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Date : 20060619

 

                                                                                                                           Dossier : T-1734-04

 

Référence : 2006 CF 781

 

 

Ottawa (Ontario), le lundi 19 juin 2006

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

 

 

ENTRE :

 

                                                       ELI LILLY CANADA INC.

                                                                                                                                    demanderesse

 

                                                                             et

 

                                                     NOVOPHARM LIMITED et

                                                    LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                          défendeurs

 

                                                                             et

 

                                             ELI LILLY and COMPANY LIMITED

                                                                                                                      défenderesse/brevetée

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande, qui a été introduite par Eli Lilly Canada Inc. (Lilly) en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS 93-133 (le Règlement), doit faire l'objet d'un désistement. Ce désistement fait suite au retrait, par la défenderesse Novopharm Limited (Novopharm), de l'avis d'allégation qui constituait le fondement de la demande.

 

[2]               Les parties s'entendent pour dire que, compte tenu du mécanisme procédural unique prévu par le Règlement, le fait pour Lilly de se désister de la présente demande ne devrait pas, en pareil cas, l'exposer à une condamnation aux dépens par application du principe général consacré à l'article 402 des Règles. En fait, l'économie du Règlement et l'objet et l'esprit de l'article 402 devraient en pareil cas dicter le contraire : sauf ordonnance contraire de la Cour ou entente entre les parties, Lilly devrait avoir droit aux dépens de l'instance dont elle s'est désistée.

 

[3]               Toutefois, Lilly demande non seulement à la Cour de lui adjuger les dépens, mais aussi d'ordonner qu'ils soient taxés sur la base avocat-client. Pour sa part, Novopharm réclame que les dépens soient « répartis » entre diverses instances portant sur l'olanzépine ou que la question soit déférée au juge qui examinera au fond une autre demande mettant en cause les mêmes parties dans le dossier T-787-05.

 

[4]               Lilly ne prétend pas qu'en signifiant son premier avis d'allégation ou en prenant certaines mesures pour contester la présente demande, Novopharm s'est rendue coupable d'une inconduite qui justifierait normalement sa condamnation aux dépens avocat-client. D'ailleurs une telle inconduite n'a pas été établie. Lilly affirme plutôt que l'inconduite ─ ou l'abus de procédure ─ dont Novopharm se serait rendue coupable découle du fait qu'après avoir retiré son premier avis d'allégation et après avoir eu l'avantage de prendre connaissance des moyens et de la preuve de Lilly, Novopharm a déposé un nouvel avis d'allégation dans lequel elle reprenait essentiellement certains des moyens qu'elle avait antérieurement articulés. À l'appui de son argument qu'un tel comportement rend son auteur passible d'une condamnation aux dépens avocat-client, Lilly invoque les décisions suivantes : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social) et al., (1997) 76 C.P.R. (3d) 501 (C.F. 1re inst.); Sandoz c. Canada Inc. et al. c. Apotex Inc. et al. (jugement non publié de la C.F. 1re inst. rendu le 2 mai 1997 dans les dossiers T-860-95 et T‑463-93); Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social) et al. [1997] A.C.F. n1785; et Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. et al. c. Apotex Inc. et al., (2003) 24 C.P.R. (4th) 216; 2003 CFPI 243.

 

[5]               Je signale que, dans le jugement Merck Frosst, le juge Rothstein précise bien que, dans les affaires Merck Frosst et Sandoz, Apotex avait elle-même soutenu qu'elle devait payer les dépens de la demanderesse sur la base avocat-client. D'ailleurs, dans ces deux affaires, la requête visant à mettre fin à l'instance avait été présentée par Apotex elle-même. Je ne puis donc considérer que ces décisions consacrent le principe général que le retrait d'un avis d'allégation qui est suivi par la signification d'un nouvel avis d'allégation justifie en soi l'adjudication de dépens sur la base avocat‑client.

 

[6]               Je répète que, dans l'affaire Bayer, il semble que les parties aient été d'accord pour que les dépens soient calculés sur la base avocat-client. La Cour a commencé les motifs de son ordonnance en précisant que « [l]a seule question à trancher est celle de savoir quel type d'ordonnance la Cour devrait rendre ». Le débat tournait autour de la question de savoir si la demande devait être accueillie ou si elle devait être rejetée au motif qu'elle était sans objet. Dans les motifs de son ordonnance, la Cour mentionne le type d'ordonnance préconisé par les deux parties. Or, elles réclamaient toutes les deux les dépens sur la base avocat-client.

 

[7]               Dans l'affaire Novartis, tout en citant la décision Merck et en signalant que l'adjudication des dépens sur la base avocat-client « semble une mesure justifiée en pareil cas », la Cour a établi une distinction entre les faits de l'affaire Merck et ceux de la demande dont elle était saisie.

 

[8]               À mon avis, on ne saurait affirmer que ces décisions érigent en principe que la Cour doit adjuger les dépens sur la base avocat-client lorsqu'il y a retrait d'un avis d'allégation suivi par l'envoi d'un nouvel avis d'allégation. Les décisions citées par Lilly établissent tout au plus selon moi que la Cour doit donner effet à l'entente ou à l'accord intervenu entre les parties au sujet du barème des dépens et, par le passé, les parties ont elles-mêmes reconnu que le retrait d'un avis d'allégation pouvait, dans certaines circonstances, justifier l'adjudication des dépens sur la base avocat-client. La jurisprudence citée ne permet pas de savoir avec certitude quelles sont ces circonstances, hormis le cas du retrait de l'avis d'allégation et du dépôt subséquent d'un avis semblable.

 

[9]               Pour ma part, je ne vois pas comment on pourrait sanctionner Novopharm pour avoir déposé un avis d'allégation subséquent en la condamnant aux dépens dans la présente instance. Si l'assertion de Lilly suivant laquelle le nouvel avis d'allégation de Novopharm repose sur des moyens similaires et constitue un abus de procédure a un certain fondement, la question devrait alors être régulièrement tranchée lors de l'examen de la demande T-787-05, qui porte précisément sur cet avis d'allégation. Si elle conclut à l'abus de procédure, la Cour accordera une réparation à Lilly à l'issue de son examen au fond de cette demande ou en lui adjugeant les dépens. Si abus il y a, il réside dans les agissements auxquels s'est livrée Novopharm à la suite du retrait de l'avis d'allégation. C'est donc sur les conséquences de cet abus de procédure que les sanctions devraient être axées et non sur les faits survenus avant l'abus. Il est illogique et insensé de sanctionner des actes futurs en adjugeant les dépens sur la base avocat-client dans une instance qui ne saurait elle‑même être qualifiée d'abusive.

 

[10]           L'argument de Novopharm suivant lequel les dépens devraient en l'espèce faire l'objet d'une répartition ou être déférés au juge qui instruira le dossier T-787-05 est également mal fondé.

 

[11]           L'argument de Novopharm repose sur la constatation que Lilly a invoqué les mêmes éléments de preuve ou des éléments semblables dans d'autres instances et que Lilly risque ainsi d'obtenir des dépens qui relèvent ou pourraient relever d'autres instances. Il s'agit cependant là d'une pure question de taxation. La partie qui demande que ses dépens soient taxés ne peut les obtenir que si elle réussit à démontrer qu'ils ont été engagés raisonnablement pour poursuivre ou contester la demande dans le cadre de laquelle ils sont adjugés. On s'attend à ce que les experts et les avocats de Lilly ne réclament pas deux fois des frais pour le même travail et à ce que, si des débours ont déjà été recouvrés sous forme de dépens dans une affaire donnée, que ces débours ne soient pas réclamés de nouveau dans une taxation ultérieure portant sur les mêmes dépenses ou à ce que le tribunal ne crédite pas la récupération de ses débours. Quant à l'argument de Novopharm suivant lequel [traduction] « les frais engagés au profit de plusieurs affaires ne devraient pas être attribués exclusivement à Novopharm simplement parce que la présente requête constitue la première occasion offerte à Lilly de recouvrer ses dépens », il s'agit à mon sens d'un argument spécieux. Je répète que la question de savoir si des dépens ont été engagés et si la personne qui les a engagés peut légitimement les récupérer dans le cadre d'une instance déterminée est une question qui devra être résolue lors de la taxation. Qui plus est, Novopharm a introduit une instance en déposant un avis d'allégation. C'est elle qui a choisi le moment du dépôt; c'est elle qui a choisi de retirer son avis d'allégation et c'est elle qui a fixé le moment de ce retrait. Ces choix ne lui ont pas été imposés par les agissements ou l'inaction de qui que ce soit. En exerçant ces choix, Novopharm s'est exposé au paiement de tous les dépens entre parties que Lilly avait raisonnablement engagés pour poursuivre la présente instance. Il n'y a rien d'injuste à donner à Lilly ce qui lui revient.

 

[12]           Je ne vois donc aucune raison de déroger à la règle générale suivant laquelle, en l'espèce, les dépens de Lilly devraient lui être adjugés selon le barème des dépens entre parties.

 

[13]           Je crois comprendre, à la lecture de la requête de Lilly et de la réponse de Novopharm, qu'indépendamment de ma décision au sujet de la demande d'adjudication des dépens au tarif des dépens avocat-client, qu'on me demande, dans la mesure où la preuve dont je dispose me le permet, d'adjuger et de taxer les dépens sous forme de somme globale plutôt que de me contenter de déférer la question à un officier taxateur.

 

[14]           Quant à la colonne du tarif conformément à laquelle les services taxables devraient être taxés, il y a lieu de signaler que les instances introduites en vertu du Règlement ont tendance à être plus complexes que la plupart des demandes, surtout en raison de la nature technique de la preuve et de la nécessité de recourir aux lumières de témoins experts. Les frais supplémentaires qu'entraîne la préparation des témoins experts peuvent toutefois être réclamés en vertu de l'article G(27) du tarif, comme Novopharm l'a fait dans le projet de mémoire des dépens contenu dans son dossier de requête. Le dossier qui m'a été soumis ne permet par ailleurs pas de penser que la présente instance était plus complexe ou difficile que d'autres instances introduites en vertu du Règlement. J'accepte donc la taxation des services taxables proposée par Novopharm en accordant le montant le plus élevé permis par la colonne III du tarif, soit la somme de 10 207,80 $. 

 

[15]           Quant aux débours, l'affidavit de Nancy Schuurmans établit que tous les débours énumérés dans le projet de mémoire de dépens soumis par Lilly ont été effectivement engagés et qu'ils ont été facturés à Lilly pour la préparation et le déroulement de la présente instance. Les frais semblent compatibles avec le dossier et ils montrent que Lilly a préparé et déposé neuf affidavits, dont huit avaient été souscrits par des experts. Je conclus donc que Lilly a démontré que ces débours étaient jusqu'à preuve contraire raisonnables. Certes, Lilly n'a pas déposé de factures ou de pièces justificatives, mais elle n'avait pas à le faire pour démontrer le bien-fondé apparent de sa réclamation. Novopharm avait la possibilité de contre-interroger Mme Schuurmans au sujet de son affidavit et d'exiger la production de pièces à l'appui. Or, elle ne s'est pas prévalue de cette possibilité et la preuve soumise en réponse est loin de démontrer que les débours réclamés n'ont pas été effectivement engagés pour la présente affaire ou encore qu'ils étaient excessifs ou déraisonnables. Je taxe donc à 73 277,71 $ les débours réclamés.

 

[16]           Comme chacune des parties obtient en partie gain de cause, aucuns dépens ne sont adjugés en ce qui concerne la présente requête.

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La présente demande est abandonnée.

2.                  Les dépens de la présente demande sont adjugés à la demanderesse sous forme de somme globale de 83 485,50 $, payables uniquement par la défenderesse Novopharm Inc.

3.                  Il n'y a pas d'adjudication de dépens en ce qui concerne la présente requête.

 

« Mireille Tabib »

Protonotaire

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1734-04

 

INTITULÉ :                                       ELI LILLY CANADA INC.

                                                            c.

                                                            NOVOPHARM LIMITED et MINISTRE DE LA SANTÉ et ELI LILLY AND COMPANY LIMITED

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 11 AVRIL 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 19 JUIN 2006

 

 

ONT COMPARU :

 

Jay Zakaib

Marc Richard

 

POUR LA DEMANDERESSE

Andrew Skodyn

 

POUR LA DÉFENDERESSE

NOVOPHARM LIMITED

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

POUR LA DÉFENDERESSE/BREVETÉE

HEENAN BLAIKIE LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

NOVOPHARM LIMITED

 

JOHN H. SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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