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Date : 20000915


Dossier : IMM-4086-99



OTTAWA (Ontario), le vendredi 15 septembre 2000

EN PRÉSENCE DE Mme LE JUGE B. REED


ENTRE :


     NATHAN MURRAY


     demandeur


     et



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


     défendeur




     ORDONNANCE


     VU la demande de contrôle judiciaire entendue à Toronto (Ontario), le jeudi 20 juillet 2000;

     ET pour les motifs de l'ordonnance délivrés ce jour.


     LA COUR ORDONNE QUE :

     La demande est rejetée.



B. Reed

Juge


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.





Date : 20000915


Dossier : IMM-4086-99



ENTRE :


     NATHAN MURRAY


     demandeur


     et



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Il s'agit en l'instance d'une de ces affaires troublantes où une personne qui est au Canada depuis sa tendre enfance (l'âge de trois ans) fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion parce qu'elle a été trouvée coupable de la commission d'actes criminels. Le droit canadien ne fait aucune distinction entre ce genre de situation et celle où un immigrant arrive au Canada alors qu'il est un adulte, ou presqu'un adulte, et qu'il se livre à des activités criminelles. Le droit canadien ne reconnaît pas le fait que si une société donnée a joué un rôle dans l'évolution du comportement du demandeur, c'est celle du Canada et non celle du pays où il est né. Il ne reconnaît pas non plus que dans la mesure où il y a une possibilité de modifier le comportement du demandeur, la chose est plus vraisemblable dans le pays où il a l'appui de sa famille que dans celui avec lequel il n'a jamais eu de lien réel.

[2]      La décision soumise au contrôle a été prise par la Section d'appel de l'immigration (SAI). Cette dernière a refusé d'exercer sa compétence en équité de surseoir au renvoi du demandeur, en vertu de l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration. Cet article donne compétence à la SAI de surseoir aux renvois lorsqu'elle est convaincue « qu'eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada » .

[3]      Le demandeur soutient que la décision de la SAI a été prise sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Il soutient que la SAI a commis une erreur en concluant que : 1) les délits commis par le demandeur étaient de plus en plus graves; 2) le demandeur ne comprenait pas pourquoi il avait une conduite criminelle; 3) le demandeur avait un problème sérieux d'abus d'alcool.

[4]      Le demandeur soutient que ses infractions ne peuvent être décrites comme étant de plus en plus graves, étant donné que les plus récentes, celles de 1997, qui portent sur la possession de biens volés dont la valeur dépasse 5 000 $ (une jeep Cherokee) et sur le port d'une arme dissimulée (un pistolet à air comprimé), n'ont été sanctionnées que de périodes d'emprisonnement de neuf mois pour chaque acte d'accusation, à purger concurremment, alors que les infractions qu'il avait commises en 1993, soit l'entrée par effraction dans le but de voler un bien, la possession d'un bien obtenu dans la commission d'un crime, et la possession d'outils servant à l'entrée par effraction, ont mené à des condamnations de deux ans moins un jour, à purger concurremment avec des condamnations de huit mois et de deux mois.

[5]      Je ne peux conclure que la SAI n'a pas tenu compte de la longueur des diverses condamnations ou qu'elle a commis une erreur en déclarant que les infractions de 1997 étaient les plus graves. La SAI a conclu que les infractions de 1997 étaient graves puisqu'elles impliquaient le vol d'un véhicule, une poursuite à haute vitesse après que le véhicule eut été détecté par un radar, ainsi que le port par le demandeur de ce qui semblait être une arme de poing semi-automatique (une réplique de pistolet à air comprimé semi-automatique). Le demandeur a soit tiré l'arme en question ou il l'a échappée lorsqu'il était poursuivi par les policiers.

[6]      Il est clair qu'en décrivant les infractions de 1997 comme les plus graves, la SAI a tenu compte du danger potentiel pour les passants qui trouvait sa source dans le comportement du demandeur. La SAI a tenu compte de la longueur des condamnations que le demandeur avait reçues à d'autres occasions. Elle y renvoie spécifiquement :

         [traduction]

             Le tribunal fait aussi remarquer que le demandeur a commis ses crimes les plus récents et les plus graves (voir les condamnations du 13 novembre 1997), bien qu'il avait déjà été emprisonné plusieurs fois, la plus longue de ces périodes d'emprisonnement étant l'agrégat des condamnations des 18 décembre 1990 et 19 juin 1992, purgées consécutivement, ainsi que l'agrégat des condamnations des 3 septembre et 17 décembre 1993, aussi purgées consécutivement.

[7]      La longueur de la période d'emprisonnement imposée n'est pas le seul critère permettant d'évaluer la gravité d'un crime. Je ne peux conclure que le fait de déclarer que les infractions de 1997 étaient les plus sérieuses était une erreur, non plus que la déclaration portant que les délits étaient de plus en plus graves.

[8]      Quant au commentaire de la SAI au sujet du manque de compréhension du demandeur, l'avocat du demandeur déclare que ce dernier a longuement témoigné quant aux causes qui l'ont mené à commettre les crimes : dans sa jeunesse, il a subi un traumatisme par suite de la séparation de ses parents et du fait qu'il se tenait avec des gens peu recommandables; plus tard, il se préoccupait peu de ce qui arrivait dans sa vie et il continuait à se tenir avec des gens peu recommandables, en même temps qu'il utilisait de la marijuana et du haschich. Il a témoigné que les infractions commises en 1997 l'avaient été avec quelqu'un avec qui il avait déjà eu des problèmes, et qu'il était déprimé parce qu'il s'était séparé récemment de sa petite amie.

[9]      Le commentaire de la SAI au sujet du manque de compréhension du demandeur doit être replacé dans son contexte. Ce commentaire est rédigé comme suit :

     [traduction]

     ... malgré qu'il ait assumé la responsabilité de ses crimes en plaidant coupable, le demandeur ne comprend pas ce qui le motive à les commettre, ce qui lui permettait de ne pas récidiver. [les italiques sont de moi]

[10]      La SAI explique cette déclaration comme suit :

     [traduction]

         À ce sujet, le demandeur a témoigné qu'étant jeune il était devenu accro à l'inhalation de colle. Toutefois, étant donné son témoignage qu'il avait cessé d'inhaler de la colle approximativement vers l'âge de 18 ans, cette toxicomanie n'explique pas les infractions criminelles qu'il a commises en tant qu'adulte, même si on y trouve la base d'autres toxicomanies à venir, qui sont discutées plus loin.
         Le demandeur a aussi témoigné avoir pris du LSD une fois, pratique qui n'a pas eu de suite. Le demandeur a témoigné qu'il utilisait du haschich, de l'huile de haschich et de la marijuana depuis l'âge de 14 ans, mais qu'à l'âge de 19 ans il avait constaté que l'utilisation qu'il en faisait lui causait des problèmes et qu'il a donc arrêté vers l'âge de 21 ou 22 ans, c'est-à-dire à peu près en 1993 ou 1994. Par conséquent, il a mis sept ou huit ans à constater que l'utilisation qu'il faisait des stupéfiants lui causait des problèmes et encore deux ou trois autres années pour arrêter d'en consommer. Pendant tout ce temps, il commettait d'autres crimes.
         Le fait que le demandeur a pris conscience des conséquences de son abus des stupéfiants ne l'a pas amené à réaliser qu'il ne pouvait pas non plus se livrer à l'abus d'alcool, comme il le faisait depuis 1989.

[11]      La SAI n'a pas refusé de tenir compte de la preuve dont elle disposait. Elle n'a pas non plus mal interprété la preuve. Elle n'a pas déclaré que le demandeur n'avait aucune compréhension, mais bien qu'il n'avait pas la forme de compréhension qui l'amènerait à changer son comportement. Je ne peux conclure que la SAI a commis une erreur sur ce point.

[12]      Le demandeur soutient que la preuve n'appuie pas la conclusion de la SAI portant qu'il avait un problème sérieux d'abus d'alcool. L'avocat soutient que : on ne trouve aucune condition dans les ordonnances de probation qui porterait que le demandeur doit s'abstenir de boire de l'alcool; la majorité des infractions commises par le demandeur ne mettaient pas en cause l'alcool; l'alcool n'était pas directement en cause dans les infractions de 1997; peu de temps avant l'audience de la SAI, le demandeur s'est inscrit à un programme d'aide aux toxicomanes qui vise les personnes souffrant d'une « toxicomanie peu grave ou modérée » .

[13]      Le témoignage du demandeur devant la SAI portait qu'il se « soûlait » les fins de semaine depuis 1989. Les infractions du 17 décembre 1993 ont été commises lorsque le demandeur est entré par effraction dans une maison du voisinage vers deux ou trois heures du matin, dans le but de voler de l'alcool. Le demandeur a témoigné que lorsqu'il était emprisonné suite aux condamnations pour les événements du 17 décembre 1993, son problème d'alcool avait été traité par une thérapie de groupe « très intensive » et une prise de conscience aux problèmes des drogues. Il a aussi été condamné en août 1997 pour avoir troublé la paix, alors qu'il a causé du tapage à l'occasion d'une bagarre à sa sortie d'un bar. Bien que la preuve n'indique pas qu'il aurait été en état d'ivresse lorsqu'il a volé la jeep en 1997, ou lorsque la poursuite à haute vitesse a eu lieu quatre jours plus tard, il avait utilisé la jeep pour se rendre avec un ami dans un terrain vague et y pratiquer le tir au pistolet à air comprimé une fin de semaine et, à cette occasion, il avait absorbé de l'alcool.

[14]      La SAI a fait état de l'inscription récente du demandeur à un programme de counselling pour toxicomanes et du fait qu'il avait refusé dans le passé de s'inscrire aux Alcooliques anonymes. Je veux faire remarquer que la description du programme auquel il s'est inscrit volontairement comme portant sur les toxicomanies peu graves ou modérées est le fait des organisateurs de ce programme et qu'elle ne représente pas un jugement quant à savoir si le demandeur tombe ou non dans cette catégorie.

[15]      La conclusion de la SAI qui porte que le demandeur a un sérieux problème d'alcool est fondée en grande partie sur le témoignage du demandeur lui-même, surtout sur son témoignage au sujet des efforts qu'il a faits juste avant l'audience pour réduire sa consommation d'alcool :

     [traduction]

             . . .
         Le programme d'orientation aux toxicomanies qu'a suivi le demandeur consistait en un groupe de traitement qui s'est réuni en quatre séances pour un total de sept heures. Le programme d'appui au changement consistait en quatre séances. Le demandeur avait déjà suivi en 1994 ce qu'il a décrit comme un programme de counselling très intensif, mais il a commis de nouvelles infractions par la suite. De plus, la preuve démontre que l'abus d'alcool du demandeur est grave si l'on considère le but qu'il s'est donné par suite de ce programme de counselling, savoir, comme il l'a témoigné, ne pas boire plus que six verres de boisson alcoolisée (il semble que le demandeur préfère la bière) dans une journée donnée, et pas plus qu'une fois par semaine. Le demandeur a témoigné qu'il ne trouvait pas que six verres de boisson alcoolisée représentaient une grande quantité, puisqu'il les absorbe sur une période de cinq à six heures. De l'avis du tribunal, une telle consommation est excessive si l'on tient compte du contexte et du fait que le demandeur a un historique chargé de crime et d'abus d'alcool. De plus, même si selon son propre témoignage le demandeur a décidé, à peu près trois ou quatre semaines avant l'audience, de s'abstenir de l'alcool, il n'a pu atteindre cet objectif, ayant consommé à « une ou deux occasions » depuis. Il a témoigné qu'une de ces occasions s'est produite à peu près deux semaines avant l'audience, lorsqu'il a pris une ou deux bières alors qu'il travaillait dans le jardin avec le conjoint de fait de sa mère. Avant cela, à peu près deux ou trois semaines avant l'audience, il avait consommé six verres de boisson alcoolisée dans un bar alors qu'il regardait une partie de hockey avec son beau-frère. Avant cela, et alors que l'année scolaire battait son plein, il sortait tous les vendredis soir pour boire avec ses amis. ... On doit aussi souligner que le demandeur a témoigné qu'il ne sait pas exactement quel objectif il devrait se fixer, savoir l'abstention ou le fait de boire de façon modérée en société. [les italiques sont de moi]


[16]      L'avocat soutient que la question de l'alcool n'est pas pertinente puisque rien dans la preuve n'indique que ce soit la cause première des condamnations criminelles et que, de toute façon, la preuve n'appuie pas une conclusion portant que le demandeur avait un sérieux problème d'alcool.

[17]      Au vu de la preuve qui était soumise à la SAI, celle-ci pouvait tout à fait conclure que le problème du demandeur était sérieux. On ne peut dire que cette conclusion était « abusive ou arbitraire » , ou qu'elle a été tirée « sans tenir compte des éléments » soumis à la SAI. Or, c'est le critère qui est énoncé à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. La SAI n'a pas déclaré que la consommation d'alcool du demandeur était la cause première de ses condamnations criminelles. Il s'agit d'un aspect de son comportement dont on a tenu compte parmi d'autres. La SAI décrit plusieurs facteurs qu'elle a examinés en arrivant à sa conclusion. Elle a fait état du nombre de condamnations (quinze depuis que le demandeur est un adulte), de la gravité de la dernière infraction, des périodes de probation imposées au demandeur, du nombre de fois où il avait été emprisonné, du fait qu'il s'appuyait sur l'aide sociale et sur l'aide de sa mère, ainsi que de son historique de toxicomanie. La SAI a aussi fait état des circonstances qui auraient pu jouer à l'avantage du demandeur. Le facteur qui semble avoir joué un rôle significatif à l'encontre du demandeur, est le fait qu'il avait reçu un avertissement après ses condamnations de 1993, l'informant que la commission d'autres infractions pourrait mener à son expulsion. Malgré cet avertissement clair, il a commis les actes qui ont mené à ses condamnations en 1997.

[18]      Je ne peux conclure que la décision soumise au contrôle doit être annulée et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     B. Reed

                                         Juge




OTTAWA (ONTARIO)

Le 15 septembre 2000




Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              IMM-4086-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      NATHAN MURRAY et MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 20 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE Mme LE JUGE REED

EN DATE DU :              25 septembre 2000



ONT COMPARU



M. KORMAN                          POUR LE DEMANDEUR

M. ZORIC                              POUR LE DÉFENDEUR




AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

OTIS et KORMAN, TORONTO                  POUR LE DEMANDEUR


M. MORRIS ROSENBERG                      POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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