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Date : 19990618


Dossier : IMM-2949-98

ENTRE:

     SIVAKUMAR UTHAYAKUMAR

     MITHILA UTHAYAKUMAR

     Demandeurs

     - et -

     LE MINISTRE

     Défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié rendue le 12 mai 1998, concluant que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]          Les demandeurs sont citoyens du Sri Lanka. Le demandeur, Sivakumar thayakumar est un jeune garçon âgé de 12 ans et sa soeur, la demanderesse Mithila Uthayakumar est âgée de 14 ans.

[3]          Suivant les faits rapportés par le tribunal, les demandeurs sont sans parents, leur mère étant décédée du cancer en octobre 1991 et leur père ayant disparu en 1990. Après la mort de leur mère, les demandeurs indiquent avoir habité chez un de leur oncle.

[4]          La demanderesse, Mithila Uthayakumar, indique avoir été enlevée par le LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelan), organisation vouée à la lutte pour la création d'un État séparé qui regrouperait la minorité Tamoul du Sri Lanka, à deux reprises, afin qu'elle travaille pour eux, soit en novembre 1994 et en décembre 1995.

[5]          En février 1996, les demandeurs rapportent avoir été enlevés par le LTTE et ce, avec leur oncle. Les demandeurs indiquent avoir été relâchés après deux jours, leur oncle ayant été détenu durant une semaine. Informés que le LTTE s'avançait vers leur village, les demandeurs ont fui vers Colombo, la capitale, en compagnie de leur oncle, en mars 1996.

[6]      À Colombo, les demandeurs indiquent avoir été arrêtés, avec leur oncle, par la police. Après avoir été interrogés sur les activités du LTTE, les demandeurs rapportent avoir été relâchés le lendemain de leur arrestation alors que leur oncle a été relâché après une semaine.

[7]      À sa sortie, l'oncle des demandeurs entreprit les démarches nécessaires afin qu'ils puissent, lui et les demandeurs, quitter le Sri Lanka. Le demandeur Sivakumar Uthayakumar quitta le premier le pays, en direction du Canada, en compagnie d'un agent. Il arriva en sol canadien le 13 juin 1996.

[8]      La demanderesse, Mithila Uthayakumar, quitta à son tour le Sri Lanka en octobre 1996 et arriva au Canada, le 10 mai 1997. Cette dernière rapporte également avoir été arrêtée à quatre reprises par des policiers, à Colombo, avant son départ pour le Canada.

[9]      Les demandeurs indiquent habiter présentement avec un oncle et une tante qui résidaient au Canada, avant leur arrivée.

DÉCISION DU TRIBUNAL

[10]      Quant à la situation des demandeurs, le tribunal indique:

     The claimants are considered to be unaccompanied minors. The panel followed the Guidelines for Child Refugee Claimants: Procedural and Evidentiary Issues2 in considerering their claim for refugee status.         
     The claimants allege that they came to Canada and are staying with their aunt and uncle. However, both the alleged aunt and uncle were noticeably not present in the hearing. The panel found it highly unusual that two young children ages twelve and fourteen came to their refugee hearing in a strange country not knowing the language and yet their alleged relatives did not accompany them for moral support.         
     The panel was not satisfied as to the family relationship, thus considered the claimants to be "unaccompanied" minors.         

[11]      Dans un premier temps, le tribunal conclut au rejet des demandes de statut de réfugié au motif que les témoignages des demandeurs ne sont pas crédibles. Essentiellement, le tribunal indique que le témoignage du demandeur Sivakumar Uthayakumar est évasif et que ses explications relatives à son arrivée au Canada ne sont pas plausibles. Quant au témoignage de la demanderesse, le tribunal indique que ce dernier se révèle être contradictoire quant aux explications données sur son voyage en direction du Canada. Dans les deux cas, le tribunal souligne que les demandeurs semblent réciter leur témoignage.

[12]      Dans un deuxième temps, le tribunal conclut que les demandeurs n'ont pas fait la preuve d'une crainte bien fondée de persécution. En effet, les demandeurs rapportent ne pas avoir été battus par le LTTE, et que le reste de leur famille demeuré au Sri Lanka ne semble jamais avoir connu de problèmes avec le LTTE. Il appert également que l'oncle qui les a reconduits à Colombo et qui a pris les dispositions nécessaires pour les envoyer au Canada, serait retourné vivre dans son village avec sa famille.

[13]      Le procureur des demandeurs a soulevé plusieurs erreurs dans la décision du tribunal. Entre autre, ce dernier a souligné que l'interprétation retenue quant à l"absence de peur des enfants lors de leur séjour au sein du LTTE ne semble pas correspondre à la transcription de l'audition.

[14]      Quant à la conclusion du tribunal à l'effet que le témoignage des deux enfants semblaient avoir été récité, laquelle mention apparaît à la fin de la page 2 de la décision, je retiens davantage la suggestion du procureur du défendeur à l'effet que ce commentaire s'appliquait généralement aux témoignages rendus par les deux enfants. En effet, il est improbable que ce commentaire s'appliquait aux témoignages qu'auraient rendus les deux enfants sur l'absence de leur père puisqu"il est exact que le jeune garçon n'avait jamais été interrogé sur l'absence de son père. Ainsi, je ne puis en arriver à la conclusion que le tribunal a fait une erreur révisable dans les circonstances.

[15]      Par ailleurs, la preuve documentaire est assez concluante quant aux faits que le LTTE recrute des enfants, aussi jeunes que huit à dix ans, pour les faire travailler au sein de leur organisation. De plus, la preuve documentaire est également à l"effet qu"il semble exister de nombreux parents anxieux de ne pas voir revenir leurs enfants de l'école de peur que ces derniers aient été enlevés par des membres du LTTE.

[16]      La lecture de la décision ne me permet pas de conclure que le tribunal a agi de façon déraisonnable dans son analyse de la preuve documentaire et de la preuve testimoniale fournies par les deux demandeurs; le tribunal ayant plutôt conclu qu'il n'existait pas de risque raisonnable de persécution pour les deux demandeurs s'ils retournaient dans leur pays.

[17]      Le procureur des demandeurs a très habilement attiré l'attention du tribunal sur le commentaire spontané de l'officier d'immigration qui semble, de son côté, en arriver à la conclusion que les deux demandeurs devraient profiter du bénéfice du doute considérant le fait qu'il n'existait pas de contradictions ou d'inconsistances significatives dans les témoignages des deux enfants.

[18]      Malgré ce commentaire plutôt favorable de la part de l'agent d'immigration, il n'en demeure pas moins que la responsabilité d'évaluer la crédibilité et d'évaluer si l'ensemble des faits peut amener à conclure que les demandeurs sont des réfugiés au sens de la Convention demeure entre les mains du tribunal. Ce dernier peut tout aussi bien en arriver à une conclusion différente de celle de l'agent d'immigration.

[19]      J'ai procédé à une lecture attentive du témoignage des deux demandeurs quant à leur voyage respectif entre le Sri Lanka et le Canada ainsi que des événements ayant entourés leur arrivée au Canada.

[20]      Le tribunal a conclu que la description respective de leur voyage au Canada par les deux demandeurs était plausible. Le tribunal s'est particulièrement interrogé sur le fait qu"il ait été impressionné par la maturité de la demanderesse et son habilité à témoigner quant à des événements ayant précédé son départ du Sri Lanka alors que le témoignage de cette dernière devient peu clair, truffé d'imprécisions et de trous de mémoire lorsqu'il était question de la période, de plus sept mois, où la demanderesse a voyagé dans trois pays différents avant d'arriver au Canada. Dans le cas du demandeur, il semble que le tribunal ne peut comprendre comment le demandeur pouvait être demeuré dans un hôtel pendant un mois avant que sa tante, qui était au courant de son arrivée à Montréal, ne prenne des dispositions pour l'accueillir chez elle.

[21]      Les inférences auxquelles en arrive le tribunal, quant aux témoignages des deux demandeurs sur cet aspect de leur dossier, sont tout à fait raisonnables dans les circonstances. Il m"apparaît être impossible pour la Cour d"intervenir sur cette question.

[22]      En ce qui a trait à l'évaluation de la plausibilité et de la crédibilité d'un témoignage, la Cour fédérale d'appel dans Aguebor v. Canada (M.E.I.), [1993] F.C.J. No. 732, estime que la Section du statut est le tribunal qui a complète juridiction sur la question:

         [para4]      There is no longer any doubt that the Refugee Division, which is a specialized tribunal, has complete jurisdiction to determine the plausibility of testimony: who is in a better position than the Refugee Division to gauge the credibility of an account and to draw the necessary inferences? As long as the inferences drawn by the tribunal are not so unreasonable as to warrant our intervention, its findings are not open to judicial review.                 

[23]      Le procureur des demandeurs a rappelé au tribunal que dans le cadre du présent dossier, nous avons affaire à des enfants mineurs et qu"en pareilles circonstances, il faut regarder avec attention les directives mises en place par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en ce qui a trait aux questions de procédure et de preuve entourant des enfants mineurs:

     Sur la question de la procédure:

         6. In determining what evidence the child is able to provide and the best way to elicit this evidence, the panel should consider, in addition to any other relevant factors, the following: the age and mental development of child both at the time of the hearing and at the time of the events about which they might have information; the capacity of the child to recall past events and the time that has elapsed since the events; and the capacity of the child to communicate his or her experiences.                 

     En ce qui a trait à la preuve:

                 4. Questioning of a child should be done in a sensitive manner and should take into account the type of evidence the child may be able to provide. Children may not know the specific circumstances that led to their flight from the country of origin and, even if they know the circumstances, they may not know the details of those circumstances. The questions put to a child should be formulated in such a manner that the child will understand the question and be able to answer. Consideration should also be given to choosing the person who is best able to question the child.                 
                 [...]                 
                 In all cases, whether the child provides oral evidence or not, the following alternative or additional evidence may be considered.                 

[...]

Documentary evidence of persons similarly situated to the child, or his or her group, and general country conditions.

    

En ce qui concerne l'évaluation de la preuve:

     A child claimant may not be able to express a subjective fear of persecution in the same manner as an adult claimant. Therefore, it may be necessary to put more weight on the objective rather than subjective element of the claim. The Federal Court of Canada (Appeal Division) has said the following on this issue:

     ... I am loath to believe that a refugee status claim could be dismissed solely on the ground that as the claimant is a young child ... he or she was incapable of experiencing fear the reasons for which clearly exist in objective terms.1

[24]      Bien que les témoignages des demandeurs puissent soulever de nombreuses questions, aucune des contradictions ou hésitations de leur part ne m"apparaît d'une importance telle qu"elles justifieraient qu'on ne leur accorde aucune crédibilité.

[25]      Ainsi, j'en arrive à la conclusion que le tribunal a commis une erreur révisable en n"accordant aucune crédibilité aux témoignages des demandeurs.

[26]      À la page 3 de sa décision, le tribunal reconnaît que le témoignage de la demanderesse était, somme toute, semblable à son témoignage écrit contenu dans son FPI. Or, il conclut néanmoins à un manque de crédibilité fondé sur de petites contradictions ou hésitations lors de son témoignage oral.

[27]      Par ailleurs, il appert à la face même du dossier que le tribunal ait mal évalué la crainte des demandeurs lors des arrestations effectuées par les policiers. Bien que cette erreur ne soit pas, en tant que telle, très grave, elle s'ajoute néanmoins aux autres erreurs relatives aux conclusions qu'en a tirées le tribunal, entre autre, à savoir que les demandeurs n'auraient pas vraiment eu peur au moment où ils étaient aux mains des policiers. En les circonstances, cette mauvaise évaluation est, à mon avis, une erreur grave de la part du tribunal.

[28]      Je conclu donc que le tribunal a commis une erreur de faits manifestement déraisonnable qui a influencé ses conclusions finales. Le tribunal n"a manifestement pas tenu compte du fait que les demandeurs étaient âgés de dix et douze ans lorsqu'ils ont vécu leur traversée vers le Canada et que ces deux enfants n'avaient manifestement pas à écrire un carnet de voyage tout au long de leur périple. De plus, il était tout à fait possible, sinon réaliste, que les demandeurs ne puissent, l'un et l'autre, se rappeler exactement de toutes les circonstances de ce voyage qui a certainement dû leur créer un stress important et ce, compte tenu des circonstances.

    

[29]      En conclusion, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est renversée et l'affaire renvoyée devant la Section du statut, différemment constituée, pour une nouvelle audition.

[30]      Aucun des avocats n"a recommandé la certification d"une question.

                             Pierre Blais

                             Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 18 juin 1999


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1      Yusuf v. M.E.I .[1992] 1 F.C. 629 per Hugessen, J.A.

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