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Date : 20050726

Dossier : T-690-05

Référence : 2005 CF 1013

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                           CHARLES FREDERICK ARMSTRONG

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                Le défendeur, le procureur général du Canada, sollicite une ordonnance lui accordant deux réparations, à savoir :

1)         la radiation de la pièce G de l'affidavit de Charles Frederick Armstrong parce qu'elle est non pertinente et protégée par le secret professionnel;

2)         la radiation des paragraphes 10, 11, 12, 13, 15, 17, 18, 19, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 39, 40, 41, 42, 47 et 48 du même affidavit.


[2]                Le défendeur sollicite également une ordonnance accessoire accordant au procureur général du Canada une prorogation du délai de 30 jours à partir de la décision définitive sur la requête pour qu'il puisse signifier et déposer ses affidavits en réponse à l'affidavit du demandeur.

[3]                Le procureur général du Canada soutient que la pièce G annexée à l'affidavit du demandeur et le paragraphe 19 de cet affidavit contiennent des communications entre les Forces canadiennes et le Cabinet du Juge-avocat général (le JAG), le conseiller juridique des Forces canadiennes, qui sont protégées ou font référence à de telles communications et que les intéressés n'ont pas renoncé à la protection attachée à ces communications. Il est également mentionné que la pièce G contient des documents qui n'ont pas été soumis au décideur et qu'elle n'est pas pertinente à l'égard des questions que soulève la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur.

[4]                La demande de radiation de plusieurs paragraphes de l'affidavit du demandeur est fondée sur le motif que ces paragraphes contiennent des arguments, des opinions ou des conclusions de droit et non pas des énoncés de fait.


LES FAITS

[5]                Charles Frederick Armstrong est un officier de la Première réserve du Service de réserve des Forces canadiennes et détient le grade de lieutenant-colonel. Il a commencé son service militaire au sein de la Force régulière des Forces canadiennes le 8 août 1974 et a été transféré par la suite à la Force de réserve des Forces canadiennes le 20 août 1991.

[6]                Il est employé depuis le 22 juillet 2002 à titre d'officier et d'administrateur de projet à la Direction des langues officielles (la DLO) au Quartier général de la Défense nationale (le QGDN). Il doit occuper son poste d'administrateur de projet au moins jusqu'en juillet 2006.


[7]                Le 23 octobre 2002, il a déposé un grief, conformément à la procédure interne de grief des Forces canadiennes, au sujet de la classification de ses fonctions à la DLO à titre de service de classe B et non pas de service de classe C. Sa classification dans le service de classe B découlait de la mise en oeuvre par les Forces canadiennes d'une nouvelle politique en matière de classification pour la Force de réserve qui est entrée en vigueur le 1er avril 2003 ou par la suite, combinée à une politique transitoire concernant le service de classe C qui est entrée immédiatement en vigueur le 2 mars 2002, au moment où la nouvelle politique relative au cadre d'emploi de la Réserve et la politique transitoire concernant le service de classe C étaient publiées dans un document appelé CANFORGEN 023/02. Une partie de la politique transitoire concernant le service de classe C prévoyait que les nouveaux contrats relatifs aux postes non opérationnels devraient normalement être autorisés dans la classe B mais qu'en cas de besoins de service extraordinaires, il pourrait y avoir des exceptions.

[8]                Le 30 avril 2003, l'Autorité des griefs de première instance, à savoir le directeur général de la Direction des politiques et de la planification en ressources humaines militaires, a rejeté le grief. Le demandeur a alors interjeté appel auprès de l'Autorité des griefs de dernière instance, le colonel A. F. Fenske, c.r., directeur général, Autorité des griefs des Forces canadiennes, qui a rejeté son grief le 28 février 2005.

[9]                Dans sa décision, le colonel Fenske a rejeté les arguments suivants du lieutenant-colonel Armstrong :

1)         le CANFORGEN 023/02 est incompatible avec les articles 9.07 Service de réserve (classe B) et 9.08 Service de réserve (classe C) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (les ORFC ou le Règlement) et la publication du CANFORGEN 023/02 a entraîné une mauvaise application des ORFC;

2)         le CANFORGEN 023/02 est incompatible avec l'article 1.23 des ORFC (pouvoir du chef d'état-major de la Défense d'émettre des ordres et directives) qui limite le pouvoir du chef d'état-major de la Défense (le CEMD) d'émettre des ordres et directives, ce qui était conforme aux ORFC applicables lorsque le gouverneur en conseil a pris ces ORFC;


3)          le demandeur occupe à la DLO un poste à temps plein, prévu à l'effectif de la Force régulière et, selon l'article 9.08 des ORFC, son service devrait être qualifié de service de classe C.

[10]            Le colonel Fenske a conclu que le lieutenant-colonel Armstrong avait été embauché dans un poste à temps plein, pour des fonctions de nature temporaire, parce qu'il n'était pas pratique d'embaucher à ce poste un membre de la Force régulière. Il affirme dans son évaluation qu'il s'agissait là d'un appel approprié dans le service de réserve de classe B. Il a estimé que le dossier ne contenait aucun élément indiquant que le CEMD ou son délégué avait autorisé le demandeur à occuper un poste de l'effectif de la Force régulière ou à participer dans ce poste à une opération.

[11]            En rejetant les arguments présentés par le lieutenant-colonel Armstrong au sujet de la validité et de l'applicabilité du CANFORGEN 023/02, le colonel Fenske a souscrit à l'affirmation de l'auteur du grief selon laquelle les règlements du gouverneur en conseil l'emportaient sur les ordres émis par le CEMD, mais il a conclu que son interprétation des articles 9.07 et 9.08 des ORFC était incomplète, étant donné que ces deux articles indiquent que la décision d'affectation est conditionnelle à l'approbation du CEMD, ce qui laisse à cette autorité un pouvoir discrétionnaire important en matière de gestion des effectifs pour déterminer s'il y a lieu d'avoir recours à un service de classe B ou de classe C, et que l'article 9.08 accorde expressément au CEMD le pouvoir d'approuver les opérations auxquelles s'applique le service de classe C.


[12]            Le lieutenant-colonel Armstrong a déposé le 20 avril 2005 une demande de contrôle judiciaire à l'égard de cette décision du colonel Fenske, qu'il a reçue le 21 mars 2005. Il demande l'annulation de la décision du colonel Fenske et un jugement déclarant qu'il a fourni à l'armée un service de classe C à partir du 22 juillet 2002 jusqu'à aujourd'hui, conformément à l'article 9.08 des ORFC et déclarant également qu'il a droit à un redressement rétroactif de salaire et d'avantages conformément au service de classe C.

[13]            Dans sa demande de contrôle judiciaire, le lieutenant-colonel Armstrong conteste le bien-fondé de la décision du colonel Fenske en invoquant un certain nombre de motifs, notamment le motif selon lequel l'Autorité des griefs de dernière instance a mal interprété divers articles des ORFC, à savoir les articles 1.04, 9.07 et 9.08, ainsi que le fait que l'Autorité des griefs de dernière instance a commis une erreur de droit et a excédé sa compétence en ne reconnaissant pas que le CANFORGEN 023/02 était incompatible avec l'article 1.23 du Règlement.

[14]            C'est le 3 juin 2005 que le lieutenant-colonel Armstrong a déposé son affidavit principal à l'appui de la demande de contrôle judiciaire qui fait l'objet de la requête du défendeur dont je suis saisi. Comme je l'ai noté, le défendeur n'a pas encore déposé d'affidavit en réponse à l'affidavit principal du lieutenant-colonel Armstrong.

[15]            À l'appui de la réparation sollicitée, le défendeur a déposé les affidavits du lieutenant-colonel Blais et du colonel Fenske, tous deux datés du 21 juin 2005. Le lieutenant-colonel Armstrong a déposé un affidavit en réponse à la requête en radiation du défendeur.

[16]            L'affidavit du colonel Blais avait pour but d'exposer les circonstances entourant l'avis juridique qu'il avait reçu du Cabinet du JAG des Forces armées canadiennes.

[17]            C'est le lieutenant-colonel Blais qui a demandé, en qualité de directeur du Secrétariat du sous-ministre adjoint (Ressources humaines - Militaire), un avis juridique au sujet de la légalité du CANFORGEN 023/02, étant donné qu'une de ses attributions consistait à faire enquête sur les griefs et à les mettre en état d'être jugés.

[18]            Le grief dont il s'occupait n'était pas celui du demandeur, mais celui déposé le 3 juin 2002 par le lieutenant Judy Emberson qui contestait la validité du CANFORGEN 023/02. Il déclare qu'une des responsabilités qui lui incombait à l'égard de ce grief consistait à l'examiner, à compléter l'enquête au besoin, à autoriser la divulgation de l'information qui pouvait être communiquée à la plaignante et à obtenir ses commentaires avant de transmettre le dossier pour décision.

[19]            Dans son affidavit, le lieutenant-colonel Blais indique que le 18 septembre 2002, il a transmis certains documents, notamment l'avis juridique qu'il avait reçu du JAG, à l'agent d'enquête et de règlement des différends de l'Unité de soutien des Forces canadiennes (Ottawa) en demandant à cet agent de communiquer tous les documents joints au lieutenant Emberson de façon à l'aider à présenter des observations écrites qui seraient ensuite transmises au décideur. Dans son affidavit, il déclare avoir examiné le dossier et être au courant du fait que l'avis du JAG a été, à sa demande, communiqué par la suite au lieutenant Emberson par le colonel Cyr, commandant de l'Unité de soutien des Forces canadiennes (Ottawa).

[20]            Dans son affidavit, le colonel Fenske déclare qu'il a examiné l'ensemble du dossier de grief du lieutenant-colonel Armstrong avant de rendre sa décision. Il affirme que le dossier du demandeur ne contenait aucun avis juridique.

[21]            Dans son affidavit en réponse, le demandeur a inclus le courriel qu'il a envoyé le 30 mai 2005 au lieutenant Emberson dans lequel il lui demande expressément la permission d'utiliser les renseignements qui lui ont été communiqués par le colonel Cyr en rapport avec son grief. Comme je l'ai noté, l'avis du JAG faisait partie des documents communiqués. Le lieutenant Emberson a autorisé le demandeur à utiliser ces documents.


ANALYSE

a)         Les questions touchant le secret professionnel

[22]            L'avocate du demandeur ne conteste pas que l'avis du JAG était visé par le secret professionnel. Sa position est que l'avis du JAG ayant été volontairement communiqué, il y a donc eu renonciation au secret professionnel. L'avocate du défendeur répond en déclarant que l'avis du JAG a été communiqué par inadvertance ou qu'étant donné que seul le ministre de la Défense nationale ou son délégué pouvait renoncer au secret professionnel, la renonciation n'était pas valide et que, de toute façon, cet avis n'était pas pertinent à l'égard du grief du demandeur puisqu'il ne se rapportait qu'au grief du lieutenant Emberson et qu'il n'avait pas été soumis au décideur.

[23]            Je prends note des décisions judiciaires qu'ont citées les parties selon lesquelles la communication involontaire d'un document qui serait autrement visé par le secret professionnel ne constitue pas une renonciation et que le juge a le pouvoir discrétionnaire de décider si, dans de telles circonstances, on a renoncé au secret professionnel (voir les décisions Airst v. Airst (1998), 37 O.R. (3d) 654, et United States of America v. Levy, [2001] O.J. No. 864, deux décisions de la Cour supérieure de justice de l'Ontario; voir également la décision Double-E Inc. c. Positive Action Tool Western Ltd., [1989] 1 C.F. 163, une décision du juge Muldoon de la Cour, et la décision Metcalfe and Metcalfe, 2001 MBCA 35, de la Cour d'appel du Manitoba).

[24]            Pendant les arguments, j'ai mentionné à l'avocate du procureur général du Canada que les éléments de preuve concernant le fait que l'avis du JAG avait été communiqué de façon accidentelle ou involontaire étaient peu convaincants. J'ai fait remarquer que le seul élément concernant cet aspect émanait du lieutenant-colonel Blais, mais que ce n'était pas lui qui avait communiqué ce document au lieutenant Emberson. C'était le colonel Cyr, lequel n'a pas remis d'affidavit à ce sujet à la Cour. Par contre, les éléments de preuve en ma possession donnaient à penser que l'avis du JAG avait été volontairement et sciemment communiqué au lieutenant Emberson pour qu'elle puisse préparer des commentaires au sujet de la légalité de la nouvelle politique dans le contexte de son grief. Je note que le lieutenant-colonel Blais a expressément déclaré dans son affidavit que, lorsqu'il a transmis l'avis du JAG, il savait qu'il serait communiqué.

[25]            L'avocate du procureur général du Canada a reconnu que sa prétention selon laquelle la divulgation de l'avis du JAG avait été involontaire n'était pas son meilleur argument. Elle a concentré son argumentation sur le fait que l'avis du JAG était sans rapport avec la demande de contrôle judiciaire présentée par le lieutenant-colonel Armstrong.


[26]            De la même façon, j'ai indiqué à l'avocate du procureur général du Canada que je ne me prononcerais pas sur l'argument subsidiaire qu'elle avait présenté, à savoir que la communication ou la renonciation au secret professionnel n'avait pas été autorisée par les membres de la hiérarchie du ministère de la Défense nationale qui avaient le pouvoir de le faire. Là encore, la personne qui a transmis l'avis du JAG, le colonel Cyr, n'a pas fourni d'affidavit sur la question de savoir s'il avait obtenu, expressément ou implicitement, l'autorisation de divulguer l'avis du JAG dans les circonstances particulières dans lesquelles il a été demandé et pour les fins particulières pour lesquelles il a été divulgué. J'ai indiqué à l'avocate du procureur général que si je devais me prononcer sur ce point, je demanderais des affidavits et des contre-interrogatoires supplémentaires sur ce point.

[27]            J'ai examiné à plusieurs reprises l'avis du JAG et la référence qu'y fait le CEMD dans le cadre de son examen du grief du lieutenant Emberson qu'il a rejeté en dernière instance le 6 octobre 2004. Le général Henault a déclaré qu'il avait examiné l'avis du JAG, auquel il souscrivait, ainsi que les preuves figurant au dossier, et qu'il avait estimé que la conclusion de l'avis du JAG était fondée sur l'hypothèse que le lieutenant Emberson occupait un poste permanent prévu à l'effectif de la Force régulière, ce qui, à son avis, n'était pas le cas.

[28]            Je reconnais avec l'avocate du procureur général que l'avis du JAG devrait être radié de l'affidavit du lieutenant-colonel Armstrong pour le motif qu'il n'est pas pertinent à l'égard de sa demande de contrôle judiciaire. J'en arrive à cette conclusion pour plusieurs raisons :

1)         Le colonel Fenske n'avait pas en sa possession l'avis du JAG et il ne s'est pas fondé sur cet avis pour rejeter le grief du demandeur en dernière instance.


2)         L'avis du JAG était propre aux circonstances entourant le grief du lieutenant Emberson et son affectation dans un service de classe B se rapportant au poste qu'elle occupait. Sur ce point, l'avis du JAG n'est d'aucun secours pour le lieutenant-colonel Armstrong.

3)         L'avis du JAG ne contient pas, comme l'affirme le demandeur, de conclusion au sujet de la validité du CANFORGEN 023/02. En fait, l'avis porte sur l'exercice approprié d'un pouvoir discrétionnaire.

4)         L'avis du JAG n'est ni favorable, ni défavorable aux arguments qu'il pourrait présenter dans cette affaire.

b)         La radiation de certains paragraphes de l'affidavit du demandeur

[29]            Comme cela a été noté, la requête du procureur général vise également à faire radier certains paragraphes de l'affidavit présenté par le lieutenant-colonel Armstrong à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire.

[30]            Comme l'a signalé l'avocate du défendeur, sa requête n'a pas pour but d'obtenir la radiation de la demande de contrôle judiciaire du demandeur, ni celle de l'ensemble de l'affidavit qui a été présenté à l'appui de cette demande. La requête vise uniquement à faire radier certaines parties de l'affidavit du demandeur pour le motif, comme cela a été noté, que les paragraphes contestés contiennent des arguments, des opinions et des conclusions de droit, et non pas des énoncés de fait.

[31]            L'avocate du défendeur invoque l'article 81 des Règles de la Cour fédérale (1998) selon lequel « les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui » .

[32]            Elle cite la décision First Green Park Pty. Ltd. c. Canada (Procureur général) (1976), 70 C.P.R. (3d) 217, une décision du juge Richard (tel était alors son titre). Le juge Richard a déclaré que le déposant ne pouvait fournir à la Cour des renseignements contenant des hypothèses, présenter des arguments juridiques ou tirer des conclusions de droit. Il a fait remarquer que les arguments juridiques devaient être présentés par les avocats. (Voir sur le même sujet l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Deigan c. Canada (Ministre de l'Industrie), [1996] A.C.F. no 1360, dans lequel le juge Hugessen, tel était alors son titre, a radié certains paragraphes de l'affidavit du demandeur pour le motif principal que les paragraphes radiés étaient tendancieux, opiniâtres, prêtaient à controverse ou étaient irréguliers et que le juge avait eu raison de les rejeter.)

[33]            L'avocate du défendeur a cité deux décisions du protonotaire Hargrave, la première étant la décision Global Enterprises International Inc. c. The Aquarius, [2002] 3 C.F. 50, et la seconde, Alcorn c. Canada (Commissaire du Service correctionnel du Canada), [1998] A.C.F. no 1463.

[34]            L'avocate du demandeur invoque de son côté l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, dans laquelle l'intimé demandait la radiation de la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur dont le sujet concernait le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Dans cette affaire, le juge Strayer insiste sur le fait que les demandes de contrôle judiciaire doivent être instruites et tranchées sans retard, et selon une procédure sommaire (voir le paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales), ce qui diffère fondamentalement des actions pour lesquelles les règles exigent la production d'actes de procédure précis et les faits sur lesquels ils sont fondés. Cela a amené le juge Strayer à déclarer que le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d'instance qu'elle estime sans fondement consistait à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête. Le juge Strayer a déclaré que l'affaire dont il était saisi illustrait bien « le gaspillage de ressources et de temps qu'entraîne l'examen additionnel d'une requête interlocutoire en radiation dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire qui devrait être sommaire » .

[35]            L'avocate du demandeur m'a cité plusieurs autres affaires, notamment la décision du juge Hugessen, en qualité de juge de la Section de première instance, dans l'affaire Sawridge Band c. Canada, [2000] A.C.F. no 192, dans laquelle il examinait une requête en radiation d'un affidavit. Je reproduis ici les paragraphes 5 et 6 de sa décision :


¶ 5       J'examinerai d'abord la première requête présentée par les intervenants afin de faire radier l'affidavit de Clara Midbo pour cause de non-conformité aux Règles. Après avoir examiné cet affidavit, je suis absolument certain qu'il est irrégulier. Il déborde d'allégations constituant des conclusions et des arguments, touchant presque toutes des questions de droit à l'égard desquelles son auteur n'est apparemment pas qualifiée. Je reproduis ci-dessous, simplement à titre d'exemple, les paragraphes 3 et 4 de l'affidavit dans lesquels son auteur tente d'interpréter les actes de procédure, les Règles et différentes ordonnances prononcées en l'espèce, alors qu'elle est éminemment incompétente dans ce domaine et que ces questions ne relèvent manifestement pas de la preuve de toute façon :

[...]

¶ 6       Cela dit, je ne suis pas convaincu que cet affidavit doit être radié. Selon moi, dans une procédure moderne saine, les irrégularités dans les actes de procédure ne doivent pas faire l'objet d'une requête et ne doivent pas commander que la Cour prononce des ordonnances radiant ou corrigeant de telles irrégularités à moins que la partie qui soulève l'irrégularité puisse démontre qu'elle lui cause un préjudice quelconque. J'ai expliqué ce point clairement à l'avocat des intervenants et le seul préjudice causé éventuellement à ses clients qu'il a pu mentionner était que la Cour, lorsqu'elle entendra la requête principale, pourrait être incitée à croire que ces allégations très tendancieuses de l'affidavit sont des questions de fait non contestées. Je crois que l'avocat attribue à la Cour un degré de crédulité qui n'est, je l'espère, pas justifié. Par conséquent, en l'absence de la preuve d'un préjudice et même si presque tout l'affidavit est irrégulier et n'aurait pas dû être présenté à la Cour, aucun motif ne justifierait que je radie l'affidavit. L'avocat des intervenants reconnaît d'emblée que pratiquement chaque paragraphe de l'affidavit énonce un argument admissible qui peut être invoqué régulièrement par l'avocat des demandeurs et qu'elle a effectivement fait valoir dans sa plaidoirie écrite à l'appui de la requête principale. Je vais donc rejeter la requête en radiation de l'affidavit.

[Non souligné dans l'original]

[36]            Le demandeur invoque une autre décision du juge Richard, prononcée en qualité de juge de la Section de première instance, dans l'affaire Unitel Communications Co. c. MCI Communications Corp., [1996] A.C.F. no 1126, dans laquelle celui-ci a refusé de radier un affidavit. Je cite le paragraphe 6 de sa décision :

¶ 6      Les avocats des défenderesses canadiennes ont invoqué la décision que la Cour a rendue dans l'affaire Home Juice Company v. Orange Maison Limited [voir note 1 ci-dessous], sous la plume du président Jackett (tel était alors son titre). Dans cette affaire de marque de commerce, la pertinence ou l'admissibilité d'affidavits avait été contestée, et le juge Jackett a examiné la question de savoir si la demande de radiation avait été présentée en temps opportun. Il a statué ainsi :


[TRADUCTION] Comme question pratique, la façon la plus efficace et la plus économique de décider ces questions est de les laisser être soulevées et décidées à l'audition, et comme exercice pratique du pouvoir discrétionnaire judiciaire, les parties ne devraient pas être autorisées à les soulever avant l'audition. Cette règle générale souffre deux exceptions :

a) lorsqu'une partie doit obtenir l'autorisation de présenter une preuve et qu'il est manifeste, de l'avis de la Cour, que la preuve est inadmissible,

b) lorsque la Cour est convaincue qu'il serait opportun, du point de vue pratique, d'examiner, un peu avant l'audience, la question de l'admissibilité des affidavits déposés par une partie pour que l'audience puisse se dérouler de façon ordonnée.

[Non souligné dans l'original]

[37]            La dernière affaire qu'a citée l'avocate du demandeur est la décision Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1999] A.C.F. no 835. Dans cette affaire, le juge Dubé a exprimé l'opinion suivante au paragraphe 6 de ses motifs :

¶ 6       D'autre part, il existe également des arrêts dans lesquels il a été statué que la Cour n'a pas compétence pour radier les affidavits au moyen d'une requête en prévision d'un contrôle judiciaire. La procédure appropriée consiste à laisser le juge qui entend la demande au fond à apprécier l'affidavit. [Voir la note 5 ci-dessous.] Le contrôle judiciaire est une procédure sommaire, qui vise à faire avancer la demande au stade de l'audition le plus rapidement possible . La pertinence de la preuve et des allégations doit être appréciée en définitive par le juge qui entendra la demande au fond [voir note 6 ci-dessous]. Le juge a le pouvoir discrétionnaire exceptionnel de radier les affidavits, mais il ne devrait pas exercer ce pouvoir à la légère. Pour assurer l'efficacité d'une procédure de contrôle judiciaire, il faut empêcher les contestations interlocutoires relatives aux affidavits et laisser le juge qui entend la demande les examiner.

[Non souligné dans l'original]

[38]            Dans les circonstances de l'espèce, le juge Dubé a estimé que l'affidavit dont on sollicitait la radiation jouait un rôle si considérable et si important qu'il aurait été inéquitable pour le demandeur d'instruire sa demande de contrôle judiciaire sans prendre une décision à ce sujet. Il a estimé que le règlement de cette question avant l'audience favoriserait le déroulement ordonné de l'examen de la demande de contrôle judiciaire.


[39]            Il n'a pas radié l'affidavit contesté parce que celui-ci contenait des informations générales qui pouvaient être utiles au juge chargé d'entendre la demande de contrôle judiciaire. Il a autorisé le demandeur à produire un affidavit en réponse.

[40]            Il est donc clair, à mon avis, que le contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales vise les décisions prises par les autorités fédérales dans l'exercice de leurs pouvoirs légaux. Le Parlement a prévu que ces demandes seraient traitées avec toute la célérité possible. Ce souci de célérité est à l'origine de la jurisprudence selon laquelle les demandes de radiation d'affidavits ou de parties d'affidavits présentés dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire sont de nature discrétionnaire et les tribunaux doivent exercer ces pouvoirs avec réticence, seulement dans les cas où il est dans l'intérêt de la justice de le faire, par exemple, ou dans les cas où cela causerait un préjudice important à une partie, lorsque le fait de ne pas radier un affidavit ou des parties d'un affidavit nuirait au bon déroulement de l'audition de la demande de contrôle judiciaire, si la question n'était pas réglée dès le début. Par contre, les parties d'un affidavit qui contiennent des informations générales susceptibles d'être utiles au juge ne devraient pas être radiées.

[41]            Les paragraphes dont le procureur général du Canada demande la radiation ont, d'après moi, une des deux principales caractéristiques suivantes.

[42]            D'un côté, de nombreux paragraphes contiennent des arguments juridiques et un bon nombre d'entre eux font référence aux dispositions législatives ou réglementaires applicables; ils contiennent aussi parfois des citations de dictionnaire en vue d'indiquer le sens ordinaire des mots que l'on retrouve dans les lois ou les règlements. Ces références sont inappropriées mais j'estime qu'il n'est pas nécessaire de radier ces paragraphes pour les motifs fournis par le juge Hugessen dans la décision Sawridge, précitée, étant donné que cela ne cause aucun préjudice au défendeur. De plus, leur radiation ne serait pas utile parce que ces paragraphes contiennent des arguments valides qui peuvent être présentés par l'avocate du demandeur dans le mémoire qu'il produira avec le dossier de la requête.

[43]            De l'autre, un bon nombre des paragraphes exposent les croyances personnelles de lieutenant-colonel Armstrong qui sont fondées sur ses connaissances et son expérience. Il est possible que certains paragraphes soient inappropriés, mais cela ne cause aucun préjudice au défendeur et, à mon avis, il n'est pas possible d'affirmer que le fait de laisser ces paragraphes inchangés dans l'affidavit du demandeur empêchera le juge du procès d'examiner sans heurt la demande de contrôle judiciaire. Je ne suis pas disposé à radier ces paragraphes, en particulier compte tenu du fait que le défendeur n'a pas encore déposé d'affidavit en réponse et que le demandeur n'a pas encore été contre-interrogé.

[44]            Je réitère le principe énoncé par la jurisprudence. La Loi et les Règles visent à assurer un examen rapide des demandes de contrôle judiciaire à l'abri des interruptions inutiles que constituent les requêtes interlocutoires.

                                   O R D O N N A N C E

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES CE QUI SUIT :

1.         Le paragraphe 19 de l'affidavit du lieutenant-colonel Armstrong et l'annexe G à cet affidavit sont radiés.

2.          Étant donné que les deux parties ont obtenu gain de cause en partie, les dépens de la requête suivront l'issue de la cause.

3.         La pièce G jointe à l'affidavit du lieutenant-colonel Armstrong demeurera scellée et sera traitée comme un document confidentiel.

4.         Je prononce une ordonnance semblable à l'égard du dossier de requête en réponse du demandeur qui contient l'avis juridique du JAG, lequel est maintenant radié. Le dossier de requête en réponse du demandeur demeurera scellé et ne figurera pas dans le dossier public.


5.          Le défendeur aura jusqu'au 31 août 2005 pour signifier et déposer les affidavits en réponse à l'affidavit du lieutenant-colonel Armstrong présenté à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire.

                                                                            « François Lemieux »                    

                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                          T-690-05

INTITULÉ :                                                          CHARLES FREDERICK ARMSTRONG

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                 LE 28 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                     LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                        LE 26 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Daria A. Strachan                                                    POUR LE DEMANDEUR

Elizabeth Richards                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shields et Hunt                                                        POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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