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Date : 20051121

Dossier : IMM‑271‑05

Référence : 2005 CF 1577

ENTRE :

 

JESUS EMIDGIO MALDONADO OCHOA,

IVONNE QUINTERO,

DAVID ALFREDO MALDONADO QUINTERO,

LAURA BEATRIZ MALDONADO QUINTERO et

ASHLEY IGNACIO VILLAVICENCIO

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE HUGHES

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a tranché, en date du 22 décembre 2004, que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu des dispositions des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

 

[2]               Les demandeurs forment une famille, le père, la mère et les trois enfants, et sont tous citoyens du Venezuela. Le père et la mère ont travaillé pour la société pétrolière vénézuélienne PDVSA jusqu’à ce qu’il soit mis fin à leur emploi en janvier et en mars 2003 respectivement, apparemment parce qu’ils avaient participé à une grève générale contre le gouvernement Chavez en décembre 2002.

 

[3]               Les demandeurs disent qu’aux environs de décembre 2002, ils ont commencé à recevoir de nombreuses menaces qui ont donné lieu à deux tentatives d’enlèvement. Les auteurs de ces menaces et de ces tentatives d’enlèvement seraient la Direction sectorielle des services secrets et de la prévention (DISIP), les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), et les Cercles bolivariens. En outre, ils disent craindre aussi les groupes d’extermination qui visent dans leurs activités non seulement les cadres de direction mais aussi les cadres d’échelons moins élevés.

 

[4]               Les demandeurs soulèvent les quatre questions suivantes dans leur mémoire :
A.        La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant qu’il n’existe rien de plus qu’une simple possibilité de persécution si les demandeurs étaient renvoyés au Venezuela, en leur imposant un fardeau de preuve indu quant à leur demande d’asile?

 

            B.         La Commission a­­‑t‑elle commis une erreur de droit en exigeant essentiellement des demandeurs qu’ils aient agi suivant leurs convictions politiques pour mériter la protection?

 

            C.        La conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque aux endroits proposés comme possibilité de refuge intérieur et son appréciation du caractère raisonnable de cette possibilité constituent‑elles une erreur de droit?

 

            D.        La Commission a­‑t‑elle tiré des conclusions de façon abusive et arbitraire sans preuve ou sans tenir compte de la preuve?

 

[5]               À l’égard de la dernière question (D), même si elle est énoncée en termes généraux essentiellement, les demandeurs ont plaidé que la Commission a considéré que seuls les très hauts dirigeants étaient exposés à des risques, et non les cadres d’échelons moins élevés comme le demandeur principal, en réitérant les possibilités de refuge intérieur.

 

[6]               À l’audience, l’avocat des demandeurs a réduit le nombre de questions à trois, lesquelles s’énoncent comme suit :

1.                  La Commission a‑t‑elle eu raison de prendre la décision qu’elle a prise quant à savoir si les demandeurs craignaient avec raison d’être persécutés, compte tenu de leurs convictions politiques et de leur situation d’emploi?

 

2.                  La Commission a‑t‑elle eu raison de décider que les demandeurs avaient des possibilités de refuge intérieur raisonnables?

 

3.                  La décision de la Commission, en ce qui a trait à l’établissement du profil des demandeurs, avait­‑elle précisément pour effet de resserrer déraisonnablement la norme à l’égard du fardeau de la preuve concernant le risque?

 

[7]               La plupart des arguments de l’avocat des demandeurs se rapportaient à la troisième question. Chacune des trois questions sera examinée.

 

1. Bien‑fondé de la crainte – convictions politiques et situation d’emploi

[8]               Les arguments de l’avocat des demandeurs concernant cette première question visaient surtout la situation d’emploi du père et la question de savoir s’il occupait une fonction suffisamment « élevée » pour s’attirer la vengeance des partisans de Chavez. La Commission a examiné la preuve et tiré des conclusions, notamment celle qui suit, à la page 10 des motifs :

Étant donné leur niveau d’instruction et leur expérience d’emploi, leur grève et leurs activités syndicales, leurs profils politiques et la preuve documentaire dont je dispose, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, le premier demandeur et la première demandeure ne seraient pas sérieusement limités dans leur droit de gagner leur vie au Venezuela aujourd’hui. Même s’ils étaient exclus des emplois dans le secteur public et les filiales, j’estime que certaines compagnies privées au Venezuela seraient intéressées à engager une personne ayant l’éducation et l’expérience d’emploi du premier demandeur et de la première demandeure.

 

 

[9]               La décision de la Commission est compatible avec une décision récente de la Cour fondée sur des faits très semblables, à savoir Gil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 C.F. 1498.

 

[10]           Il était loisible à la Commission de tirer ces conclusions à partir de la preuve testimoniale et documentaire. La décision de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable et elle ne devrait pas être annulée pour ce motif (Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 C.F. 87, aux paragraphes 8 à 11).

 

2.  Possibilités de refuge intérieur

[11]           La Commission a examiné la question des possibilités de refuge intérieur qui s’offraient aux demandeurs au Venezuela et elle a conclu à l’existence de telles possibilités. À la page 11 de ses motifs, la Commission a déclaré :

Une autre question à trancher en ce qui concerne les FARC consiste à déterminer s’il existe une possibilité de refuge intérieur viable pour les demandeurs ailleurs au Venezuela, à l’extérieur de l’État de Zulia, puisque cette question a été soulevée avec les demandeurs avant et pendant l’audience. D’après la preuve dont je dispose, j’estime qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés pour un motif de la Convention au Venezuela par les FARC, s’ils s’installent à Barcelone ou à Cumana, où il existe une possibilité de refuge intérieur.

 

 

Et à la page 15 , elle a ajouté :

Ayant estimé qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés aux endroits constituant une possibilité de refuge intérieur, la question à trancher consiste alors à déterminer s’il est déraisonnable qu’ils cherchent refuge là-bas. Après examen des conditions de ces endroits et de toutes les circonstances des présentes demandes d’asile, y compris les circonstances particulières des présents demandeurs, j’estime que ces derniers ne subiraient pas de préjudices indus s’ils s’installaient à Barcelone ou à Cumana.

 

[12]           Il incombait aux demandeurs d’établir que ces possibilités de refuge intérieur les exposaient à des risques graves, mais rien n’a été clairement démontré (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (CA)). La décision ne peut être annulée pour ce motif.

 

3.  Resserrement déraisonnable de la norme à l’égard du fardeau de la preuve

[13]           L’avocat des demandeurs a allégué que la Commission avait établi un profil relatif à la situation d’emploi et à l’engagement politique et qu’un demandeur devait correspondre à ce profil avant qu’il soit possible de conclure qu’il craignait avec raison d’être persécuté, au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), de sorte qu’il puisse être considéré comme un réfugié au sens de la Convention. Au dire de l’avocat, cela a pour effet de resserrer les exigences à l’égard du fardeau de la preuve du demandeur.

 

[14]           Dans Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680, la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit aux paragraphes 4 à 8 concernant le critère objectif :

4     […] Cependant, la question soulevée auprès de cette Cour portait plutôt sur le bien‑fondé de la crainte subjective, l’élément dit objectif, qui veut que la crainte du réfugié soit appréciée objectivement pour déterminer si elle s’appuie sur des motifs valables.

5      Il n’est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu’à exiger qu’il y ait probabilité de persécution. En d’autres termes, bien que le requérant soit tenu d’établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n’a tout de même pas à prouver qu’il serait plus probable qu’il soit persécuté que le contraire. En effet, dans l’arrêt Arduengo c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1981), 40 N.R. 436 (C.A.F.), à la page 437, le juge Heald, de la Section d’appel, a dit ce qui suit :

 

      Par conséquent, j’estime que la Commission a commis une erreur en exigeant que le requérant et son épouse démontrent [page 683] qu’ils seraient persécutés alors que la définition légale précitée exige seulement qu’ils établissent qu’ils « craignent avec raison d’être persécutés ». Le critère imposé par la Commission est plus rigoureux que celui qu’impose la loi.

 

6      Les parties ont convenu que l’on peut correctement décrire le critère applicable en parlant de [traduction] « possibilité raisonnable » : existe‑t‑il une possibilité raisonnable que le requérant soit persécuté s’il retournait dans son pays d’origine?

7      Nous adopterions cette formulation, qui nous semble équivalente à celle utilisée par le juge Pratte, de la Section d’appel, dans Seifu c. Commission d’appel de l’immigration (A‑277‑82, en date du 12 janvier 1983, non publié) :

 

[…] que pour appuyer la conclusion qu’un requérant est un réfugié au sens de la Convention, il n’est pas nécessaire de prouver qu’il « avait été ou serait l’objet de mesures de persécution; ce que la preuve doit indiquer est que le requérant craint avec raison d’être persécuté pour l’une des raisons énoncées dans la Loi ». [C’est moi qui souligne.]

 

8      Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d’une part qu’il n’y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c’est‑à‑dire une probabilité), et d’autre part, qu’il doit exister davantage qu’une possibilité minime. Nous croyons qu’on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse », par opposition à une simple possibilité.

 

[15]           L’arrêt Adjei date de 1989. En 2005, la Cour d’appel fédérale dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 C.A.F. 1, a examiné l’affaire à la lumière des articles 96 et 97 de la LIPR. Dans cette décision, la Cour d’appel établit la distinction entre la norme de preuve qui correspond à la « prépondérance des probabilités » et le critère objectif relativement à la crainte de persécution pour lequel « il n’est pas nécessaire qu’il y ait une possibilité supérieure à 50 p. 100 mais il faut davantage qu’une possibilité minime ». Le juge Rothstein de la Cour dans Li a déclaré ce qui suit aux paragraphes 10 à 12 relativement à l’article 96 de la LIPR :

[10]            Toutefois, il ne faut pas confondre norme de preuve et critère objectif. La distinction a été faite dans l’arrêt Adjei c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1989] 2 C.F. 680, dans le contexte d’une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. La disposition pertinente est aujourd’hui l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui prévoit :

***

[11]            À la page 682 de la décision Adjei, le juge McGuigan a dit :

Il n’est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu’à exiger qu’il y ait probabilité de persécution. En d’autres termes, bien que le requérant soit tenu d’établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n’a tout de même pas à prouver qu’il serait plus probable qu’il soit persécuté que le contraire. [Non souligné dans l’original.]

[12]            Le juge McGuigan a adopté le critère de la « possibilité raisonnable d’être persécuté » comme étant le critère à respecter dans une demande de statut de réfugié au sens de la Convention, c’est‑à‑dire, il n’est pas nécessaire qu’il y ait une possibilité supérieure à 50 p. 100, mais il faut davantage qu’une possibilité minime.

 

[16]           Au paragraphe 29, le juge Rothstein a dit ce qui suit concernant l’article 97 de LIPR :

Distinction entre la norme de preuve et le critère en vertu de l’alinéa 97(1)a)

[29]            Il devient immédiatement apparent que les termes utilisés pour décrire la norme de preuve – la probabilité la plus forte – sont ceux qui sont utilisés pour décrire le critère objectif auquel il doit être satisfait afin d’avoir qualité de personne à protéger en vertu de l’alinéa 97(1)a), à savoir, plus probable que le contraire. Même si les termes sont à peu près identiques, il y a deux étapes distinctes. La preuve selon la prépondérance des probabilités est la norme de preuve que le tribunal applique dans l’appréciation d’une preuve afin de tirer ses conclusions de fait. Le critère permettant de déterminer le risque de torture est de savoir, compte tenu des faits dont le tribunal est saisi, si le tribunal est convaincu qu’il est plus probable que le contraire que l’individu serait personnellement soumis à un danger de torture.

 

[17]           La Commission dans l’affaire dont la Cour est maintenant saisie a tiré ses conclusions en appliquant le critère de l’arrêt Adjei, c’est‑à‑dire qu’elle a estimé qu’il n’existait « pas de possibilité sérieuse » que les demandeurs soient exposés à un risque ni « aucun motif important » de croire qu’ils seraient exposés à de la torture. La Commission a conclu que la crainte de persécution n’était pas objectivement fondée. À la page 17 de ses motifs, la Commission a affirmé ce qui suit :

Étant donné que j’ai conclu que la crainte des demandeurs à l’égard des partisans de Chavez, tels que les Cercles bolivariens, les agents de la DISIP ou les autres autorités gouvernementales au Venezuela, n’est pas objectivement fondée et qu’ils ont une possibilité de refuge intérieur viable en ce qui concerne leur crainte de persécution de la part des FARC, j’estime aussi qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que les demandeurs risquent personnellement de perdre la vie ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités s’ils retournent au Venezuela. Pour les mêmes raisons, j’estime qu’il n’existe aucun motif important de croire que les demandeurs seraient personnellement exposés à un risque de torture s’ils retournaient au Venezuela.

 

 

[18]           Conformément à la décision de la Cour dans Mora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 C.F. 1164, aux paragraphes 40 et 41, j’estime que la Commission n’a pas resserré la norme de preuve contre l’intérêt des demandeurs dans la présente affaire.

 


CONCLUSION

[19]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

[20]           En ce qui a trait aux questions à faire certifier, les demandeurs disposeront de sept jours à partir de la date de la présente ordonnance pour soumettre des observations concernant toute question à faire certifier et le défendeur aura cinq jours par la suite pour répondre à ces observations.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 21 novembre 2005

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh Tram Dang, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                             IMM-271-05

 

INTITULÉ :                                                           JESUS EMIDGIO MALDONADO OCHOA,

                    IVONNE QUINTERO,

                    DAVID ALFREDO MALDONADO      QUINTERO,

                    LAURA BEATRIZ MALDONADO       QUINTERO et

                    ASHLEY IGNACIO VILLAVICENCIO

                    c.

 

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET       DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE D’AUDIENCE :                                         LE LUNDI 14 NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                      LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 21 NOVEMBRE 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeinis S. Patel                                                            POUR LES DEMANDEURS

                                                                               

John Provart                                        

John Pro                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeinis S. Patel                                                            POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)                                

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                           POUR LE DÉFENDEUR

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