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Date : 20060614

Dossier : T‑1956‑05

Référence : 2006 CF 759

Toronto (Ontario), le 14 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

THANH THI NHU PHAM

demanderesse

 

 

et

 

 

CANADA (MINISTRE DU REVENU NATIONAL‑M.R.N.)

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite une ordonnance de la nature d’un mandamus en vue de forcer le défendeur, le ministre du Revenu national, à rendre une décision en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la Loi), L.C. 2000, ch. 17, paragraphe 12(1), à propos d’une somme saisie le 14 avril 2005, dont elle prétend être la propriétaire.

 

[2]               Le soir du 14 avril 2005, des agents des douanes canadiennes inspectaient les véhicules traversant la frontière depuis les États‑Unis vers le Canada. L’un de ces véhicules était conduit par une certaine Mme Nguyen. La Cour ne se prononce pas sur la question, mais il semble que Mme Nguyen n’a pas révélé à ces agents que, dans le véhicule, se trouvait une somme d’argent qui dépassait 10 000 $. Obéissant à quelque motivation que la preuve ne fait pas apparaître clairement, l’agent a fouillé le véhicule et trouvé, dans des cavités situées derrière la bouche d’air du tableau de bord et les instruments du tableau de bord, vingt‑trois liasses de billets de banque totalisant 181 600 $US. Soupçonnant qu’il s’agissait de produits de la criminalité, les agents ont saisi cette somme d’argent, en application des paragraphes 12(1), 18(1) et 18(2) de la Loi.

 

[3]               Mme Nguyen s’est vu remettre par les agents un reçu sur lequel figurait l’indication suivante :

[TRADUCTION]

Droit de demander une décision ministérielle

 

Si vous‑même, ou le propriétaire légitime des espèces ou des effets, souhaitez déposer une demande d’examen de cette mesure d’exécution et demander une décision du ministre du Revenu national, vous devez donner un avis écrit en ce sens à l’agent qui a pris la mesure d’exécution ou à un agent du bureau des douanes le plus proche de l’endroit où la mesure d’exécution a été prise. Cette demande doit être déposée dans un délai de 90 jours après la date à laquelle a été prise la mesure d’exécution.

 

Une personne qui demande une décision ministérielle peut, dans un délai de 90 jours après que la décision lui a été notifiée, faire appel de la décision en introduisant devant la Cour fédérale une instance où elle sera la partie demanderesse et le ministre la partie défenderesse.

 

[4]               C’est là le début de la correspondance qui constitue le fondement de la présente instance.

 

[5]               Le 11 juillet 2005, l’avocat de la demanderesse écrivait ce qui suit à l’Agence des services frontaliers du Canada :

[TRADUCTION]

Soyez informé que je suis l’avocat de Thanh Thi Nhu PHAM, propriétaire légitime des espèces qui ont été saisies le 14 avril 2005. Prière de considérer la présente lettre comme mon avis formel, selon l’article 25 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, demandant un examen de la saisie susmentionnée ainsi qu’une décision du ministre.

 

Veuillez trouver ci‑joint, à titre d’information, copie du reçu de saisie douanière, ainsi que copie d’une autorisation signée par ma cliente.

 

[6]               L’Agence a répondu par lettre datée du 19 juillet 2005. Cette lettre, qui pour l’essentiel n’était qu’un accusé de réception de la lettre du 11 juillet 2005, priait l’avocat de la demanderesse de prouver qu’il était autorisé à agir au nom de la demanderesse.

 

[7]               L’Agence a transmis, par lettre datée du 22 juillet 2005, une réponse de fond à la lettre de l’avocat de la demanderesse datée du 11 juillet 2005. Cette réponse était la suivante :

[TRADUCTION]

Malheureusement, votre correspondance ne nous permet pas de vous accepter comme partie principale dans la demande de décision ministérielle. Pour être accepté comme partie principale, vous devez prouver que vous êtes le propriétaire légitime de la somme saisie. Comme il est très difficile de prouver la propriété d’espèces, vous voudrez sans doute déposer une revendication de tiers.

 

Si les espèces ou effets ont été saisis à titre de confiscation en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, toute personne, autre que le saisi, qui revendique sur les espèces ou effets un droit de propriété peut, dans les 90 jours qui suivent la saisie, requérir par avis écrit le tribunal de rendre l’ordonnance visée à l’article 33 de la Loi.

 

[8]               L’avocat de la demanderesse a répondu ce qui suit, dans une lettre datée du 19 août 2005 :

[TRADUCTION]

Soyez informé que je m’emploie encore à obtenir la preuve établissant la propriété de la somme saisie.

 

La difficulté actuelle s’explique en partie par le fait que ma cliente se trouve au Vietnam et qu’elle vient d’accoucher.

 

Je vous demanderais donc de garder ce dossier ouvert pour une période additionnelle de 14 jours, afin de me donner la possibilité d’obtenir et de présenter la preuve de propriété qui est demandée.

 

[9]               L’avocat de la demanderesse écrivait ensuite une lettre, en date du 31 août 2005, qui renfermait deux affidavits. La lettre indiquait :

[TRADUCTION]

Suite à votre lettre du 22 juillet 2005, veuillez trouver ci‑joint les documents suivants :

 

1.          L’affidavit de Thanh Thi Nhu Pham attestant son droit de propriété sur la somme saisie en question;

 

2.        L’affidavit de Truong Mai Hoang Huynh attestant que Thanh Thi Nhu Pham est la propriétaire légitime de la somme saisie en question.

 

Nous vous informons que la présente se rapporte à une demande que ma cliente a déposée, en tant que partie principale, en application de l’article 25 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, une disposition qui confère au propriétaire d’une somme saisie, autre que la personne entre les mains de laquelle la somme a en fait été saisie, un droit de demande.

 

Vous avez maintenant devant vous un affidavit établi sous serment par ladite partie, qui atteste son droit de propriété, ainsi qu’un affidavit établi sous serment par la partie entre les mains de qui la somme a été saisie, qui lui aussi confirme ce droit de propriété. En l’absence de toute preuve contraire, je crois que c’est là une preuve concluante du droit de propriété.

 

Par ailleurs, nulle autre personne ou entité n’a revendiqué un droit sur la somme qui a été saisie, et le délai dans lequel une telle prétention pourrait être avancée est depuis longtemps expiré.

 

Sans doute serait‑il loisible au ministre de contester votre compétence en produisant une preuve de nature à contredire le droit de propriété revendiqué par ma cliente, mais aucune contestation du genre n’a encore été élevée. Par conséquent, dans ces conditions, ma cliente a justifié d’une apparence de droit de propriété qui suffit à vous investir du pouvoir de donner suite à sa demande.

 

 

[10]           Les deux affidavits produits étaient très brefs. Celui de Mme Nguyen renfermait ce qui suit :

[TRADUCTION]

J’atteste que Thanh Thi Nhu PHAM est la propriétaire légitime de la somme qui a été saisie entre mes mains par l’Agence des services frontaliers du Canada le 14 avril 2005 et que je n’ai aucun droit de propriété, quel qu’il soit, sur ladite somme.

 

 

[11]           Celui de Pham renfermait ce qui suit :

[TRADUCTION]

J’atteste que je suis la propriétaire légitime de la somme qui a été saisie entre les mains de Chung My Huong NGUYEN par l’Agence des services frontaliers du Canada le 14 avril 2005 et que, à ma connaissance, nulle autre personne ou entité ne revendique la propriété de ladite somme.

 

[12]           La dernière lettre utile versée dans le dossier est la réponse de l’Agence aux avocats de la demanderesse, par laquelle l’Agence disait qu’elle ne se satisfaisait pas des affidavits et qu’elle classait le dossier. Cette lettre, datée du 30 septembre 2005, indiquait :

[TRADUCTION]

Nous accusons réception de votre lettre (et des pièces jointes), en date du 31 août 2005, à propos de la mesure d’exécution susmentionnée.

 

Malheureusement, pour répondre à vos observations et affirmations, votre lettre ne peut être acceptée comme demande de décision ministérielle présentée par une partie principale. La preuve que vous avez fournie sous la forme d’affidavits ne suffit pas à prouver que votre cliente est la propriétaire légitime de la somme concernée. Nous voudrions une preuve indiquant l’origine de la somme, sous la forme de retraits bancaires, etc. Par ailleurs, nous voudrions aussi une preuve attestant l’origine légitime de la somme.

 

Je voudrais également préciser que vous devrez déposer une revendication de tiers afin que soient protégés les intérêts de votre cliente.

 

Dans la lettre que je vous adressais le 22 juillet 2005, je portais à votre attention le délai imparti pour le dépôt de votre demande devant la Cour.

 

Au vu de ce qui précède, puisque la preuve requise attestant que votre cliente est la propriétaire de la somme en cause n’a pas été produite, le dossier de la partie principale sera classé sur le plan administratif.

 

J’espère que ce qui précède répond à vos interrogations.

 

[13]           Il est clair que « ce qui précède » ne répondait pas aux interrogations de la demanderesse puisque la présente requête en mandamus a été déposée.

 

[14]           Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, prévoit que la Cour peut décerner un bref de mandamus ou une réparation analogue à l’encontre de tout office fédéral. En l’espèce, le défendeur désigné est le ministre du Revenu national, qui est le ministre désigné dans l’indication « Droit de demander une décision ministérielle » figurant sur le reçu produit par les fonctionnaires susmentionnés. Il ne s’agit pas nécessairement de la personne désignée comme « ministre » dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, et il règne sur ce point une certaine confusion. L’avocat du défendeur ne s’est pas attardé sur cet aspect et s’est engagé à produire une lettre clarifiant la question, ainsi qu’à consentir à l’ajout d’un défendeur ou à une modification du nom du défendeur au besoin.

 

[15]           Comme il est indiqué dans l’ouvrage Judicial Review of Administrative Actions in Canada, Brown and Evans, Canvasback Publishing, Toronto, Ontario, feuilles mobiles, aux sections 1.3000 et suivantes, un mandamus est une ordonnance qui est rendue pour contraindre à l’accomplissement d’une obligation légale à caractère public. Cette réparation peut être refusée au gré du tribunal. Quatre conditions sont nécessaires pour que soit délivré un mandamus : (1) un droit clairement prévu par la loi; (2) une obligation publique précise; (3) le fonctionnaire concerné ne doit avoir aucun pouvoir discrétionnaire; et (4) il doit y avoir eu réclamation, suivie d’un refus.

 

[16]           La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes a été l’objet d’un examen minutieux dans au moins deux autres instances introduites devant la Cour, la décision Dokaj c. Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 1437, et la décision Tourki c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 50.

 

[17]           Dans la présente affaire, nous devons commencer par le paragraphe 12(1) de la Loi, qui oblige toute personne qui entre au Canada à révéler qu’elle a sur elle des espèces ou effets dépassant une somme réglementaire (10 000 $) :

12. (1) Les personnes ou entités visées au paragraphe (3) sont tenues de déclarer à l’agent, conformément aux règlements, l’importation ou l’exportation des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire.

 

12. (1) Every person or entity referred to in subsection (3) shall report to an officer, in accordance with the regulations, the importation or exportation of currency or monetary instruments of a value equal to or greater than the prescribed amount.

 

 

[18]           Le paragraphe 18(1) prévoit qu’un agent des douanes peut saisir la somme en cause si son existence n’a pas été déclarée :

18. (1) S’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), l’agent peut saisir à titre de confiscation les espèces ou effets.

 

18. (1) If an officer believes on reasonable grounds that subsection 12(1) has been contravened, the officer may seize as forfeit the currency or monetary instruments.

 

 

[19]           L’article 25 prévoit que la personne entre les mains de qui la somme a été saisie, ou le propriétaire légitime de la somme, peut demander au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) :

25. La personne entre les mains de qui ont été saisis des espèces ou effets en vertu de l’article 18 ou leur propriétaire légitime peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la saisie, demander au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) en donnant un avis écrit à l’agent qui les a saisis ou à un agent du bureau de douane le plus proche du lieu de la saisie.

 

25. A person from whom currency or monetary instruments were seized under section 18, or the lawful owner of the currency or monetary instruments, may within 90 days after the date of the seizure request a decision of the Minister as to whether subsection 12(1) was contravened, by giving notice in writing to the officer who seized the currency or monetary instruments or to an officer at the customs office closest to the place where the seizure took place.

 

[20]           L’article 26 prévoit que, lorsqu’une demande a été présentée en vertu de l’article 25, le président de l’Agence des services frontaliers du Canada donne à la personne qui a présenté la demande un avis écrit exposant les circonstances de la saisie, et cette personne peut produire des preuves :

26. (1) Le président signifie sans délai par écrit à la personne qui a présenté la demande visée à l’article 25 un avis exposant les circonstances de la saisie à l’origine de la demande.

 

26. (1) If a decision of the Minister is requested under section 25, the President shall without delay serve on the person who requested it written notice of the circumstances of the seizure in respect of which the decision is requested.

 

(2) Le demandeur dispose de trente jours à compter de la signification de l’avis pour produire tous moyens de preuve à l’appui de ses prétentions.

 

(2) The person on whom a notice is served under subsection (1) may, within 30 days after the notice is served, furnish any evidence in the matter that they desire to furnish.

 

 

[21]           Les paragraphes 27(1) et (3) prévoient que le ministre doit décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), motifs à l’appui :

27. (1) Dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent l’expiration du délai mentionné au paragraphe 26(2), le ministre décide s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1).

 

27. (1) Within 90 days after the expiry of the period referred to in subsection 26(2), the Minister shall decide whether subsection 12(1) was contravened.

 

(3) Le ministre signifie sans délai par écrit à la personne qui a fait la demande un avis de la décision, motifs à l’appui.

 

(3) The Minister shall, without delay after making a decision, serve on the person who requested it a written notice of the decision together with the reasons for it.

 

 

[22]           Les articles 28 et 29 prévoient que les sommes sont restituées si le ministre estime qu’il n’y a pas eu contravention au paragraphe 12(1), et qu’il y a confiscation des sommes ou pénalités et restitution s’il estime qu’il y a eu contravention à la disposition. L’article 30 prévoit qu’un appel peut être interjeté de cette décision devant la Cour.

 

[23]           L’article 32 de la Loi prévoit que toute personne qui revendique la propriété d’une somme saisie peut s’adresser à une cour supérieure provinciale ou territoriale afin de la recouvrer. L’article 33 prévoit que le requérant doit apporter la preuve qu’il est le propriétaire de la somme en cause :

32. (1) En cas de saisie-confiscation effectuée en vertu de la présente partie, toute personne, autre que le saisi, qui revendique sur les espèces ou effets un droit en qualité de propriétaire peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la saisie, requérir par avis écrit le tribunal de rendre l’ordonnance visée à l’article 33.

 

32. (1) If currency or monetary instruments have been seized as forfeit under this Part, any person, other than the person in whose possession the currency or monetary instruments were when seized, who claims an interest in the currency or monetary instruments as owner may, within 90 days after the seizure, apply by notice in writing to the court for an order under section 33.

 

(2) Le juge du tribunal saisi conformément au présent article fixe à une date postérieure d’au moins trente jours à celle de la requête l’audition de celle‑ci.

 

(2) A judge of the court to which an application is made under this section shall fix a day, not less than 30 days after the date of the filing of the application, for the hearing.

 

(3) Dans les quinze jours suivant la date ainsi fixée, le requérant signifie au président, ou à l’agent que celui‑ci désigne pour l’application du présent article, un avis de la requête et de l’audition.

 

(3) A person who makes an application under this section shall serve notice of the application and of the hearing on the President, or an officer designated by the President for the purpose of this section, not later than 15 days after a day is fixed under subsection (2) for the hearing of the application.

 

(4) Il suffit, pour que l’avis prévu au paragraphe (3) soit considéré comme signifié, qu’il soit envoyé en recommandé au président.

 

(4) The service of a notice under subsection (3) is sufficient if it is sent by registered mail addressed to the President.

 

(5) Au présent article et aux articles 33 et 34, « tribunal » s’entend :

 

(5) In this section and sections 33 and 34, “court” means

 

***

 

***

 

33. Après l’audition de la requête visée au paragraphe 32(1), le requérant est en droit d’obtenir une ordonnance disposant que la saisie ne porte pas atteinte à son droit et précisant la nature et l’étendue de celui‑ci au moment de la contravention si le tribunal constate qu’il remplit les conditions suivantes :

 

33. If, on the hearing of an application made under subsection 32(1), the court is satisfied

a) il a acquis son droit de bonne foi avant la contravention;

 

(a) that the applicant acquired the interest in good faith before the contravention in respect of which the seizure was made,

 

b) il est innocent de toute complicité relativement à la contravention qui a entraîné la saisie ou de toute collusion à l’égard de la contravention;

 

(b) that the applicant is innocent of any complicity in the contravention of subsection 12(1) that resulted in the seizure and of any collusion in relation to that contravention, and

 

c) il a pris des précautions suffisantes concernant toute personne admise à la possession des espèces ou effets saisis pour que ceux‑ci soient déclarés conformément au paragraphe 12(1).

 

(c) that the applicant exercised all reasonable care to ensure that any person permitted to obtain possession of the currency or monetary instruments seized would report them in accordance with subsection 12(1),

 

 

the applicant is entitled to an order declaring that their interest is not affected by the seizure and declaring the nature and extent of their interest at the time of the contravention.

 

 

[24]           La question ici est de savoir si le ministre avait le pouvoir d’exiger d’une personne présentant une demande en vertu de l’article 25 de la Loi la preuve qu’elle était la propriétaire légitime de la somme et, dans l’affirmative, de savoir si les exigences et agissements du ministre dans la présente affaire s’accordaient avec les impératifs de l’équité procédurale.

 

[25]           Dans les décisions Dokaj et Tourki, précitées, les juges Layden‑Stevenson et Harrington, de la Cour, analysent minutieusement plusieurs dispositions de la Loi en cause ici. Ils ont tous deux souligné que la Loi envisage plusieurs procédures distinctes et que ces procédures ne devraient pas chevaucher. La juge Layden‑Stevenson écrivait ce qui suit, au paragraphe 35 de la décision Dokaj :

Les décisions rendues par le ministre en application des articles 27 et 29 sont des décisions distinctes. L’une a trait à la contravention, tandis que l’autre porte sur la pénalité et la confiscation. L’article 27 énonce que le ministre doit décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), c’est‑à‑dire à l’obligation de déclarer les espèces ou effets. Le libellé est non équivoque et ne laisse aucun doute quant à sa signification. L’article 29 prévoit que, dans le cas où le ministre détermine que la personne a négligé de faire la déclaration requise, le ministre doit décider si le montant de la pénalité imposée par l’agent des douanes en application du paragraphe 18(2) était approprié, à savoir la confiscation entière des espèces ou une pénalité allant de 250 à 5 000 $. Le ministre peut confirmer la décision de l’agent des douanes eu égard à la pénalité ou ordonner la restitution d’une partie plus ou moins importante de celle‑ci.

 

 

[26]           Quant au juge Harrington, il s’exprimait ainsi, au paragraphe 34 de la décision Tourki :

La Loi envisage diverses actions judiciaires, quelques‑unes devant la Cour fédérale, d’autres devant le juge en chef ou les juges désignés par lui, certaines devant la Cour d’appel fédérale et d’autres encore devant des tribunaux administrés par les provinces. Rien n’a été fait pour limiter les instances à un tribunal en particulier. Force m’est de conclure que l’article 30 dit exactement ce qu’il veut dire. La présente action ne vise donc que la question de savoir si M. Tourki a oui ou non omis de faire sa déclaration aux douanes comme l’exige l’article 12.

 

[27]           Au paragraphe 40 de la décision Tourki, le juge Harrington donnait aussi quelques indications sur les règles de droit relatives à la confiscation :

Il y a lieu de faire remarquer qu’en adoptant la Loi, le Parlement a été beaucoup plus indulgent que les Parlements antérieurs ou que le Parlement du Royaume-Uni. Par le passé, si une Loi sur les douanes ou une Loi sur les taxes d’accise était violée, il y avait confiscation pure et simple. La confiscation, tout comme la saisie d’un bien maritime dans une action en matière d’amirauté ou de la détermination du statut d’une personne, est une action réelle. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu faute, complicité ou mens rea de la part du propriétaire du bien confisqué. La confiscation est un moyen de dissuader l’importation de biens interdits ou de biens dont les droits n’ont pas été payés qui est employé depuis des siècles. Par exemple, selon la Loi sur les douanes dont était saisie la Cour dans Croft c. Dunphy, [1933] A.C. 156 (CJCP), [1933] 1 D.L.R. 225, si des marchandises imposables ou des marchandises dont l’importation au Canada était interdite se trouvaient à bord d’un navire « rôdant dans les eaux territoriales du Canada [...] le navire [devait] être saisi et confisqué, avec tous ses apparaux, agrès, équipements, approvisionnements et sa cargaison ».

 

[28]           Si l’on considère donc l’article 25 de la Loi, il est évident qu’il offre à celui entre les mains de qui la somme a été saisie, ou à son propriétaire légitime, le droit de demander au ministre une décision indiquant s’il y a eu contravention à l’obligation de déclarer la somme, obligation prévue au paragraphe 12(1). L’effet de cette décision est la confiscation de la somme, ou sa restitution. Cette disposition ne dit pas à qui la somme doit être restituée. Les articles 32 et 33 sont des procédures tout à fait distinctes offrant à celui qui revendique la propriété de la somme un recours direct pour en obtenir la restitution.

 

[29]           L’article 25 n’oblige pas le ministre à se demander si celui qui demande une décision est véritablement un « propriétaire légitime ». Aucune disposition ne concerne la preuve à produire pour étayer une revendication de « propriété légitime ». Il n’est pas donné à entendre dans cette disposition, ni aucune autre disposition de la Loi, que, en répondant à une telle demande, le ministre s’est de quelque manière prononcé sur la propriété légitime ou qu’il a acquiescé à une revendication de propriété légitime.

 

[30]           Il n’était pas fautif pour le ministre d’obliger la demanderesse ou son avocat à fournir une preuve attestant qu’elle était la « propriétaire légitime », par exemple un affidavit, voire une simple déclaration signée en ce sens. Toutefois, à ce stade, il était tout à fait déraisonnable pour le ministre de vouloir entreprendre une enquête en la matière. Il était encore plus fautif, et contraire à toute notion d’équité procédurale, pour les représentants du ministre de requérir d’autres preuves, jamais exigées auparavant, dans la lettre même où ils affirmaient que, à défaut de telles preuves, le dossier était clos. C’était là une position tyrannique à l’extrême. Encore une fois, au stade de l’article 25, le ministre devrait tout au plus se satisfaire d’une simple déclaration signée ou d’un affidavit indiquant que son auteur est le propriétaire légitime.

 

[31]           Les articles 25 et 27 obligent simplement le ministre, à la demande de quiconque prétend être le propriétaire légitime, à accomplir une chose, c’est‑à‑dire à décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1). Il y a clairement obligation pour lui d’agir, c’est une obligation publique précise, aucun pouvoir discrétionnaire n’est conféré, et la preuve montre ici qu’il y a eu clairement réclamation, suivie d’un refus. Les conditions de la délivrance d’un mandamus sont réunies.

 

[32]           L’article 29 est une autre affaire, et il n’est pas en cause dans la présente instance. Cette disposition confère un pouvoir discrétionnaire au ministre : le ministre décide de ce qu’il convient de faire avec la somme saisie. La disposition ne dit pas à qui la somme sera restituée, si elle l’est. Sans préjuger la question, je crois qu’il serait légitime pour le ministre d’obtenir des éléments de nature à prouver, du moins selon la norme de preuve applicable en matière civile, la propriété de la somme. Mais l’article 29 n’est pas en cause ici, uniquement l’article 25. L’article 25 ne confère aucun pouvoir discrétionnaire. Un bref de mandamus sera délivré obligeant le ministre à agir conformément aux articles 26 et 27.

 

[33]           La demanderesse a droit à ses dépens, qui seront taxés selon la partie médiane de la colonne III.

 

 


JUGEMENT

VU LA DEMANDE présentée à la Cour le mardi 13 juin 2006 pour que soit rendue une ordonnance de mandamus forçant le défendeur à rendre une décision en application des articles 25, 26 et 27 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17, conformément à une demande présentée au nom de la demanderesse par lettre en date du 11 juillet 2005;

 

APRÈS examen des dossiers produits et audition des avocats des parties;

 

ET POUR les motifs accompagnant le présent jugement;

 

LA COUR ORDONNE :

1.   Un mandamus est ici délivré, forçant le défendeur, y compris tel autre ministre que pourra indiquer l’avocat du défendeur, à rendre une décision conformément à la demande susmentionnée;

 

2.   Les dépens sont adjugés à la demanderesse, pour être taxés selon la partie médiane de la colonne III.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                          T‑1956‑05

 

 

INTITULÉ :                                                         THANH THI NHU PHAM

                                                                              c.

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL (CANADA)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 LE 13 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 14 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Tress                                                           POUR LA DEMANDERESSE

 

Richard Casanova                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Steven Tress                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Toronto

 

John H. Sims, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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