Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020524

Dossier : IMM-3727-01

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2002.

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                             TATYANA ALESHKINA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Carolyn A. Layden-Stevenson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


Date : 20020524

Dossier : IMM-3727-01

Référence neutre : 2002 CFPI 589

ENTRE :

                                                             TATYANA ALESHKINA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                 D'origine russe, Tatyana Aleshkina est une citoyenne de 22 ans du Kazakhstan. En tant que membre de la famille d'un prétendu activiste politique anti-gouvernemental, la demanderesse prétend avoir une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques. Elle sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR), en date du 3 juillet 2001, qui a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.


[2]                 Avant les événements qui ont donné lieu à son départ du Kazakhstan, Mme Aleshkina étudiait la médecine. Sa mère, qui enseignait l'anglais, vivait alors avec le père et le frère de la demanderesse.

[3]                 Le frère de la demanderesse a commencé à prendre part à des activités anti-gouvernementales en 1998, lorsqu'il a entrepris des études en droit. À titre de membre du Parti du peuple républicain, il s'est opposé très activement au gouvernement lors des élections tenues en janvier 1999, et a exprimé de la colère et de la frustration à l'annonce des résultats de l'élection. Après la mort du père de la demanderesse en juillet 1999 et en l'absence de son influence modératrice, son frère s'est mis à parler de façon plus franche et à se montrer plus critique à l'endroit du président. Il s'est acheté un ordinateur et a commencé à utiliser l'Internet. La demanderesse croit que l'utilisation de l'Internet avait trait à ses activités politiques. En mars 2000, le frère de la demanderesse a quitté le domicile de sa mère.

[4]                 Le 2 avril 2000, la demanderesse s'est rendue à l'appartement de sa mère et y a trouvé plusieurs policiers. L'un d'eux a insisté pour que la demanderesse l'accompagne jusqu'à son bureau, où elle a été interrogée sur les allées et venues de son frère, ses partenaires et ses activités. L'interrogatoire a duré environ deux heures, pendant lesquelles la demanderesse a été giflée et frappée à la tête. Avant de la laisser partir, le policier lui a dit qu'elle devait obtenir de l'information sur son frère et la lui communiquer. À défaut de le faire, elle subirait [TRADUCTION] « des conséquences beaucoup plus sérieuses la prochaine fois » . À la suite de cet incident, la demanderesse a commencé à habiter chez sa mère.


[5]                 Le 30 avril 2000, les policiers sont revenus à l'appartement pendant la nuit. Ils ont fouillé l'appartement et ont interrogé la demanderesse au sujet de son frère. Ils lui ont lancé des papiers au visage en lui disant qu'il s'agissait de pages imprimées d'Internet provenant de l'ordinateur de son frère. Lorsque la demanderesse n'a pas été en mesure de leur révéler les allées et venues de son frère, les policiers l'ont accusée d'être une nationaliste russe et de soutenir et protéger son frère. La demanderesse a été avertie par les policiers qu'elle devait dire à son frère de se rendre, à défaut de quoi ils s'en prendront à la demanderesse et à sa mère.

[6]                 Mme Aleshkina et sa mère ont décidé qu'elles devaient quitter le pays et, le 22 juin 2000, elles ont quitté le Kazakhstan pour se rendre en Russie en train. La mère de la demanderesse est demeurée en Russie, tandis que la demanderesse s'est rendue au Canada et y a revendiqué le statut de réfugié. Comme il a été mentionné précédemment, la SSR a statué que Mme Aleshkina n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.


[7]                 La demanderesse soutient que les motifs donnés par la SSR étaient inadéquats et qu'ils répétaient essentiellement le contenu des éléments de preuve qu'elle a produits. Au cours de l'audience de la SSR, la demanderesse a présenté des fac-similés de convocations l'enjoignant de se présenter au département régional soviétique des affaires internes au Kazakhstan pour y être interrogée. La demanderesse conteste le fait que la SSR n'ait attaché aucune importance aux convocations et prétend que la conclusion qu'elle a tirée était manifestement erronée. En outre, la demanderesse a produit des preuves documentaires portant sur : le traitement que réserve le Kazakhstan aux individus prenant part aux activités anti-gouvernementales, la carte de membre du Parti républicain de son frère, ainsi qu'une lettre confirmant que son frère est membre du Parti du peuple républicain du Kazakhstan. La demanderesse fait valoir que la SSR a eu tort de conclure que, n'étant pas un dissident politique bien en vue, son frère ne ferait pas l'objet de persécution. Si la SSR avait examiné la preuve documentaire comme il se doit, la demanderesse prétend qu'il aurait été satisfait au critère objectif applicable à la crainte fondée de persécution. Enfin, puisque la SSR n'a pas jugé qu'elle n'était pas crédible, la demanderesse plaide que la preuve de la détention, de l'interrogatoire, des accusations et des menaces aurait dû avoir été prise en compte pour étayer la conclusion qu'une crainte objective de persécution existait.

[8]                 Le défendeur prétend que l'élément déterminant dans la décision de la SSR concernait l'absence de fondement objectif à la revendication de la demanderesse, plus précisément le fait qu'elle ne courait pas sérieusement le risque d'être persécutée en raison de l'appartenance de son frère à un parti politique d'opposition. En ce qui a trait aux convocations, le défendeur fait valoir que la SSR n'a pas jugé crédible la preuve de la demanderesse à cet égard. Il soutient de plus que la preuve documentaire a été convenablement examinée et que celle-ci ne permettait pas de croire que les membres des partis politiques d'opposition s'exposaient à un risque sérieux de persécution. Le défendeur avance en outre que la demanderesse n'a pu démontrer que son frère avait un statut autre que celui de simple membre d'un parti d'opposition. Enfin, selon le défendeur, la SSR était saisie du bien-fondé de la revendication de la demanderesse et non de celle de son frère, et aucune preuve documentaire n'établissait que les personnes apparentées aux membres des partis d'opposition s'exposaient à un risque sérieux de persécution.

[9]                 Le critère relatif à l'établissement d'une crainte de persécution comporte deux volets. Le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté et cette crainte doit être objectivement justifiée : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. La composante subjective se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée : Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.), Tung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1991), 124 N.R. 388 (C.A.F.).


[10]            La SSR a convenu que la demanderesse avait démontré qu'elle éprouvait une crainte subjective de persécution. D'entrée de jeu, la SSR a exposé ce qui suit dans son analyse :

La crainte qu'a la revendicatrice de retourner au Kazakhstan a-t-elle un fondement objectif?

[11]            Quant aux convocations, la SSR a déclaré :

Après qu'elle a quitté le pays avec sa mère pour aller en Russie, la revendicatrice a dit qu'elle-même, son frère et sa mère avaient reçu chacun deux convocations à se présenter au ministère des Affaires intérieures pour y être interrogés. Ces documents ont été envoyés par télécopieur à la revendicatrice et aucun ne porte une date de délivrance. Je n'accorde aucun poids à cette preuve et je détermine que l'allégation de la revendicatrice selon laquelle la famille a été interpellée par la police pour un interrogatoire n'est pas crédible.

[12]            L'argument que soulève la demanderesse par rapport aux convocations porte que le document ne contenait aucun espace apparent dans lequel insérer une date de délivrance et qu'en conséquence la SSR avait manifestement eu tort de rejeter la preuve pour ce motif. Le défendeur fait valoir que, peu importe que les documents aient été émis ou non quelque dix mois avant l'audience, la demanderesse ne les a pas produits à des fins d'examen et qu'il était loisible à la SSR d'en tenir compte, tout comme elle pouvait considérer le fait que ces documents ne portaient aucune date.


[13]            L'évaluation de la valeur probante à accorder aux documents relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal chargé de l'appréciation de la preuve : Huang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 66 F.T.R. 178, Boye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 83 F.T.R. 1. Il n'appartient pas à la Cour de substituer son opinion sur les faits de l'espèce à celle de la Commission, qui profite des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d'expertise : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35.

[14]            Il était loisible à la SSR de déterminer, le cas échéant, la force probante des convocations. La SSR a donné des motifs à l'appui de sa décision et je ne partage pas le point de vue de la demanderesse que le résultat était manifestement erroné. Même si la SSR avait accordé plus d'importance aux convocations, celles-ci ne vont pas au coeur de la décision.

[15]            À cet égard, la conclusion tirée par la SSR que seuls les activistes politiques bien en vue auraient eu des problèmes et la conclusion portant que le frère de la demanderesse n'avait pas ce profil se sont révélées déterminantes quant à la revendication de la demanderesse.

[16]            Le paragraphe suivant est extrait de l'analyse de la SSR à cet égard :

La revendicatrice a dit que son frère est membre du parti du peuple républicain et elle a présenté une lettre et une carte de membre pour attester cette déclaration. Elle a été incapable de dire au tribunal quel était exactement le rôle de son frère au sein du parti. Elle a dit qu'il n'avait pas un rôle de dirigeant dans le parti et elle n'était pas au courant des détails de ses activités. Le conseil a déposé une preuve selon laquelle certaines personnes qui se sont engagées à travailler activement contre le gouvernement ont des problèmes. Cependant, ces personnes sont bien en vue. Aucune preuve n'a été déposée devant le tribunal qui lui permettrait d'établir que le frère de la revendicatrice est une personne bien en vue. La revendicatrice n'avait pas d'exemples du matériel que son frère aurait prétendument diffusé au moyen d'Internet; de plus, elle ne savait pas du tout de quoi il était question dans ses écrits. Le tribunal détermine que même si le frère de la revendicatrice était membre du parti du peuple républicain, ce seul fait est insuffisant pour permettre au tribunal de déterminer qu'il serait persécuté à cause de son appartenance à ce parti. Le tribunal détermine que le frère de la revendicatrice n'était pas une personne suffisamment en vue sur la scène politique, d'après la preuve de la revendicatrice, pour être ciblé par les autorités comme elle le prétend. Par extension, elle ne serait pas ciblée elle non plus, notamment compte tenu du fait que, dans son témoignage, elle a dit que ni elle, ni ses parents n'étaient membres d'un parti politique.


[17]            Examinée dans son ensemble, la preuve documentaire établit que les autorités ciblent généralement les dirigeants et les activistes politiques bien en vue. L'avocat de la demanderesse fait observer que les médias ont tendance à rapporter les incidents mettant en cause des gens bien en vue, ce qui ne signifie pas nécessairement que d'autres personnes ne sont pas ciblées. Je ne dispose d'aucune preuve pour étayer cet argument. Il ressort de la transcription que la SSR a maintes fois demandé à la demanderesse de fournir plus de détails sur son frère. La demanderesse n'a pas été en mesure de préciser le rôle que jouait son frère ni les activités auxquelles il prenait part, mais elle a affirmé qu'il n'assumait pas un rôle de premier plan. La seule preuve établissant que le frère de la demanderesse puisse être une cible se résume au témoignage de la demanderesse relativement aux incidents survenus les 2 et 30 avril 2000. Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, la SSR n'a pu se résoudre à conclure que le frère de la demanderesse serait ciblé. Cette conclusion n'était pas déraisonnable. La SSR a le droit de s'appuyer sur la preuve documentaire de préférence au témoignage du demandeur de statut : Zhou c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.).

[18]            Ayant conclu que le frère de la demanderesse ne serait pas ciblé, la SSR a déclaré :

Par extension, elle ne serait pas ciblée elle non plus, notamment compte tenu du fait que, dans son témoignage, elle a dit que ni elle, ni ses parents n'étaient membres d'un parti politique.

Cette conclusion est juste et s'impose en l'espèce. Le lien familial n'est pas une caractéristique qui requiert la protection de la Convention, en l'absence d'un motif sous-jacent, énoncé dans la Convention, pour la persécution alléguée : Serrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 166 F.T.R. 227, Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 456.

[19]            Il ne reste qu'une seule question à aborder, soit l'argument invoqué par la demanderesse concernant la suffisance des motifs de la SSR. Cette question a été traitée par le juge Teitelbaum dans l'affaire Li c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 413, où il a cité l'affaire Syed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 83 F.T.R. 283 :


Les motifs écrits ont pour fonction de faire connaître à ceux que la décision d'un tribunal administratif a défavorisés la raison sous-jacente de cette décision. À cette fin, les motifs doivent être appropriés, adéquats et intelligibles et ils doivent prendre en considération les points importants soulevés par les parties. [. . .] La section du statut de réfugié est tenue, pour le moins, de faire des commentaires sur la preuve produite par le requérant à l'audience. Que cette preuve soit admise ou rejetée, le requérant doit en connaître les raisons.

[20]            La SSR a cerné la question en litige, passé en revue le témoignage de la demanderesse, examiné la preuve documentaire, évalué et déterminé la valeur probante de la preuve documentaire, exposé ses conclusions et les motifs s'y rattachant. Elle a rendu une décision en se fondant sur les conclusions qu'elle a tirées. Il a été satisfait à l'exigence relative à la suffisance des motifs.

[21]            En définitive, la SSR a jugé que la demanderesse ne s'était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu'elle était visée par la définition de réfugié au sens de la Convention. Pour ces motifs, je suis d'avis qu'il n'existe en l'espèce aucune erreur susceptible de révision. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[22]            Les avocats n'ayant pas soulevé de question grave de portée générale, il n'y a donc pas lieu de certifier de question aux termes du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration.

_______ « Carolyn A. Layden-Stevenson » __

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 24 mai 2002

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-3727-01

INTITULÉ :                                                       Tatyana Aleshkina

c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 2 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Layden-Stevenson

DATE DES MOTIFS :                                     Le 24 mai 2002

COMPARUTIONS :

M. David YerzyPOUR LA DEMANDERESSE

M. Matthew OommenPOUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. David YerzyPOUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris RosenbergPOUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.