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Date : 20200929


Dossier : T‑1493‑19

Référence : 2020 CF 933

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 29 septembre 2020

En présence de madame la juge McDonald 

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE TEMAGAMI

demanderesse

et

TAMMY PRESSEAULT

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Première Nation de Temagami (PNT), sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 (le Code), qui a conclu que la demande déposée par Tammy Presseault contre la PNT pour congédiement injuste tombait dans le champ d’application du Code.

[2]  Pour les motifs exposés ci‑après, le présent contrôle judiciaire est rejeté, car j’ai conclu que l’arbitre n’a pas commis d’erreur dans son application du critère approprié et n’a pas commis d’erreur dans l’examen des faits qui l’a mené à la décision selon laquelle la demande pour congédiement tombait dans le champ d’application du Code.

Contexte

[3]  En 1998, la PNT a embauché la défenderesse, Tammy Presseault, pour préparer sa proposition au gouvernement du Canada en vue d’un financement dans le cadre du Programme d’aide préscolaire aux Autochtones dans les réserves. Le financement a aidé à établir le Tillie Missabie Family Centre (la garderie) pour offrir des services de garde d’enfant sur le territoire de la PNT. Tammy Presseault a travaillé à la garderie d’octobre 2011 jusqu’à son renvoi, soit le 9 août 2017. Au moment de sa cessation d’emploi, elle occupait le poste de superviseure agréée de programme des éducatrices et éducateurs de la petite enfance à la garderie.

[4]  Par suite de sa cessation d’emploi, Mme Presseault a déposé une plainte de congédiement injuste au titre du Code. Avant que la demande ne soit examinée sur le fond, la PNT a demandé à l’arbitre de rejeter la plainte de Mme Presseault au motif que son emploi à la PNT relève de la compétence provinciale et non de la compétence fédérale.

Décision arbitrale faisant l’objet du contrôle

[5]  Le 13 août 2019, l’arbitre a rendu sa décision sur la question de compétence soulevée par la PNT. L’arbitre a conclu que le gouvernement fédéral avait une compétence directe, ou subsidiairement, une compétence dérivée à l’égard des relations de travail de la garderie. L’arbitre a conclu que le Tillie Missabie Family Centre faisait partie intégrante de la gouvernance et de l’administration de la PNT. Par conséquent, l’arbitre a conclu que, dans le cadre de son poste de superviseure de programme à la garderie, Mme Presseault participait à l’administration générale et à la gouvernance de la PNT.

[6]  Pour en arriver à cette conclusion, l’arbitre a appliqué l’analyse en deux étapes décrite par la Cour suprême dans l’arrêt NIL/TU,O Child and Family Services Society c BC Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45 (l’arrêt NIL/TU,O). La première étape est de mener une analyse fonctionnelle pour déterminer si la nature de l’entité, son exploitation et ses activités habituelles en font une entreprise fédérale. Si cette première étape n’est pas concluante, le décideur effectue alors une analyse dérivée pour déterminer si la réglementation, par la province, des relations de travail de cette entité porte atteinte au contenu essentiel du chef de compétence fédérale en cause.

[7]  L’arbitre a souligné que le critère énoncé dans l’arrêt NIL/TU,O repose sur la présomption réfutable [traduction] « selon laquelle les questions de travail et d’emploi [sont] de compétence provinciale ». L’arbitre a également souligné que la garderie offre des services de garde d’enfants qui relève normalement de la compétence provinciale, et que la garderie et ses employés sont assujettis aux lois et règlements provinciaux. Toutefois, l’arbitre a établi une distinction entre l’emploi de Mme Presseault et les faits présentés dans l’arrêt NIL/TU,O, où une entente tripartite avait pour conséquence que les services de garde d’enfants relevaient [traduction] « clair[ement] » de la compétence provinciale.

[8]  L’arbitre s’est appuyé sur la décision Canada (Procureur général) c Nation Munsee‑Delaware, 2015 CF 366 (décision Munsee‑Delaware) pour conclure que le critère fonctionnel établi dans l’arrêt NIL/TU,O doit être appliqué aux fonctions de gouvernance des Premières Nations et de leurs conseils afin de déterminer si les relations de travail et d’emploi de l’entité relèvent de la compétence fédérale ou provinciale. La décision Munsee‑Delaware cite la décision Francis c Conseil canadien des relations du travail [1981] 1 CF 255 (la décision Francis) dans laquelle la Cour d’appel fédérale a ordonné qu’une évaluation fonctionnelle soit entreprise pour déterminer si le rôle d’un employé est lié à l’administration et à la gouvernance d’une Première Nation ou d’un conseil de bande. Dans l’affirmative, l’employé relève de la compétence fédérale puisque l’administration d’une Première nation relève de la compétence fédérale.

[9]  Dans son application du critère fonctionnel, l’arbitre a tenu compte de la mesure dans laquelle la garderie et ses employés participent à [traduction] « l’administration » de la PNT. L’arbitre a conclu que les faits démontraient un [traduction] « degré élevé de proximité » entre la PNT et la garderie. Par conséquent, au paragraphe 64, l’arbitre a conclu que la garderie est [traduction] « un prolongement de la Première nation de Temagami qui lui permet de réaliser son objectif de fournir des services adaptés sur les plans culturel et linguistique aux enfants de ses résidents. En raison de la surveillance de la [garderie] exercée par la PNT, il est difficile d’établir là où l’un commence et l’autre se termine. Peu de choses distinguent l’entité de la [PNT]; la présence d’une telle intégration structurelle favorise la conclusion d’une intégration fonctionnelle ».

[10]  Au paragraphe 67, l’arbitre a conclu que [traduction] « dans l’ensemble », le degré élevé d’intégration signifiait que la garderie et Mme Presseault participaient à [traduction] « l’administration générale » des affaires de la PNT en fournissant des services à ses résidents. Par conséquent, l’arbitre a conclu que la garderie est intégrée à la PNT sur le plan fonctionnel.

[11]  Dans l’éventualité où sa conclusion sur l’évaluation fonctionnelle serait erronée, l’arbitre a également examiné le critère de compétence dérivée pour déterminer si les relations de travail relèvent de la compétence fédérale. L’arbitre a conclu que les facteurs qui l’avaient amené à conclure qu’il y avait intégration fonctionnelle de la garderie à la PNT l’amenaient à tirer la même conclusion relativement à l’analyse de compétence dérivée.

[12]   L’arbitre a conclu que la nature dominante des travaux de la garderie faisait partie intégrante de la Première Nation en tant qu’activité de compétence fédérale et que la garderie est [traduction] « une entreprise indivisible et intégrée ». De plus, l’arbitre a déclaré que la compétence provinciale sur les relations de travail de la garderie porterait atteinte au contenu essentiel de la compétence fédérale sur la fonction de gouvernance de la PNT.

Questions en litige

[13]  Voici les questions en litige :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. L’arbitre a‑t‑il commis une erreur dans son analyse?

Analyse

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[14]  Les parties soutiennent que la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre relativement à la question de savoir si cette demande pour congédiement injuste tombe dans le champ d’application du Code est celle de la décision correcte.

[15]  Dans la décision Canada (Procureur général) c Northern Inter‑Tribal Health Authority Inc, 2020 CAF 63 (la décision Northern Inter‑Tribal), la Cour d’appel a abordé la question de la norme de contrôle applicable lorsqu’elle doit se prononcer sur une décision administrative relative à la question de savoir si « les relations de travail et les affaires qui y sont étroitement liées » relèvent de la compétence fédérale ou provinciale. Au paragraphe 13, la Cour a conclu que ces questions sont des « questions constitutionnelles » qui relèvent des exceptions mentionnées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (arrêt Vavilov), et sont donc évaluées selon la norme de la décision correcte.

[16]  Par conséquent, la question de savoir si la plainte de congédiement injuste de Mme Presseault relève de la compétence fédérale ou provinciale est évaluée selon la norme de la décision correcte.

[17]  De plus, je souligne que les conclusions de fait de l’arbitre et la caractérisation de ces faits sont évaluées selon la norme de la décision raisonnable et que la Cour doit s’abstenir « d’apprécier à nouveau » la preuve factuelle (arrêt Vavilov, par. 125, 126).

B.  L’arbitre a‑t‑il commis une erreur dans son analyse?

Principes généraux

[18]  Le jugement de principe sur la question de la compétence en matière de relations de travail est l’arrêt NIL/TU,O de la Cour suprême. Les principes découlant de l’arrêt NIL/TU,O ont été résumés par la CAF dans la décision Conseil de la Nation Innu Matimekush‑Lac John c Association des employés du nord québécois, 2017 CAF 212 [décision Lac John] :

[9]  Dans NIL/TU,O la Cour suprême du Canada dit ne pas créer de droit nouveau. Elle ne fait qu’appliquer à un ensemble de faits particuliers des principes bien ancrés dans notre droit. Ces principes sont les suivants :

  Les relations de travail sont présumées relever d’un chef de compétence provinciale. La compétence du gouvernement fédéral à cet égard est une exception que l’on doit interpréter restrictivement (NIL/TU,O au paragraphe 11);

  Pour déterminer si les relations de travail relèvent exceptionnellement du gouvernement fédéral, il faut procéder à un examen en deux temps, peu importe le chef de compétence visé;

  Cette démarche s’articule obligatoirement autour d’un premier critère : le critère fonctionnel;

  La présomption sera réfutée si l’application du critère fonctionnel aux faits de l’espèce permet de conclure que l’entité est une entreprise fédérale;

Si l’analyse sous ce critère n’est pas concluante, c’est‑à‑dire qu’elle ne permet pas de déterminer s’il s’agit d’une entreprise fédérale, le décideur passe alors au critère du contenu essentiel : la réglementation provinciale relative aux relations de travail de cette entité porte‑t‑elle atteinte au contenu essentiel du chef de compétence fédérale? (ibidem, au paragraphe 3).

[19]  Dans l’arrêt NIL/TU,O, les juges majoritaires ont conclu que la première étape de l’analyse, soit l’analyse selon le critère fonctionnel, consiste à se demander si une entité est une entreprise fédérale. La juge Abella, s’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt NIL/TU,O, résume le critère fonctionnel au paragraphe 18 :

« ...pour déterminer si le pouvoir de réglementer les relations de travail d’une entité relèvera du gouvernement fédéral, ce qui aurait pour effet d’écarter la présomption de compétence provinciale, l’arrêt Four B exige que le tribunal applique tout d’abord le critère fonctionnel, c’est‑à‑dire qu’il examine la nature de l’entité, son exploitation et ses activités habituelles pour voir s’il s’agit d’une entreprise fédérale. Si c’est le cas, ses relations de travail seront assujetties à la réglementation fédérale... »

Analyse fonctionnelle

[20]  À l’a souligné la Cour dans l’arrêt NIL/TU,O, lors de l’analyse du volet fonctionnel du critère, l’accent est mis sur la « nature, l’exploitation et les activités habituelles » de l’entité.

[21]  Bien que le fait selon lequel la garde d’enfants est régie par la législation provinciale, soit la Loi de 2014 sur la garde d’enfants et la petite enfance, LO 2014, c 11, n’est pas source de différend entre les parties, la PNT soutient que l’arbitre n’a pas dûment pris en considération ce facteur et a commis une erreur en se concentrant sur l’identité de l’employeur (PNT). Selon la PNT, l’arbitre aurait dû limiter son analyse à [traduction] « l’activité » de la garderie et il s’est égaré en examinant les facteurs suivants :

  • l’identité autochtone de la majorité des clients de la garderie;

  • le fait selon lequel la garderie offre des services adaptés sur le plan culturel;

  • l’emplacement de la garderie sur le territoire de la PNT;

  • le financement fédéral que reçoit la garderie;

  • la politique du personnel de la PNT et les communications du directeur principal (DP) et du gestionnaire des ressources humaines à Mme Presseault indiquant que son emploi relève de la compétence fédérale.

[22]  L’arbitre s’est appuyé sur les décisions Munsee‑Delaware et Francis, dans lesquelles les tribunaux ont conclu qu’un employé relèvera de la compétence fédérale s’il participe à l’administration d’une Première Nation et que son emploi est de « nature gouvernementale » (décision Munsee‑Delaware, par 29). Dans la décision Munsee‑Delaware, aux paragraphes 29 à 30, en s’appuyant sur la décision Francis, la Cour note que « se rapportant à l’administration » et « nature gouvernementale » ne font pas seulement référence à la gouvernance de la bande au sens ordinaire du terme, mais pourrait inclure, plus largement, les employés engagés dans des activités telles que celles mentionnées au paragraphe 17 de la décision Francis :

[traduction] « ... l’administration de l’éducation, l’administration des terres et des successions des Indiens, l’administration de l’aide sociale, l’administration du logement, l’administration scolaire, les travaux publics, la collecte des ordures, etc. Ainsi, les chauffeurs d’autobus, les éboueurs, les enseignants, les charpentiers, les sténographes, les préposés au logement, les concierges et les équipes de voirie comprennent, notamment, l’unité d’employés en question... »

[23]  Le fait que la décision Francis ne mentionne pas expressément les garderies comme des entités participant à l’administration générale et à la gouvernance d’une Première Nation n’est pas déterminant en l’espèce. À mon avis, l’utilisation de l’expression « notamment » par la Cour dans la décision Francis (par 10) tend à montrer que la liste avait pour but d’illustrer, et n’était pas exhaustive.

[24]  De plus, il n’est pas nécessaire que la fonction de gouvernance en question ait un lien direct avec la Loi sur les Indiens. En fait, la Loi sur les Indiens ne fait pas référence à un grand nombre des entités et des types d’employés énumérés dans la décision Francis, comme [traduction] « les chauffeurs d’autobus, les éboueurs... menuisiers, sténographes, commis au logement, concierges et équipes de voirie ». Les facteurs énoncés dans la décision Francis portent plutôt sur la question du degré d’intégration à l’administration générale et à la gouvernance d’une Première nation ou d’un conseil de bande.

[25]  En l’espèce, l’arbitre a souligné que les facteurs suivants étaient déterminants :

  • L’offre d’emploi et la lettre de cessation d’emploi de Mme Presseault étaient imprimées sur le papier à en‑tête de la PNT et signées par le DP de la PNT et le gestionnaire des ressources humaines de la PNT, respectivement.

  • Mme Presseault relevait du DP qui lui, relevait du chef et du conseil de la PNT.

  • La PNT avait la responsabilité exclusive de l’embauche et de la cessation d’emploi du personnel de la garderie.

  • La PNT détient le permis d’exploitation de la garderie et contrôle et gère le travail de son personnel grâce à ses politiques et procédures. Les politiques et les procédures dictent le fonctionnement du centre, les services qui y sont offerts et les personnes qui ont un accès prioritaire à ces services.

  • La garderie offre des services uniquement sur le territoire de la PNT et reçoit son financement du gouvernement fédéral.

  • Le personnel travaille exclusivement pour la garderie.

  • La garderie n’est pas constituée en société et n’est pas une entité juridique distincte.

[26]  Après avoir pris en considération ces facteurs, l’arbitre a conclu :

[traduction]
66. Certains facteurs vont dans le sens contraire, c’est‑à‑dire celui de l’absence d’intégration. Le Tillie Missabie FC offre un service garde d’enfants, ce qui relève normalement de la compétence provinciale. Le superviseur veille à ce que le personnel se conforme aux politiques du TMF Centre, mais aussi aux normes établies par la Loi de 2014 sur la garde d’enfants et la petite enfance. Cependant, il n’existe pas d’accord tripartite global, comme c’était le cas dans l’arrêt NIL/TU,O c BCGSEU, qui placerait clairement les services de garde d’enfants fournis par l’entité sous compétence provinciale.

[27]  L’arbitre fait la distinction entre les faits dont il est saisi et les faits dans l’arrêt NIL/TU,O en raison de l’absence d’une entente selon laquelle Mme Presseault, en tant qu’employée de la PNT, n’était pas employée par une entité distincte de la PNT. Cette conclusion est conforme à la récente décision rendue dans l’affaire Québec (Procureur général) c Picard, 2020 CAF 74 (par. 60 à 63), dans laquelle la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il existe une présomption selon laquelle les employés d’une Première Nation relèveront de la compétence fédérale.

[28]  En l’espèce, la demanderesse ne conteste pas les faits de la manière établie par l’arbitre. La demanderesse conteste plutôt l’examen de ces faits et la pondération qu’en a faite l’arbitre. La TFN s’appuie sur Tessier Ltée c Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail) 2012 CSC 23 (l’arrêt Tessier), et Canadian Pacific Railway Co. c Colombie‑Britannique (Procureur général), 1949 CanLII 278 (CJCP du R.‑U.), [1950] AC 122 (décision CPR), pour faire valoir que l’arbitre aurait dû en arriver à une conclusion différente. La TFN s’appuie également sur Charlie c St’ailes Indian Band, 2019 CanLII 104254 (CA LA). Cependant, ces affaires sont d’une aide limitée pour la PNT, car chacune de ces affaires repose sur ses propres faits et ne dicte pas une issue définitive aux faits en l’espèce.

[29]  La PNT s’appuie également sur la décision Fox Lake Cree Nation c Anderson, 2013 CF 1276 (décision Fox Lake), dans laquelle le juge Zinn a conclu que le Bureau de négociation des Premières Nations établi pour négocier avec Manitoba Hydro relevait de la compétence provinciale. Le juge Zinn a souligné que « peu importe qui reçoit les services, qui les finance, qui les fournit ou à quel endroit ils sont situés, le seul aspect à considérer est la nature des activités habituelles de l’entité » (par 31). Toutefois, comme il est mentionné dans la décision Fox Lake, le Bureau de négociation était une « unité particulière qui était séparée et distincte de l’administration générale de la bande et de sa fonction de gouvernance centrale » (Munsee‑Delaware, par 49).

[30]  En l’espèce, contrairement à la décision Fox Lake, l’arbitre n’a pas conclu que la garderie était une unité particulière distincte. Bien que la garderie soit titulaire d’un permis provincial, le permis d’exploitation a été accordé à la PNT. De plus, en tant que « titulaire du permis », conformément au Guide sur la délivrance des permis des centres de garde d’enfants de l’Ontario, la PNT est responsable de l’exploitation et de la gestion de la garderie.

[31]  Je reconnais que l’arbitre fait référence au financement fédéral de la garderie, ce qui semble contraire à la déclaration de la Cour d’appel fédérale dans la décision Northern Inter‑Tribal selon laquelle : « le financement offert par le gouvernement fédéral en soi ne fait pas d’une entreprise par ailleurs provinciale une entreprise fédérale » (par 29). Cependant, l’arbitre ne fonde pas ses constatations et ses conclusions générales sur cette seule conclusion de fait. Faire une telle chose aurait été une erreur; toutefois, la question du financement était l’un des nombreux faits pris en compte par l’arbitre. Dans le cadre de l’analyse fonctionnelle, il était approprié pour l’arbitre de tenir compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer si l’entité est une entreprise fédérale.

[32]  L’arbitre a établi et appliqué le bon critère. Il a aussi raisonnablement évalué la trame factuelle particulière pour conclure que le lien entre la personne de qui la garderie relevait et le contrôle exercé avait pour résultat l’intégration fonctionnelle de la garderie au sein de la PNT. Bien que la PNT conteste certains des faits examinés par l’arbitre, celui‑ci a raisonnablement établi l’équilibre entre tous les faits qui lui ont été présentés.

[33]  Je conclus que l’arbitre n’a pas commis d’erreur dans sa conclusion selon laquelle le poste de Mme Presseault à la garderie est intégré de façon fonctionnelle dans l’administration générale et la gouvernance de la PNT, comme il est constaté dans les décisions Munsee‑Delaware et Francis. Par conséquent, rien ne permet à la Cour d’intervenir dans la conclusion de l’arbitre sur l’analyse fonctionnelle.

Analyse dérivée

[34]  En ce qui concerne l’analyse dérivée, dans l’arrêt NIL/TU,O, la Cour a conclu que si le critère fonctionnel ne s’avère pas concluant pour déterminer si l’entité relève de la compétence fédérale, le décideur examine alors si la réglementation, par la province, des relations de travail de cette entité porte atteinte au « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale. ePuisque l’arbitre avait conclu, après l’analyse du critère fonctionnel, que la garderie était une entreprise fédérale, il n’était pas tenu d’effectuer l’analyse de compétence dérivée. Toutefois, l’arbitre a examiné l’analyse de compétence dérivée et est arrivé à la même conclusion qu’il avait tirée par suite de l’analyse fonctionnelle.

[35]  L’arbitre s’est appuyé sur l’arrêt Tessier pour mettre en contexte l’analyse de compétence dérivée et évaluer si la nature opérationnelle essentielle du travail, de l’entreprise ou de l’activité en fait un élément essentiel d’une entreprise fédérale (arrêt Tessier, par 18).

[36]  L’analyse de compétence dérivée vise à se demander si la réglementation, par la province, des relations de travail d’une entité porte atteinte au contenu essentiel du chef de compétence pertinent (arrêt NIL/TU,O, par 18). L’analyse de compétence dérivée vise également à se demande si les activités font partie intégrante d’une entreprise fédérale d’une manière qui justifie l’imposition d’une compétence fédérale exceptionnelle quant aux relations de travail (arrêt Tessier, par 35-47).

[37]  Dans l’arrêt Tessier, la Cour suprême a relevé trois cas où le législateur peut avoir compétence dérivée. Le juge Zinn a résumé ces principes dans la décision Fox Lake, au paragraphe 35 :

Dans Tessier, la Cour suprême précise que le Parlement peut avoir compétence dérivée dans trois cas :

1. si les services fournis à l’entreprise fédérale constituent la totalité ou la majeure partie de l’entreprise connexe (paragraphe 48);

2. lorsque les services fournis à l’entreprise fédérale sont exécutés par des employés appartenant à une unité fonctionnelle particulière qui peut se distinguer structuralement sur le plan constitutionnel du reste de l’entreprise connexe (paragraphe 49);

3. lorsqu’il s’agit d’une entreprise indivisible et intégrée, si la nature dominante des travaux fait partie intégrante d’une entreprise fédérale (paragraphe 55).

[38]  En l’espèce, l’arbitre a conclu que la garderie relevait de la compétence fédérale en raison du troisième cas de compétence dérivée mentionné dans la décision Tessier, à savoir que la nature dominante des travaux de la garderie fait partie intégrante de la PNT en tant qu’entreprise fédérale.

[39]  L’arbitre s’est fondé sur les mêmes facteurs qui l’ont amené à conclure que la garderie était intégrée à la PNT du point de vue fonctionnel pour conclure que la garderie et la PNT constituent [traduction] « une activité indivisible et intégrée ». L’arbitre a conclu que ces facteurs démontraient que [traduction] « la nature dominante de l’entreprise de la [garderie] fait partie intégrante de la [PNT] en tant qu’entreprise fédérale ».

[40]  Les conclusions de fait de l’arbitre commandent la déférence. La conclusion selon laquelle le poste de Mme Presseault au sein de la garderie est intégré à la fonction de gouvernance et d’administration de la PNT est raisonnable et corroborée par la preuve non contestée.

[41]  À la lumière de la preuve et des conclusions de fait tirées par l’arbitre, selon moi, il n’a pas commis d’erreur en concluant que le gouvernement fédéral a également compétence dérivée sur les faits en l’espèce.

Dépens

[42]  Les parties sont parvenues à s’entendre à cet égard. Par conséquent, des dépens d’un montant global de 4 000 $ sont adjugés à la défenderesse.


JUGEMENT dans le dossier T‑1493‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
  2. La défenderesse recevra des dépens d’un montant global de 4 000 $.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1493‑19

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DE TEMAGAMI c TAMMY PRESSEAULT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 juin 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 SEPTEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Dorian N. Persaud

POUR LA demanderesse

Joseph D. Kennedy

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Persaud Employment Law

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Joseph D. Kennedy

Avocat

North Bay (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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