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     Date : 1998.05.11

     T-421-96

E n t r e :

     GLAXO GROUP LIMITED et

     GLAXO WELLCOME INC.,

     requérantes,

     - et -

     MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

     et APOTEX INC.,

     intimés.

     MOTIFS DU JUGEMENT

     (prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario)

     le mercredi 25 mars 1998)

LE JUGE HUGESSEN

     [1]      La Cour est saisie d'une demande d'interdiction présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)1.

     [2]      Le brevet en litige " et il n'y en a qu'un " renferme des revendications portant sur un médicament. Le brevet appartient aux requérantes et les revendications concernent la préparation d'une forme cristalline particulière de chlorhydrate de ranitidine qui est mentionnée et désignée dans le brevet sous le nom de chlorhydrate de ranitidine de forme 2. Le brevet renferme des revendications portant sur des procédés de fabrication du médicament, mais ne renferme pas de revendications sur le médicament lui-même ou sur son emploi. Il ne vise pas non plus le chlorhydrate de ranitidine de forme 1.

     [3]      Le médicament visé est donc le chlorhydrate de ranitidine de forme 2. Les requérantes affirment dans leur brevet que, sous sa forme 2, la substance est différente de la forme 1 et qu'elle est supérieure à celle-ci sous certains aspects qui sont précisés dans le brevet.

     [4]      Apotex a déposé auprès du ministre un avis d'allégation. Voici l'essentiel de cet avis :

     [TRADUCTION]         
         Les revendications du présent brevet ne visent qu'une forme particulière de chlorhydrate de ranitidine désignée sous le nom de chlorhydrate de ranitidine de forme 2. Nous nous engageons, jusqu'à l'expiration du présent brevet, à ce que tous les comprimés de 75 mg fabriqués et vendus par nous ne contiennent que du chlorhydrate de ranitidine de forme 1 à l'exclusion de tout chlorhydrate de ranitidine de forme 2.         

(Dossier de la demande des requérantes, page 80.)

     [5]      Les requérantes contestent cet avis d'allégation tant sur le plan de la forme que sur celui du fond.

     [6]      Pour ce qui est de la forme, elles soulèvent deux points. Elles font remarquer, en premier lieu, que l'avis d'allégation ne mentionne pas expressément de présentation de drogue nouvelle en instance devant le ministre. À mon avis, ce moyen est mal fondé compte tenu de l'arrêt Eli Lilly and Co.2 et du jugement plus récent Smithkline Beecham3 rendu par le juge McKeown, de la Section de première instance.

     [7]      Le second moyen que les requérantes invoquent au sujet de la forme est que l'allégation que je viens de citer ne constitue qu'une [TRADUCTION] " simple affirmation d'absence de contrefaçon " et qu'elle est, de ce fait, insuffisante. Je ne suis pas de cet avis. L'allégation en question est, selon moi, une allégation de fait spécifique qui fonde une affirmation d'absence de contrefaçon. Le fait qui est allégué est que c'est la forme 1, et non la forme 2, qui sera utilisée. Le brevet en litige concerne un procédé visant uniquement la forme 2.

     [8]      Ce qui m'amène au moyen invoqué par les requérantes au sujet du fond. Les requérantes ont déposé en preuve l'affidavit souscrit par un certain docteur Ferguson, qui est expert dans ce domaine. Le paragraphe crucial de cet affidavit est le paragraphe 6, qui est ainsi libellé :



     [TRADUCTION]         
         6.      On appelle " polymorphes " les diverses formes cristallines d'une même substance chimique. Les polymorphes connus d'un composé chimique déterminé peuvent être convertis réciproquement en employant les solvants appropriés dans des conditions favorables de réaction. Par exemple, le brevet 638, à la page 9, exemples 7 et 8, traite de la transformation du chlorhydrate de ranitidine de forme 1 en chlorhydrate de ranitidine de forme 2. Inversement, le chlorhydrate de ranitidine de forme 2 peut être transformé en chlorhydrate de ranitidine de forme 1 dans des conditions favorables en ce qui concerne les solvants et les réactions. En conséquence, le fait qu'un produit contienne du chlorhydrate de ranitidine de forme 1 ne signifie pas qu'aucun chlorhydrate de ranitidine de forme 2 au sens du brevet 638 n'a été employé dans le procédé de fabrication du chlorhydrate de ranitidine de forme 1.         

(Dossier de la demande des requérantes, page 87.)

     [9]      À mon avis, ces éléments de preuve, qui, pourrait-on dire, révèlent une ambiguïté latente dans l'allégation formulée par Apotex, ne soulèvent qu'une possibilité purement spéculative ou hypothétique de contrefaçon de la part d'Apotex, ce qui n'est manifestement pas suffisant. Je serais disposé à rejeté la demande d'interdiction sur ce seul fondement.

     [10]      Le dossier contient toutefois beaucoup d'autres éléments. Je suis tout à fait convaincu que, lorsqu'on la lit de façon équitable, la preuve produite par Apotex montre qu'Apotex a signé un contrat de fourniture de chlorhydrate de ranitidine de forme 1 avec un fournisseur dont le procédé de fabrication ne renferme à aucune étape du chlorhydrate de ranitidine de forme 2. Voilà qui, à mon sens, justifie amplement le rejet de la demande.

     [11]      Ce qui m'amène finalement à ce que j'estime être de loin la question la plus intéressante qui est soulevée en l'espèce. Les requérantes ont, au cours de l'instance, demandé, pour le cas où je rejetterais leur demande d'interdiction " comme je m'apprête effectivement à le faire ", que je " confirme ", en vertu du paragraphe 7(4) du Règlement que [TRADUCTION] " le délai de trente mois prescrit à l'alinéa 7(1)e) continue à courir tant que tous les appels n'ont pas été épuisés ou que tous les délais d'appel ne sont pas expirés ".

     [12]      Un juge de notre Cour a très récemment, et pour la première fois, rendu un jugement déclaratoire de ce genre précis. Je m'abstiens évidemment de faire tout commentaire sur cette décision.

     [13]      Depuis le prononcé de cette décision, la loi a toutefois fait l'objet d'importantes modifications. Le 12 mars de cette année, les dispositions pertinentes du paragraphe 7(4) ont en effet été modifiées. Auparavant, ce paragraphe disposait que " l'alinéa (1)e) cesse de s'appliquer à l'égard de la demande [...] si celle-ci est retirée ou rejetée par le tribunal de façon définitive ". C'est l'expression " de façon définitive " qui a amené le juge de notre Cour à accueillir la requête qui lui avait été présentée. Dans le Règlement modifié, qui, comme je l'ai dit, est entré en vigueur le 12 mars de la présente année, l'expression " de façon définitive " a été supprimée. Le paragraphe 7(4) dispose maintenant : " L'alinéa (1)e) cesse de s'appliquer à l'égard de la demande [...] si celle-ci [...] est rejetée par le tribunal ". L'expression " de façon définitive " a disparu.

     [14]      Les requérantes affirment que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) renferme des règles de fond et que toutes les modifications apportées au Règlement touchent, de la même façon, le fond du droit. À l'appui de cette proposition, elles citent l'arrêt Merck c. Apotex4 rendu par la Cour d'appel et, en particulier, le passage suivant tiré des motifs du juge Robertson :

     En l'espèce, il ne s'agit pas d'un règlement touchant en soi la procédure. La fixation d'un critère voulant qu'un ADC ne peut être délivré relativement à une PDN liée à un brevet constitue un changement de fond dans la loi et elle est donc assujettie aux règles d'interprétation législative applicables aux lois visant à modifier des droits acquis.         
                                         [À la page 382.]

     [15]      Je considère bien sûr que ce passage énonce correctement l'état du droit et que je suis lié par cet énoncé. J'estime toutefois que, tout ce que ce passage établit, c'est que le Règlement lui-même touche des questions de fond. Il ne dit pas que tout ce qu'on trouve dans le Règlement touche nécessairement des questions de fond. Mais ce qui est encore plus important, c'est qu'il ne dit pas que tout le contenu du Règlement vise des droits acquis. À mon avis, on ne saurait se contenter d'affirmer que les requérants possédaient le 12 mars 1998 un droit acquis suivant lequel, dans le cas où leur demande d'interdiction était rejetée le 25 mars 1998, le sursis législatif imposé par le ministre continuerait néanmoins à s'appliquer jusqu'à l'expiration de tous les délais d'appel. Qui plus est, la disposition qui est soumise à mon examen ne comporte aucun aspect rétroactif. Elle parle d'événements à venir. Le 12 mars, la demande d'interdiction présentée par les requérantes n'avait pas encore été rejetée. C'est aujourd'hui qu'elle sera rejetée. Les dispositions du Règlement ne commencent à produire leurs effets qu'à compter d'aujourd'hui. Elles ne disposent ni pour l'avenir, ni pour le passé. L'alinéa 7(1)e) cesse donc de s'appliquer aujourd'hui.

     [16]      Je me propose de rendre une ordonnance en conséquence.

     " James K. Hugessen "

     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-421-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          GLAXO GROUP LIMITED et GLAXO WELLCOME INC. et MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et APOTEX INC.
LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              le 25 mars 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Hugessen le 25 mars 1998

ONT COMPARU :

     Me Gunars A. Gaikis                      pour les requérantes
     Me Sheldon Hamilton
     Me Harry Radomski                      pour l'intimée Apotex Inc.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Smart & Biggar                          pour les requérantes
     Toronto (Ontario)
     Goodman Phillips & Vineberg                  pour l'intimée Apotex Inc.
     Toronto (Ontario)
__________________

     1      DORS/93-133, 12 mars 1993, modifié par DORS/98-166, 12 mars 1998.

     2      Eli Lilly & Company et al. c. Apotex Inc. et al. (29 septembre 1997), A-339-97 (C.A.F.) [non publié].

     3      Smithkline Beecham Pharma Inc. et al. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al. (24 novembre 1997), T-2528-96 (C.F. 1re inst.) [non publié].

     4      Apotex Inc. c. Canada (procureur général), 51 C.P.R. (3d) 339 (C.A.F.).

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