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                                                                                                                                Date : 20040527

                                                                                                                            Dossier:    T-194-02

                                                                                                                Référence :    2004 CF 769

Ottawa (Ontario), le 27ième jour de mai 2004

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                         PIERRE-PAUL POULIN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                                         LE COMMISSAIRE DES PÉNITENCIERS

                                      (SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA)

                                                                                                                                          défendeurs

                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE_

Introduction

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue par la commissaire adjointe du Service correctionnel du Canada suite à un grief déposé par le demandeur, Pierre-Paul Poulin, un détenu dans un pénitencier fédéral, concernant la rémunération qu'il a reçue pour sa participation à un programme d'emploi. Le mémoire des défendeurs décrit correctement les faits, les dispositions législatifs et réglementaires ainsi que la question en litige, je reprendrai donc en grande partie la formulation qui y a été utilisée.


[2]                Le Service correctionnel a entrepris des travaux de construction à l'un de ses établissements. Des contrats de service ont été conclus avec des sous-traitants en vertu desquels le Service correctionnel fournissait de la main-d'oeuvre aux sous-traitants en échange d'une certaine compensation. Pour satisfaire à ses obligations contractuelles, le Service correctionnel a recruté des détenus pour participer à un programme d'emploi. Les détenus ont été rémunérés pour leur travail conformément aux politiques du Service correctionnel concernant la rémunération des détenus adoptées en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (Loi).

[3]                Le demandeur a pris part au programme d'emploi et a reçu la rémunération des détenus. Il dit cependant avoir droit à la somme versée par les sous-traitants au Service correctionnel en vertu des contrats de sous-traitance, puisqu'il était l'employé direct des sous-traitants._

Question en litige

[4]                Le présent dossier ne soulève qu'une seule question: était-il manifestement déraisonnable que la commissaire adjointe tire la conclusion de fait selon laquelle le demandeur n'était pas directement employé par un employeur extérieur, mais qu'il était affecté à un programme de CORCAN et donc n'avait droit qu'à la rémunération des détenus et non à la somme versée par les sous-traitants à CORCAN?


[5]                Pour les motifs suivants, je répondrai par la négative à cette question et je rejetterai donc la demande de contrôle judiciaire.

Cadre législatif et réglementaire

[6]                La Loi oblige le Service correctionnel à offrir des programmes aux détenus pour répondre à leurs besoins et favoriser leur réinsertion sociale. CORCAN, qui est la partie du Service correctionnel chargée du secteur productif pénitentiaire, a été mis sur pied par le Service correctionnel pour satisfaire à cette obligation. Les produits et services des détenus sont vendus par CORCAN et les recettes des ventes aident à assumer le coût de l'exécution du programme.

[7]                Selon le paragraphe 78(1) de la Loi, le commissaire du Service correctionnel peut autoriser la rémunération des détenus aux taux approuvés par le Conseil du trésor afin d'encourager la participation des détenus aux programmes. Le commissaire a accordé son autorisation en adoptant la Directive no 730 intitulée Affectation aux programmes et paiements aux détenus (Directive). Cette Directive décrit la politique du commissaire relativement à la rémunération des détenus affectés à des programmes, ainsi que ses modalités. Essentiellement, le commissaire délègue au Comité des programmes du pénitencier (ou à son équivalent) la responsabilité d'affecter un détenu à un programme en tenant compte de son plan correctionnel et de fixer son niveau de rémunération selon les modalités prévus dans la Directive. Celle-ci prévoit quatre niveaux de rémunération et les qualités que doivent posséder les détenus pour se qualifier pour ces niveaux. Les détenus peuvent aussi recevoir des primes au rendement pour leur travail.


[8]                Selon l'alinéa 4b) de la Directive, les détenus qui sont affectés à un programme dans le cadre duquel ils sont payés directement par un employeur au sein de la collectivité sont exclus du champ d'application de la Directive. Leur taux de rémunération n'est pas déterminé par une politique du commissaire, mais par leur contrat d'emploi avec leur employeur. Ce contrat d'emploi doit, de toute évidence, se conformer aux lois provinciales applicables en matière d'emploi. Autrement dit, ils doivent à tout le moins recevoir le salaire minimum en vigueur dans la province en question.

Faits et décisions antérieures

[9]                Dans les années 1990, les autorités du pénitencier Mission ont entrepris des travaux de construction et de rénovations à l'établissement. Le contrat pour le projet de construction a été octroyé à CORCAN à titre d'entrepreneur général. CORCAN a conclu des contrats avec des sous-traitants pour la prestation de services. Selon ces ententes, CORCAN fournissait la main-d'oeuvre pour les travaux généraux. En échange, les sous-traitants payaient CORCAN 7,00 $ pour chaque heure de travail d'un détenu. Il n'y avait aucun contrat de travail entre les détenus et les sous-traitants. Les détenus qui participaient au projet de construction ont reçu la rémunération des détenus. Ils ont aussi reçu une prime au rendement.

[10]            De 1996 à 2000, le demandeur a été affecté au projet de construction par le Comité des programmes institutionnels de l'établissement Mission (Comité). Conformément à la Directive, le Comité a approuvé que le demandeur soit rémunéré au niveau A, soit à un taux quotidien de 6,90 $. Le demandeur a aussi bénéficié de la prime au rendement établie au taux horaire de


4,00 $. En somme, le demandeur recevait 34,90 $ pour une journée de 7 heures. Il est à noter qu'initialement, CORCAN ne versait que la prime au rendement et non la rémunération des détenus. Suite à un grief déposé par un autre détenu, Berquist, CORCAN a rectifié la situation et a effectué des paiements rétroactifs aux détenus, incluant le demandeur. La pièce J de l'affidavit du demandeur, qui est une note rédigée par l'analyste attaché aux Affaires des détenus, Richard Vacher, précise que le demandeur a reconnu dans une conversation téléphonique avec M. Vacher avoir reçu un paiement rétroactif de plus de 3 800 $ suite à la décision Berquist.

[11]            En décembre 2000, le demandeur a déposé une plainte concernant la rémunération que lui avait versé CORCAN pour sa participation au projet de construction. Le demandeur allègue qu'il était l'employé direct des sous-traitants, que ceux-ci avaient convenu de verser aux détenus un salaire horaire de 7,00 $ et que CORCAN n'a versé que 4,00 $ de l'heure aux détenus. Pour appuyer ses dires, il présente un document intitulé « Special Conditions for Inmates Working with CORCAN Contractors » . Ce document s'applique aux détenus qui sont à l'emploi des entrepreneurs de l'extérieur et non de CORCAN. Comme preuve qu'il était convenu que les détenus recevraient 7,00 $ de l'heure, le demandeur présente un exemple d'entente de services intervenue entre CORCAN et un sous-traitant (pièce Q de l'affidavit du demandeur). Il ne soumet aucun contrat d'emploi entre les sous-traitants et les détenus.


[12]            La plainte du demandeur a été rejetée et il a déposé un grief. Ce grief a été rejeté à tous les paliers, incluant le dernier palier par la commissaire adjointe du Service correctionnel, Cheryl Fraser. Celle-ci a déterminé que le demandeur n'avait pas été engagé par un employeur extérieur mais avait plutôt été assigné au projet de construction par le Comité et qu'en conséquence, le demandeur était en droit de recevoir la rémunération des détenus conformément à la Directive. Le demandeur demande le contrôle judiciaire de cette décision.

Analyse

[13]            La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la commissaire adjointe est celle de la décision manifestement déraisonnable (Tehrankari c. Canada (Service correctionnel), [2000] A.C.F. no 495, para. 44 (1ère inst.) (QL)).

[14]            La preuve présentée par le demandeur ne démontre aucunement qu'il a été à l'emploi direct des sous-traitants. En effet, le contrat de service présenté en preuve par le demandeur à la pièce Q ne fait que confirmer que CORCAN avait des contrats avec des sous-traitants. Il ne constitue pas une preuve que le demandeur était un employé des sous-traitants. En outre, il n'existe pas de preuve selon laquelle le document intitulé « Special Conditions for Inmates Working with CORCAN Contractors » s'appliquait au projet de construction en l'espèce. Le document ne date pas de la période en question (il est daté du 23 avril 2001) et il est signé par une personne autre que le demandeur. En conséquence, la conclusion de la commissaire adjointe s'appuyait sur la preuve et n'était donc pas manifestement déraisonnable.

[15]            La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.


                                                                ORDONNANCE

La Cour ordonne que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                                                           Edmond P. Blanchard           

                                                                                                                                                     Juge                      


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                         T-194-02

INTITULÉ :                                        Pierre Paul Poulin c. Le Procureur général du Canada et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (Colombie Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 28 avril 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 27 mai 2004

COMPARUTIONS :

Pierre-Paul Poulin (se représente lui-même)       POUR LE DEMANDEUR

Marie Crowley                                                  POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                                          POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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