Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                Date : 20010514

                                                                                                                   Dossier : IMM-3882-00

                                                                                                  Référence neutre : 2001 CFPI 472

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2001

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE EDMOND P. BLANCHARD

ENTRE :

                                                            NARINDER SINGH

                                                                             

                                                                                                                         Partie demanderesse

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                           Partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Dans cette affaire, la Cour est appelée à décider, en vertu d'une demande de contrôle judiciaire tel que stipulé par l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7, telle qu'amendée, si la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après, la section du statut), rendue le 4 juillet 2000 par les membres Giovanna Allegra et Tony Manglaviti selon laquelle Narinder Singh, ci-après le demandeur, n'est pas un réfugié au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1], est bien fondée.

EXPOSÉ DES FAITS

[2]                Le demandeur, un citoyen de l'Inde, est un Sikh de l'État du Punjab et est âgé de 28 ans. Il soutient qu'il a une crainte fondée d'être persécuté s'il retournait en Inde en raison de ses opinions politiques ou d'opinions politiques qui lui sont imputées.

[3]                Le demandeur travaillait sur la ferme familiale.

[4]                Le demandeur soutient que le 29 mai 1995, ses frères Harinder et Jaswinder ont été arrêtés pour avoir sympathisé avec le mouvement d'indépendance sikh. Ils furent relâchés suite à l'intervention des autorités politiques du village et au paiement d'un pot-de-vin.


[5]                Le 16 décembre 1995 le demandeur prétend que des militants sikhs se sont présentés sur la ferme familiale et ont pris possession de son véhicule tout-terrain alors qu'il était à l'extérieur de la ville. Suite à cet incident, ses deux frères furent arrêtés. Ayant eu vent des arrestations, le demandeur n'est pas retourné chez lui.

[6]                Son frère Jaswinder a été relâché et a aussitôt quitté la région du Punjab pour s'installer d'abord à New Delhi et ensuite a été accepté au Canada, à titre de réfugié. En effet, il a été reconnu réfugié au sens de la Convention par la section du statut le 25 février 1997. Quant à son frère Harinder, il est décédé, suite des mauvais traitements des forces policières, lors de son incarcération.

[7]                Dans son Formulaire de Renseignement Personnel, le demandeur allègue que plus de trois semaines se sont écoulées avant son retour au domicile familial, et ses visites étaient limitées à des excursions nocturnes. Malgré ce fait, le 19 février 1996, les forces policières ont fait irruption au domicile en pleine nuit et ont arrêté le demandeur et son père, pour avoir collaboré avec des militants sikhs.

[8]                Le demandeur soutient qu'il a été emprisonné jusqu'en mai 1996, soit pendant près de 3 mois, et qu'il a été torturé, battu et menacé. Il prétend qu'il a été relâché sous condition de se présenter mensuellement aux autorités policières et que lors de sa troisième visite mensuelle au poste de police, il a été battu et on lui a demandé de fournir toutes les informations que son frère détenait sur les militants et le mouvement sikhs.


[9]                En somme, le demandeur allègue qu'il a été arrêté, détenu et battu en raison des activités politiques de membres de sa famille et, plus particulièrement, en raison du fait que les autorités considéraient que ses frères était des militants sikhs.

[10]            Préoccupé par sa sécurité personnelle, le demandeur a fui son village et est allé vivre avec son oncle à Bombay du mois de septembre 1996 au mois d'octobre 1998.

[11]            C'est pour l'ensemble de ces événements que le demandeur a quitté l'Inde le 3 avril 1999._ Il est arrivé au Canada le 4 avril 1999 et a demandé le statut de réfugié au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, le même jour.

LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT

[12]            La section du statut, sur la base de l'appréciation du témoignage du demandeur et de l'analyse du dossier, a conclu que le demandeur n'est pas un « réfugié au sens de la Convention » , selon les termes de l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration.

[13]            En effet, la section du statut a jugé que le témoignage du demandeur n'est pas plausible; que son témoignage n'est pas crédible et que son comportement ne démontre pas une crainte de persécution. En somme la section du statut en vint à la conclusion que le demandeur n'est pas un réfugié selon les motifs prévus à la Convention.


NORMES DE CONTRÔLE

[14]            En l'espèce, il s'agit d'un contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la section du statut. La Cour suprême du Canada a clairement établi que dans ce contexte la norme applicable, en ce qui a trait aux questions de droit, est celle de la décision correcte. Comme l'affirmait le juge Bastarache dans l'affaire Pushpanathan :

Je conclus que la norme de la décision correcte s'applique aux décisions rendues sur des points de droit par la Commission.[2]

[15]            De plus, il est important de souligner que la norme de contrôle en ce qui a trait à l'appréciation des faits demeure la norme manifestement déraisonnable. De fait, de nombreuses décisions ont réaffirmé que les commissaires sont dans la meilleure position pour évaluer les témoignages des demandeurs. Comme devait l'affirmer la Cour d'appel fédérale, sous la plume du juge Décary :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.[3]

                                                                                                                                                           

[16]            La conclusion logique qui se dégage de cet arrêt est que dans la mesure ou l'interprétation factuelle des commissaires reliée à l'alinéa 2(1) de la Loi sur l'immigration n'est pas manifestement déraisonnable, il n'est pas du rôle de cette Cour d'intervenir sur la base du contrôle judiciaire.


QUESTIONS EN LITIGE

[17]            Deux questions ont été soulevées par l'avocat du demandeur :

           1.         En se basant sur le comportement de l'agent persécuteur, tel qu'avancé par la partie demanderesse, est-ce que la Section du statut a erré en jugeant invraisemblable le témoignage du demandeur et du fait même minant sa crédibilité.

           2.         La section du statut a-t-elle tenu compte de l'ensemble de la preuve au dossier?

ANALYSE

[18]            Une analyse de la décision de la section du statut nous permet de constater que cette dernière n'a pas jugé plausible le témoignage du demandeur. Seule une interprétation factuelle manifestement déraisonnable du témoignage du demandeur, me permettrait de remettre en cause cette conclusion de non-plausibilité à l'égard du demandeur.

[19]            La crédibilité étant à la base d'un témoignage devant la Section du statut, cette Cour a , à maintes reprises, réitéré la position du Juge MacGuigan dans l'arrêt Sheikh[4] stipulant qu'une conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.


[20]            En ce qui a trait à la première question en litige, l'avocat du demandeur soutient que la section du statut a erré en s'attardant sur le "comportement de l'agent persécuteur" pour conclure que le témoignage du demandeur n'était pas plausible.

[21]            Une analyse de la décision de la section nous permet de constater que la section du statut analyse le comportement de l'agent persécuteur, mais confirme que le demandeur n'est pas imputable face au comportement de l'agent persécuteur :

In assessing the credibility of the claimant's story, the panel must analyze the behavior of the agents of persecution. Although the claimant is not accountable for their behavior, the behavior must be such to be found plausible.[5]

[22]            En somme, en procédant à une analyse contextuelle des propos susmentionnés de la section du statut, j'en viens à la conclusion, que ce n'est pas le comportement de l'agent persécuteur qui est à la base de la décision des commissaires, mais plutôt la crédibilité du témoignage et les faits invoqués pour soutenir le récit du demandeur.

[23]            La section du statut a analysé le témoignage du demandeur dans son contexte et a conclu que ce dernier n'était pas crédible. Il n'est pas de mon ressort de substituer mon appréciation des faits à celle de la section du statut. En analysant le dossier et les prétentions des parties, je suis convaincu que l'interprétation de la section du statut n'est pas manifestement déraisonnable.

[24]            La seconde question en litige soumise par l'avocat du demandeur repose sur le fait que la section du statut a, dans ses motifs, omis de considérer l'ensemble de la preuve.


[25]            Dans un premier temps, rappelons qu'il est bien établi que la section du statut a le pouvoir d'accorder plus de crédibilité à la preuve documentaire qu'au témoignage du demandeur[6] et qu'il faut également présumer, en l'absence d'une preuve claire et convaincante au contraire, que ce tribunal a considéré la totalité de la preuve[7].

[26]            Dans un second temps, la section du statut peut dans ses motifs peut se baser sur des critères tels la plausibilité, le bon sens et la raison. Comme l'a souligné le juge Prattte dans l'affaire Shahamati :

(...) [o]n ne nous a pas convaincu que la conclusion que la Commission a tiré au sujet de la crédibilité était abusive ou arbitraire. Contrairement à ce qu'on a parfois dit, la Commission a le droit, pour apprécier la crédibilité, de se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens.[8]

[27]            Enfin, en ce qui a trait à l'intervention de cette Cour sur la base du traitement de la preuve documentaire et de l'analyse de cette preuve par la section du statut, je conclus que les conclusions de la section du statut ne sont pas déraisonnables, comme devait le souligner le juge MacKay dans l'affaire Ariff :

Pour ce qui est de la crainte du requérant d'être persécuté par l'armée sri-lankaise, le tribunal a conclu que l'histoire du requérant sur ses démêlés avec l'armée sri-lankaise était invraisemblable, car si l'armée s'était inquiétée de l'appui éventuel du requérant au mouvement JVP, (...)ou, elle ne l'aurait sans doute pas remis en liberté, même en échange d'un pot-de-vin.


(...)

En examinant cette preuve d'après sa perception d'une conclusion raisonnable, le tribunal n'a pas été convaincu que le requérant serait persécuté par l'armée s'il devait retourner à Colombo. (...) La conclusion du tribunal ne semble pas déraisonnable au point de justifier l'intervention de la Cour, même si cette même preuve aurait peut-être mené la Cour à une conclusion différente[9].

[28]            L'appréciation de la preuve qu'a faite la section du statut quant à l'analyse des événements reliés au témoignage du demandeur est raisonnable. À cet égard, la décision m'apparaît solidement fondée en droit et s'appuie pertinemment sur la preuve documentaire à laquelle la section du statut se réfère.

[29]            Appliquant ces principes aux faits de l'espèce, je suis convaincu que l'interprétation factuelle de la section du statut n'est pas manifestement déraisonnable et, que l'analyse et l'utilisation de la preuve documentaire est raisonnable.

[30]            Pour l'ensemble de ces motifs, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[31]            Aucune question sérieuse m'a été soumise pour certification.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que:

1.         La demande de contrôle judiciaire, à l'encontre d'une décision de la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue le 4 juillet 2000 par les membres Giovanna Allegra et Tony Manglaviti selon laquelle Narinder Singh, citoyen de l'Inde, n'est pas un réfugié au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration est rejetée.

                                                                                                                        "Edmond P. Blanchard"                     

                                                                                                                                                     Juge              



[1]           

Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c. I-2.

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi. « réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (...).

Immigration Act, R.S.C. 1985, c. I-2

2. (1) In this Act, "Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, (...).

[2]               Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] 1 R.C.S. 982 au para. 50.

[3]               Aguebor c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1993] C.F. n ° . 732 au para. 4 (C.A.) en ligne : QL (JCF).

[4]               Sheikh c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1990] 3 C. F. 238 (C.A.F).

[5]               Dossier du demandeur, décision de la section du statut, à la page 9.

[6]            Zhou c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1994] A.C.F. n ° 1087

[7]               Hassan c. Canada (M.E.I.) (1992), 147 N.R. 317, à la page 318.

[8]               Shahamati c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1994] A.C.F. n ° 415 à la page 1.

[9]               Ariff c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1996] A.C.F. n ° 256 aux paragraphes 11 et 12.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.