le plus grand mal à démontrer que l'action est en fait scandaleuse, futile ou vexatoire. Estimant en l'espèce que les faits avancés révèlent une cause raisonnable d'action, et n'estimant pas exclu que les demandeurs parviennent éventuellement, par des preuves et des témoignages, à établir la réalité de ces faits, je ne saurais conclure qu'il y ait lieu en l'espèce de radier la Déclaration au motif qu'elle serait scandaleuse, futile ou vexatoire et, partant, vaine.

Radiation de certaines parties de la Déclaration

[21]      Les arguments développés par les défendeurs pour solliciter la radiation de la Déclaration ne s'arrêtent cependant pas là. Les défendeurs font, en effet, subsidiairement valoir qu'il y a lieu d'ordonner la radiation des paragraphes 11 à 18, 25, 26, 29, 30 34 et 37 au titre de tous les motifs exposés à la Règle 419(1) à l'exception des motifs prévus aux alinéas a) et f) de cette même Règle. Compte tenu de la requête déposée par les défendeurs et des arguments développés par leur avocat, j'estime qu'il y a lieu d'examiner ces paragraphes de la Déclaration afin de voir s'il y en a qui ne sont pas essentiels, ou qui sont redondants, scandaleux, futiles ou vexatoires, ou s'il y en a qui sont susceptibles de causer préjudice, ou de gêner ou retarder l'instruction équitable de l'action : j'estime qu'aucun des paragraphes en question ne constitue une déviation d'une plaidoirie antérieure et qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner plus avant l'application de la Règle 419(1) à l'une ou l'autre des parties de la Déclaration.

[22]      Les paragraphes 11 à 18 ont trait à l'effet entraîné, selon les demandeurs, par la Loi constitutionnelle de 1982 ainsi qu'aux types de droits que les peuples autochtones avaient en 1899, au titre du traité no 8, traité auquel ont accédé par adhésion les représentants ou les prédécesseurs de la bande de Sawridge. Ces paragraphes effleurent également la question de la méthode utilisée par les ancêtres et prédécesseurs des demandeurs pour dire qui appartenait à la bande de Sawridge, ainsi que des droits et avantages reconnus à la bande et à ses membres en raison du traité no 8. En ce qui concerne une époque plus récente, cette partie de la Déclaration a également trait à la perte de la qualité de membre de la bande en raison des dispositions de la Loi sur les Indiens, avant les modifications qui y ont été apportées en 1985, les demandeurs faisant valoir que les modifications de 1985 ont rétabli les bandes dans les situations qui auraient été les leurs si les dispositions des versions précédentes de la Loi sur les Indiens n'avaient pas retiré à certains la qualité de membres de la bande. Ces paragraphes reconstituent le contexte dans lequel se situent les arguments des demandeurs et les fondements de leur revendication. Ces paragraphes, ou du moins certains d'entre eux, ne sont peut-être pas strictement nécessaires. Ils ont peut-être un caractère superfétatoire, mais, je le rappelle, ils ont également leur utilité. Le simple fait qu'ils puissent avoir quelque chose de superfétatoire ne justifie pas que le Cour ordonne leur radiation : voir supra, les affaires The Belanger, Pater International et Copperhead Brewing. Je ne suis pas non plus disposé à trancher des questions de droit qui, pour être contentieuses, n'en seraient pas moins graves ou pour me prononcer sur la manière dont il y a lieu d'interpréter l'effet de traités anciens et des dispositions des versions antérieures de la Loi sur les Indiens : voir Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, Vulcan Equipment Co. Ltd. c. Coats Co. Inc. et La Reine c. Amway of Canada Ltd., supra. En effet, la manière dont il convient d'interpréter les dispositions pertinentes de la loi en question est sans doute mieux à même d'être tranchée lors du procès où pourront être exposés l'ensemble des faits de la cause : voir, par exemple, Dumont c. Procureur général du Canada [1990] 4 W.W.R. 127 à la p. 129 (C.S.C.).

[23]      Aux paragraphes 25 et 26, les demandeurs allèguent que leur perte de la qualité de membre de la bande de Sawridge a entraîné pour eux la perte de plusieurs avantages, y compris en matière d'éducation, de soins médicaux, de logement et d'exonérations fiscales : chacun des demandeurs revendique l'appartenance à la bande de Sawridge et demande de substantiels dommages-intérêts pour la perte de ces avantages et prérogatives. Les défendeurs de Sawridge répondent que la Loi ne confère ni droits ni prérogatives. Les demandeurs, pour leur part, prétendent avoir subi un préjudice économique du fait qu'ils ont perdu la qualité de membre de la bande de Sawridge et qu'on a refusé de les réintégrer. Cela ne me paraît ni dénué de pertinence, ni superfétatoire, ni scandaleux, ni futile, ni vexatoire, ni de nature à causer préjudice ou à gêner ou retarder l'instruction équitable de l'action. Ces paragraphes se situent, en fait, au coeur même de l'action intentée par les demandeurs.

[24]      Au paragraphe 29, les demandeurs réclament des dommages-intérêts punitifs et exemplaires. Le ton de ce paragraphe tient un peu de l'invective. Mais cela n'est pas contraire à une demande de dommages-intérêts punitifs et exemplaires. Les demandeurs prétendent que les défendeurs de Sawridge ont eu des comportements arrogants, arbitraires, gratuits et injustifiés. Les demandeurs auront à démontrer la réalité de ces allégations mais, vu le contexte, le paragraphe 29 ne saurait être considéré comme scandaleux, futile, vexatoire, gênant ou préjudiciable. En fait, les allégations dont il est fait état au paragraphe 24 semblent en l'espèce se rapporter à la demande de dommages-intérêts punitifs et exemplaires. Le paragraphe 29 peut donc continuer à figurer dans la Déclaration.

[25]      Le paragraphe 30 ne vise pas les défendeurs de Sawridge, mais plutôt le caractère, discriminatoire aux yeux des demandeurs, des versions précédentes de la Loi sur les Indiens adoptées par le Parlement du Canada et administrées par le MAINC, les dispositions en question ayant, selon les défendeurs, entraîné pour eux un préjudice. Ce paragraphe ne vise donc pas directement les défendeurs de Sawridge. Il contient des allégations qui se situent au coeur même de la réclamation formulée par les demandeurs à l'encontre de la Couronne. L'examen des questions soulevées dans ce paragraphe aura peut-être pour effet d'allonger le procès, mais il n'y a pas lieu pour autant de radier le paragraphe 30 au motif qu'il pourrait causer préjudice, gêner ou retarder l'instruction équitable de l'action.

[26]      Au paragraphe 34, les demandeurs évoquent l'article 14 de la Loi sur les Indiens, puis font valoir qu'ils ont droit à une part proportionnelle des loyers et intérêts perçus par la bande de Sawridge. L'article 14 de la Loi porte sur la tenue à jour et l'affichage des listes de bande. Je ne vois guère quelle peut être la pertinence de cette allusion à l'article 14 dans le contexte du paragraphe 34 de la Déclaration, bien que la suite du paragraphe, c'est-à-dire la demande de versement d'une part des intérêts et des loyers, s'inscrit tout à fait dans la logique de la Déclaration. Étant donné qu'on y cite l'article 14, qui semble sans pertinence en l'espèce, l'article 34 de la Déclaration est radié. Les demandeurs pourront cependant modifier s'ils l'entendent leur Déclaration afin d'amplifier et d'expliquer le renvoi à l'article 14 et, bien sûr, reprendre l'argument concernant le droit des demandeurs à une part des intérêts et des loyers.

[27]      Il est allégué, au paragraphe 37 de la Déclaration, que les défendeurs de Sawridge gaspillent, dissipent et dilapident les avoirs de la réserve, à l'égard desquels les demandeurs peuvent faire valoir des droits. Au même paragraphe, les demandeurs sollicitent de la Cour une injonction. Il est clair que le simple fait d'alléguer que les défendeurs gaspillent, dissipent et dilapident les biens de la bande, sans présenter de faits à l'appui de cette allégation, pourrait constituer une plaidoirie vexatoire ou gênante. Mais, avant de solliciter la radiation d'une telle plaidoirie, il est raisonnable de demander des détails complémentaires. Cela a effectivement été fait, et des détails raisonnables ont été fournis en réponse. Si j'ordonnais la radiation du paragraphe 37, il y aurait clairement lieu d'autoriser une modification de la Déclaration sur ce point. Étant donné les détails qui ont été fournis et qui sont désormais intégrés aux plaidoiries, il ne servirait à rien de radier le paragraphe 37, celui-ci étant par conséquent maintenu.

Radiation de certains détails

[28]      Les défendeurs sollicitent la radiation des paragraphes 11 et 12 de la réponse à la demande de détails complémentaires. La réponse exposant les détails demandés constitue, elle aussi, un acte de procédure (S.C. Johnson & Son Ltd. c. Pic Corp. (1975) 19 C.P.R. (2d) 26 à la p. 28 (C.F. 1re inst.)), c'est-à-dire que la Cour peut en ordonner la radiation.

[29]      Le paragraphe 11 de l'exposé des détails fournis par les demandeurs constitue une ampliation des allégations d'arrogance et d'arbitraire imputées aux défendeurs de Sawridge. L'affidavit de Walter Twinn, après contre-interrogatoire de ce dernier, ne contient rien permettant de mettre ces détails en doute au point où il conviendrait de les radier au titre des Règles 419(1)b), c) ou d) ou e) au motif qu'il s'agirait de détails qui sont indiscutablement futiles qu'il serait impossible de retenir. Le paragraphe 11 est donc maintenu.

[30]      Le paragraphe 12 des détails complémentaires fournit des exemples de gaspillage et de dissipation et dilapidation des avoirs. Rien dans les témoignages par affidavit déposés par les défendeurs de Sawridge n'y apporte de réponse. Les détails complémentaires ne semblent pas déraisonnables. À supposer qu'elles soient démontrées, et que les demandeurs aient effectivement, en tant que membres de la bande, un droit sur les avoirs en question, les allégations pourraient très bien correspondre au gaspillage ainsi qu'à la dissipation et à la dilapidation des avoirs de la bande. Je ne prétends pas en disant cela que le bien-fondé des allégations sera effectivement démontré, mais l'on ne saurait conclure ici à leur futilité. Le paragraphe 12 des détails complémentaires est donc maintenu.

De plus amples détails

[31]      La demande de plus amples détails doit permettre à une partie à l'instance de savoir quels sont les arguments développés à son encontre, et aussi de délimiter les questions à trancher. Les détails vont donc permettre à une partie de ne pas être prise au dépourvu à l'instance et de réunir les preuves nécessaires afin de pouvoir préparer sa défense. Au sujet des demandes de plus amples détails, la jurisprudence a été fixée par un arrêt de la Cour d'appel fédérale, Gulf Canada Ltd. c. Le remorqueur " Mary Mackin " (1984) 52 N.R. 282.

[32]      Il ne faut pas oublier que les détails exigés ou ordonnés par la Cour, aux fins de la procédure écrite, ne sont pas aussi complets que les détails exigés à l'audience : voir, par exemple IBM Canada ltée. c. Printech Ribbons Inc. (1994) 77 F.T.R. 147, à la p. 149 (C.F. 1re inst.). D'ailleurs, le juge Marceau (juge de première instance à l'époque) a relevé dans le cadre de l'affaire Embee Electronic Agencies Ltd. c. Agence Sherwood Agencies Inc. (1979) 43 C.P.R. (2d) 285, aux p. 286 et 287, qu'à l'étape préliminaire, c'est-à-dire à l'étape de la procédure écrite, les détails fournis doivent permettre au défendeur de comprendre la position du demandeur et de répondre intelligemment à la Déclaration, mais qu'en pareil cas, les détails n'ont pas à être plus complets que cela :

         " ...je désire souligner que, tel que je comprends le droit applicable à cet égard, il faut distinguer une requête pour détails présentée avant la production de la défense d'une requête faite à un stade ultérieur de l'instance. Avant le procès, une fois les points en litige identifiés, un défendeur a le droit d'être informé de tous détails qui lui permettraient de préparer sa défense, afin de ne pas être pris par surprise au procès. Mais avant la production de la défense, le droit qu'a un défendeur d'obtenir les détails n'est pas aussi vaste, n'ayant pas le même fondement et servant à des fins différentes. Il ne devrait pas être permis à un défendeur d'utiliser une requête pour détails pour fureter dans le dossier de son adversaire dans l'espoir de découvrir l'étendue de la preuve qui pourrait être produite contre lui au procès, ni pour faire une "recherche à l'aveuglette" afin de découvrir des moyens de défense qu'il ignore encore. À ce stade préliminaire, un défendeur a le droit d'obtenir tous les détails qui lui permettront de mieux saisir la position du demandeur, de savoir sur quoi se fonde l'action contre lui et de comprendre les faits sur lesquels elle s'appuie, afin de pouvoir répondre intelligemment à la déclaration et énoncer correctement les moyens sur lesquels il appuie sa propre défense, mais il n'a pas le droit d'aller plus loin et d'en demander plus. ".                 

[33]      Toujours au chapitre des principes généraux applicables en ce domaine, c'est à la partie qui demande des détails complémentaires qu'il appartient d'en démontrer la nécessité. D'une manière générale, le Cour n'ordonnera pas la production de détails complémentaires si la partie qui les demande ne parvient pas à démontrer que ces détails sont nécessaires aux fins de la procédure écrite et qu'elle n'en a pas encore connaissance, et cela à condition encore que la plaidoirie écrite ne semble effectivement pas comprendre suffisamment de détails : voir, par exemple, Windsurfing International Inc. c. Novaction Sports Inc. (1988) 18 C.P.R. (3d) 230, à la p. 237. La partie qui demande de plus amples détails doit justifier sa demande par un affidavit, à moins que le besoin d'obtenir de tels détails apparaisse au vu même du dossier : voir, par exemple, Flexi-Coil Ltd. c. F.P. Bourgault Industries Air Seeder Division Ltd. (1988) 19 C.P.R. (3d) 125, aux p. 127 et 128 (C.F. 1re inst.). En l'espèce, les affidavits ne révèlent aucun besoin d'obtenir de plus amples détails, mais ils ne permettent pas non plus de savoir si, faute de ces détails encore plus précis, les défendeurs seraient incapables de se défendre contre la Déclaration déposée par les demandeurs. Il s'agit là de conditions essentielles étant donné qu'en l'espèce on semble disposer de détails déjà très complets.

[34]      On pourrait sans doute se prononcer sur la demande de plus amples détails en faisant remarquer qu'aucun des affidavits déposés au nom des défendeurs de Sawridge ne semble indiquer la nécessité précise d'obtenir des détails complémentaires aux fins de la procédure écrite. Il existe, il est vrai, une lettre en date du 2 mai 1996, rédigée sur papier à en-tête de la bande de Sawridge, relevant certaines insuffisances au niveau des premiers détails fournis par les demandeurs, mais compte tenu de la Déclaration et des détails initialement fournis par les demandeurs en réponse à la demande de détails complémentaires, la nouvelle demande ne semble pas fondée, surtout au point où nous en sommes. Selon les demandeurs, le contre-interrogatoire de Walter Twinn permet de conclure non pas à la nécessité d'obtenir de nouveaux détails, mais à une certaine malveillance comme source de cette demande. Je n'irai pas aussi loin que cela. Qu'il suffise de dire que les défendeurs de Sawridge n'ont pas démontré la nécessité d'obtenir de plus amples détails.

[35]      Faisant abstraction du fait que les défendeurs de Sawridge n'ont pas démontré la nécessité d'obtenir de plus amples détails, on constate tout de même que les détails déjà fournis par les demandeurs sont à tout le moins suffisants et dépassent même ce qui est vraiment nécessaire aux défendeurs pour leur permettre de comprendre les arguments développés à leur encontre par les demandeurs : cela est nettement confirmé par le contre-interrogatoire de Walter Twinn. Compte tenu des détails fournis jusqu'ici, on peut conclure que les défendeurs de Sawridge savent quels sont les arguments développés à leur encontre, comprennent les faits fondant ces arguments, et sont en mesure de se défendre intelligemment. Ce serait commettre un abus de procédure que d'exiger de plus amples détails.

Dépens

[36]      La question des dépens se présente sous un double aspect. D'abord, ce n'est qu'en dernière minute que les défendeurs de Sawridge ont transmis aux demandeurs l'affidavit déposé à l'appui de la présente requête. Cette requête a été déposée au mois de mai 1997, en vue d'une audition fixée au 20 août 1997. Or, l'affidavit ne remonte qu'au 13 août 1997 et a été signifié à l'avocat des demandeurs beaucoup trop tard. Les demandeurs ont, à juste titre, demandé un ajournement afin de pouvoir examiner le document en question et contre-interroger Walter Twinn. Les demandeurs auront, quelle que soit l'issue de la cause, droit à la somme de 500 $ au titre des dépens de cette audience.

[37]      En ce qui concerne les dépens au titre des préparatifs exigés par cette requête, et de la décision à laquelle celle-ci a donné lieu, les défendeurs n'ont obtenu gain de cause que sur un seul point, la radiation du paragraphe 34. Or, le paragraphe 34 de la Déclaration n'a pas, au cours de l'audition de la requête, soulevé de grands débats. Les défendeurs n'ont demandé aucun détail complémentaire. Les demandeurs ont été autorisés à modifier le paragraphe 34. Tout bien considéré, y compris la demande de plus amples détails dans le cadre de la procédure écrite, demande fallacieuse qui n'aurait jamais dû être portée devant la Cour, les demandeurs auront droit à leurs frais taxables, avec majoration, y compris les frais relatifs à la préparation de l'audience et au contre-interrogatoire de Walter Twinn, le tout

étant dû à la conclusion de cette affaire, quelle qu'en soit l'issue.


(Signature) " John A. Hargrave "

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 14 novembre 1997

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCAT DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      T-1529-95

INTITULÉ :      Aline Elizabeth Huzar et autres

         c. Sa Majesté la Reine et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :      Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :      Le 22 octobre 1997

ORDONNANCE ET MOTIF DE L'ORDONNANCE :      M. John A Hargrave,

         protonotaire

DATE :      Le 14 novembre 1997

ONT COMPARU :

Me Peter Abrametz      pour les demandeurs

Me Michael R. McKinney      pour les défendeurs

         Walter P. Twinn et

         la bande indienne de Sawridge

                 

Me Mary King      pour la défenderesse,

Ministère de la Justice      Sa Majesté la Reine

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

ICFS Legal Consultant      pour les demandeurs

Prince Albert (Saskatchewan)

La bande de Sawridge      pour les défendeurs

Slave Lake (Alberta)      Walter P. Twinn et

         la bande de Sawridge

George Thompson      pour la défenderesse,

Sous-procureur général du Canada      Sa Majesté la Reine

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