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Date : 20200831


Dossier : IMM‑6716‑19

Référence : 2020 CF 868

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

BALVIR SINGH MUKHAL

BALVIR KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SAR] datée du 22 octobre 2019 [la décision de la SAR], par laquelle le commissaire de la SAR a conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Mumbai ou à Delhi (Inde).

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

II.  Le contexte

[3]  Les demandeurs, M. Balvir Singh Mukhal et Mme Balvir Kaur, sont mari et femme et originaires du village de Bahopur, dans l’État du Pendjab (Inde). Entre 2004 et août 2015, M. Mukhal est parti travailler dans différents pays arabes et, quand il était présent à la maison, il s’occupait de la ferme familiale. Le père de M. Mukhal y travaillait aussi, mais, lorsqu’il était tombé malade, c’était Mme Kaur qui prêtait main‑forte, de façon à ce que la ferme puisse continuer de fonctionner.

[4]  Un jour, pendant que M. Mukhal travaillait à l’étranger, l’un des membres de sa famille, un certain Gurpal Singh, a commencé à harceler la famille, souhaitant prendre en main sa terre et d’autres biens. Les demandeurs déclarent que M. Singh entretenait des liens étroits avec la police et des politiciens locaux et que, avec leur concours, il menait diverses activités illégales, dont le fait de prendre le contrôle sur les terres d’autres personnes et de vendre des stupéfiants.

[5]  M. Singh a endommagé les cultures des demandeurs, a confronté et harcelé physiquement Mme Kaur, a commencé à fixer son regard sur elle de manière déplacée et a tenté de profiter d’elle pendant que M. Mukhal se trouvait à l’étranger. Mme Kaur a porté plainte à plusieurs reprises à la police et au conseil du village, mais sans succès.

[6]  En juillet 2014, M. Singh a accosté Mme Kaur, il l’a poussée et il a tenté de l’agresser. Mme Kaur est parvenue à lui échapper et a porté plainte à la police. Celle‑ci n’a pas écouté ses appels à l’aide et lui a plutôt suggéré de régler l’affaire avec M. Singh, car celui‑ci avait reconnu avoir posé des gestes déplacés et il en avait des remords. Finalement, Mme Kaur a réglé la situation avec lui, et il a formellement reconnu s’être comporté de manière déplacée.

[7]  Toutefois, plus tard, M. Singh s’est remis à faire des avances irrespectueuses envers Mme Kaur et il a recommencé à la harceler. Comme M. Mukhal travaillait encore à l’étranger, le frère de Mme Kaur, Satwinder, qui vivait à proximité, est venu loger plusieurs fois chez elle pour assurer sa surveillance. Satwinder a fait front à M. Singh, qui l’a considéré comme un obstacle à ses intentions illicites. Il a menacé Satwinder à plusieurs reprises et est allé jusqu’à prétendre à la police que des individus armés avaient rendu visite à ce dernier et avaient ensuite menacé de le tuer lui‑même.

[8]  En juillet 2015, la police locale a arrêté Satwinder en compagnie d’un ami et les a accusés à tort d’avoir travaillé avec des militants sikhs. La police a interrogé les deux hommes à propos d’une attaque perpétrée antérieurement par des militants sikhs contre un poste de police, ainsi que des efforts faits pour monter la tête d’autres personnes de la région contre le gouvernement et la police du Pendjab.

[9]  Après deux jours, Satwinder et son ami ont été libérés moyennant le paiement de pots‑de‑vin et avec l’aide de [traduction« personnes influentes ». La police leur a imposé certaines conditions, dont celle de ne plus retourner au village des demandeurs, où Satwinder avait logé chez sa sœur, et de ne plus déranger M. Singh.

[10]  Une fois que M. Mukhal est rentré chez lui, en août 2015, M. Singh a commencé à le harceler et à le menacer lui aussi, l’accusant de se livrer à des activités criminelles. M. Mukhal a demandé l’aide du conseil du village, mais M. Singh a toutefois continué de le harceler et d’endommager ses cultures.

[11]  En janvier 2016, une fois de plus, Satwinder a été arrêté, torturé et accusé à tort de se livrer à des activités illégales. Il a été interrogé à propos d’autres militants sikhs ainsi que d’une attaque antérieure menée contre une base aérienne par des individus soupçonnés d’être des militants. Il a finalement été libéré après le paiement de pots‑de‑vin et l’intervention supplémentaire d’[traduction« autres personnes influentes » du village, et on lui a imposé d’autres conditions — on ne sait pas exactement lesquelles. Satwinder a commencé peu après à souffrir de dépression.

[12]  L’ami de Satwinder, qui avait été arrêté la première fois en sa compagnie, a réussi à s’échapper et, depuis ce temps, on ignore où il se trouve; la police a soutenu qu’il avait joint les militants.

[13]  Le 1er mars 2016, Satwinder s’est présenté au poste de police, conformément aux conditions qu’on lui avait imposées, mais on n’a plus jamais eu de nouvelles de lui. Lorsque la famille a posé des questions, la police du Pendjab a déclaré que Satwinder ne s’était jamais présenté au poste et, en fait, elle a commencé à faire pression sur les demandeurs pour qu’ils confirment l’endroit où Satwinder se trouvait. La police a émis l’hypothèse que ce dernier avait joint lui aussi les militants.

[14]  Les demandeurs ont cherché Satwinder, mais, à ce jour, nul ne sait où il se trouve. La police a continué de menacer et de harceler les demandeurs et les parents de Mme Kaur, leur posant des questions sur Satwinder et sur d’autres militants. Pour garder la police à distance, les demandeurs s’en sont remis à l’aide d’amis et de [traduction« personnes influentes », ainsi qu’au paiement de pots‑de‑vin.

[15]  Le 10 avril 2016, la police a fait une descente chez les demandeurs et a fouillé leur maison. Elle les a interrogés sur l’endroit où se trouvait Satwinder, accusant la famille d’héberger celui‑ci et d’autres militants. La police a arrêté le beau‑père de M. Mukhal, qui était présent lui aussi dans la maison. Quand Mme Kaur a tenté d’intervenir, les agents l’ont saisie par les cheveux et l’ont projetée dans le véhicule de police; ils l’ont accusée de soutenir les militants en faisant de la cuisine pour eux.

[16]  Au poste de police, les agents ont déshabillé M. Mukhal et l’ont torturé, s’enquérant de l’endroit où se trouvaient Satwinder et les militants. Ils ont également battu le père de Mme Kaur et l’ont interrogé sur l’endroit où se trouvait Satwinder. Ils ont accusé Mme Kaur de soutenir les militants en leur faisant la cuisine pendant qu’ils se trouvaient chez elle; elle a échappé de peu au viol. Les agents ont pris leurs empreintes digitales, leurs photographies et leurs signatures sur des feuilles en blanc — ce que l’avocat des demandeurs appelle dans son argumentation leurs « biodonnées ».

[17]  La police a fait savoir aux demandeurs que, lorsqu’ils seraient libérés, ils n’allaient dire à personne ce qui s’était passé au poste. Une fois de plus, après un délai de deux jours, et après le paiement de pots‑de‑vin et l’intervention de [traduction« personnes influentes » de la collectivité, ils ont été libérés sous certaines conditions et d’autres menaces. Ils ont ensuite été suivis par un médecin, en raison de leurs blessures.

[18]  Craignant la police et n’étant pas capables de respecter leurs conditions de mise en liberté — là encore, la preuve n’indique pas clairement qu’elle était l’ampleur de ces conditions, hormis le fait d’avoir à se présenter à intervalles réguliers au poste de police — les demandeurs se sont enfuis à Delhi, où ils ont vécu chez la tante de M. Mukhal. Les membres de leur famille, qui craignaient de donner refuge aux demandeurs pendant un temps prolongé, les ont donc aidés en mai 2016 à trouver un agent qui leur a permis de se rendre au Canada. Cet agent s’est engagé à envoyer les enfants des demandeurs les rejoindre à une date ultérieure, mais il ne l’a jamais fait. À ce jour, ces enfants vivent en Inde, chez la sœur de Mme Kaur.

[19]  Les demandeurs ont reçu leurs visas de l’agent le 7 juillet 2016, et ils sont entrés au Canada munis d’un visa d’une durée de six mois, valide jusqu’à la fin de février 2017. Une fois rendus au Canada, à la suggestion de personnes qu’ils avaient rencontrées au temple qu’ils fréquentaient, ils ont demandé l’asile.

[20]  Les demandeurs disent que, en Inde, la police est toujours à leur recherche, qu’elle les accuse à tort et qu’elle harcèle les membres de leurs familles. Les parents de Mme Kaur vivent eux aussi cachés, craignant le sort que pourrait leur faire subir la police en rapport avec Satwinder.

[21]  Depuis leur départ de l’Inde, les demandeurs ont tenté de louer leur ferme, mais M. Singh a continué de harceler les nouveaux locataires, qui ont fini par renoncer à exploiter la terre.

III.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[22]  La seule question que devait trancher la SAR était la disponibilité d’une PRI.

[23]  La SAR a conclu que les demandeurs avaient une PRI viable à Mumbai ou à Delhi, après avoir fait les constatations suivantes :

  • a) Selon la preuve concernant la situation en Inde, il existe une importante collectivité sikhe à Mumbai et à Delhi, qui y vit sans être persécutée;

  • b) Quant à l’allégation des demandeurs selon laquelle la police du Pendjab serait informée de leur présence lorsqu’ils présenteraient leurs pièces d’identité pour recevoir des soins médicaux à Mumbai ou à Delhi et pourrait les retrouver, la SAR a conclu que la preuve ne l’étayait pas;

  • c) Quant à l’allégation des demandeurs selon laquelle le système d’enregistrement des locataires (un volet du Réseau de suivi des crimes et des criminels (Crime and Criminal Tracking Network & System) [le CCTNS], dans le cadre duquel les locateurs sont tenus d’enregistrer leurs locataires auprès des autorités locales) permettrait à la police du Pendjab de les retrouver un jour, la SAR a conclu que la police n’a pas les ressources nécessaires pour identifier les locataires enregistrés dans tout le pays, et elle a convenu avec la Section de la protection des réfugiés [la SPR] que la preuve donnait plutôt à penser que les mesures de suivi de la police visaient les individus recherchés pour avoir commis un crime grave. Dans la présente affaire, rien ne prouvait que les demandeurs correspondaient à ce profil ou qu’ils faisaient l’objet d’accusations criminelles formelles, que des mandats d’arrestation avaient été lancés contre eux ou qu’ils étaient des personnes qui présentaient un intérêt sérieux aux yeux de la police;

  • d) Quant à l’allégation des demandeurs selon laquelle, une fois qu’ils arriveraient à l’aéroport en Inde, la police nationale serait informée de leur présence et les signalerait à la police du Pendjab, la SAR a conclu que même si la preuve étayait la conclusion que, en Inde, les divers corps de police s’échangent certains renseignements, les demandeurs n’avaient pas établi que la police du Pendjab ou les corps de police situés à l’extérieur de cet État avaient un intérêt à rechercher les demandeurs ou à les pourchasser. La SAR a fait remarquer que, au vu de la preuve concernant la situation dans le pays, les communications entre les corps de police des divers États sont, dans le meilleur des cas, inégales et se limitent en général aux affaires de crime grave, comme la contrebande, le terrorisme ou certains actes de criminalité organisée, ce qui n’était pas le cas des demandeurs;

  • e) La SAR a signalé que même si les demandeurs ont déclaré qu’ils n’avaient pas pu se soumettre aux conditions de mise en liberté que la police du Pendjab leur avait imposées, rien ne prouvait que des mandats d’arrestation avaient été lancés à leur endroit;

  • f) La SAR a analysé l’argument des demandeurs selon lequel la police du Pendjab pourrait les retrouver dans un autre État en interrogeant des membres de leur famille; elle a toutefois conclu que depuis que les demandeurs avaient quitté l’Inde, M. Singh ne s’en était pas pris aux frères ou aux sœurs de l’un ou l’autre des demandeurs en vue de mettre la main sur la terre de la famille. En fait, comme l’a déterminé la SPR, les demandeurs soutiennent que leurs parents se sont cachés, sans expliquer qui sont ceux qui restent pour revendiquer la propriété de la terre;

  • g) Quant au second volet du critère relatif à la PRI, la SAR a pris acte de l’argument des demandeurs selon lequel la SPR n’avait pas tenu compte de leur situation particulière (niveau d’instruction, obstacles linguistiques et difficulté à s’intégrer à Mumbai ou à Delhi), mais elle a conclu que la SPR avait reconnu avoir [TRADUCTION] « pris en compte le profil des demandeurs d’asile pour évaluer les PRI proposées ». La SAR a conclu qu’il existait une présomption selon laquelle la SPR avait pris en compte le niveau d’instruction des demandeurs, leur langue et leurs difficultés d’intégration, et que les demandeurs ne l’avaient pas réfutée;

  • h) De plus, la SAR a fait remarquer que M. Mukhal avait vécu à l’extérieur de l’Inde pendant un certain nombre d’années, dans des milieux culturels différents, et qu’il avait travaillé dans différents secteurs de l’agriculture. Elle a conclu qu’il ressortait de la preuve que, en Inde, notamment dans les grandes villes, bien des gens vivent modestement, en étant peu instruits, et qu’ils gagnent toutefois leur vie en exerçant divers métiers. Elle a ajouté qu’il existe en Inde des mécanismes et des services destinés à aider les moins fortunés, ainsi que des initiatives assurant aux femmes et aux personnes âgées un accès à des soins de santé;

  • i) En particulier, la SAR a jugé que, dans les villes proposées comme PRI, les personnes ayant une expérience professionnelle semblable à celle de M. Mukhal sont capables de trouver du travail et de subvenir aux besoins de leur famille;

  • j) En fin de compte la SAR a conclu que les villes proposées comme PRI étaient raisonnables.

IV.  Les questions en litige

[24]  La seule question litigieuse consiste à savoir si la conclusion que la SAR a tirée à propos de l’existence d’une PRI viable est raisonnable.

V.  La norme de contrôle applicable

[25]  Les parties ne contestent pas que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord (Okohue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1305, aux para 9‑10; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 16‑17, 23‑25).

VI.  Analyse

[26]  Il convient de mentionner que la crédibilité des demandeurs n’est pas en litige. Ni la SPR ni la SAR n’ont mis en doute la véracité du récit des demandeurs sur ce qu’ils ont vécu dans leur village avant d’arriver au Canada.

[27]  Cela dit, la décision de la SAR ne conclut pas de manière claire si les demandeurs s’exposeraient encore à des risques s’ils retournaient dans leur village ou ailleurs au Pendjab. Le défendeur admet toutefois qu’il peut fort bien continuer d’y avoir un tel élément de risque dans le village des demandeurs. Cependant, la décision de la SAR repose principalement sur la conclusion selon laquelle, abstraction faite de cette question, les demandeurs ne courraient pas de risques s’ils s’installaient à Mumbai ou à Delhi.

[28]  Le critère relatif à une PRI viable a récemment été énoncé dans la décision Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799, où le juge McHaffie a écrit :

[8] Pour établir s’il existe une PRI viable, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que (1) le demandeur ne sera pas exposé à la persécution (selon une norme de la « possibilité sérieuse ») ou à un danger ou un risque au titre de l’article 97 (selon une norme du « plus probable que le contraire ») dans la PRI proposée; et (2) en toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur d’asile, les conditions dans la PRI sont telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge : Thirunavukkarasu, aux pages 595 à 597; Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643, aux para 10 à 12.

[9] Les deux « volets » du critère doivent être remplis pour appuyer la conclusion qu’un demandeur d’asile dispose d’une PRI viable. Le seuil du deuxième volet du critère de la PRI est élevé. Il faut « une preuve réelle et concrète de l’existence » de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité des demandeurs tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CAF), au para 15. Lorsque l’existence d’une PRI est soulevée, il incombe au demandeur de démontrer qu’elle n’est pas viable : Thirunavukkarasu, aux pages 594 et 595.

[Non souligné dans l’original.]

A.  Le premier volet du critère relatif à une PRI – le risque de persécution et la question de savoir si la police du Pendjab a un intérêt quelconque à pourchasser les demandeurs à l’extérieur de cet État

1)  Revue de la preuve documentaire

[29]  L’argument principal des demandeurs est que la SAR s’est prononcée sur la viabilité des PRI sans tenir compte de la preuve documentaire et qu’il existe dans le dossier une preuve abondante qui traite directement de certaines questions fondamentales que la SAR n’a pas examinées comme il faut, voire pas du tout.

[30]  Les demandeurs partent du principe qu’ils sont des personnes d’intérêt pour la police au Pendjab et qu’on les recherche à cause de leur participation aux activités de militants sikhs. C’est cette prémisse de base que conteste le défendeur et qui, d’après moi, doit être rejetée en fin de compte.

[31]  La SAR, s’appuyant sur le cartable national de documentation [CND] relatif à l’Inde, a cité un extrait tiré d’une Réponse à la demande d’information [RDI] intitulée Information sur la communication entre les services de police à l’échelle nationale, y compris sur l’utilisation de POLNET; information indiquant si les services de police de l’Inde peuvent déterminer où se trouve une personne, notamment grâce à l’enregistrement exigé pour l’emploi, le logement et l’éducation, aux contrôles de sécurité et à la technologie de surveillance (2013 – Mai 2016) [la RDI sur la communication] où l’on peut lire ce qui suit :

[…] [L]es communications policières sont peu fréquentes entre les États, sauf en cas de crimes majeurs comme la contrebande, le terrorisme et certains crimes organisés de grande envergure […]

D’après l’information présentée sur le site Internet du service de police du Kerala, les services de police de l’Inde agissent [traduction] « pratiquement en vase clos en ce qui a trait au suivi des crimes ou à la traque des criminels. Il n’existe aucun système efficace de stockage des données […] ni d’échange ou de consultation des données », et il n’y a [traduction] « pas de système unique » permettant aux services de police de [traduction] « communiquer directement entre eux » (Inde s.d.a.).

[Non souligné dans l’original.]

[32]  Pour ce qui est de l’implantation du CCTNS en 2018, la SAR a également cité une autre RDI intitulée « Inde : Information sur la surveillance par les autorités de l’État; la communication entre les bureaux de police à l’échelle du pays, y compris l’utilisation du Réseau de suivi des crimes et des criminels (Crime and Criminal Tracking Network and Systems ‑ CCTNS); les catégories de personnes pouvant figurer dans les bases de données policières; la vérification des locataires; information indiquant si les autorités policières partout en Inde sont en mesure de trouver une personne (2016‑mai 2018) (2016 – Mai 2018) » [la RDI sur la surveillance], qui indique que le CCTNS est en voie d’implantation depuis 2009 et que, en date d’avril 2017, la grande majorité des postes de police sont branchés à ce système. Cependant, la SAR a précisé que la documentation indique également que l’implantation du CCTNS est suspendue, et qu’il se peut que [traduction« le projet n’existe que sur papier ».

[33]  Premièrement, les demandeurs ont soutenu devant moi que la SAR a conclu de manière déraisonnable que la police du Pendjab n’a pas les capacités ou les moyens requis pour retrouver des personnes d’intérêt d’une région à une autre.

[34]  Je ne puis souscrire à cet argument. Ce que la SAR a effectivement conclu, c’est que la preuve documentaire a confirmé que la police était en mesure de communiquer d’un État à un autre pour retrouver des personnes d’intérêt à l’extérieur d’une région particulière, mais que ces communications ont principalement trait à des affaires qui mettent en cause des crimes graves comme la contrebande, le terrorisme et certains actes de criminalité organisée de grande envergure. En fait, les demandeurs admettent que [TRADUCTION« la question de savoir si le CCTNS, dans l’état où il se trouve actuellement et à la lumière de la preuve, fournit les outils dont la police a besoin pour [les] retrouver à l’extérieur du Pendjab » peut être discutable.

[35]  En revanche, et indépendamment de la capacité de la police du Pendjab de retrouver les demandeurs dans les villes proposées comme PRI, la question fondamentale dont la SAR était saisie consistait à savoir si la police aurait été disposée ou intéressée à pourchasser les demandeurs à l’extérieur du Pendjab. Elle a finalement conclu que non.

[36]  Selon les demandeurs, la SAR a omis de prendre en compte un autre document tiré du CND relatif à l’Inde et intitulé : Information sur la situation des Sikhs à l’extérieur de l’État du Pendjab, y compris le traitement qui leur est réservé par les autorités; la capacité des Sikhs de se réinstaller ailleurs en Inde, y compris les difficultés auxquelles ils peuvent se heurter (2009 – Avril 2013) [point 12.8]. La section 3.2 du point 12.8, intitulée Capacité de la police à retrouver des personnes qui se réinstallent ailleurs, indique ceci :

Le directeur exécutif intérimaire de l’AHRC a affirmé que, conformément à la loi, si une personne est recherchée pour un crime, la police de l’État est censée la retrouver si elle déménage dans un autre État (AHRC 19 avr. 2013). Il a toutefois ajouté que la police ne [traduction] « fonctionne pas comme elle le devrait »; décrivant le système de police en Inde comme « rongé par la corruption et le népotisme », il a précisé que les gens ayant de l’argent et de l’influence sur le plan politique peuvent payer la police pour fabriquer des accusations contre une personne, y compris faire de fausses allégations contre des personnes qui sont perçues comme une menace sur le plan politique, qui dénoncent le parti au pouvoir ou l’impunité, ou encore qui défendent publiquement les droits de la personne (ibid.). Le directeur exécutif intérimaire a souligné que la police soumet les suspects à des arrestations et à l’emprisonnement arbitraires, et qu’elle a recours à la [traduction] « torture » contre les détenus (ibid.). À son avis, la question de savoir si la police tenterait de retrouver dans un autre État une personne accusée faussement est [traduction] « subjective » et dépend du contexte de la situation (ibid.).

D’après la recherchiste juridique de VFF également, la police du Pendjab est [traduction] « corrompue » et en mesure « d’agir en toute impunité » (VFF 12 avr. 2013). Elle a affirmé que si la police se méfie des activités d’une personne, elle peut déposer de [traduction] « fausses accusations » de terrorisme et inclure cette personne sur une liste de « militants » ou de « personnes en vue » (ibid.). La recherchiste a souligné que les cibles de la police du Pendjab incluent des personnes qui militent pour les droits des victimes de la violence commise en 1984‑1985 contre les sikhs, des personnes qui dénoncent la police ou le gouvernement pour leurs activités, ainsi que des membres d’organisations de la jeunesse sikhe (ibid.). Selon elle, la police et le service du renseignement du Pendjab chercheraient à retrouver ces personnes, même si elles s’installent dans un autre État, ces personnes feraient l’objet d’arrestations arbitraires et les membres de leur famille seraient également recherchés (ibid.).

[Non souligné dans l’original.]

[37]  Les demandeurs soutiennent qu’ils ont fui le Pendjab après avoir été amenés au poste de police à l’instigation de M. Singh, torturés et accusés à tort d’être des [traduction« militants ». Ils ajoutent que le point 12.8 indique que les Sikhs qui fuient le Pendjab dans ces circonstances seront vraisemblablement pourchassés s’ils se réfugient dans un autre État, et que ce point indique également que les membres de leur famille seront pourchassés, ce qui corrobore leur témoignage selon lequel c’était ce qui se passait également dans leur village.

[38]  Les demandeurs font valoir que la conclusion de la SAR selon laquelle ils ne s’exposeraient plus à un risque considérable et ne seraient pas pourchassés à l’extérieur du Pendjab par la police de cet État est déraisonnable; bien que la SPR y fasse allusion dans sa décision, la SAR a fait abstraction du point 12.8 et s’est bornée à analyser la RDI sur la communication et la RDI sur la surveillance, qui portaient uniquement sur les communications entre les États et la surveillance exercée par la police en général.

[39]  Selon les demandeurs, le point 12.8 est le seul rapport qui traite directement de leur propre situation et que, si on lit la preuve documentaire dans son ensemble, on se doit d’inférer que le militantisme, à l’instar du terrorisme, tombe généralement dans la catégorie des [traduction« crimes graves » qui donnent lieu à des recherches interservices. Comme il n’a pas été question du point 12.8, qui contredit la conclusion de la SAR, à savoir que la police du Pendjab n’aurait aucun intérêt à poursuivre les demandeurs, la décision qu’elle a rendue est donc déraisonnable (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) [Cepeda‑Gutierrez]).

[40]  Je ne vois pas en quoi le point 12.8 contredit l’une quelconque des conclusions que la SAR a tirées. Ce point indique que les individus inculpés à la suite de fausses accusations peuvent être pourchassés d’une région à une autre par la police. En l’espèce, rien ne prouve que les demandeurs ont été inculpés d’une infraction quelconque.

[41]  Quant à leurs liens avec le membre de leur famille (Satwinder), rien ne prouve non plus que Satwinder a été inculpé de quoi que ce soit. La seule preuve est que Satwinder et les demandeurs ont été [traduction« accusés » d’implication avec le mouvement militant sikh quand la police les a interrogés. Le point 12.8 ne va pas jusqu’à laisser entendre que le profil des demandeurs serait suffisant pour que la police du Pendjab les pourchasse à l’extérieur de l’État. Je ne vois donc pas en quoi la SAR a commis une erreur en omettant de prendre en considération des éléments de preuve contradictoires pertinents.

[42]  Je ne crois pas non plus que la preuve relative au pays qui porte sur le réseau CCTNS, au sujet des communications entre les postes de police, contredit carrément les conclusions de la SAR. Cette dernière a bel et bien admis qu’il y a effectivement des communications entre les corps de police d’États différents, mais elles sont restreintes et se limitent aux cas de crime grave, comme la contrebande, le terrorisme ou certains actes de criminalité organisée. La SAR a conclu qu’il ressortait de la preuve documentaire que seules les personnes d’intérêt, c’est‑à‑dire celles qui ont été accusées d’avoir commis les crimes les plus odieux, sont habituellement prises pour cible et recherchées dans d’autres États.

[43]  Cependant, en l’espèce, se fondant sur la preuve, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient tout simplement pas établi qu’ils étaient recherchés par la police, pas plus qu’ils n’étaient des personnes d’intérêt; aucune accusation n’a été portée et aucun mandat d’arrestation n’a été émis à leur endroit, il n’existe aucune preuve que leurs noms ont été inscrits sur une liste quelconque de militants qui sert à retracer des individus soupçonnés d’être des terroristes sikhs, pas plus qu’il n’existe une preuve quelconque de l’établissement d’une FIR (First Information Report o,  Premier rapport d’information), c’est‑à‑dire un document, souvent une plainte au criminel, qu’établit la police après avoir reçu des renseignements sur la commission d’un crime qui, selon la RDI sur la surveillance, [TRADUCTION« sert à déclencher une enquête de la police sur l’incident » et ouvrirait la voie au genre de mesures de recherche décrites dans la RDI sur la communication et la RDI sur la surveillance.

[44]  Le défendeur affirme que les arguments des demandeurs reposent sur des conclusions que la SAR n’a jamais tirées. En bref, il conteste le fondement même de l’argument des demandeurs, à savoir qu’ils sont des personnes d’intérêt parce qu’ils ont été mêlés à des activités militantes.

[45]  Le défendeur affirme que l’argument qu’invoque l’avocat des demandeurs donne en fait une couleur nouvelle à leur allégation, et ce, sans que le fondement nécessaire existe dans la preuve; l’idée que la raison pour laquelle les demandeurs ont été amenés au poste de police au départ était pour qu’on les interroge sur Satwinder, le frère de Mme Kaur, n’est qu’une inférence qui peut — et non doit — être tirée de certains éléments de la preuve.

[46]  La réponse du défendeur à l’argument des demandeurs est qu’il ne s’agit rien de moins que d’une hyperbole de leur part, qu’il n’y a aucune preuve que la police du Pendjab a déjà eu de véritables soupçons à l’égard des demandeurs et que l’objet tout entier de leur inquiétude se résume à un fier‑à‑bras local qui a de bonnes relations (M. Singh) et qui s’est servi de la police pour faire pression sur les demandeurs afin de pouvoir mettre la main sur leur terre. La police a joué le jeu, car, en fin de compte, elle a vu qu’il était profitable de le faire puisque les demandeurs ont continué de payer les pots‑de‑vin qu’elle exigeait.

[47]  Outre la décision de la SPR et celle de la SAR, j’ai lu la transcription de l’audience que la SPR a tenue le 20 décembre 2017. Je ne puis qu’être d’accord avec le défendeur. D’après la transcription, il m’apparaît évident que la source de la crainte des demandeurs était M. Singh, les difficultés qu’il causait à l’égard de leur terre, de même que l’inquiétude entourant la réputation de Mme Kaur dans le village par suite des avances non provoquées de M. Singh à son endroit. Il est évident aussi que les préoccupations relatives à la police locale découlaient principalement de la disposition de cette dernière à aider et à encourager M. Singh dans ses démarches illicites.

[48]  Quand on lui a demandé pourquoi il pensait que la police locale continuait de s’intéresser à sa femme et à lui, M. Mukhal a répondu :

[traduction] La police va voir ma famille, ensuite elle va voir l’endroit où sont mes enfants. Ensuite, ils disent, nous savons qu’ils sont revenus. Là où sont nos ancêtres, ils vont aller les voir aussi, la sœur de mon époux, ils vont aller la voir aussi, ensuite ils vont dire, nous savons qu’ils sont revenus. Ensuite ils, ils disent non, ils ne sont pas encore revenus, mais quand ils vont être revenus, nous allons vous le dire. La police dit que vous avez gardé les enfants, c’est sûr que vous savez où ils sont, ensuite ils disent, qu’est‑ce que vous vouliez que nous fassions des enfants, nous ne pouvons pas les laisser seuls.

[49]  Comme il a été indiqué, il est fort possible que les demandeurs continueraient de courir le risque d’être harcelés de nouveau par M. Singh et la police locale corrompue s’ils retournaient dans leur village. Cependant, abstraction faite du harcèlement de la police, quelle qu’en soit la véritable raison, jamais les demandeurs ne disent qu’on les a formellement accusés d’un crime grave. La preuve se limite à des accusations portées par la police lors de sa série d’actes de harcèlement. C’est ce point‑là qui ressort de la décision de la SAR.

[50]  La SPR a plus tard demandé ce qui arriverait si les demandeurs vivaient à Delhi. M. Mukhal a répondu :

[traduction] Même si nous allons à Delhi, nous ne savons pas ce qui va se passer. La police pourrait se rendre à l’aéroport pour obtenir des informations sur nous. Même si nous réussissons à quitter l’aéroport, pour vivre n’importe où, ils vont demander des pièces d’identité. Ensuite, quand vous présentez une pièce d’identité, on la remet au poste de police le plus proche. Là, c’est sûr qu’ils vont téléphoner à notre poste de police qu’il y a [inaudible 1:10:33.3] et dire ensuite qu’il y a ici des gens de votre région. C’est pour ça que nous ne pouvons pas vivre là‑bas.

[51]  M. Mukhal a fait part de ses inquiétudes quant au fait d’être retracé à Delhi, soit au moment d’y arriver et de franchir la douane à l’aéroport en Inde, soit au moment d’avoir à présenter des pièces d’identité personnelles chaque fois qu’ils auraient besoin de soins médicaux ou d’une aide ou d’autres services de l’État.

[52]  Cependant, il s’agit là de la question même que la SPR et la SAR ont examinée et, en fin de compte, les deux ont conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que la police du Pendjab les rechercherait, fort probablement à cause de la véritable raison pour laquelle celle‑ci s’intéressait aux demandeurs (c.‑à‑d., soutenir M. Singh dans sa tentative illicite pour mettre la main sur leur terre et soutirer d’autres pots‑de‑vin), et que ce fait n’atteignait pas le niveau qui, d’après la preuve documentaire, était nécessaire pour justifier qu’on les recherche et qu’on le retrace à l’extérieur du Pendjab.

[53]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, la prémisse de base des demandeurs était qu’ils sont des personnes d’intérêt aux yeux de la police du Pendjab et qu’on les recherche en raison de leur participation aux activités de militants sikhs. Cependant, la preuve documentaire — et cela inclut le point 12.8 — donne à penser que la disposition de la police à retracer des individus à l’extérieur de l’État se limite habituellement à des crimes graves et au fait que les individus concernés sont [traduction« inculpés » d’une infraction ou du moins inscrits sur une [traduction« liste de militants ».

[54]  À l’audience, j’ai insisté auprès de l’avocat des demandeurs pour qu’il traite de la preuve qui, disent les demandeurs, étaye leur prémisse de base, à savoir que la police du Pendjab considère qu’ils sont des criminels d’une importance telle qu’il vaut la peine de les retracer à l’extérieur de l’État. L’avocat a confirmé qu’à part le fait d’avoir manqué aux conditions de mise en liberté qu’on leur a imposées, la seule preuve qu’ils sont encore des [traduction« personnes d’intérêt » pour la police du Pendjab, au sens où l’envisage la preuve documentaire, figure dans le passage suivant, extrait de leur formulaire « Fondement de la demande d’asile » :

[traduction]

La police a allégué que Satwinder Singh s’est présenté à notre maison avec ses acolytes. Nous disions la vérité, mais la police ne nous a pas crus et elle a dit plutôt que Satwinder Singh était venu ici pour rencontrer ses parents et qu’elle avait obtenu des informations à ce sujet. La police nous a arrêtés, moi et le père de Satwinder Singh, Darshan Singh; quand ils nous ont amenés, mon épouse a essayé de les empêcher de le faire, mais les agents l’ont saisie par les cheveux, l’ont tirée et l’ont jetée dans le véhicule. On nous a amenés au poste de police, interrogés et enfermés dans des cellules séparées. Après un certain temps, on m’a amené dans une pièce différente, où des agents ont commencé à me rouer de coups, ils m’ont déshabillé entièrement et ils m’ont torturé de différentes façons. Sous la torture, on m’a posé des questions sur Satwinder Singh, ses amis et d’autres militants. On m’a accusé à tort de travailler avec les militants. Ils m’ont aussi posé des questions sur les activités de Satwinder Singh et de ses acolytes le jour de la fête de Vaisakhi, etc. Mon épouse et mon beau‑père ont été battus et interrogés sur les mêmes choses que moi. Eux aussi ont été accusés à tort de travailler pour les militants […] En Inde, la police nous cherche encore, elle nous accuse à tort et elle harcèle les membres de notre famille.

[Non souligné dans l’original.]

[55]  Il ressort de la preuve que le frère de Mme Kaur, Satwinder, a été accusé (non inculpé) d’entretenir des liens avec des militants sikhs, qu’il a été soumis à de strictes conditions de mise en liberté et qu’il a plus tard disparu. Il serait raisonnable de présumer que toute accusation présumée à l’encontre de Satwinder tirerait son origine du fait d’avoir défendu sa sœur contre M. Singh, qui voulait manifestement mettre la main sur la terre des demandeurs. Autrement dit, toute indication de la part de la police que Satwinder entretenait réellement des liens avec des militants sikhs n’était qu’une ruse, concoctée à l’instigation de M. Singh pour justifier le harcèlement de la famille, et sans fondement aucun quant à son exactitude.

[56]  La preuve concernant l’accusation précise que M. Singh a faite à la police à l’encontre de Satwinder, accusation qui a par la suite amené la police à s’en prendre à ce dernier, est le passage suivant, tiré du formulaire « Fondement de la demande d’asile » des demandeurs :

[traduction]

Après cela (le harcèlement constant de M. Singh envers Mme Kaur, dans le cadre de son plan pour mettre la main sur leur terre), le frère de mon épouse, Satwinder Singh, est venu à son aide. Il a logé plusieurs fois chez elle et lui a prêté main forte […] Gurpal Singh a menacé Satwinder Singh de nombreuses fois, mais Satwinder Singh n’avait pas peur et lui répondait de la même manière. Gurpal Singh n’était pas content de Satwinder Singh et il a donc déclaré à la police que des gens armés rendaient visite à Satwinder Singh et avaient menacé de le tuer […] En juillet 2015, la police a arrêté Satwinder Singh ainsi que ses amis […] La police a accusé à tort Satwinder Singh et son ami de travailler pour les militants.

[Non souligné dans l’original.]

[57]  Je conviens avec le défendeur que la preuve témoigne plus exactement d’une tentative de M. Singh pour se débarrasser de Satwinder et pour le tenir éloigné du village des demandeurs au moyen de conditions de mise en liberté, de façon à éliminer le problème qu’était devenu Satwinder dans les efforts faits par M. Singh pour intimider Mme Kaur, une situation qui faisait également bien l’affaire de la police, parce qu’il s’agissait d’un moyen de soutirer des pots‑de‑vin aux demandeurs. Tout ce qui va au‑delà de cela n’est que pure conjecture.

[58]  Il n’est pas question ici d’une affaire semblable à Pardo Quitian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 846, où la SPR a omis de prendre en considération la preuve cohérente de la demanderesse principale selon laquelle les agresseurs avaient dit qu’ils voulaient savoir où son frère se trouvait, et que cela s’était poursuivi pendant un certain nombre d’années et à des endroits différents. Dans cette affaire, la preuve non contredite était que le frère de la demanderesse principale était recherché par une organisation criminelle en Colombie en raison de ses activités politiques antérieures. Dans le cas présent, rien ne permet de croire que Satwinder était impliqué dans le militantisme sikh, et on ne m’a pas convaincu que la police du Pendjab continue de s’intéresser à Satwinder parce qu’elle croit vraiment qu’il est impliqué dans des activités militantes.

[59]  L’avocat des demandeurs a admis qu’il n’y a dans le dossier aucun mandat d’arrestation, aucune preuve que les demandeurs ont été formellement inculpés d’un crime quelconque, et que les préoccupations qu’éprouvent les demandeurs découlent de celles qui sont liées à Satwinder.

[60]  Les demandeurs font valoir que le fait d’avoir pris leurs biodonnées et de s’être vus imposer des conditions de mise en liberté revient à être inscrits sur une [traduction« liste de militants » par la police du Pendjab. Cette prétention, selon moi, n’est fondée sur rien.

[61]  Comme il a été indiqué, je ne suis pas d’avis que le point 12.8 contredit les conclusions ultimes de la SAR : le fait n’est pas que la police du Pendjab ne recherche pas de militants à l’extérieur de cet État, mais plutôt que les demandeurs n’étaient pas des personnes d’intérêt, c’est‑à‑dire qu’ils n’étaient pas recherchés pour un crime grave, comme le terrorisme, et que, cela étant, la police du Pendjab ne les prendrait pas pour cible à l’extérieur de cet État.

[62]  Il est uniquement question du caractère suffisant de la preuve. Pour la SAR, le point ultime n’était pas une question de capacité (par exemple, le stade d’implantation du CCTNS), mais plutôt une question d’intérêt, et elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas produit assez d’éléments pour établir l’intérêt qu’avait la police du Pendjab à les pourchasser dans les villes proposées comme PRI.

[63]  J’admets que la question de la véracité des accusations portées par la police du Pendjab contre les demandeurs n’est peut‑être pas pertinente si l’on évalue le risque inhérent au retour des demandeurs dans leur village. Toutefois, la complicité de la police dans le stratagème les visant est pertinente pour ce qui est de son intérêt à les pourchasser à l’extérieur du Pendjab. La police était certainement au fait du véritable fondement de l’attention qu’elle portait envers les demandeurs, de sorte que l’on pourrait raisonnablement en déduire qu’elle n’aurait aucun intérêt à donner suite à l’affaire si les demandeurs ne retournaient pas dans leur village.

[64]  Ce qui importe en fin de compte, d’après le défendeur, c’est que la police était mêlée à l’escroquerie, qu’elle ne considérait pas sérieusement les demandeurs comme des militants sikhs et que, de ce fait, elle n’était nullement disposée ou n’avait aucun intérêt à les rechercher à l’extérieur du Pendjab, même si l’on présume qu’elle avait les moyens et la capacité nécessaires pour le faire.

[65]  En bref, je ne puis que convenir avec le défendeur que, dans la preuve, il n’y a rien de ce que l’on s’attendrait à voir s’il était vrai que les demandeurs étaient des personnes d’intérêt impliquées dans des activités criminelles, terroristes ou militantes et s’ils s’exposaient au risque d’être pris pour cible dans les villes considérées comme une PRI, et ce, même si les demandeurs eux‑mêmes croient peut‑être subjectivement que c’est le cas. Leur affirmation selon laquelle la police du Pendjab avait peut‑être des soupçons à leur égard n’est pas suffisante pour rendre déraisonnable la décision de la SAR.

[66]  Cela étant, je conclus qu’il n’y a rien de déraisonnable dans ce que la SAR a conclu, à savoir que les demandeurs n’ont pas établi que la police du Pendjab les rechercherait à l’extérieur de cet État, ou qu’ils sont des personnes d’intérêt, ce qui aurait pour effet de les exposer au risque que la persécution dont ils étaient victimes se poursuive dans les villes considérées comme une PRI, comme il est décrit dans la preuve documentaire.

2)  Les contrôles de sécurité à l’aéroport au moment du retour en Inde

[67]  La SAR a conclu que les demandeurs, lorsqu’ils retourneraient en Inde, ne subiraient que des vérifications « routinières » à l’aéroport et qu’ils n’avaient pas établi selon la prépondérance des probabilités que leur retour au pays serait porté à la connaissance de [traduction« leurs agents de persécution ».

[68]  Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a cité aucun rapport pour arriver à sa conclusion, et ils citent eux‑mêmes une RDI intitulée Information sur le traitement que réservent les autorités aux citoyens de l’Inde qui sont expulsés d’un autre pays vers l’Inde, qui retournent en Inde sans passeport valide ou qui sont soupçonnés d’avoir demandé l’asile à l’étranger (2013 – Mai 2016), un document qui, soutiennent‑ils, montre que leur arrivée à l’aéroport comportera une vérification d’antécédents criminels susceptible de mener à leur arrestation et que les demandeurs d’asile déboutés risquent d’être confrontés à un « contrôle rigoureux » à leur arrivée :

Au cours d’un entretien téléphonique avec la Direction des recherches, le directeur de Human Rights Watch pour l’Asie du Sud a affirmé [traduction] « [qu’]il n’y a aucun problème » à ce que les demandeurs d’asile déboutés ou d’autres personnes expulsées retournent en Inde, à condition qu’elles ne soient pas accusées d’un crime dans leur pays (Human Rights Watch 28 avr. 2016). Elle a fourni l’explication suivante : Les autorités sont conscientes du fait que certaines personnes demandent l’asile pour des motifs économiques, et ces personnes ne sont pas mal reçues. […] En revanche, si une personne était recherchée en Inde pour un crime de nature politique ou un autre crime, elle risquerait d’être arrêtée (ibid.).

L’avocate de VFF a affirmé que les personnes qui sont expulsées d’un autre pays vers l’Inde sont [traduction] « mal accueillies et soumises à un interrogatoire plus long que pour les autres » (VFF 26 avr. 2016). Le représentant du HCR a déclaré que, d’après les médias, [traduction] « certains rapatriés ont été interrogés en long et en large dans des aéroports de l’Inde » (Nations Unies 26 avr. 2016).

[69]  Les demandeurs citent la décision Vilvarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 349, à l’appui de la thèse selon laquelle il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’un demandeur d’asile fasse une fausse déclaration aux agents frontaliers à propos des motifs de leur départ et de leur retour :

[15] De plus, le commentaire de l’agent portant que les antécédents criminels de M. Vilvarajah et le statut d’immigration des membres de sa famille au Canada ne seraient pas découverts à moins que [traduction] « le demandeur en informe lui-même les autorités sri lankaises » revient à l’inviter à commettre une fraude. Au Canada, faire de fausses déclarations dans des affaires d’immigration constitue une infraction. L’un des endroits les plus courants, si ce n’est le plus courant, où une personne doit répondre à des questions sur l’immigration, est à son retour dans un pays, lors de la première ou seconde inspection à un point d’entrée, un aéroport par exemple.

[16] Il était donc déraisonnable de la part de l’agent de laisser entendre que M. Vilvarajah devrait cacher son profil s’il était interrogé par les autorités sri lankaises. En effet, une telle suggestion de dissimuler des renseignements ou de faire de fausses déclarations est dangereuse, compte tenu de certains éléments de preuve mentionnés précédemment, et étant donné que cela pourrait augmenter les risques encourus par un demandeur d’asile débouté qui retourne au Sri Lanka — c’est exactement l’issue que l’on cherche à éviter dans une demande d’ERAR.

[70]  Aux dires des demandeurs, ils seront interrogés à l’aéroport sur les raisons pour lesquelles ils ont sollicité l’asile au Canada, ce qui révélera que les autorités indiennes les considèrent comme des militants. La police du Pendjab, font‑ils valoir, sera forcément avertie de leur arrivée quand il deviendra évident que les demandeurs ont fui la persécution dont ils étaient victimes dans cette région. Ils ajoutent que la SAR a simplement conclu qu’ils feraient l’objet d’une vérification « routinière », qu’elle a fait abstraction d’éléments de preuve cruciaux et qu’elle a présumé de manière déraisonnable qu’au moment d’être interrogés à l’aéroport ils ne révéleraient pas les raisons pour lesquelles ils avaient demandé l’asile à l’étranger.

[71]  Tout d’abord, hormis les accusations vitrioliques que la police du Pendjab a formulées à leur endroit, rien ne prouve qu’ils sont « recherché[s] en Inde pour un crime de nature politique ou un autre crime ».

[72]  De plus, les demandeurs citent la décision Vilvarajah pour laisser entendre qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils cachent aux autorités aéroportuaires des antécédents de nature criminelle. Cependant, la décision Vilvarajah est différente, car, dans cette affaire, le demandeur avait été condamné au Canada pour des infractions de fraude par carte de crédit (Vilvarajah, au para 3). Dans la présente affaire, les demandeurs ne courent pas le risque d’avoir à dissimuler des antécédents criminels formels, ni un acte criminel, car ils n’ont commis aucun crime.

[73]  En définitive, la SAR a conclu ce qui suit :

[traduction] Je suis d’avis que les appelants n’ont pas réussi à montrer qu’ils sont recherchés par la police, ni qu’ils sont des personnes d’intérêt.

[74]  Au vu de la preuve dans son ensemble, les demandeurs ne m’ont pas convaincu que la SAR a commis une erreur en concluant que, selon la prépondérance des probabilités, ils ne sont exposés à aucune possibilité sérieuse d’être persécutés à Mumbai ou à Delhi.

  1. Le second volet du critère relatif à la PRI – la PRI est‑elle raisonnable?

[75]  Comme il a été mentionné plus tôt, une fois qu’une PRI est proposée, il incombe aux demandeurs d’établir que celle‑ci n’est pas viable. Le seuil à atteindre pour établir le caractère déraisonnable d’une PRI est élevé (Cubria Juarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 187, au para 31; citant Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, au para 14 [Ranganathan]). De plus, il faut qu’il existe « une preuve réelle et concrète » des conditions susceptibles de mettre en péril la vie et la sécurité des demandeurs s’ils tentaient de se relocaliser temporairement en lieu sûr (Ranganathan, au para 15).

[76]  Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur lors de son évaluation du second volet de l’analyse relative à la PRI, qui, soutiennent‑ils, doit tenir compte de leur situation personnelle. Un argument semblable a été invoqué devant la SAR, relativement à la décision de la SPR.

[77]  Les demandeurs citent la décision Ramanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CarswellNat 1687 (CF) [Ramanathan] :

[11] Il me semble donc très clairement que le juge Rothstein, dans le passage où il renvoyait aux considérations humanitaires, n’excluait pas complètement celles‑ci du deuxième volet du critère applicable à la PRI. En fait, il me semble que cela serait logiquement impossible. Le critère applicable pour trancher la question de savoir si une PRI est déraisonnable ou indûment pénible compte tenu de l’ensemble des circonstances implique certainement l’examen de quelques facteurs à tout le moins, lesquels constitueront sans aucun doute des considérations du même type que celles dont on tient compte en déterminant si une réparation fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit être accordée. J’irais même jusqu’à dire que si l’on excluait du deuxième volet du critère applicable à la PRI chaque considération susceptible d’être qualifiée d’humanitaire, il ne resterait plus rien. J’ai soumis cette question à l’avocate du défendeur lors des plaidoiries, et elle a hasardé une réponse suggérant que ce qu’il resterait serait des considérations de sécurité. Cependant, bien entendu, les considérations de sécurité sont largement, voire entièrement subsumées sous le premier volet du critère.

[78]  Les demandeurs prétendent que la SAR n’a pas analysé de manière sérieuse les difficultés auxquelles ils seront confrontés à Delhi ou à Mumbai en tant que Sikhs peu instruits originaires du Pendjab et ne parlant pas l’hindi. Ils ajoutent que, même si la SAR a cité un rapport indiquant que de nombreux Sikhs vivent à Mumbai et à Delhi, la question n’est pas là; la question, selon eux, est plutôt les difficultés auxquelles se heurtent les Sikhs qui se réinstallent à Mumbai ou à Delhi et, dans son analyse, la SAR a omis de faire la distinction entre les personnes qui se réinstallent dans ces deux villes et les Sikhs qui ont grandi dans la région.

[79]  Les demandeurs sont d’avis que les Sikhs qui ont grandi à Delhi ou à Mumbai ne se trouvent pas dans la même situation que ceux qui ont été déplacés du Pendjab, citant à cet égard la décision Jagdeo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7826 (CF) [Jagdeo] :

Je suis persuadé que les décisions relatives à Sabaratnam, Singh et Kahlon précitées, ne sont que l’expression du principe voulant que la définition de réfugié au sens de la Convention et celle de PRI présumée doivent s’interpréter en fonction de leur application au requérant. On trouverait certainement bizarre que la section du statut fasse état de preuves documentaires ne concernant pas les Sikhs dans le cadre d’une demande de statut de réfugié au sens de la Convention présentée par un Sikh. Il faudrait de même prendre garde à ne pas se livrer à des généralisations à partir de renseignements obtenus de Sikhs qui n’ont jamais vécu au Pendjab de leur vie et d’appliquer ce genre de preuve à la demande d’un Sikh fuyant le Pendjab suite à des détentions et sévices répétés. Simplement dit, la preuve qui se rapporte davantage aux circonstances du requérant aura toujours une valeur plus probante dans l’évaluation d’une PRI qu’une preuve moins ou peu pertinente. La section du statut est tenue d’établir l’existence d’une PRI en considérant les circonstances mêmes du requérant.

[Non souligné dans l’original.]

[80]  Les demandeurs citent également le document intitulé « RDI sur le traitement des Sikhs à l’extérieur du Pendjab » où on peut lire ce qui suit :

Pour sa part, la recherchiste juridique de [Voices for Freedom (VFF)] a déclaré qu’il n’y a aucune loi interdisant la réinstallation, mais qu’il serait [traduction] « très difficile », tout particulièrement pour les agriculteurs sikhs, qui représentent la majorité des sikhs au Pendjab (12 avr. 2013). Elle a souligné qu’il serait possible pour des sikhs qualifiés et scolarisés de trouver du travail à l’extérieur du Pendjab, mais que cela s’avérerait difficile pour des personnes non qualifiées et non scolarisées (VFF avr. 2013). Elle a aussi souligné qu’il serait difficile pour des sikhs du Pendjab de se réinstaller dans la partie sud du pays en raison de barrières linguistiques (ibid.). La recherchiste a affirmé que dans certains États‑notamment au Rajasthan, dans l’Himachal Pradesh, au Jammu‑et‑Cachemire et au Maharashtra‑il existe certaines restrictions quant aux droits fonciers de personnes venant de l’extérieur de l’État (ibid.). Certains médias confirment qu’il y a des règlements limitant les droits fonciers au Jammu‑et‑Cachemire de personnes venant de l’extérieur de l’État (UNI 18 févr. 2008) et Himachal Pradesh (IANS 8 avr. 2013). Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a trouvé aucune autre information au sujet des règlements concernant les droits fonciers.

Des sources soulignent que les sikhs traditionnels sont facilement reconnaissables en raison de leurs barbes et de leurs turbans (VFF 12 avr. 2013; universitaire 23 avr. 2013). D’après la recherchiste juridique de VFF, cela pourrait causer des difficultés aux sikhs souhaitant se réinstaller, car [traduction] « ils sont facilement reconnaissables lors d’émeutes dans la communauté » dans les États autres que le Pendjab (VFF 12 avr. 2013). L’universitaire de l’Université de Californie à Berkeley a aussi souligné que le pendjabi et l’accent pendjabi des sikhs lorsqu’ils parlent hindi sont caractéristiques et sont d’autres facteurs qui permettent de reconnaître les sikhs (universitaire 23 avr. 2013).

[Non souligné dans l’original.]

[81]  Les demandeurs estiment qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de conclure que la SPR est censée avoir traité de tous les aspects de leur profil et de ne pas procéder à sa propre évaluation. Ils ajoutent qu’une telle conclusion manquerait de transparence et serait déraisonnable au regard de la norme énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9.

[82]  Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en n’analysant pas l’effet qu’aurait leur réinstallation à Delhi ou à Mumbai sur leurs enfants, et ils citent à cet égard la décision Abdalghader c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 581, au para 26 :

La SPR a également omis de tenir compte des répercussions sur l’enfant mineure canadienne des demandeurs dans son évaluation de la PRI. En fait, la Cour reconnaît qu’il peut être déraisonnable de séparer les membres d’une famille (Calderón c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 263, aux paragraphes 17 à 20). En ce qui concerne la fille des demandeurs, la SPR, un peu plus tôt dans la décision, a simplement déclaré, dans son évaluation de la crainte des partisans du régime Kadhafi, et plus précisément dans son évaluation de la crainte de la demanderesse, que : [traduction] « […] comme cette crainte ne concerne pas la demandeure, mais sa fille née au Canada qui ne demande pas l’asile, cette crainte ne sera pas analysée dans le cadre de leur demande » (dossier du demandeur, décision de la SPR, à la page 7, au paragraphe 30). Outre cette déclaration, la SPR n’a pas évalué les conséquences de sa décision sur la fille des demandeurs de quelque façon que ce soit. Dans ses observations, le conseil des demandeurs n’a pas soulevé cet argument à la SPR. Comme mentionné ci‑dessus, la SPR connaissait l’existence de l’enfant mineure, mais a décidé de ne pas en tenir compte dans sa décision relative à la PRI. Dans un tel cas, au vu de la jurisprudence, la SPR aurait dû traiter la question de la séparation par rapport à l’enfant, car elle savait qu’il s’agissait de l’une des options à envisager. La décision était déraisonnable et cela justifie l’intervention de la Cour.

[83]  Plus particulièrement, ils sont d’avis que l’examen à effectuer dans le cadre du second volet du critère relatif à une PRI ressemble d’une certaine façon à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et que la SAR a omis de prendre en compte des aspects de la preuve qui portaient sur les difficultés auxquelles se heurteraient les demandeurs et leurs enfants s’il leur fallait se réinstaller ailleurs.

[84]  Après avoir lu la décision de la SPR et écouté l’enregistrement audio de l’audience, la SAR a conclu que la SPR avait tenu précisément compte du profil des demandeurs avant de conclure à l’existence d’une PRI viable à Mumbai ou à Delhi. À l’audience, les demandeurs ont déclaré qu’ils étaient des agriculteurs peu instruits, qu’ils ne parlaient pas l’hindi et qu’il leur serait difficile de vivre dans un nouveau milieu culturel. En fin de compte, la SAR a souscrit à la démarche que la SPR avait suivie ainsi qu’à la conclusion qu’elle avait tirée sur la question.

[85]  Je ne pense pas que l’analyse de la SAR soit déraisonnable. Il lui était loisible de conclure qu’en dépit des différences culturelles et d’un manque d’instruction, ces facteurs n’atteindraient pas le seuil élevé qui était nécessaire pour faire de Delhi ou de Mumbai une PRI déraisonnable, étant donné surtout que M. Mukhal avait travaillé pendant de longues périodes à l’extérieur du Pendjab.

[86]  Quant à la présumée omission de la SAR de faire une distinction entre les Sikhs qui se réinstallent à Mumbai ou à Delhi et ceux qui ont grandi dans ces deux villes, je conclus que la SPR et la SAR ont toutes deux examiné la preuve de manière appropriée. Selon mon interprétation, la décision Jagdeo n’oblige pas la SPR et la SAR de faire précisément cette distinction dans les conclusions qu’elle tire. Rien dans la décision de l’une ou l’autre de ces deux sections ne donne à penser qu’elles se sont livrées à « des généralisations à partir de renseignements obtenus de Sikhs qui n’ont jamais vécu au Pendjab de leur vie et [ont appliqué] ce genre de preuve à la demande d’un Sikh fuyant le Pendjab suite à des détentions et sévices répétés ».

[87]  Quant au fait de ne pas avoir pris en compte la preuve des difficultés que subiraient les enfants, si l’on fait abstraction pour le moment du fait que ces derniers sont toujours en Inde et qu’ils ne sont pas parties à l’instance, l’argument des difficultés particulières que causerait la réinstallation sur les enfants n’a pas été invoqué devant la SPR ou la SAR. Je ne vois donc pas en quoi la SAR a été déraisonnable en n’examinant pas une question qui ne lui a pas été soumise.

[88]  Cela dit, les demandeurs, en citant la décision Ramanathan, m’invitent à examiner les principes qui sont inhérents aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, lesquels comportent un examen de l’intérêt supérieur des enfants, pour évaluer le caractère raisonnable de la décision de la SAR dans ce contexte, ainsi que la conclusion qu’elle a tirée sur la question. Une telle invitation ne trouve aucun appui dans la jurisprudence.

[89]  La décision Ramanathan étaye la thèse voulant qu’il puisse y avoir des similitudes entre les facteurs pris en compte dans le cadre du second volet du critère relatif à une PRI et les facteurs de difficulté que l’on prend en considération dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs humanitaires. Comme l’a décrété le juge Hugessen, au paragraphe 11 : « [l]e critère applicable pour trancher la question de savoir si une la PRI est déraisonnable ou indûment pénible compte tenu de l’ensemble des circonstances implique certainement l’examen de quelques facteurs à tout le moins, lesquels constitueront sans aucun doute des considérations du même type que celles dont on tient compte en déterminant si une réparation fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit être accordée ».

[90]  La décision Ramanathan n’étaye pas la thèse selon laquelle il convient de suivre les principes inhérents au cadre relatif aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, dont l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants, au moment d’évaluer le caractère raisonnable de la viabilité d’une PRI.

[91]  Je signale en passant que ni la SPR ni la SAR n’ont fait mention du fait que les demandeurs, quand ils ont quitté leur village, se sont réfugiés chez des membres de leur famille à Delhi. Ni l’une ni l’autre des parties n’a soulevé la question, et celle‑ci ne devrait donc pas être déterminante.

[92]  Quoi qu’il en soit, on ne m’a pas convaincu que la décision de la SAR sur la question du caractère raisonnable des PRI proposées est en soi déraisonnable.

  1. A‑t‑on tiré une conclusion voilée au sujet de la crédibilité, ce qui a créé une nouvelle question litigieuse pour laquelle l’équité procédurale n’a pas été respectée, et a‑t‑on exigé de manière irrégulière une preuve corroborante?

[93]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a soulevé deux nouvelles questions litigieuses en appel en jetant un doute sur la question de savoir s’ils étaient des personnes d’intérêt pour la police au Pendjab. Les conclusions en question de la SAR sont les suivantes :

  • a) bien que les locateurs soient tenus de déclarer les nouveaux locataires à la police afin qu’elle effectue une vérification des antécédents, cela ne ferait pas courir aux demandeurs le risque d’être signalés à la police au Pendjab;

  • b) les demandeurs n’ont pas respecté leurs conditions de mise en liberté, mais un mandat d’arrestation n’a pas été lancé à leur endroit.

[94]  Les demandeurs soutiennent que la SAR, dans ses conclusions, semble jeter un doute sur le fait de savoir s’ils étaient bel et bien pourchassés par la police au Pendjab, et ce, en faisant référence à une preuve qui n’apparaît pas dans le dossier (R c Mian, 2014 CSC 54; Ching c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 725; Ugbekile c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1397; Isapourkhoramdehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 819).

[95]  Tout d’abord, la SPR a traité elle aussi de ces questions. La conclusion selon laquelle il n’y avait aucune preuve qu’un mandat d’arrestation avait été émis à l’endroit des demandeurs ou qu’ils ne figuraient pas sur une liste d’individus recherchés s’appliquait non seulement au Pendjab, mais à l’Inde tout entière. Comme l’a déclaré le défendeur, les conclusions de la SPR et de la SAR ne se limitent pas à une région géographique particulière. Je suis d’accord.

[96]  Les demandeurs soutiennent que, subsidiairement, si la SAR n’a pas tiré une conclusion voilée au sujet de la crédibilité elle a commis une erreur en exigeant une preuve corroborante. Ils citent la décision Guven c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 38 :

37 Dans Ndjavera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 452, [2013] ACF no 473 (QL) [Ndjavera], le juge Donald Rennie (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a abordé la question de la nécessité d’une corroboration, soulignant, aux paragraphes 6 et 7, ce qui suit :

[6] Dans ces circonstances, la demanderesse n’était pas tenue de corroborer ses allégations et il serait erroné de tirer une conclusion défavorable relativement à la crédibilité qui soit uniquement fondée sur l’absence de preuves corroborantes : (Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026 (CanLII), aux paragraphes 19 à 22).

[7] Si elle a une raison valable de douter de la crédibilité de la demanderesse, la Commission peut alors tirer une conclusion défavorable à l’égard du manquement à présenter des éléments de preuve corroborants auxquels elle pourrait raisonnablement s’attendre. La décision dépend en grande partie du type de preuve requise et de la mesure dans laquelle elle se rapporte à un élément central de la demande. La preuve corroborante est particulièrement utile lorsqu’elle provient d’une source neutre. Il pourrait être déraisonnable de s’attendre d’un demandeur d’asile de produire ou de rassembler des documents qui ne sont pas facilement accessibles avant de s’enfuir…

[97]  Les demandeurs soutiennent que le fait qu’il n’y ait pas de mandat d’arrestation dans le dossier ne contredit pas leur témoignage selon lequel ils n’ont pas respecté des conditions de mise en liberté ou qu’on les pourchasse. Cependant, la SAR n’a jamais mis en doute l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils n’ont pas respecté les conditions de mise en liberté, pas plus qu’il se peut qu’ils continuent d’être harcelés et pourchassés au Pendjab pour quelque raison que ce soit.

[98]  Ce que la SAR a conclu c’est que les indices dont on s’attendrait à disposer pour croire de manière raisonnable que la police du Pendjab aurait un intérêt à pourchasser les demandeurs à Mumbai et à Delhi n’existaient pas.

[99]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, la question en litige est le caractère suffisant de la preuve que M. Singh ou la police du Pendjab étaient disposés à pourchasser les demandeurs à l’extérieur de cet État. Même si la SAR avait conclu que les demandeurs croyaient subjectivement qu’on les pourchasserait dans les villes proposées comme PRI, il lui était toutefois loisible de conclure que la preuve ne confirmait tout simplement pas une telle croyance, sans mettre nécessairement en doute leur crédibilité.

[100]  Nulle part dans le dossier les demandeurs disent‑ils que la police les pourchassera à l’extérieur du Pendjab. La seule preuve de ce fait figure dans leur récit circonstancié :

[TRADUCTION]

Les agents m’ont aussi posé des questions sur les activités de Satwinder Singh et de ses acolytes le jour de la fête de Vaisakhi, etc. Mon épouse et mon beau‑père ont été battus et interrogés sur les mêmes choses que moi. Eux aussi ont été accusés à tort de travailler pour les militants […] En Inde, la police nous cherche encore, elle nous accuse à tort et elle harcèle les membres de notre famille.

[101]  Les demandeurs tentent d’extrapoler à partir de leur déclaration que la police continuera de les pourchasser à l’extérieur du Pendjab, et ils fondent leur théorie sur la preuve documentaire, qui donne à penser qu’en Inde on accuse souvent à tort des individus de militantisme et que, au Pendjab, la police a les moyens et la capacité nécessaires pour pourchasser de tels individus à l’extérieur de l’État.

[102]  La valeur de cette théorie repose néanmoins sur la conclusion de la SAR selon laquelle la preuve documentaire étaye l’argument des demandeurs. Une conclusion sur cette question ne porte pas atteinte à la crédibilité ni n’ajoute de manière irrégulière une exigence de corroboration connexe.

[103]  La SAR a conclu que la preuve documentaire ne corroborait pas la théorie qu’avançaient les demandeurs quant au fait de savoir si on continuerait de les pourchasser à l’extérieur du Pendjab. Dans les circonstances, je ne vois rien de déraisonnable aux conclusions que la SAR a tirées sur la question.

  1. Conclusion

[104]  En conséquence, on ne m’a pas convaincu que la décision de la SAR est déraisonnable et, de ce fait, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6716‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6716‑19

 

INTITULÉ :

BALVIR SINGH MUKHAL ET BALVIR KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR vidÉoconfÉrence enTRE Toronto (Ontario) ET montrÉal (quÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 AOÛT 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 AOÛT 2020

 

COMPARUTIONS :

Charles Steven

POUR LES DEMANDEURS

Charles J. Jubinville

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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