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Date : 20190704


Dossier : T‑465‑19

Référence : 2019 CF 892

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le défendeur, le procureur général du Canada, qui agit au nom d’Emploi et Développement social Canada (EDSC), introduit une requête présentée par écrit visant le rejet sommaire de la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse, l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste la décision du défendeur concernant le droit à la rémunération rétroactive découlant d’un examen des descriptions de poste et de la classification appropriée de certains postes, ce qui est expliqué plus en détail ci‑dessous.

[2]  Le défendeur soutient que la demanderesse devrait poursuivre le grief qu’elle a déposé plutôt que de présenter une demande de contrôle judiciaire. Pour sa part, la demanderesse affirme que l’objet du différend ne peut pas être traité par voie de grief déposé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22 [la Loi] et qu’elle a seulement déposé un grief de principe pour se protéger contre l’expiration du délai.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente requête en radiation, car je ne suis pas convaincu que la demande de contrôle judiciaire soit [traduction« manifestement irréguli[ère] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] » (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c Pharmacia Inc., [1995] 1 CF 588 (CAF), à la p. 600 [David Bull Laboratories]).

II.  Contexte

[4]  En 2008, EDSC a entrepris un processus visant à réduire le nombre de descriptions de travail de ses employés chargés de la prestation de services. L’exercice a mené au dépôt d’environ 4 500 griefs liés à la description de la nature des postes et à la classification des nouvelles descriptions de travail. Pour régler ces griefs, la demanderesse et le défendeur ont conclu un protocole d’entente (PE) selon lequel on traiterait les griefs en regroupant des demandes similaires et en appliquant les résultats d’une affaire aux autres demandes similaires. Cependant, l’entente en question ne précisait pas le processus de règlement des différends relatifs à sa mise en œuvre.

[5]  Le PE comprenait la disposition suivante à la section 8 : « Le résultat du ou des griefs traités sera appliqué à tous les autres titulaires des descriptions d’emploi nationales applicables rétroactivement au septembre 2006 ». La demanderesse affirme que, en raison de cette disposition, elle n’a pas poursuivi ses efforts pour veiller à ce que tous les titulaires des divers postes déposent des griefs (en plus des 4 500 griefs qui avaient déjà été déposés). Il convient de souligner que, suivant le cours naturel des choses, durant la période écoulée depuis l’adoption initiale du PE, le groupe de bénéficiaires potentiels de la rémunération rétroactive n’était pas statique. En effet, pendant la période en question, de nombreux employés ont pu être nommés à des postes visés par le PE, et beaucoup d’autres ont pu quitter de tels postes pour accepter des affectations différentes. Le litige devant la Cour concerne un sous‑ensemble de ces employés.

[6]  Au terme de divers processus qu’il n’est pas nécessaire de décrire en détail ici, des décisions ont été prises concernant les changements à apporter aux nouvelles descriptions de travail et la classification appropriée des postes, ce qui a donné lieu à une augmentation salariale pour tous les employés exerçant les fonctions d’agent de service des programmes et à un droit à une rémunération rétroactive pour les titulaires actuels et anciens des postes en question, conformément à l’article 8 du PE.

[7]  En mettant en œuvre ces changements, le défendeur a décidé que les titulaires actuels auraient droit à la fois à l’augmentation salariale et à un paiement rétroactif (selon le moment où ils ont commencé à occuper le poste). Le défendeur a également étendu le droit à la rémunération rétroactive aux anciens titulaires qui avaient déposé un grief, mais les anciens titulaires qui n’avaient pas déposé de grief n’étaient pas visés par cette mesure.

[8]  La demanderesse se plaint que le défendeur a violé le PE en limitant ainsi le droit à la rémunération rétroactive. C’est le fondement de la demande de contrôle judiciaire déposée par la demanderesse le 15 mars 2019 et du grief de principe qu’elle a déposé le 29 mars 2019 en vertu de l’article 220 de la Loi.

[9]  Le défendeur a présenté une requête pour demander à la Cour de [traduction« rejeter » la demande de contrôle judiciaire. Étant donné que cette requête a été présentée avant le dépôt des affidavits et tout contre‑interrogatoire connexe, le dépôt du dossier de la demande des deux parties et les arguments sur le fond, il s’agit en fait d’une requête en radiation de la demande à l’étape interlocutoire.

III.  La question en litige

[10]  À ce stade‑ci, la seule question consiste à savoir s’il faut accueillir la requête en radiation.

IV.  Analyse

[11]  Le défendeur soutient que la demande de contrôle judiciaire concerne une [traduction« question liée à l’emploi » qui devrait faire l’objet d’un grief plutôt que d’un contrôle judiciaire. La demanderesse soutient que le régime législatif ne lui permet pas de déposer un grief relativement à une prétendue violation du PE et que les employés ne peuvent pas, individuellement, déposer un grief au sujet de la violation d’une entente à laquelle ils ne sont pas parties. Elle dit avoir déposé le grief de principe uniquement pour se protéger contre l’expiration des délais, et le grief précise expressément qu’il ne porte pas préjudice à la demande de contrôle judiciaire. La demanderesse soutient qu’il s’agit de l’une des [traduction« rares circonstances » où la Cour peut assumer une compétence en la matière.

[12]  La résolution de cette question suppose l’examen d’un certain nombre de principes différents.

[13]  Tout d’abord, le contexte législatif et la jurisprudence révèlent que les tribunaux ne devraient généralement pas intervenir dans les conflits de travail avant l’achèvement du processus exhaustif des relations de travail prévu dans la Loi. La juge McLachlin (plus tard juge en chef de la Cour suprême du Canada) a résumé le principe dans l’arrêt Weber c Ontario Hydro, [1995] 2 RCS 929 [Weber], au paragraphe 54 : « les litiges qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent aux tribunaux ». Cette approche a été appliquée aux différends qui surviennent dans les milieux de travail fédéraux régis par la Loi (voir, par exemple, Amos c Canada (Procureur général), 2011 CAF 38 [Amos]).

[14]  Les dispositions de la Loi renforcent une telle approche, y compris la clause privative rigoureuse de l’article 233 et le libellé de l’article 236, sous la rubrique « Absence de droit d’action » :

Différend lié à l’emploi

Disputes relating to employment

236 (1) Le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits — actions ou omissions — à l’origine du différend.

236 (1) The right of an employee to seek redress by way of grievance for any dispute relating to his or her terms or conditions of employment is in lieu of any right of action that the employee may have in relation to any act or omission giving rise to the dispute.

Application

Application

236 (2) Le paragraphe (1) s’applique que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage.

236 (2) Subsection (1) applies whether or not the employee avails himself or herself of the right to present a grievance in any particular case and whether or not the grievance could be referred to adjudication.

[15]  Le principe directeur a été énoncé relativement à la loi antérieure par le juge Binnie dans l’arrêt Vaughan c Canada, [2005] 1 RCS 146, au paragraphe 2 : « les tribunaux conservent une compétence résiduelle pour trancher les questions liées au secteur du travail […] je suis néanmoins d’avis qu’ils devraient généralement exercer leur pouvoir discrétionnaire pour refuser d’intervenir, sauf dans le cadre limité du contrôle judiciaire ». Pour être clair, la référence du juge Binnie au contrôle judiciaire renvoie au contrôle d’un décideur — par exemple, un arbitre — nommé pour entendre une affaire relevant des lois qui régissent les relations de travail. Ce principe est renforcé par le principe plus général en droit administratif selon lequel les parties peuvent généralement « s’adresser aux tribunaux [pour demander un contrôle judiciaire] qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui [leur] sont ouvertes en vertu du processus administratif » (Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 au para 30).

[16]  Tout ce qui précède milite en faveur de la position du défendeur. Le différend sous‑jacent concerne de toute évidence les conditions d’emploi, une question qui, autrement, relève de la convention collective conclue entre les parties et est régie par les politiques applicables de l’employeur, le Conseil du Trésor. De plus, un grief a déjà été déposé, et le processus prévu par la loi devrait suivre son cours avant l’intervention d’un tribunal. La question de savoir si la demanderesse peut déposer un grief en bonne et due forme ou si des employés précis peuvent déposer des griefs en raison de la violation présumée du PE devrait d’abord être tranchée au moyen de la procédure de règlement des griefs. Si l’une ou l’autre de ces décisions ne permet pas de régler l’affaire à la satisfaction de l’une ou l’autre des parties, il sera alors possible de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[17]  Cependant, il y a d’autres principes qui vont dans le sens contraire.

[18]  En vertu de l’article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F7, les demandes de contrôle judiciaire sont entendues et tranchées « à bref délai et selon une procédure sommaire ». La jurisprudence est cohérente quant à la conclusion selon laquelle il faut seulement présenter des requêtes interlocutoires relativement à des demandes de contrôle judiciaire dans les cas les plus manifestes.

[19]  Même si la Cour a compétence pour rejeter sommairement une demande de contrôle judiciaire, elle devrait seulement le faire lorsque la requête « est manifestement irréguli[ère] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] […] Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête » (David Bull Laboratories, à la p. 600). Le juge Strayer fait observer que les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, sont conçues pour veiller au traitement des demandes de contrôle judiciaire dans des délais stricts : « les requêtes en contrôle judiciaire doivent parvenir au stade de l’audition le plus rapidement possible » (David Bull Laboratories, à la p. 598).

[20]  Plus récemment, le juge Stratas a expliqué le principe dans l’arrêt Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250 [JP Morgan], au paragraphe 47 :

Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

[21]  Un principe connexe tient au fait que les requêtes interlocutoires ou les demandes de [TRADUCTION] « décision anticipée » avant l’audition d’une demande de contrôle judiciaire sur le fond sont de nature discrétionnaire. En outre, « la Cour n’exercera son pouvoir discrétionnaire de manière à rendre une décision préalable au sujet de l’admissibilité que lorsqu’elle estime que cette mesure est de toute évidence justifiée. Il est rare que notre Cour déroule le tapis rouge à l’intention de ceux qui tentent d’obtenir pareille décision interlocutoire » (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 11). Dans cet arrêt, le juge Stratas a conclu au paragraphe 12 que, au moment d’établir s’il convient d’exercer un tel pouvoir discrétionnaire, il faut notamment déterminer si une telle décision « facilitera et accélérera le bon déroulement de l’instance », si la question soulevée à l’étape préliminaire « porte sur des questions comportant des aspects discrétionnaires au sujet desquels des personnes peuvent raisonnablement diverger d’opinions plutôt que sur une question de droit claire » et, enfin, si la question « est relativement précise ou évidente ». Même si l’affaire en question portait sur une demande de décision anticipée relativement à une question d’admissibilité, les principes énoncés s’appliquent de façon plus générale dans le contexte des contrôles judiciaires.

[22]  Ce qui précède semble militer en faveur de l’autorisation du contrôle judiciaire afin de procéder à une audience dans le cadre de laquelle un juge sera en mesure d’examiner tous les éléments de preuve présentés à la lumière des observations des parties. À première vue, les fondements juridiques et factuels des arguments ne semblent pas trop complexes, et les parties ne devraient pas avoir à consacrer beaucoup de temps et de ressources à la préparation de l’audience.

[23]  Si on permet au contrôle judiciaire de suivre son cours, un juge pourrait décider qu’il faut rejeter la demande parce que la demanderesse aurait dû suivre le processus de grief, que la demande est devenue théorique (si, entre temps, le grief a été tranché) ou qu’il convient d’accueillir la demande de contrôle judiciaire. Quel que soit le résultat, l’affaire sera tranchée « à bref délai et selon une procédure sommaire », et la décision sera fondée sur un examen complet de la preuve, du droit et des observations des parties, plutôt qu’à la lumière d’une requête sommaire présentée par écrit et fondée sur un dossier très limité.

[24]  La décision relative à la présente requête porte sur l’application de ces principes aux faits de l’espèce.

[25]  Comme il a été mentionné précédemment, le défendeur affirme qu’il convient de rejeter la demande maintenant parce que la demanderesse devrait poursuivre la procédure de grief qu’elle a déjà entamée. Subsidiairement, il affirme que les employés qui sont déçus de la décision sur l’admissibilité aux paiements rétroactifs peuvent déposer des griefs et que la demanderesse peut soutenir ces employés dans le cadre d’un tel processus.

[26]  La demanderesse invoque le libellé des dispositions pertinentes de la Loi et fait valoir qu’aucune d’entre elles ne permet explicitement le dépôt d’un grief concernant le respect du PE. Elle fait valoir que le paragraphe 220(1) autorise les griefs de principe « portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention ou de la décision » et que l’article 215 permet le dépôt de griefs collectifs seulement sur les mêmes questions. De plus, les employés ne peuvent pas, individuellement, déposer des griefs au sujet du refus de paiements rétroactifs parce qu’ils ne sont pas parties au PE (voir Wray et al c Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2012 CRTFP 64 aux para 21 et 25; Cossette c Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2013 CRTFP 32).

[27]  Un certain nombre de considérations vont dans le sens de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire de radier la demande de contrôle judiciaire à cette étape préliminaire :

  • Le courant jurisprudentiel amorcé par l’arrêt Weber, qui signale que les tribunaux devraient généralement s’en remettre aux processus de règlement des différends des régimes exhaustifs des relations de travail plutôt que d’intervenir d’entrée de jeu. Cette doctrine a été renforcée par l’ajout à la Loi de l’article 236 (la clause « d’exclusion »). Plusieurs tribunaux ont souligné l’importance de l’ajout de cette disposition, qui témoigne de l’intention du législateur de faire du régime de relations de travail le moyen de régler l’ensemble des conflits de travail en première instance (voir Bron c Canada (Procureur général), (2010) 99 OR (3e) 749 [Bron], au para 20; Amos, aux para 57 et 61).

  • Le juge qui entend la demande de contrôle judiciaire ne bénéficiera pas de l’expertise des décideurs à l’égard du grief et il devra donc rendre une décision sur une question concernant un différend lié à l’emploi sans bénéficier d’une décision rendue au terme du traitement du grief. En fait, c’est précisément en raison du besoin de bien connaître le milieu de travail et de posséder une expertise continue en matière de relations de travail que le législateur a créé le régime en vertu de la Loi et l’a doublement protégé par des clauses privatives et des clauses « d’exclusion ». À cette étape, cette réalité milite en faveur de l’achèvement du processus de règlement des griefs plutôt que du contrôle judiciaire.

  • Le différend au cœur de la présente affaire découle de l’application par le défendeur du bulletin du Conseil du Trésor intitulé « Reclassification et nomination rétroactive » daté du 27 mai 2011 concernant le droit à la rémunération rétroactive en vertu du PE. Il ne s’agit pas essentiellement d’un différend qui porte uniquement sur le PE, mais plutôt sur l’interaction entre l’application du bulletin et les modalités du PE. Il n’est pas tout à fait clair à ce stade‑ci que le différend ne fait pas intervenir les modalités de la convention collective ou que la demanderesse ne peut pas poursuivre sa réclamation au moyen du grief de principe qu’elle a déjà déposé ou au moyen d’un grief collectif en vertu de l’article 215 de la Loi. De plus, il n’est pas clair si la directive est incorporée par renvoi dans le PE, directement ou indirectement.

  • De plus, il semble que les employés touchés par l’application du bulletin en question pourraient déposer un grief relativement à la décision en vertu du sous‑alinéa 208(1)a)(i), puisqu’elle semble porter sur : « une directive ou [un] autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi ». Dans l’arrêt Glowinski c Canada (Conseil du Trésor), (2006) ACF no 99, aux paragraphes 17 et 18, il a été conclu qu’un employé pouvait présenter un grief en vertu de la loi précédente lorsque le différend mettait en cause la politique de l’employeur et la convention collective.

  • Dans plusieurs affaires, il a été conclu que [traduction« [l]a plupart des conflits de travail peuvent faire l’objet d’un grief en vertu de l’article 208 de la LRTFP ou de l’article 91 de la [Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LRC 1985, c P‑35] » (Bron, au para 15; Van Duyvenbode c Canada (Procureur général), [2007] OJ no 2716 au para 9), ce qui laisse entendre que le décideur s’appuiera sur une interprétation large des droits relatifs aux griefs au moment de traiter le grief de la demanderesse.

[28]  En revanche, je dois aussi tenir compte des facteurs suivants :

  • Plus important encore, il n’est pas clair à cette étape préliminaire de l’instance que la demande est « manifestement irréguli[ère] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] » (Voir David Bull Laboratories), vu le différend entre les parties quant à savoir s’il est possible de déposer un grief au sujet de la violation alléguée des modalités du PE et en l’absence d’une autorité obligatoire qui traite de cette situation précise.

  • L’argument selon lequel l’affaire concerne l’interaction entre la directive du Conseil du Trésor et le PE et relève donc des modalités de la convention collective n’a pas été clairement présenté à la Cour dans les observations des parties, et cette question devrait être laissée au juge qui entendra le fond de la demande sur la foi d’un dossier de preuve complet et d’observations à ce sujet.

  • Même si le différend entre les parties au sujet des descriptions de travail et de la classification des postes dure depuis très longtemps, dans la présente affaire, la demande concerne une décision qui a été communiquée à la demanderesse le 22 février 2019 ou vers cette date. La demande de contrôle judiciaire de cette décision a été déposée le 15 mars 2019. Si le processus suit les délais habituels des contrôles judiciaires devant la Cour, une audience devrait être prévue dans les six mois suivant la date du dépôt. En outre, l’audience peut être accélérée, au besoin.

  • Le processus de préparation en vue de l’audience sur le fond de la demande ne semble pas, d’après les documents dont je dispose, particulièrement complexe, coûteux ou long, et ce facteur ne milite donc pas en faveur de l’annulation de la demande afin d’éviter un important gaspillage de temps et d’argent de la part des parties.

  • Pour rejeter la demande à cette étape, il faut conclure que la demanderesse peut déposer un grief relativement à la décision du défendeur sur la rémunération rétroactive en vertu du PE. Une telle décision serait prise à la lumière d’un dossier et d’observations très limités. Je conviens avec la demanderesse qu’une telle décision de la Cour sur cette question pourrait avoir une incidence sur d’autres situations similaires, ce qui joue aussi en faveur de la décision de ne pas statuer sur une telle question à une étape préliminaire.

[29]  Après avoir examiné la question, je ne suis pas convaincu qu’il convient de radier la présente demande à cette étape. Même si l’argument du défendeur selon lequel le différend peut faire l’objet d’un grief en vertu de la Loi est fondé, je n’ai pas conclu que le défendeur a présenté [traduction] « une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande » (comme l’a dit le juge Stratas dans l’arrêt JP Morgan). Je conclus plutôt que les arguments des parties révèlent une « question en litige », soit précisément la situation dans laquelle le juge Strayer a déterminé, dans l’arrêt David Bull Laboratories, que l’exercice d’une compétence discrétionnaire aussi exceptionnelle n’était pas justifié.

[30]  Je tiens toutefois à souligner qu’il ne s’agit pas d’une décision selon laquelle cette affaire est [traduction« l’une des rares circonstances » dans lesquelles la Cour peut ou devrait avoir compétence pour instruire l’affaire (pour reprendre l’expression de la demanderesse). Ce n’est pas ce que je suis tenu de trancher à cette étape. Tout ce que j’ai conclu, c’est que je ne suis pas convaincu que, à cette étape préliminaire, la demande est vouée à l’échec. La question de savoir s’il s’agit ou non d’une des [traduction« rares circonstances » dans lesquelles un contrôle judiciaire peut être accordé avant l’achèvement du processus des relations de travail prévu dans la Loi est une question qui doit être tranchée par le juge qui entendra la demande.

[31]  Pour ces motifs, la requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et les dépens seront calculés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B, et ce, conformément à l’article 407 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

[32]  Comme l’a demandé le défendeur, j’ordonne que les délais prévus aux articles 307, 309 et 310 des Règles des Cours fédérales s’appliquent à compter de la date de publication de la présente décision.


ORDONNANCE dans le dossier T‑465‑19

LA COUR ORDONNE que :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Le défendeur doit payer à la demanderesse les dépens associés à la présente requête, qui seront calculés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B, conformément à l’article 407 des Règles des Cours fédérales.

  3. Les délais prévus aux articles 307, 309 et 310 des Règles des Cours fédérales s’appliquent à compter de la date de publication de la présente décision.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑465‑19

INTITULÉ :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Morgan Rowe

POUR LA DEMANDERESSE

Karl Chemsi

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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