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Date : 20050909

Dossier : T-2277-03

Référence : 2005 CF 1217

ENTRE :

L'ASSOCIATION CANADIENNE DES RADIODIFFUSEURS (l'association demanderesse), GROUPE TVA INC., CTV TELEVISION INC., THE SPORTS NETWORK INC., 2953285 CANADA INC. (faisant affaire sous la raison sociale Discovery Channel Canada), LE RÉSEAU DES SPORTS (RDS) INC., THE COMEDY NETWORK INC., 1163031 ONTARIO INC. (faisant affaire sous la raison sociale Outdoor Life Network), GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED, RÉSEAU DE TÉLÉVISION GLOBAL QUÉBEC LIMITÉE, SOCIÉTÉ EN COMMANDITE, PRIME TV, GENERAL PARTNERSHIP, CHUM LIMITÉE, CHUM (OTTAWA) INC., CHUM TELEVISION VANCOUVER INC. et PULSE 24 GENERAL PARTNERSHIP (les sociétés demanderesses)

demanderesses

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

Dossier : T-276-04

ENTRE :

VIDÉOTRON LTÉE, VIDÉOTRON (RÉGIONAL) LTÉE et CF CÂBLE TV INC.

demanderesses

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HUGESSEN

[1]               La présente requête vise à trancher deux questions de droit. Ces questions qui ont été énoncées dans l'ordonnance de la Cour datée du 6 mai 2005 sont les suivantes :

[traduction]

a)          La partie II du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion, DORS/97-144, est-elle ultra vires de l'article 11 de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, et ses modifications, si les droits imposés sous son régime sont considérés être une taxe?

b)          L'article 11 de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, et ses modifications, constitue-t-il une délégation inefficace du pouvoir de taxation du Parlement si les droits imposés sous son régime sont considérés être une taxe?



[2]               L'article 11 de la Loi sur la radiodiffusion est rédigé comme suit :

11. (1) Le Conseil peut, par règlement :

a) avec l'approbation du Conseil du Trésor, fixer les tarifs des droits à acquitter par les titulaires de licences de toute catégorie;

b) à cette fin, établir des catégories de titulaires de licences;

c) prévoir le paiement des droits à acquitter par les titulaires de licences, y compris les modalités de celui-ci;

d) régir le paiement d'intérêt en cas de paiement tardif des droits;

e) prendre toute autre mesure d'application du présent article qu'il estime nécessaire.

(2) Les règlements d'application de l'alinéa (1)a) peuvent prévoir le calcul des droits en fonction de certains critères que le Conseil juge indiqués notamment :

a) les revenus des titulaires de licences;

b) la réalisation par ceux-ci des objectifs fixés par le Conseil, y compris ceux qui concernent la radiodiffusion d'émissions canadiennes;

c) la clientèle desservie par ces titulaires.



[3]               L'article 11 du Règlement, qui définit les droits de licence de la partie II, est rédigé comme suit :

11. Les droits de licence de la partie II sont des droits de licence annuels, calculés en fonction des recettes désignées du titulaire pour l'année de rapport qui s'est terminée au cours de l'année civile courante, ou pour la partie de l'année de rapport au cours de laquelle le titulaire a détenu la licence d'exploitation de l'entreprise, et correspondent à :

a) dans le cas d'une entreprise de distribution ou d'une entreprise de télévision, 1,365 pour cent de l'excédent des recettes désignées sur la franchise applicable;

b) dans le cas d'une entreprise de radio :

(i)       sous réserve du sous-alinéa (ii), 1,365 pour cent de l'excédent des recettes désignées sur la franchise applicable,

(ii)     dans le cas d'une entreprise de radio conjointe, 1,365 pour cent de l'excédent des recettes désignées combinées sur la franchise applicable.

[4]               Les demanderesses, par la présente action, contestent la validité de ces redevances. Elles allèguent, pour tout dire, qu'il ne s'agit pas du tout de « droits » parce qu'il n'existe aucun lien nécessaire avec le prix ou la valeur de ce que le titulaire de licence retire du privilège de détenir une licence. Au contraire, il s'agit en réalité d'une « taxe » ayant comme but unique ou principal de permettre la perception de revenus. En défense, la Couronne plaide principalement que ces charges sont bel et bien des droits et non des taxes, mais aussi que, à supposer qu'il s'agisse de taxes, leur prélèvement est autorisé par la loi et que celle-ci ne constitue pas une délégation irrégulière du pouvoir de taxation du Parlement. Par conséquent, bien que les deux questions énoncées dans l'ordonnance de la Cour ci-dessus soient conditionnelles dans leur forme ( « si les droits imposés sous son régime sont considérés être une taxe » ), elles ne sont en aucune façon hypothétiques et elles se rapportent à un litige très réel défini dans les actes de procédures. Elles laissent présumer que les redevances constituent une taxe et une réponse négative aura pour effet d'écarter totalement ou presque totalement la réclamation des demanderesses. Inversement, une réponse affirmative aura pour effet d'anéantir une partie importante de la défense en droit de la Couronne.

[5]               La différence entre une taxe et un droit n'est pas strictement sémantique ou théorique en droit canadien. Il en a été discuté dans le contexte d'une décision concernant la validité des frais d'homologation imposés par une province, en l'occurrence Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565, aux paragraphes 15, 21 et 22 :

15. Notre Cour s'est penchée sur la question de savoir si une somme donnée constitue une taxe ou des frais dans l'arrêt Lawson, précité. Le juge Duff a conclu, au nom de la majorité, que la somme en question était une taxe parce qu'elle était : (1) exigée par la loi, (2) imposée sous l'autorité de la législature, (3) perçue par un organisme public, (4) pour une fin d'intérêt public.

[...]

21. Il est un autre facteur qui permet généralement de distinguer des frais d'une taxe : il doit y avoir un rapport entre la somme exigée et le coût du service fourni pour que cette somme soit considérée valide au regard de la Constitution : voir l'ouvrage de G. V. La Forest, The Allocation of Taxing Power Under the Canadian Constitution (2e éd. 1981), à la p. 72. Ce rapport a également été jugé pertinent pour déterminer la nature de la redevance municipale dans Allard Contractors, précité. Dans cette affaire, la Cour a examiné la question de savoir si une taxe indirecte levée par une province avait été validement établie en tant que mesure accessoire d'un champ de compétence provinciale. Examinant le rapport entre la somme perçue et le service visé, le juge Iacobucci a dit ceci (aux pp. 411 et 412) :

Un excédent en soi n'est pas un problème tant que les municipalités ont raisonnablement tenté de faire en sorte que les recettes provenant des droits correspondent aux frais administratifs du régime de réglementation [...]

22. Lorsqu'ils sont appelés à statuer sur l'existence de ce rapport, les tribunaux n'exigent pas que la somme demandée corresponde précisément au coût du service fourni. Dans la mesure où il existe un rapport raisonnable entre le coût du service fourni et la somme exigée, cela suffit. La preuve produite dans le présent pourvoi ne révèle aucune corrélation entre la somme exigée pour la délivrance des lettres d'homologation et le coût de la prestation de ce service. Il ressort clairement de l'exposé conjoint des faits que les procédures suivies pour la délivrance de lettres d'homologation ne varient pas en fonction de la valeur de la succession. Même si le coût de délivrance des lettres d'homologation n'a aucun rapport avec la valeur de la succession, la somme exigée varie directement en fonction de cette valeur. Il en résulte donc une absence de rapport entre le coût du service et la somme exigée pour celui-ci, ce qui indique que cette somme constitue une taxe et non des frais.

[6]               Je conviens bien entendu que le principe applicable en matière d'interprétation législative est la règle du contexte global (Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Toronto : Butterworths, 2002)) :

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou une seule méthode : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[7]               Le sens ordinaire et grammatical des dispositions législatives et réglementaires en question en l'espèce révèle qu'il s'agit d'un pouvoir d'exiger des « droits » et du prélèvement de ceux-ci. Il n'apparaît aucunement évident qu'il s'agit là en réalité, même en prenant les termes dans leur contexte global, d'un pouvoir d'imposer une taxe et du prélèvement de celle-ci auprès des titulaires de licence. Le pouvoir expressément conféré pour permettre que ces droits soient établis en fonction des revenus du titulaire de licence ne laisse pas non plus sous-entendre l'intention qu'ils doivent être exigés pour augmenter les recettes générales du gouvernement plutôt que pour couvrir le coût des services ou du régime de réglementation dans son ensemble. En réalité, à la lumière des dispositions de l'alinéa 11(2)b) de la Loi précitée, il serait inhabituel, quoique non impossible, il faut le reconnaître, de trouver un régime de taxation où le taux serait calculé par référence au rendement du contribuable dans l'atteinte des objectifs établis par un régime de réglementation.

[8]               Il est clairement établi dans la jurisprudence (voir Succession Eurig, précité) que les notions de « frais » et de « taxe » sont logiquement et juridiquement distinctes : des frais ne peuvent pas être une taxe et une taxe ne peut pas être des frais. Dans l'arrêt Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134, la Cour a défini les deux termes. Une taxe est un prélèvement pour percevoir des revenus à des fins générales, tandis que les frais sont un prélèvement pour recevoir paiement pour des services directement rendus. La Cour a également laissé entendre qu'il existait une troisième catégorie qu'elle a définie comme un prélèvement pour financer ou créer un régime de réglementation, à savoir celle qui est une redevance de nature réglementaire ou qui est accessoire ou rattachée à un régime de réglementation.

[9]               Dans la présente affaire, je suis d'avis que les deux questions doivent recevoir une réponse affirmative. S'il est présumé que les « droits » sont des taxes, comme cela doit être le cas pour les questions, ils ne peuvent pas être des frais ou des redevances de nature réglementaire. Je n'ai pas à décider s'ils appartiennent à l'une ou l'autre de ces catégories ni, dans l'affirmative, à laquelle. Je n'ai pas non plus à décider si les frais et les redevances de nature réglementaire s'excluent mutuellement (bien que je sois enclin à penser que ce ne soit pas le cas). Il est suffisant de maintenir, comme je le fais, que la notion de taxe n'intègre pas ces deux notions.

[10]           En ce qui a trait à la première question, si les droits prévus à la partie II du Règlement sont considérés être une taxe, alors les « droits » de la partie II, en tant que taxes, sont ultra vires de l'article 11 de la Loi sur la radiodiffusion. La Loi prévoit expressément l'imposition de droits et non de taxes et, par conséquent, dans la mesure où les « droits » de la partie II sont des taxes, ces « droits » sont ultra vires de l'article 11 de la Loi.

[11]           À la lumière de cette conclusion, il n'est strictement pas nécessaire de répondre à la seconde question car, si le pouvoir délégué ne comprend pas le pouvoir de taxer, les exigences relatives à la validité de la délégation d'un pouvoir de taxation ne sont pas pertinentes. Toutefois, comme cette question a été entièrement débattue, j'estime opportun de faire part de mon opinion brièvement.

[12]           Il est clairement établi dans la jurisprudence (notamment Succession Eurig, précité et Ontario English Catholic Teachers' Association c. Ontario (Procureur général), [2001] 1 R.C.S. 470) que toute délégation par la législature élue de son pouvoir de taxation doit être claire, spécifique et explicite. Même si, dans une interprétation forcée, il était décidé que le règlement était intra vires de la loi, il me semble indubitablement que le pouvoir conféré au Conseil serait loin de satisfaire à ces critères.

[13]           Par conséquent, les deux questions recevront une réponse affirmative qui sera définitive aux fins de l'action (paragraphe 220(3) des Règles).

[14]           Les demanderesses ont chacune droit à leurs dépens pour les deux étapes de la requête. J'ai déjà adjugé à la Couronne les dépens afférents aux appels infructueux des demanderesses relativement à l'ordonnance énonçant les questions.

ORDONNANCE

Les questions énoncées dans l'ordonnance du 6 mai 2005 reçoivent une réponse affirmative.

            Les demanderesses ont chacune droit à leurs dépens à être taxés.

                                                                                                « James K. Hugessen »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 9 septembre 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              T-2277-03

INTITULÉ :                                                             ASSOCIATION CANADIENNE DES RADIODIFFUSEURS et al.

                                                                                 c.

                                                                                 SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                

                                                                                 ET

                                                                                 T-276-04

                     VIDÉOTRON LTÉE et al.

                     c.

                     SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                       OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 1ER SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                             LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :                                            LE 9 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Barbara A. McIsaac, c.r.                                            POUR LES DEMANDERESSES

Howard Fohr                                                             (ASSOCIATION CANADIENNE DES RADIODIFFUSEURS et al.,
DOSSIER T-2277-03)

Daniel Urbas                                                             POUR LES DEMANDERESSES
Carl J. Souquet                                                           (VIDÉOTRON LTÉE et al.,
                                                                                 DOSSIER T-276-04)


F.B. (Rick) Woyiwada                                               POUR LA DÉFENDERESSE

R. Jeff Anderson                                                         (DOSSIER T-2277-03)


Francisco Couto                                                         POUR LA DÉFENDERESSE
(DOSSIER T-276-04)



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault                                                      POUR LES DEMANDERESSES

Ottawa (Ontario)                                                        (ASSOCIATION CANADIENNE DES RADIODIFFUSEURS et al.,
DOSSIER T-2277-03)

Borden Ladner Gervais srl/LLP                                  POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)                                                     VIDÉOTRON LTÉE et al.,
                                                                                 DOSSIER T-276-04)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada                             DOSSIER T-2277-03

Ottawa (Ontario)                                                       

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada                             DOSSIER T-276-04

Montréal (Québec)                                                   
                                                                                

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