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Date : 20200930

Dossier : T‑563‑19

Référence : 2020 CF 943

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2020

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

LESTER MARTELL

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur est feu M.  Lester Martell [M. Martell], un pêcheur qui, avant son décès, était titulaire d’un permis de propriétaire‑exploitant l’autorisant à pêcher le homard en Nouvelle‑Écosse. Le 2 avril 2019, il a déposé une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 6 mars 2019 par le sous‑ministre [SM] du ministère des Pêches et des Océans du Canada [MPO], rejetant sa demande d’autorisation en vue de continuer à recourir à un exploitant substitut pour des raisons médicales [ESM] pour son permis de pêche au homard [la décision].

[2]  L’autorisation visant le recours à un ESM a pour but de permettre à une autre personne d’exercer les activités autorisées en vertu d’un permis de pêche lorsque la maladie empêche le titulaire du permis d’exploiter personnellement un bateau de pêche. Dans la décision, le SM a rejeté la demande de M. Martell au motif que la période en question dépassait la limite de cinq ans pour recourir à un ESM établie au paragraphe 11(11) de la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada – 1996 [la Politique de 1996]. Le SM a conclu que les circonstances invoquées par M. Martell pour appuyer sa demande d’exception à la politique en question ne constituaient pas des circonstances atténuantes justifiant une exception.

[3]  L’avis de demande de M. Martell, qui est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire, visait à obtenir plusieurs réparations, notamment :

  1. une ordonnance annulant la décision au motif qu’elle est incorrecte ou déraisonnable;

  2. une déclaration selon laquelle la décision est discriminatoire et contraire au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte], partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, c 11 [la Loi constitutionnelle de 1982];

  3. une déclaration selon laquelle la décision est discriminatoire et contraire à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées [la Convention];

  4. une déclaration selon laquelle la limite de cinq ans prévue au paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte;

  5. une déclaration selon laquelle tout pouvoir discrétionnaire délégué par le ministre des Pêches et des Océans [le ministre] au SM en matière de délivrance de permis est assujetti au paragraphe 15(1) de la Charte.

[4]  M. Martell est décédé le 4 mai 2020, soit avant l’audition de la présente demande. Le 4 juin 2020, son avocat a déposé un avis de transmission de droits en vertu du paragraphe 117(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, mentionnant que le fils et exécuteur testamentaire de M. Martell, M. Blaire Martell, avaient l’intention de poursuivre l’instance au nom de la succession de M. Martell [la succession] et de demander la mesure de redressement déclaratoire décrite dans l’avis de demande.

[5]  La présente demande a été plaidée le 10 septembre 2020 par vidéoconférence à l’aide de la plateforme Zoom. Elle était accompagnée d’une demande associée au dossier de la Cour no T56219, une affaire dans laquelle un autre pêcheur, monsieur Dana Robinson, soulevait essentiellement les mêmes arguments à l’égard de la décision du SM de rejeter sa demande d’autorisation en vue de continuer à recourir à un ESM relativement à son permis de pêche au homard [la demande de M. Robinson]. Les demandeurs dans les deux affaires sont représentés par le même avocat.

[6]  L’audience du 10 septembre 2020 a commencé par une plaidoirie concernant une requête déposée par le défendeur, le procureur général du Canada, le 20 août 2020, pour demander le rejet de la demande de M. Martell, au motif que la succession n’a pas qualité pour exercer les droits de M. Martell en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte et ne peut pas obtenir une mesure de redressement déclaratoire à l’égard d’une demande qui est maintenant devenue théorique. J’ai mis ma décision relativement à cette requête en délibéré, et l’avocat a présenté des arguments concernant la demande de M. Robinson, suivis de brefs arguments sur le fond de la demande de M. Martell, dans lesquels il a effectivement repris les observations formulées relativement à la demande de M. Robinson.

[7]  Comme je l’explique plus en détail cidessous, la présente demande est rejetée, parce que j’ai conclu que la succession n’a pas qualité pour présenter la demande. Ma décision repose sur le droit qui régit les circonstances dans lesquelles une succession peut demander des réparations liées aux droits garantis par la Charte d’une personne décédée. La famille de M. Martell sera sans doute déçue de ce résultat, puisque, durant son témoignage, le fils de M. Martell a souligné à quel point il était important pour son père d’obtenir une décision de la Cour dans le dossier. Cependant, je souligne que, dans ma décision relativement à la demande de M. Robinson (Robinson c Canada (Procureur général), 2020 CF 942) [la décision Robinson], qui a été rendue immédiatement avant la présente décision, j’ai évalué le bienfondé des arguments formulés par M. Robinson par l’intermédiaire de l’avocat qu’il partage avec M. Martell, et ces arguments ont eu un certain succès.

II.  Contexte

A.  Contexte factuel

[8]  Lorsqu’il a présenté sa demande, M. Martell avait 85 ans et il était pêcheur depuis 1947. Le permis visé par la présente demande l’autorisait à pêcher le homard sur la côte nordest de la NouvelleÉcosse, dans un secteur appelé la zone de pêche du homard 30 [ZPH 30]. M. Martell a obtenu ce permis initialement en 1978 et a exploité personnellement le permis et pêché à temps plein jusqu’à ce qu’un problème de santé l’en empêche.

[9]  En 2009 ou vers 2009, M. Martell a commencé à avoir des problèmes de genou, qui l’empêchaient de rester debout pendant plus de quelques heures avant de ressentir de la douleur tout en compromettant son équilibre. Son problème a persisté malgré un traitement médical. En raison de son état, il était incapable de satisfaire aux exigences physiques quotidiennes associées à l’exploitation à temps plein de son bateau de pêche, et ce, même si, de 2010 à 2017, il a continué de pêcher aussi souvent que son état le lui permettait. En 2009, en raison de sa situation, M. Martell a demandé au MPO une autorisation visant le recours à un ESM, autorisation qui lui a été accordée. Par la suite, le MPO a continué d’autoriser un tel recours jusqu’à ce que surviennent les événements (expliqués cidessous) qui ont donné lieu à la présente demande. La légitimité de l’état de santé de M. Martell et l’incapacité qui en découle ne sont pas en cause dans la présente demande.

[10]  Dans son affidavit qui accompagne la présente demande, M. Martell a déclaré qu’il restait en possession du permis et continuait d’en assumer le contrôle et qu’il prenait toutes les décisions opérationnelles liées à son navire, y compris les questions liées à des choses comme l’entreposage et la réparation du navire et de l’équipement. Il négociait le prix des prises au quai et voyait à l’achat des appâts et du carburant. M. Martell et son épouse assumaient la gestion financière de l’entreprise de pêche. M. Martell était aussi chargé de l’embauche et de la gestion de l’équipage de son navire et il employait quatre membres d’équipage saisonniers à temps plein, soit trois matelots de pont et un capitaine (c.àd. l’ESM) qui exploitaient son navire.

[11]  En mai 2015, M. Martell a reçu une lettre du MPO l’informant que sa dernière demande d’autorisation visant le recours à un ESM avait été approuvée jusqu’au 31 juillet 2015, mais que la durée de l’approbation s’étendait audelà de la période maximale de cinq ans prévue dans la Politique de 1996. La lettre l’informait aussi que les prolongations audelà de la période de cinq ans étaient évaluées au cas par cas et lui recommandait d’envisager d’autres arrangements avant la saison de pêche de 2016.

[12]  En mai 2016, M. Martell a été informé que sa demande d’autorisation visant le recours à un ESM pour la saison 2016 avait été approuvée, mais que toute demande future serait rejetée. M. Martell a interjeté appel de cette décision auprès du Comité régional d’appel relatif à la délivrance des permis (CRADP) pour les Maritimes et fait valoir qu’il devrait se voir accorder un crédit pour certaines saisons de pêche au cours desquelles il a effectivement mené des activités de pêche. Il demandait aussi une prolongation de la limite de cinq ans en raison de circonstances atténuantes, y compris sa gestion continue de l’activité de pêche et l’absence de possibilités d’emploi de rechange. Le CRADP était d’accord et a recommandé que l’année 2017 soit comptabilisée comme sa cinquième année aux fins de l’application de la limite de cinq ans prévue dans la Politique de 1996. Le CRADP n’a cependant pas recommandé l’approbation d’autres prolongations.

[13]  M. Martell a interjeté appel de la recommandation du CRADP auprès de l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique [OAPPA] et demandé une autorisation visant le recours à un ESM jusqu’en 2021 inclusivement. Il a invoqué un certain nombre de motifs d’appel, y compris le fait que la limite de cinq ans prévue dans la Politique de 1996 et la décision prise en vertu de celleci par le CRADP étaient arbitraires, injustes et inconstitutionnelles puisqu’elle violait son droit à l’égalité en tant que personne handicapée prévu à l’article 15 de la Charte. Durant l’appel et avant que l’OAPPA ne formule une recommandation au SM, M. Martell a obtenu l’autorisation visant le recours à un ESM pour la saison de pêche 2018.

[14]  Le 6 mars 2019, dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire et sur la recommandation de l’OAPPA et du MPO, le SM a rejeté l’appel de M. Martell. La décision en question invoque le paragraphe 23(2) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/9353 [le Règlement], pris en vertu de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F14, et le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996. Dans la décision, le SM mentionne que M. Martell a soulevé des difficultés financières et mentionné son plan de relève comme étant des circonstances justifiant une exception à la période maximale de cinq ans prévue dans la Politique de 1996, mais il a conclu que de telles circonstances ne constituent pas des circonstances atténuantes à même de justifier une exception. La décision ne fait pas expressément référence aux arguments relatifs à la Charte soulevés par M. Martell.

[15]  Le 2 avril 2019, M. Martell a déposé la présente demande de contrôle judiciaire. Comme la prochaine saison de pêche au homard devait commencer le 18 mai 2019, il a également présenté une requête pour demander à la Cour de surseoir à la décision en attendant la décision concernant sa demande de contrôle judiciaire et d’accorder une injonction interlocutoire obligatoire ordonnant au MPO de l’autoriser à recourir à un ESM en attendant le traitement final de sa demande.

[16]  Le 24 mai 2019, la juge Roussel a délivré une injonction exigeant que le MPO autorise M. Martell à recourir à un ESM pour la saison de pêche au homard de 2019 dans la ZPH 30, à moins que la présente demande soit tranchée avant la fin de la saison (voir Martell c Canada (Procureur général), 2019 CF 737). Peu après, le juge Gascon a délivré une injonction similaire dans le dossier de la Cour no T562-19 (voir Robinson c Canada (Procureur général), 2019 CF 876 [l’injonction de la décision Robinson]).

B.  La politique sur les propriétaires‑exploitants et la politique sur la séparation de la flottille du MPO

[17]  L’obligation pour M. Martell d’obtenir une autorisation visant le recours à un ESM découle de ce que le MPO appelle sa politique sur les propriétairesexploitants et, de façon générale, sa politique sur la séparation de la flottille. Le MPO a déposé un affidavit de Morley Knight, qui était sousministre adjoint, politiques des pêches du MPO jusqu’à sa retraite, en décembre 2017. M. Knight a expliqué les politiques en question et les raisons pour lesquelles elles ont été adoptées.

[18]  En ce qui concerne la politique sur la séparation de la flottille, M. Knight a expliqué que, à la fin des années 1970, en raison de la participation accrue aux activités de pêche canadienne, des préoccupations ont été soulevées quant au risque que les entreprises de transformation du poisson prennent le contrôle du secteur de la pêche côtière, ce qui risquait de réduire le nombre de titulaires de permis indépendants et de diminuer les retombées des ressources halieutiques dans les collectivités locales. Pour dissiper cette préoccupation, le MPO a adopté la politique sur la séparation de la flottille, qui a séparé les intérêts du secteur de la pêche de ceux du secteur de la transformation. Le MPO a cessé de délivrer de nouveaux permis de pêche de la flottille côtière à des sociétés de transformation afin de promouvoir le contrôle des permis de pêche de la flottille côtière aux résidents et aux exploitants des collectivités côtières locales. Ces éléments stratégiques sont intégrés dans la Politique de 1996.

[19]  La politique sur les propriétairesexploitants a été mise en œuvre pour atteindre des objectifs similaires. Dans l’injonction de la décision Robinson, le juge Gascon décrit l’historique et les principales caractéristiques de cette initiative stratégique. Comme je ne crois pas que le contexte de cette politique prête à controverse entre les parties, j’emprunte généreusement de la décision du juge Gascon dans mon résumé de la politique sur les propriétairesexploitants cidessous.

[20]  La politique sur les propriétairesexploitants a été officiellement adoptée en 1989 dans l’ensemble de la flottille côtière de l’Est du Canada, et ses principaux éléments ont éventuellement été intégrés dans la Politique de 1996. Comme le souligne l’affidavit de M. Knight, l’objectif de la politique est d’assurer la viabilité économique de la pêche côtière en donnant le contrôle des permis aux propriétairesexploitants des petites collectivités côtières et en leur permettant de prendre des décisions à l’égard des permis qui leur sont délivrés. À cette fin, la politique sur les propriétairesexploitants exige que les titulaires de permis exploitent personnellement le permis émis en leur nom, ce qui signifie que le titulaire du permis doit être à bord du bateau autorisé à pêcher aux termes du permis.

[21]  Le paragraphe 23(2) du Règlement établit une exception à cette exigence. Il prévoit que, lorsque le titulaire d’un permis ou l’exploitant sont dans l’impossibilité de se livrer à l’activité autorisée par le permis en raison de « circonstances indépendantes de leur volonté », un agent des pêches ou un employé du MPO chargé de délivrer des permis peut autoriser une autre personne (c.àd. un exploitant substitut) à pratiquer cette activité. Les « circonstances indépendantes de la volonté » du titulaire d’un permis ou de l’exploitant ne sont pas définies dans le Règlement.

[22]  Au fil du temps, le MPO a élaboré des lignes directrices concernant les situations qui peuvent être considérées comme des circonstances indépendantes de la volonté du titulaire d’un permis. Faisant écho au libellé du Règlement, le paragraphe 11(10) de la Politique de 1996 porte que :

(10) Tel qu’énoncé dans le Règlement de pêche (dispositions générales), si, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, le titulaire d’un permis ou l’exploitant désigné dans le permis sont dans l’impossibilité de se livrer à l’activité autorisée par le permis ou d’utiliser le bateau indiqué sur le permis, un agent des pêches ou tout autre employé autorisé du Ministère peut, à la demande du titulaire ou de son mandataire, autoriser par écrit une autre personne à pratiquer cette activité en vertu du permis ou autoriser l’emploi d’un autre bateau.

(10) As provided under the Fishery (General Regulations, where, because of circumstances beyond his control, the holder of a licence or the operator named in a licence is unable to engage in the activity authorized by the licence or is unable to use the vessel specified in the licence, a fishery officer or other authorized employee of the Department may, on the request of the licence holder or his agent, authorize in writing another person to carry out the activity under the licence or authorize the use of another vessel under the licence.

[23]  Le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 fournit des directives supplémentaires dans les situations où le titulaire d’un permis invoque la maladie comme circonstance indépendante de sa volonté. Aux termes de cette disposition, la Politique de 1996 limite la désignation d’un exploitant substitut à une période totale de cinq ans lorsque les circonstances indépendantes de la volonté du titulaire d’un permis sont de nature médicale. Le paragraphe 11(11) est ainsi libellé :

(11) Si le titulaire d’un permis est affecté d’une maladie qui l’empêche d’exploiter son bateau de pêche, il peut être autorisé, sur demande et présentation de documents médicaux appropriés, à désigner un exploitant substitut pour la durée du permis. Cette désignation ne peut être supérieure à une période de cinq années.

(11) Where the holder of a licence is affected by an illness which prevents him from operating a fishing vessel, upon request and upon provision of acceptable medical documentation to support his request, he may be permitted to designate a substitute operator for the term of the licence. Such designation may not exceed a total period of five years.

[24]  En réaction au ralentissement économique mondial de 2008, le MPO a assoupli l’application de la limite de cinq ans prévue au paragraphe 11(11) dans l’espoir d’améliorer le soutien économique de l’industrie. En 2015, le MPO a repris l’application de la limite de cinq ans, à la suite des préoccupations exprimées par certains titulaires de permis et leurs représentants selon lesquelles certains titulaires de permis abusaient de la désignation d’exploitant substitut offerte par le MPO, au détriment des objectifs de la politique sur les propriétairesexploitants et de la politique sur la séparation de la flottille. Le MPO a avisé les titulaires de permis ayant atteint ou dépassé la limite de cinq ans qu’ils avaient atteint la limite de temps prévue par la politique et qu’il n’approuverait d’autres prolongations qu’au cas par cas.

III.  Questions en litige

[25]  Le mémoire des faits et du droit du demandeur déposé dans le cadre de la présente demande établit les questions que la Cour doit trancher comme suit :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La décision étaitelle correcte ou raisonnable (selon la norme de contrôle choisie)?

  3. Le SM atil donné des motifs suffisants pour justifier la décision?

  4. La limite de cinq ans prévue dans la Politique de 1996 estelle discriminatoire et inopérante parce qu’elle contrevient à l’article 15 de la Charte?

  5. La décision et/ou la Politique de 1996 sontelles conformes à la Convention?

[26]  Dans son mémoire des faits et du droit en réponse à la requête en irrecevabilité déposée par le procureur général, la succession décrit la seule question soulevée dans la requête comme étant la suivante : si, sur le fondement de sa qualité pour agir dans l’intérêt public ou en raison d’un autre principe de droit reconnu, la succession peut poursuivre la demande de contrôle judiciaire et obtenir une déclaration en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 selon laquelle :

  1. la décision est discriminatoire et contraire à l’article 15 de la Charte;

  2. le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 – et plus précisément la limite de cinq ans qu’elle établit durant laquelle un pêcheur handicapé ou malade peut recourir à un ESM – est discriminatoire en vertu de l’article 15 de la Charte etinopérant, parce que la violation ne peut pas être justifiée au titre de l’article premier de la Charte.

IV.  Analyse

A.  Jurisprudence pertinente

[27]  À l’appui de sa requête, le procureur général invoque les décisions qui font autorité dans lesquelles les tribunaux ont tenu compte de la mesure dans laquelle les successions sont autorisées à intenter ou à poursuivre des poursuites en vertu de la Charte. Le principal texte juridique faisant autorité en la matière est l’arrêt Hislop c Canada (Procureur général), 2007 CSC 10 [Hislop], dans lequel la Cour suprême du Canada a évalué le droit de certaines successions de poursuivre un recours collectif pour contester la constitutionnalité des dispositions du Régime de pensions du Canada, RSC 1985, c C8, en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte. La Cour suprême a analysé cette question comme suit (aux paragraphes 71 à 73) :

71  La question préliminaire est de déterminer si la succession d’un conjoint survivant décédé plus de 12 mois avant l’entrée en vigueur des modifications a qualité pour invoquer au nom du défunt un droit garanti au par. 15(1) de la Charte. Seule une réponse affirmative permettra à notre Cour d’examiner la prétention que le par. 60(2) ne devrait pas s’appliquer à la succession. Le groupe Hislop s’appuie sur l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 322‑323. Or, cet arrêt porte sur l’art. 2 de la Charte, dont la version anglaise emploie le mot « [e]veryone », alors que le par. 15(1) accorde des droits à « [e]very individual », expression plus précise et davantage ciblée.

72  S’appuyant sur l’arrêt Stinson Estate c. British Columbia (1999), 70 B.C.L.R. (3d) 233, 1999 BCCA 761, de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, le gouvernement soutient que la succession ne saurait exercer les droits garantis au par. 15(1) parce qu’il s’agit de droits individuels qui s’éteignent au décès du titulaire. Il ajoute qu’elle n’est pas une personne physique mais une entité fictive dont la dignité humaine n’est pas susceptible d’atteinte. Il invoque également les travaux du Comité mixte spécial sur la Constitution (voir Procès‑verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada (1980‑1981), fascicule no 43, 22 janvier 1981, p. 43:39‑43:44; voir aussi fascicule no 44, 23 janvier 1981, p. 44:6‑44:10; fascicule no 47, 29 janvier 1981, p. 47:88; fascicule no 48, 29 janvier 1981, p. 48:4-48:49), qui a remplacé le mot « everyone » (tous) par « every individual » (chaque individu) au par. 15(1) pour exaucer le vœu du ministre de la Justice d’« assurer que le droit en question ne s’applique qu’à des personnes physiques » (p. 43:41). Il ajoute que notre Cour a statué que d’autres entités, comme les personnes morales, ne pouvaient bénéficier des droits garantis au par. 15(1) (voir l’arrêt Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, p. 1382, le juge La Forest).

73  Selon nous, les arguments du gouvernement sont fondés. Dans le contexte de la demande formulée en l’espèce, la succession ne constitue que l’ensemble des éléments d’actif et de passif du défunt. Elle ne s’assimile pas à une personne physique et sa dignité ne peut faire l’objet d’une atteinte. L’emploi du mot « individual » dans la version anglaise du par. 15(1) est intentionnel. C’est pourquoi nous sommes d’avis que la succession n’a pas qualité pour intenter un recours fondé sur le par. 15(1) de la Charte. On peut donc dire que les droits conférés à l’art. 15 s’éteignent au décès de leur titulaire.

[28]  Dans l’arrêt Giacomelli Estate v Canada (Attorney General), 2008 ONCA 346 [Giacomelli], au moment d’évaluer une demande liée à diverses déclarations et indemnités découlant d’une détention injustifiée pendant la Seconde Guerre mondiale, la Cour d’appel de l’Ontario s’est appuyée sur l’arrêt Hislop et a conclu qu’une succession ne peut pas poursuivre une cause d’action en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte au nom d’une personne décédée. L’arrêt Giacomelli a également fait référence à deux exceptions à ce principe cernées dans l’arrêt Hislop, les résumant comme suit (au para 17) :

[traduction]

17  La Cour suprême a cerné deux exceptions à ce principe : premièrement, un appel d’un jugement soulevant des questions liées au paragraphe 15(1) doit pouvoir « suivre son cours malgré le décès de la partie pendant l’instance » (para 76); et, deuxièmement, lorsque la personne décède après les plaidoiries, mais avant le jugement, le jugement sera rendu parce que le temps qu’il faut à un tribunal pour rendre un jugement ne doit pas porter préjudice à la succession de la personne (para 77).

[29]  En réponse à la requête, la succession soutient qu’elle est visée par la deuxième exception et souligne que l’arrêt Hislop décrit cette exception comme suit (au para 77) :

77  Les remarques qui précèdent permettent de trancher la question à l’égard de M. Hislop, mais comme il s’agit d’un recours collectif, il convient de préciser à quel moment se cristallisent les droits garantis au par. 15(1). Nous avons expliqué qu’il y a fusion lorsque le jugement est rendu. Néanmoins, il est bien établi en droit que nulle mesure judiciaire ne doit porter préjudice à une partie au litige (actus curiae neminem gravabit) : Turner c. London and South‑Western Railway Co. (1874), L.R. 17 Eq. 561. Suivant ce principe, lorsque le demandeur décède après les plaidoiries mais avant le jugement, les cours de justice font rétroagir le jugement (nunc pro tunc) à la date de conclusion des plaidoiries : voir Gunn c. Harper (1902), 3 O.L.R. 693 (C.A.); Hubert c. DeCamillis (1963), 41 D.L.R. (2d) 495 (C.S.C.‑B.); Monahan c. Nelson (2000), 186 D.L.R. (4th) 193, 2000 BCCA 297. Nous confirmons la justesse de cette approche et concluons que la succession de tout membre du groupe qui était vivant le jour où les plaidoiries ont pris fin en Cour supérieure de l’Ontario et qui satisfaisait par ailleurs aux exigences du RPC peut bénéficier du jugement.

[Passages soulignés par le demandeur.]

[30]  Se fondant sur la séquence des événements ayant mené à l’audition de la présente demande, la succession soutient qu’elle peut invoquer le principe selon lequel un plaideur ne devrait pas être lésé par une mesure judiciaire. Elle souligne que l’audience devait initialement avoir lieu le 7 avril 2020. Cependant, le 17 mars 2020, en réaction à l’éclosion mondiale de COVID19, le juge en chef Crampton a émis une Directive sur la procédure et ordonnance qui avait pour effet d’ajourner indéfiniment toutes les affaires prévues du 17 mars au 17 avril 2020. Par conséquent, la présente demande n’a pas été entendue avant le 10 septembre 2020, soit après le décès de M. Martell.

[31]  Selon moi, l’exception applicable n’est d’aucun soutien pour la succession. Comme il est expliqué dans l’arrêt Giacomelli, l’exception vise à éviter tout préjudice résultant du temps requis par la cour pour rendre un jugement après la conclusion des arguments. Le temps requis pour rendre un jugement peut varier en fonction d’un certain nombre de facteurs, y compris la charge de travail du juge en cause. Il s’agit d’une situation propre à un litige précis. En revanche, l’ordonnance du juge en chef Crampton datée du 17 mars 2020 était une mesure d’application générale en réaction à la pandémie mondiale de COVID19. Ce n’est pas le genre de « mesure judiciaire » visée par le principe énoncé dans les arrêts Hislop et Giacomelli. Comme les arguments formulés dans le cadre de la présente demande se sont terminés à l’audience du 10 septembre 2020, l’exception mentionnée dans ces cas ne s’applique pas.

[32]  La succession soutient également que l’interprétation par le procureur général des arrêts Hislop et Giacomelli est trop large et ne tient pas compte des éléments de jurisprudence récents, où des successions ont obtenu la qualité pour agir dans l’intérêt public afin de présenter des contestations fondées sur la Charte. La succession reconnaît que le paragraphe 24(1) de la Charte (qui permet à toute personne dont les droits garantis par la Charte ont été violés de demander des réparations à un tribunal) a été interprété dans ces affaires (et dans les décisions subséquentes) de façon à seulement offrir des réparations aux personnes dont les droits ont été violés et non pas à des tiers. Cependant, elle soutient que ce principe ne s’applique pas nécessairement aux situations où une succession, qui demande une mesure de réparation sous la forme d’une déclaration en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, est jugée avoir qualité pour agir dans l’intérêt public afin de présenter une contestation fondée sur la Charte.

[33]  Je conviens avec la succession que la jurisprudence postérieure à l’arrêt Hislop appuie la conclusion selon laquelle il y a des circonstances où une contestation fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte peut être poursuivie, et ce, malgré le décès de la personne dont les droits garantis par la Charte sont en cause. En fait, le procureur général reconnaît que, au paragraphe 73 de l’arrêt Hislop, la Cour suprême exprime qu’elle tire sa conclusion « [d]ans le contexte de la demande formulée en l’espèce ». Dans l’arrêt Grant v Winnipeg Regional Health Authority et al, 2015 MBCA 44 [Grant], la Cour d’appel du Manitoba a souligné l’importance de ce libellé et conclu que l’arrêt Hislop ne soutenait pas la proposition générale selon laquelle la réparation d’une violation d’un droit garanti par la Charte prend fin au moment du décès de la personne lésée, et ce, quel que soit le contexte (aux para 65, 66). L’arrêt Grant contient des commentaires similaires au sujet de l’arrêt Giacomelli (aux para 72-76).

[34]  Au bout du compte, la Cour a établi une distinction entre les faits de l’arrêt Grant et ceux des arrêts Hislop et Giacomelli en se fondant sur le contexte de la contestation fondée sur la Charte. Dans l’arrêt Grant, la succession a allégué que la violation des droits de la personne décédée garantis par la Charte – dans le contexte de la prestation de soins dans une salle d’attente d’urgence – constituait un facteur contributif du décès. Les décisions faisant autorité antérieures ne concernaient pas des situations où il y avait un lien entre le décès de la personne lésée et la violation présumée de ses droits garantis par la Charte (au para 77). La Cour a conclu que la succession devrait se voir accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public afin d’éclaircir la question sérieuse de savoir si, lorsque le manquement allégué est un facteur contributif du décès, la possibilité de réparation d’une violation de la Charte prend fin au moment du décès (au para 97).

[35]  La succession attire également l’attention de la Cour sur l’arrêt Lawen Estate v Nova Scotia (Attorney General), 2018 NSSC 188 [Lawen No 1], dans lequel la Cour suprême de la NouvelleÉcosse a accordé la qualité pour agir dans l’intérêt public à une succession qui cherchait à obtenir une déclaration en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 selon laquelle des dispositions précises de la Testators’ Family Maintenance Act, RSNS 1989, c 465, violaient la Charte. Le juge Wood, alors juge à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, a mentionné que l’arrêt Grant reposait fortement sur l’allégation selon laquelle la conduite contraire à la Charte avait été un facteur contributif du décès de la personne lésée, mais il a également souligné que les arrêts Hislop et Giacomelli n’étaient pas déterminants. Il a conclu que la question constitutionnelle soulevée par la succession était suffisamment sérieuse pour justifier l’octroi de la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[36]  Dans la décision subséquente sur le fond, la Cour a accordé aux demandeurs certaines déclarations en vertu de l’article 52 (voir Lawen Estate v Nova Scotia (Attorney General), 2019 NSSC 162 [Lawen no 2]). Les demandeurs ont également demandé des réparations en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte. Cependant, la Cour a souligné que le paragraphe 24(1) prévoit des recours pour les personnes dont les [traduction« propres » droits garantis par la Charte ont été violés – et non dans le cas de violations des droits de tiers – et conclu que les demandeurs ne respectaient pas les exigences afin de se voir accorder la qualité pour présenter une demande en vertu de l’article 24 (au para 129).

[37]  J’admets la proposition de la succession selon laquelle, lorsque les exigences relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public sont respectées, une succession peut tenter d’obtenir une déclaration en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, selon laquelle une loi est constitutionnellement invalide, malgré le décès de la personne dont les droits garantis par la Charte auraient été violés.

B.  Qualité pour agir dans l’intérêt public

[38]  Il n’y a pas de différend entre les parties quant au critère d’octroi de la qualité pour agir dans l’intérêt public. La décision qui fait autorité est l’arrêt Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45 [Downtown Eastside], dans lequel la Cour suprême a expliqué que, au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public, un tribunal doit tenir compte de trois facteurs :

  1. si l’affaire soulève une question justiciable sérieuse;

  2. si le demandeur a un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question;

  3. si, compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux.

Le tribunal doit appliquer ces facteurs de façon souple et téléologique. Toutes les autres considérations étant égales par ailleurs, un demandeur qui possède de plein droit la qualité pour agir sera généralement préféré (au para 37).

[39]  Comme il a été mentionné précédemment, la succession soutient qu’elle devrait être autorisée à poursuivre la demande de contrôle judiciaire et à obtenir une déclaration en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 selon laquelle : a) la décision était discriminatoire et contraire à l’article 15 de la Charte; b) le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996et plus précisément la limite de cinq ans qu’elle prévoit – est discriminatoire en vertu de l’article 15 de la Charte et est inopérant.

[40]  J’ai de la difficulté à conclure que la succession a des motifs d’intérêt public de demander une déclaration selon laquelle la décision contrevient à l’article 15 de la Charte. Dans son mémoire des faits et du droit, la succession déclare qu’elle cherche à obtenir une déclaration en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le paragraphe 52(1) habilite un tribunal compétent à déclarer inopérantes les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982, y compris la Charte. Cependant, il est bien connu en droit que le paragraphe 52(1) vise les lois et non les actions du gouvernement. En revanche, le paragraphe 24(1) prévoit que toute personne dont les droits garantis par la Charte ont été violés peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir une réparation appropriée. C’est en vertu de cette disposition qu’une partie peut demander des recours personnels, y compris une déclaration ou des dommagesintérêts, pour des actions gouvernementales qui contreviennent à la Charte (voir R c Ferguson, 2008 CSC 6, aux para 5861).

[41]  Comme il a été mentionné précédemment, la succession reconnaît que, dans les éléments de jurisprudence applicables, le paragraphe 24(1) a été interprété comme prévoyant seulement des recours pour les personnes dont les [traduction« propres » droits ont été violés et non pour des tiers (voir, par exemple, Lawen no 2, au para 129). L’arrêt Grant représente une exception à ce principe, dans la mesure où la violation alléguée de la Charte est un facteur contributif du décès de la personne, mais cette exception ne s’applique pas en l’espèce.

[42]  Durant l’audition de la requête en radiation du procureur général relativement à la présente demande, l’avocat de la succession a soulevé la possibilité que sa demande de déclaration selon laquelle la décision contrevient à l’article 15 ne donne lieu à l’application ni de l’article 24 de la Charte ni de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. La succession soutient plutôt que la Cour est habilitée à accorder une telle réparation (probablement en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F7) en raison de son rôle dans le cadre du contrôle judiciaire du processus décisionnel du gouvernement fédéral. Cependant, la succession n’a relevé aucune autorité pour appuyer sa position selon laquelle le fait de caractériser la réparation demandée de cette façon prévient l’application de la jurisprudence limitant l’accès aux recours (sauf en vertu de l’article 52) en cas d’infractions à la Charte aux personnes dont les droits ont été violés.

[43]  Une demande de mesure de redressement déclaratoire liée à une décision gouvernementale précise exige un examen des effets de la décision en question sur les droits d’une personne précise, contrairement à une demande de déclaration en vertu de l’article 52, qui exige l’examen d’une loi d’application générale et qui, par conséquent, pourrait bien convenir au moment d’accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public. Dans son mémoire des faits et du droit en réponse à la requête du procureur général, la succession présente des arguments à l’appui de sa demande visant à obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public qui se rapportent entièrement à sa contestation fondée sur l’article 52 de la validité constitutionnelle du paragraphe 11(11) de la Politique de 1996. Les observations de la succession n’établissent pas, en tant que telles, le fondement qui justifie l’octroi de la qualité pour agir dans l’intérêt public afin de contester la décision.

[44]  Par conséquent, je vais examiner la demande de la succession visant à obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public afin de faire valoir que le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 – et plus précisément la limite de cinq ans au recours à un ESM – devrait être déclaré inopérant, parce qu’il va à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte.

[45]  Au moment de faire valoir dans la présente requête que la question de savoir si la limite de cinq ans prévue au paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 est inconstitutionnelle soulève une question justiciable sérieuse, la succession soutient que, lorsqu’une politique est de nature législative, elle peut être considérée comme une [traduction« loi » assujettie à la Charte et elle peut faire l’objet d’une déclaration d’invalidité en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. En tant qu’énoncé de principe général, cette observation est solide (voir Greater Vancouver Transportation Authority c Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section ColombieBritannique, 2009 CSC 31). Durant l’audience sur la demande de M. Robinson et dans le cadre de la présente demande, l’avocat a confirmé que les demandeurs ne cherchent pas à contester la Politique de 1996 autrement qu’en vertu de l’article 52. Par conséquent, la question de savoir si la succession a soulevé une question justiciable sérieuse repose de façon importante sur la question de savoir si la Politique de 1996 est de nature législative.

[46]  Je suis au courant de la directive énoncée dans l’arrêt Downtown Eastside selon laquelle, au moment de déterminer si une question sérieuse est soulevée, les tribunaux ne doivent pas examiner le bienfondé d’une affaire autrement que de façon préliminaire (au para 42). Cependant, en l’espèce, la Cour se trouve dans la situation unique d’avoir déjà analysé et tranché cette question sur le fond – et à la lumière des mêmes arguments – dans la décision Robinson. Mon analyse complète est énoncée dans la décision Robinson, mais ma conclusion à cet égard était que le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 n’est pas de nature législative et ne peut donc pas faire l’objet d’une contestation en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. J’ai donc rejeté ce motif précis de contrôle judiciaire.

[47]  Les trois facteurs énoncés dans l’arrêt Downtown Eastside relativement à l’examen d’une demande visant à obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public ne doivent pas être perçus comme des points figurant sur une liste de contrôle ou comme des exigences techniques. Ils doivent être appréciés ensemble (voir le para 36). Cependant, dans une situation où il y a une conclusion définitive selon laquelle la demande visant à obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public ne soulève pas une question justiciable sérieuse sur le fond, il est peu utile de tenir compte des autres facteurs.

[48]  Par conséquent, je conclus que les circonstances de la présente demande ne militent pas en faveur de l’octroi à la succession de la qualité pour agir dans l’intérêt public. En l’absence de réponse favorable à cette question, il faut rejeter la demande de contrôle judiciaire. Il est donc inutile que j’examine l’argument du procureur général selon lequel la demande est maintenant théorique ou encore les questions soulevées par les parties sur le fond de la demande.

V.  Dépens

[49]  À l’audition de la présente affaire, les parties ont convenu de se consulter et d’aviser par la suite la Cour, avant qu’une décision soit rendue, si elles étaient en mesure de s’entendre sur le montant des dépens payables par la partie déboutée. Le procureur général a proposé que les dépens de la requête en irrecevabilité visant la demande de M. Martell soient établis à 1 500,00 $ (montant calculé en fonction du tarif B, colonne III) et que les dépens de la demande en tant que telle soient établis à 7 800,00 $ (montant calculé en fonction du tarif B, colonne IV), plus les débours raisonnables et prouvables. M. Martell a mentionné qu’il souscrivait à la proposition du procureur général, mais il a également souligné que, dans le cadre de la requête en injonction liée à la présente affaire, la juge Roussel a ordonné que des dépens lui soient versés en fonction du tarif B, colonne III. Il propose que les dépens de la requête en question soient établis à 1 500 $ et payables à la succession.

[50]  Je souscris à ces propositions concernant les coûts des requêtes pertinentes. Le procureur général a eu gain de cause dans le cadre de la requête en irrecevabilité, pour laquelle l’adjudication de dépens s’élevant à 1 500 $ tout compris est appropriée. Ces dépens seront compensés par l’adjudication de dépens relativement à la requête en injonction accueillie de M. Martell, dépens que j’ai également fixés à 1 500 $ tout compris. Mon jugement en tiendra compte. Comme le procureur général a eu gain de cause dans le cadre de la requête en irrecevabilité, la Cour n’a pas statué sur le fond de la demande, et je n’accorde donc pas de dépens relativement à la demande en tant que telle.


JUGEMENT dans le dossier T‑563‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande du demandeur est rejetée.

  2. Le défendeur se voit adjuger les dépens de la requête en irrecevabilité, qui sont établis à 1 500,00 $ tout compris. Ces dépens sont compensés par les dépens, qui ont également été établis à 1 500,00 $ tout compris, accordés au demandeur dans le cadre de la requête en injonction qui a été accueillie.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T56319

INTITULÉ :

LESTER MARTELL c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE VIA HALIFAX (NOUVELLEÉCOSSE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 SEPTEMBRE 2020

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 30 SEPTEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Richard W. Norman

Michel P. Samson

Sian G. Laing

POUR LE DEMANDEUR

Catherine M.G. McIntyre

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox & Palmer

Halifax (NouvelleÉcosse)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Halifax (NouvelleÉcosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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