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Date : 20060328

Dossier : IMM-3514-05

Référence : 2006 CF 390

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

MOHAMMAD FAROOQ CHOHAN

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Mohammad Chohan, sollicite l’annulation d’une décision défavorable de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 13 mai 2005, qui rejetait sa demande d’asile.

 

[2]               La principale contestation de la décision de la Commission porte sur le traitement d’une demande que l’avocat du demandeur avait déposée pour un ajournement de six semaines de l’audience afin d’obtenir davantage de preuves. La Commission a rejeté cette demande et l’audience a eu lieu le 15 mars 2005. Le demandeur soutient que ce refus d’accorder un ajournement constitue un manquement aux règles de justice naturelle parce qu’il n’a pas pu efficacement donner suite à sa demande.

 

L’historique des procédures

[3]               Le 26 mai 2004, l’avocat qui représentait alors le demandeur a présenté à la Commission plusieurs documents à l’appui de la demande d’asile de son client. À ce moment, l’audience était prévue pour le 17 juin 2004. Ces documents comprenaient entre autres un rapport de police du Pakistan, communément appelé procès-verbal introductif (FIR). Ce document était daté du 12 janvier 2002. L’autre document important présenté par le demandeur était un mandat d’arrêt daté du 13 avril 2002. De plus, le demandeur a présenté des cartes de membre de la Ligue musulmane. Ces documents devaient corroborer le témoignage du demandeur au sujet du risque qu’il serait persécuté par les autorités au Pakistan.

 

[4]               L’audience n’a pas eu lieu le 17 juin 2004 pour des raisons administratives, bien que le demandeur se soit présenté avec son avocat ce jour-là et qu’ils aient été prêts à commencer. L’audience a été reportée au 7 octobre 2004. Lorsque le demandeur s’est présenté devant la Commission à cette date, la Commission lui a annoncé qu’elle ajournait l’audience jusqu’au 25 janvier 2005 afin de pouvoir vérifier l’authenticité de certains des documents présentés par le demandeur, notamment le FIR et le mandat d’arrêt. Le dossier révèle que la Commission a envoyé une demande officielle de vérification de ces documents au Haut-commissariat du Canada à Islamabad le 15 octobre 2004.

 

[5]               Lorsque le demandeur s’est présenté à l’audience du 24 janvier 2005, la Commission lui a annoncé que l’affaire devait être ajournée à nouveau parce qu’elle n’avait pas encore obtenu le rapport de vérification des documents du Haut-commissariat du Canada. L’affaire à été ajournée jusqu’au 15 mars 2005.

 

[6]               Le 11 février 2005, la Commission a reçu le rapport de vérification, qui concluait que le FIR était un  « faux ». Le rapport donnait aussi à entendre que le mandat d’arrêt était un [TRADUCTION] « faux ». Ce rapport a été envoyé à l’avocat du demandeur vers le 21 février 2005.

 

[7]               Il ressort du dossier que l’avocat du demandeur a écrit à la Commission le 10 mars 2005 pour solliciter qu’elle ajourne l’audience afin de lui permettre de se renseigner au sujet du problème d’authenticité des documents. La lettre mentionnait que le demandeur avait commencé à se renseigner, mais que le processus n’était pas terminé.

 

[8]               Lorsque l’audience a débuté le 15 mars 2005, la Commission a fait référence à une décision rendue le jour précédant, qui rejetait la demande d’ajournement du demandeur. La transcription mentionnait les faits dans l’ordre suivant :

[TRADUCTION]

Je crois que votre client a demandé plus de temps pour entreprendre sa propre enquête. Hier, j’ai rejeté cette requête, cependant, nous avons mentionné que vous vouliez… que vous devriez soumettre votre demande pour qu’elle soit inscrite au dossier.

 

 

[9]                Malheureusement, le dossier ne contient aucune mention de la décision susmentionnée. Cependant, l’avocat du demandeur a inscrit sa demande d’ajournement au dossier en déclarant qu’il avait besoin de temps pour effectuer une [TRADUCTION] « enquête plus poussée au sujet des documents ». Il a aussi mentionné qu’il aurait probablement besoin d’environ six semaines. La Commission a répondu de la façon suivante :

[TRADUCTION]

M. McCrie, avec tout le respect auquel vous avez droit en tant qu’avocat, je crois simplement que nous devons commencer aujourd’hui. Je suis d’accord avec l’affirmation selon laquelle la mission canadienne n’est pas un organisme autonome, mais elle n’a aucun intérêt à ne pas chercher à obtenir l’information la plus juste possible.

 

Cependant, je suggère que nous posions quelques questions à ce sujet, comment le demandeur a-t-il obtenu les documents, à quel point connaît-il la personne qui s’est procuré les documents, et que nous lui donnions la chance, sous serment, de s’expliquer de son mieux et le plus clairement possible. Cette personne qui lui a donné les documents, nous l’appellerons l’individu, donc cet individu doit lui avoir fourni d’autres renseignements au sujet de la façon dont il s’est procuré les documents en question. Et cet individu lui a-t-il donné une idée de la raison pour laquelle ces documents avaient pu être considérés comme frauduleux après enquête de l’ambassade canadienne?

 

Je voudrais ajouter une chose. Je vais voir comment l’audience se déroule, et si nous estimons qu’il est absolument nécessaire d’attendre la vérification de la carte de membre de la Ligue musulmane, nous ajournerons l’audience et remettrons le prononcé d’une décision à ce sujet. Pour l’instant, je dirais que cette question peut être pertinente en un sens, mais que dans un autre sens, le simple fait d’être membre de la Ligue n’a pas nécessairement de lien avec le récit d’arrestation et de torture du demandeur.

 

Donc, je crois que nous devrions commencer, M. McCrie.

 

[10]              La décision de la Commission rejetant la demande d’asile du demandeur était fondée sur l’évaluation défavorable de la crédibilité de ce dernier et cette conclusion découlait du fait que le FIR et le mandat d’arrêt étaient considérés comme des faux. En ce qui a trait à ces faits, la Commission a tiré la conclusion suivante :

Au début de l’audience, le conseil du demandeur d’asile a demandé une remise de six semaines afin que le demandeur d’asile puisse communiquer avec un avocat au Pakistan pour faire des recherches supplémentaires sur la façon dont le PRI [procès-verbal introductif (FIR)] a été jugé frauduleux. Le tribunal a rejeté cette demande au motif que le demandeur d’asile a eu trois semaines pour mener sa propre enquête. Le demandeur d’asile a été informé du résultat le 21 février 2005 et savait que son audience aurait lieu le 15 mars 2005. Le tribunal préfère la preuve fournie par le Haut-commissariat du Canada et accepte ses conclusions, à savoir que le PRI [FIR] et le mandat sont frauduleux.

 

 

La question en litige

La façon dont la Commission a traité la demande d’ajournement du demandeur constitue-t-elle un manquement aux règles de justice naturelle?

 

Analyse

[11]           Le refus d’accorder un ajournement, lorsque l’équité l’exige, constitue un manquement aux règles de justice naturelle. Selon le Administrative Law (3e édition) de Mullan, au paragraphe 170,  un manquement à ces règles se produit lorsque l’ajournement est demandé de façon raisonnable par un parti qui sollicite l’occasion de donner suite à une nouvelle question litigieuse ou d’examiner des preuves décisives qui ont été présentées à l’audience. Le précédent jurisprudentiel invoqué à l’appui de cette affirmation est Pal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1301.

 

[12]           La justification du rejet de la demande d’ajournement du demandeur en l’espèce était que ce dernier avait eu trois semaines pour effectuer sa propre enquête au sujet des documents contestés. Apparemment, la Commission a estimé que le demandeur ou son avocat avait entrepris cette enquête de façon un peu tardive et que par conséquent, aucune autre faveur ne serait accordée. Il est possible de tirer une autre conclusion de la décision de la Commission, soit qu’elle estimait que toute enquête supplémentaire ne serait rien de plus qu’une perte de temps parce que le rapport du consulat était incontestable.

 

[13]           La Commission avait l’obligation de traiter la demande d’ajournement de façon rationnelle. Elle s’était accordée presque huit mois pour effectuer sa propre évaluation des documents et avait ajourné l’audience deux fois en attendant d’obtenir les résultats. En l’espèce, l’authenticité des documents présentés était fondamentale pour le demandeur et constituait un aspect déterminant de la décision de la Commission. Le fait de refuser un court ajournement au demandeur était manifestement injuste et contrevenait aux exigences énoncées à l’article 170 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), qui prévoit qu’un demandeur doit avoir la possibilité de présenter des éléments de preuve.

 

[14]           Les motifs de la Commission justifiant le rejet de la requête d’ajournement ne tenaient pas compte non plus des éléments à considérer, tels qu’énoncés à l’article 48 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière d’ajournement, particulièrement des éléments 4e), 4h), 4i), 4j) et 4k). Si la Commission avait tenu compte de ces éléments et les avait mis en pratique, l’ajournement aurait certainement été accordé. Le fait que la Commission n’ait pas tenu compte de ces éléments dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire constitue une erreur de droit. Comme cette erreur touche le contenu de l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est la décision correcte, qui ne nécessite pas une analyse pragmatique et fonctionnelle : voir Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 195, [2004] A.C.F. no 174 (C.A.F.).

 

[15]           Par conséquent, je n’ai pas à examiner les autres arguments du demandeur et la décision de la Commission sera annulée. L’affaire sera renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que : la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

 

 

 

                                                                                                «  R. L. Barnes »

                                                                                                         Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3514-05

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMAD FAROOQ CHOHAN

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 mars 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 mars 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

GREGORY JAMES

 

POUR LE DEMANDEUR

JEREMIAH EASTMAN

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

GREGORY JAMES

MISSISSAUGA (ONTARIO)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H.SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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