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Date : 20000128


Dossier : IMM-196-00


ENTRE :


CAMELLA CHERRIEL ALEXANDER PATERSON

ET CHANTAL PATERSON, représentée par sa

tutrice à l"instance CAMELLA CHERRIEL ALEXANDER PATERSON


demanderesses


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Il s"agit d"une requête visant à ce que la Cour sursoit au renvoi du Canada de la demanderesse adulte (la demanderesse), qui est prévu pour le 2 février 2000. Le sursis est demandé jusqu"à ce que la Cour statue sur la demande dans laquelle la demanderesse conteste la décision que l"agent de renvoi a rendue le 30 décembre 1999.

[2]      Par souci de commodité, je parlerai de la demande de la demanderesse visant à obtenir l"autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de l"agent de renvoi et un contrôle judiciaire de cette décision, si l"autorisation est accordée, tout simplement comme s"il s"agissait d"une contestation de la décision ou d"une contestation de sa validité.

[3]      La demanderesse est arrivée au Canada en juillet 1988. Elle a revendiqué le statut de réfugié. Elle a mis au monde une fille en 1991. La demanderesse n"a pas épousé le père de l"enfant, même s"ils ont vécu en union de fait pendant quelques années. Le père de l"enfant a par la suite marié quelqu"un d"autre, mais il s"est divorcé en 1997.

[4]      La demanderesse dit qu"elle a eu des difficultés avec son consultant en immigration relativement à sa revendication du statut de réfugié. Quoi qu"il en soit, sa revendication a été rejetée et elle " s"est cachée ".

[5]      En 1997, elle a repris sa relation amoureuse avec le père de son enfant et ils se sont mariés en novembre 1998. Celui-ci est resté en contact avec la demanderesse et sa fille pendant toute la période de 1991 à 1997. Il a déposé par la suite une entente de parrainage à l"appui de la demande d"établissement fondée sur des raisons d"ordre humanitaire que la demanderesse a présentée à partir du Canada. Cette demande et l"entente de parrainage sont datées du 9 septembre 1999. Les documents ont été envoyés à Vegreville (Alberta) et, par la suite, ils ont été renvoyés au bureau du défendeur à Scarborough. La demande n"a pas été traitée parce qu"il y a un arriéré à ce bureau. J"admets la preuve par affidavits selon laquelle si la demanderesse vivait dans une plus petite communauté où il n"y a pas d"arriéré, sa demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire aurait déjà été traitée.

[6]      La fille de la demanderesse a maintenant neuf ans; elle est en troisième année et elle va à la même école depuis qu"elle est en première année; elle y a des amis; elle n"a jamais vécu ailleurs qu"au Canada; elle a de l"asthme et son médecin affirme qu"elle [TRADUCTION] " devrait rester au Canada pour des raisons médicales ". Dans un témoignage, un psychologue décrit le stress que vit la famille en raison de l"incertitude entourant le statut d"immigrante de la demanderesse et affirme que l"éclatement de la cellule familiale causera vraisemblablement des cicatrices émotionnelles permanentes à l"enfant.

[7]      Si la demanderesse était renvoyée en Grenade et que la demande de parrainage qu"a présentée son mari à l"égard de sa demande d"établissement était par la suite accueillie, la demanderesse serait, bien entendu, autorisée à revenir au Canada. La preuve par affidavits indique, toutefois, qu"il faudrait, selon toute vraisemblance, deux ans au minimum avant que le processus lui permettant de revenir au Canada puisse être mené à terme.

[8]      Le ministre défendeur contrôle la rapidité avec laquelle la demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire de la demanderesse peut être traitée. Le défendeur décide du moment d"exécution de la mesure de renvoi (à condition bien entendu que la demanderesse ne " se cache " pas). Le ministre défendeur a une politique selon laquelle il n"exécute pas une mesure de renvoi contre une personne qui a présenté une demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire lorsque le traitement de cette demande est en attente depuis plus de six mois. La demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire de la demanderesse n"est pas visée par l"exception de six mois parce que, tel qu"il a été noté, elle n"a pas été présentée avant septembre 1999.

[9]      Pour surseoir à la mesure d"expulsion, je dois conclure que : (1) il y a une question sérieuse à juger; (2) un préjudice irréparable sera subi si un sursis n"est pas accordé; (3) la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l"octroi d"un sursis. Je n"ai aucun doute quant à la présence des deuxième et troisième éléments en l"espèce.

[10]      Si la demanderesse est renvoyée en Grenade, sa fille doit soit partir avec elle, soit rester au Canada avec son père et être séparée de sa mère. Je n"ai aucun doute que cela causera un préjudice irréparable à l"enfant. Elle risque d"être séparée de l"un ou l"autre de ses parents, d"avoir à interrompre ses études au milieu de l"année (si elle part avec sa mère) et d"être renvoyée dans un pays où elle n"a jamais vécu. Si la demande de parrainage présentée par le mari de la demanderesse à l"égard de la demande d"établissement de cette dernière était accueillie, le séjour en Grenade serait temporaire, même s"il durerait probablement un minimum de deux ans.

[11]      Si la demanderesse reste au Canada jusqu"à ce que la Cour se prononce sur la contestation relative à la validité de la décision du 30 décembre 1999, ou si la demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire que la demanderesse a présentée au ministre est traitée avant cette procédure de contestation, la seule conséquence pour le défendeur est un retard relativement bref dans l"exécution de la mesure d"expulsion, et cette expulsion ne peut avoir lieu si la demande de parrainage du mari est accueillie. Il est clair que le fait de ne pas accorder un sursis entraînera un préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvénients penche en faveur des demanderesses.

[12]      Je me penche maintenant sur la question de savoir s"il y a une question sérieuse à juger. L"avocat de la demanderesse prétend que la décision du 30 décembre 1999 n"est pas valide parce que l"agent de renvoi a entravé l"exercice de son pouvoir discrétionnaire en considérant la période de six mois mentionnée précédemment comme s"il s"agissait d"une date limite. L"avocat soutient également que la décision n"est pas valide parce que l"agent de renvoi n"a pas tenu compte des considérations pertinentes; il a refusé de prendre en considération les répercussions de sa décision sur l"enfant.

[13]      Le premier argument ressemble à celui qui a été accepté dans Yhap c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), (1990), 9 Imm. L.R. (2d) 243 (C.F. 1re inst.). En même temps, on ne sait pas à quel moment exactement dans le processus de renvoi est prise la décision de surseoir au renvoi lorsqu"une demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire est en attente depuis plus de six mois; cette décision peut être prise par quelqu"un qui n"est pas dans la situation de l"agent qui a pris la décision du 30 décembre 1999. J"accepte, toutefois, les éléments de preuve au dossier selon lesquels une telle politique s"applique dans le ministère du ministre défendeur et a des conséquences différentes (renvoi ou sursis d"exécution du renvoi) selon le temps écoulé depuis que la demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire est en attente.

[14]      Quoi qu"il en soit, en réponse aux deux arguments de la demanderesse, l"agent de renvoi est d"avis qu"en faisant le nécessaire en vue de l"expulsion de la demanderesse en Grenade, il remplit ses obligations qui lui incombent en vertu de l"article 48 de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 :

48. Subject to sections 49 and 50, a removal order shall be executed as soon as reasonably practicable. (emphasis added)

48. Sous réserve des articles 49 et 50, la mesure de renvoi est exécutée dès que les circonstances le permettent (non souligné dans l"original.)


[15]      L"agent de renvoi estime que lorsqu"il est appelé à décider s"il convient ou non de surseoir au renvoi, il est fondé à prendre en considération des facteurs tels que ceux-ci : La partie demanderesse fait-elle l"objet d"une ordonnance judiciaire l"enjoignant à rester présente au Canada? Manque-t-il des documents de voyage obligatoires? La demanderesse est-elle empêchée de voyager en raison de sa santé? Il n"est toutefois pas autorisé à prendre en considération le fait qu"il y a une demande en attente fondée sur des raisons d"ordre humanitaire, ou des facteurs tels que celui présent en l"espèce, à savoir les répercussions de la décision sur le bien-être de l"enfant. L"avocat du défendeur s"est référé à la décision Pavalaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (IMM-914-98, 10 mars 1998) qui décrit le type de facteurs dont un agent de renvoi peut tenir compte lorsqu"il décide s"il convient ou non de surseoir au renvoi.

[16]      Le libellé de l"article 48 indique qu"une mesure de renvoi doit être exécutée dès que les circonstances le permettent . Cette disposition est interprétée, toutefois, par le défendeur comme ayant une portée moins restrictive dans certaines demandes fondées sur des raisons d"ordre humanitaire que dans d"autres. Cela appuie l"argument selon lequel l"interprétation de l"agent de renvoi est beaucoup trop restrictive, compte tenu de l"interprétation que le ministre donne à la disposition dans d"autres cas.

[17]      L"avocat de la demanderesse prétend également que l"arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, (1999), 243 N.R. 22 (C.S.C.), rendu récemment par la Cour suprême est pertinent quant à la décision du 30 décembre 1999. L"arrêt Baker traite des facteurs qu"un agent d"immigration devrait prendre en considération lorsqu"il rend une décision relativement à une demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire. Dans cet arrêt, la Cour suprême a statué que lorsque le Canada a signé une convention internationale sur les droits de la personne et qu"il a par le fait même donné l"impression à la communauté internationale qu"il souscrivait aux valeurs qui y sont énoncées, l"agent d"immigration devrait prendre en considération les dispositions de cette convention, même s"il n"existe aucune loi fédérale ou provinciale qui les incorpore dans le droit canadien. Les dispositions de la convention ne l"emportent pas sur toutes les autres considérations, ce qui aurait été le cas si elles avaient fait l"objet d"une loi fédérale directe, mais la Cour suprême a conclu qu"un décideur du gouvernement fédéral devrait tenir compte de ces facteurs lorsqu"il rend sa décision.

[18]      La Cour a la majorité a affirmé ce qui suit au paragraphe 70 :

     [l]es valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent [...] être prises en compte dans l'approche contextuelle de l'interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire.

[19]      La convention à l"étude dans cette affaire était la Convention sur le droit des enfants. La

Cour à la majorité a affirmé ce qui suit au paragraphe 71 :

     Les valeurs et les principes de la Convention reconnaissent l'importance d'être attentif aux droits des enfants et à leur intérêt supérieur dans les décisions qui ont une incidence sur leur avenir.

L"avocat de la demanderesse prétend que, de la même façon, en l"espèce, lorsque l"agent de renvoi décide s"il convient ou non de surseoir au renvoi de la demanderesse jusqu"à ce que sa demande d"établissement soit traitée, il doit tenir compte des intérêts de la fille de la demanderesse.

[20]      L"avocat du défendeur soutient qu"une décision quant à une demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire est très différente et suppose un éventail beaucoup plus large de considérations qu"une décision quant à savoir s"il convient ou non de surseoir au renvoi; les dispositions législatives pertinentes sont très différentes; il n"y a aucune ligne directrice régissant les décisions portant renvoi, comme il en existe pour les décisions relatives aux demandes fondées sur des raisons d"ordre humanitaire. Ces lignes directrices ont constitué un élément important de l"arrêt Baker .

[21]      En plus des arguments fondés sur l"arrêt Baker , l"avocat de la demanderesse prétend qu"en vertu de certaines dispositions de la Charte , l"agent de renvoi doit tenir compte des intérêts de l"enfant. Il note que dans l"arrêt Baker , la Cour suprême ne s"est pas prononcée sur les arguments fondés sur la Charte . Au paragraphe 11 de la décision de la Cour à la majorité, le juge L"Heureux-Dubé a écrit ce qui suit :

     Comme, à mon avis, l'appel peut être tranché en vertu des principes du droit administratif et de l'interprétation des lois, il n'est pas nécessaire d'examiner les divers moyens fondés sur la Charte qui ont été invoqués par l'appelante et les intervenants qui l'ont appuyée.

[22]      L"avocat de la demanderesse soutient qu"il ressort clairement de décisions telles que l"arrêt Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.) [J.G.] (C.S. dossier 26005, 10 septembre 1999) que la décision d"un État de séparer un enfant de l"un de ses parent est une décision qui porte atteinte à " la sécurité de la personne ". Ainsi, elle fait intervenir la protection de l"article 7 de la Charte .

[23]      L"avocat de la demanderesse se réfère à des dispositions parallèles contenues dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu de la disposition de cette convention qui garantit le droit " [d"une personne] au respect de sa vie privée et familiale ". Il cite les décisions Berrehab c. Pays-Bas , 3/1987/126/177, par. 21; Boujlifa c. France, 122/1996/741/940, 21 octobre 1997, par. 35 à 36; Mehemi c. France, 85/1996/704/896, 26 septembre 1997, par. 34 à 37.

[24]      Ce n"est pas l"endroit pour effectuer une analyse relative à la signification de l"expression " principes de justice fondamentale " contenue à l"article 7 et pour déterminer si cette expression oblige les décideurs à tenir compte des dispositions des conventions internationales relatives aux droits de la personne qu"a signées le Canada lorsqu"ils sont appelés à rendre des décisions qui portent atteinte à la sécurité de la personne.

[25]      Qu"il suffise de dire que, compte tenu des faits particuliers de l"espèce et des nombreux arguments de l"avocat de la demanderesse énoncés précédemment, je suis convaincue qu"il existe une question sérieuse à juger.


[26]      Pour les motifs exposés précédemment, un sursis sera accordé.

                                 " B. Reed "
                             _____________________
                                 J.C.F.C.

Toronto (Ontario)

Le 28 janvier 2000



Traduction certifiée conforme


Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                  IMM-196-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :          CAMELLA CHERRIEL ALEXANDER PATERSON ET CHANTAL PATERSON, représentée par sa tutrice à l"instance CAMELLA CHERRIEL ALEXANDER PATERSON
                         - et -
                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
DATE DE L"AUDIENCE :              LE LUNDI 24 JANVIER 2000
LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L"ORDONNANCE :          LE JUGE REED
DATE DES MOTIFS :              LE VENDREDI 28 JANVIER 2000
ONT COMPARU :                  M. Lorne Waldman
                             pour les demanderesses
                         M. Godwin Friday
                             pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Jackman, Waldman & Associates
                         Avocats
                         281, avenue Eglinton Est
                         Toronto (Ontario)
                         M4P 1L3
                             pour les demanderesses
                         Morris Rosenberg
                         Sous-procureur général du Canada
                             pour le défendeur

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20000128
Dossier : IMM-196-00
Entre :
CAMELLA CHERRIEL
ALEXANDER PATERSON ET
CHANTAL PATERSON, représentée par sa
tutrice à l"instance CAMELLA
CHERRIEL ALEXANDER
PATERSON
demanderesses
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L"IMMIGRATION
défendeur
     MOTIFS DE L"ORDONNANCE
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