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     Date : 19981027

     Dossier : IMM-5365-98

Entre

     NARUNZ ABRAMOV et

     LADA ABRAMOV,

     demanderesses,

     - et -

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défenderesse

     ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF)

Le juge EVANS

[1]      Il y a en l'espèce requête, introduite par les demanderesses Narunz Abramov (la principale demanderesse) et Lada Abramov, sa fille âgée de six ans (la demanderesse mineure), en suspension de leur expulsion, prévue pour le 29 octobre 1998, vers Israël. Les deux sont citoyennes de ce dernier pays.

[2]      Elles ont demandé l'autorisation d'introduire, en application de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, un recours en contrôle judiciaire tendant à l'annulation de la décision en date du 2 septembre 1998, par laquelle un agent d'immigration concluait qu'elles n'étaient pas admissibles au régime applicable aux demandeurs non reconnus du statut de réfugié (DNRSR).

[3]      Arrivées au Canada en décembre 1995, elles ont revendiqué le statut de réfugié en janvier 1996 par ce motif que l'État d'Israël ne les avait pas protégées contre le harcèlement et la discrimination dont elles étaient victimes du fait qu'elles venaient de l'Union soviétique et que, Lada étant une enfant illégitime, sa mère était considérée comme une prostituée. Les demanderesses avaient immigré en Israël en juin 1993 pour fuir l'antisémitisme qui avait cours en République du Daguestan.

[4]      La section du statut a rejeté leur revendication par décision en date du 24 juin 1997, par le motif suivant :

     Nous n'avons été saisis d'aucune preuve digne de foi montrant que, si la principale demanderesse avait fait le nécessaire pour se plaindre aux autorités des incidents qui, selon ses dires, lui faisaient craindre avec raison d'être persécutée, l'État eût été incapable de les protéger après avoir pris ses plaintes en considération.         

La demande d'autorisation d'agir en contrôle judiciaire contre cette décision a été rejetée.

[5]      Il a été jugé que les demanderesses n'étaient pas admissibles au régime DNRSR par ce motif qu'elles n'avaient pas fait leur demande dans les 15 jours qui suivirent la notification de la décision de la section du statut, comme le prévoit l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l'immigration.

[6]      Dans son affidavit, la demanderesse affirme qu'elle a soumis sa demande " dans la semaine " qui suivit la réception, le 8 juillet 1997, de la décision défavorable de la section du statut, et a envoyé les conclusions à l'appui de sa demande par courrier recommandé le 23 juillet 1997. Selon un affidavit déposé par la défenderesse, il ressort des recherches faites dans les dossiers du ministère que les demanderesses soumirent leur demande DNRSR le 23 juillet 1997. Bien que l'avocate de la défenderesse n'ait pas produit une enveloppe portant la date d'oblitération de la poste, elle a produit une copie de la demande DNRSR des demanderesses, laquelle demande porte la date du 19 juillet 1997. Ainsi que le concède l'avocat de ces dernières, cela montre que la principale demanderesse s'est trompée en affirmant dans son affidavit qu'elle avait soumis sa demande DNRSR " dans la semaine " qui suivit la réception de la décision de la section du statut. La " semaine " qui suit le 8 juillet se termine le 15 juillet.

[7]      Il convient que la demande aurait dû être mise à la poste au plus tard le 19 juillet pour respecter le délai légal institué par la défenderesse, c'est-à-dire 15 jours à compter de la date indiquée sur la décision de la section du statut, avec sept jours en sus pour l'acheminement par la poste.

[8]      L'avocat des demanderesses, M. Cohen, fait savoir qu'il demandait l'autorisation d'agir en contrôle judiciaire contre le refus d'instruire la demande DNRSR des demanderesses par ce motif que l'agent d'immigration a commis une erreur en concluant que la demande avait été soumise trop tard. À son avis, en l'absence de l'enveloppe servant à l'envoi de cette demande et portant la date d'oblitération de la poste, le fait que cette demande porte la date du 19 juillet 1997, c'est-à-dire la date-limite de la demande d'établissement sous le régime DNRSR, constitue la preuve qu'elle a été mise à la poste dans les délais.

[9]      Dans cette requête en suspension, les demanderesses doivent démontrer que la demande d'autorisation porte sur une question sérieuse, que leur renvoi en Israël leur causera un préjudice irréparable et que la balance des préjudices éventuels de part et d'autres penche en faveur du maintien du statu quo en attendant l'issue du contrôle judiciaire; v. Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1988), 80 N.R. 302 (C.A.F.). Pour avoir gain de cause, les demanderesses doivent faire la preuve de chacun de ces trois facteurs. Je suis disposé à présumer que la Cour a compétence pour ordonner la suspension, bien que la demande d'autorisation des demanderesses, qui ne conteste pas la validité de l'ordonnance d'expulsion, ne soit pas encore en état.

[10]      Je ne suis pas convaincu qu'elles aient fait la preuve que leur demande d'autorisation porte sur une question sérieuse. La date du 19 juillet 1997, qui figure sur la formule de demande DNRSR, contredit l'assertion faite par la principale demanderesse dans son affidavit qu'elle l'avait mise à la poste le 15 juillet au plus tard. Le fait que si elle avait été mise à la poste le 19 juillet, la formule aurait été soumise dans les délais, n'est pas suffisant pour prouver qu'elle a été effectivement mise à la poste ce jour-là. De toute façon, étant donné la preuve dégagée des dossiers de la défenderesse, savoir que la demande DNRSR a été soumise le 23 juillet 1997, il n'était pas déraisonnable de la part de l'agent de conclure qu'elle était soumise après l'expiration du délai. Il est regrettable que l'avocate de la défenderesse, Mme Logsetty, n'ait pas été en mesure de produire la date d'oblitération postale qui eût tranché définitivement la question, dans un sens ou dans l'autre.

[11]      À supposer que je me sois trompé en concluant à l'absence de question sérieuse, j'aurais quand même rejeté la requête par ce motif que les demanderesses n'ont pas fait la preuve que leur renvoi en Israël leur causerait un préjudice irréparable. Il y a lieu de noter à ce propos que, contrairement à l'argument proposé par M. Cohen, il ne suffit pas qu'il y ait une question sérieuse, savoir qu'il a été jugé à tort qu'une personne n'est pas admissible au régime DNRSR, pour qu'elle ait droit à la suspension. Il n'a pu citer aucun texte de loi ou proclamation de politique à cet effet, et si la Cour peut souvent conclure qu'une personne peut subir un préjudice irréparable si elle est renvoyée sans le bénéfice d'une évaluation du risque, tel n'est pas nécessairement le cas chaque fois, et tel n'est pas le cas en l'espèce.

[12]      Le mari de la principale demanderesse, lui aussi citoyen d'Israël, est un résident permanent du Canada; les deux forment avec Lada une famille depuis deux ans. Le couple attend son premier enfant l'année prochaine. L'expulsion de membres de la famille causera souvent des souffrances et une perturbation considérable dans la vie de tous les intéressés. Et dans certains cas, la souffrance et la perturbation peuvent être suffisamment graves pour constituer un " préjudice irréparable "; v. Casiano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1996] A.C.F. no 1043 (C.F. 1re inst.); Calabrese c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 723 (C.F. 1re inst.). Cependant, les décisions en la matière sont inéluctablement fonction des faits, or les faits de la cause ne satisfont pas à la norme.

[13]      En premier lieu, le harcèlement et la discrimination dont la principale demanderesse se dit victime en Israël ne sont pas une menace pour la vie ni ne représentent l'une des formes les plus flagrantes de privation de liberté. Quand bien même elle serait exposée aux mêmes difficultés à son retour en Israël en attendant l'issue du recours en contrôle judiciaire, je ne pense pas qu'elle en subirait un préjudice irréparable.

[14]      Ce qui est plus grave, à mon avis, c'est le préjudice que la demanderesse mineure, Lada, pourrait subir si elle devait être renvoyée en Israël avec sa mère, en particulier du fait qu'elle perdrait le sentiment de sécurité qu'elle a acquis grâce au jardin d'enfants et à sa première année scolaire au Canada. Selon les preuves produites, elle est en train de surmonter les difficultés qu'elle avait à son arrivée au Canada, et il serait malsain pour elle d'être séparée de ses amis et de son école. Sur ce point encore, je conviens que ce serait là une grande perturbation, mais étant donné que Lada ne fait que commencer sa première année scolaire, les preuves produites ne me permettent pas de conclure qu'à cet égard, son renvoi possiblement temporaire en Israël lui causerait un " préjudice irréparable ".

[15]      L'avocat des demanderesses insiste aussi sur le préjudice que causerait la séparation forcée de Lada et du mari de sa mère; selon les preuves produites, elle le prend pour son propre père et les deux sont unis par un lien de filiation solide. Il convient de noter à cet égard que le mari de la principale demanderesse étant citoyen d'Israël, il pourrait les accompagner au retour dans ce pays s'il le voulait, bien que, étant donné que ses proches parents sont au Canada, ce ne soit pas là une décision facile à prendre. Cependant, le fait que sa femme est enceinte de leur enfant pourrait l'engager à décider de rejoindre celle-ci et Lada en attendant la résolution des difficultés des demanderesses en matière d'immigration.

[16]      Vu cette conclusion, il n'est pas nécessaire que j'examine l'affaire sous l'angle de la " balance des préjudices éventuels de part et d'autre ". Je rejette en conséquence la requête en suspension du renvoi des demanderesses en Israël, prévu pour le 29 octobre 1998. Étant donné cependant les circonstances particulières de cette cause qui inspirent la sympathie, et étant donné la présentation imminente, sous le régime du paragraphe 114(2), d'une demande d'autorisation de demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire, laquelle sera parrainée par le mari de la principale demanderesse, j'espère que la défenderesse et ses collaborateurs examineront très attentivement si l'intérêt général exige de renvoyer les demanderesses en Israël cette semaine.

ORDONNANCE

La Cour rejette la requête en suspension de l'expulsion des demanderesses en Israël, prévue pour le 29 octobre 1998.

     Signé : John M. Evans

     ________________________________

     Juge

Toronto (Ontario),

le 27 octobre 1998

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              IMM-5365-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Narunz Abramov, Lada Abramov

                     c.

                     La ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Lundi 26 octobre 1998

DATE DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

ORDONNANCE MOTIVÉE RENDUE PAR LE JUGE EVANS

LE :                      Mardi 27 octobre 1998

ONT COMPARU :

M. Neil Cohen                  pour les demanderesses

Mme Neeta Logsetty                  pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Neil Cohen                      pour les demanderesses

Avocat

2 College Street, Bureau 115

Toronto (Ontario)

M5G 1K3

M. Morris Rosenberg              pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19981027

     Dossier : IMM-5365-98

Entre

     NARUNZ ABRAMOV et

     LADA ABRAMOV,

     demanderesses,

     - et -

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défenderesse

     ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF)


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