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     Date : 19990408

     Dossier : IMM-3070-98

Ottawa (Ontario), le 8 avril 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DENAULT

ENTRE :

     JIAN FENG LI,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

    

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission du statut de réfugié en date du 6 juillet 1998 est annulée et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour une nouvelle audition.

     PIERRE DENAULT

                                             Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990408

     Dossier : IMM-3070-98

ENTRE :

     JIAN FENG LI,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT

[1]      Il s'agit d'une demande en vue de faire annuler une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a statué que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine (RPC) qui prétend avoir une crainte bien fondée d'être persécuté en raison de ses opinions politiques.

[2]      En janvier 1996, le demandeur s'est rendu au Suriname, où il a résidé pendant un peu plus d'une année. À son retour en Chine, il affirme avoir parlé à ses amis et à d'autres personnes des différences qui existent entre le système d'éducation du Suriname et celui de la RPC. Il a particulièrement critiqué le fait qu'en Chine les étudiants doivent payer des frais de scolarité, tandis qu'au Suriname l'éducation est gratuite. Il s'est aussi montré critique envers les hauts fonctionnaires qui se servent de leur rang dans la société pour aider leurs enfants à se faire admettre dans des écoles plus prestigieuses.

[3]      Comme il l'a expliqué lors de son témoignage devant la SSR, ses commentaires sont venus aux oreilles du secrétaire du parti du gouvernement du comté qui a décidé de le faire arrêter. Le père du demandeur a été mis au courant de l'arrestation imminente de son fils par le chef du gouvernement local, un ancien camarade de classe, qui semble-t-il l'aurait appris en lisant un document interne. Craignant d'être arrêté et détenu dans un camp de travail, le demandeur a fui au Canada.

[4]      La SSR a rejeté la demande parce qu'elle a jugé que le demandeur n'était pas un témoin crédible. Premièrement, elle a refusé de croire que les étudiants chinois doivent payer des frais de scolarité, spécialement en se fondant sur un extrait du Inside China Mainland qui confirme qu'en Chine, l'éducation est socialisée.

[5]      Deuxièmement, le tribunal n'a pas accepté le témoignage du demandeur relativement à son arrestation imminente. Le demandeur a omis de mentionner l'existence du document interne qui ordonnait son arrestation dans son FRP (ce qui laisse croire à une tentative de fabrication et d'embellissement de la preuve). En plus, sa déposition orale ne concordait pas avec les renseignements contenus dans son FRP. Dans son formulaire, il a écrit avoir été informé qu'il serait amené dans un camp de travail alors que dans sa déposition orale, il a déclaré qu'il serait arrêté. Aucune explication raisonnable n'a été fournie.

[6]      Étant donné le manque de crédibilité du témoignage du demandeur, la SSR a statué qu'il n'avait pas une crainte bien fondée d'être persécuté. Malgré l'existence d'une preuve documentaire suivant laquelle le gouvernement chinois ne tolérait absolument pas les dissidents, même peu connus, le demandeur n'a pas prouvé qu'il en était vraiment un.

[7]      Dans les observations qu'il a présentées à la Cour, le demandeur a surtout concentré ses efforts sur la conclusion du tribunal concernant sa crédibilité. Premièrement, il a allégué que la SSR a tiré à tort une conclusion défavorable du fait qu'il a pu quitter le pays pour aller au Suriname. Je ne suis pas d'accord. Le tribunal a mentionné que [Traduction] " ... [la preuve du demandeur] est problématique parce que ... premièrement, [il] a pu s'en aller au Suriname ", mais il n'a pas tiré une conclusion défavorable de ce fait, le fond de sa décision tenant davantage au témoignage du demandeur sur les frais de scolarité et son arrestation imminente.

[8]      Deuxièmement, le demandeur affirme que la SSR a commis une erreur en ne tenant pas compte de son témoignage en ce qui concerne le paiement des frais de scolarité. À mon avis, le tribunal ne pouvait pas arriver à la conclusion qu'il a tirée à partir de la preuve produite. Lors de son témoignage devant le tribunal, le demandeur a déclaré que les étudiants devaient payer des frais de scolarité, le coût des livres, etc.1 La preuve documentaire n'exclut pas explicitement l'existence d'une obligation de payer de tels frais. En fait, le seul article sur la question de l'éducation porté à l'attention de la SSR confirme seulement que, pour le gouvernement chinois, il n'est pas prioritaire d'investir dans le secteur de l'éducation :

         [Traduction] ... depuis son accession au pouvoir, le PCC a, intentionnellement ou non, maintenu l'investissement dans le secteur de l'éducation ... à un des niveaux les plus bas au monde.         
         Étant donné l'importance excessive accordée à l'argent et aux avantages à court terme depuis le début de la réforme et de la transparence, aux prises avec la rareté du financement et sachant que les rendements du capital investi dans le secteur de l'éducation ne sont pas pour demain, tous les paliers du gouvernement considèrent que l'investissement dans ce secteur n'est pas prioritaire.         

Cette preuve n'exclut pas explicitement la possibilité que les étudiants doivent payer certains frais. Par conséquent, la SSR aurait dû accorder un certain poids au témoignage du demandeur.

[9]      Troisièmement, le demandeur signale à juste titre que la conclusion du tribunal en ce qui concerne son arrestation est déraisonnable. Étant donné que le tribunal avait déjà reconnu facilement que le pouvoir du secrétaire du parti pouvait prévaloir sur celui du chef du gouvernement local, il était déraisonnable qu'il déclare, sans explication, qu'il était exceptionnel que le chef du gouvernement local ne puisse protéger le demandeur.

[10]      Quatrièmement, le demandeur a fait valoir que la conclusion de la SSR fondée sur les contradictions relevées dans la preuve du demandeur est erronée. Comme l'a allégué à juste titre le demandeur, il n'existe pas de contradictions entre son FRP et sa déposition orale en ce qui a trait au document interne faisant état de la décision de procéder à son arrestation. Il ne peut y en avoir puisque le FRP n'en fait pas mention. La SSR ne devait pas non plus tirer de conclusion défavorable puisqu'il n'est pas nécessaire que le FRP énonce intégralement la prétention du demandeur2. En outre, il ne semble pas que le demandeur ait tenté de fabriquer une preuve ou d'embellir la réalité. La première fois qu'il a été questionné au sujet de son arrestation, il a mentionné l'existence de ce document interne3 et s'y est reporté régulièrement par la suite4.

[11]      En ce qui concerne la seconde contradiction relevée par le tribunal, soit la peur d'être arrêté ou d'être envoyé dans un camp de travail, même si, personnellement, j'estime que la conclusion du tribunal a été un peu sévère, (au cours de son témoignage, le demandeur ne semblait honnêtement pas faire la distinction entre une arrestation, un emprisonnement et un camp de travail, même lorsqu'il a été interrogé par le tribunal et son propre avocat), il serait exceptionnel pour la Cour de modifier une conclusion de fait tirée par le décideur.5

[12]      Enfin, le demandeur soutient que le tribunal n'a pas tenu compte des rapports récents sur les droits de l'homme, qui confirment que le gouvernement chinois n'a aucune tolérance pour les opinions dissidentes, même lorsqu'il s'agit d'une simple divergence d'opinions. Or, le tribunal a bel et bien reconnu que même les dissidents peu connus n'étaient pas tolérés en Chine, même s'il ne s'est pas fondé sur la preuve documentaire récente. Il n'a simplement pas jugé que le demandeur était un dissident, vu son manque de crédibilité. Toutefois, à cause des erreurs mentionnées plus haut, la conclusion concernant la crédibilité du demandeur doit être annulée.

[13]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

     PIERRE DENAULT

                                             Juge

Ottawa (Ontario)

Le 8 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-3070-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          JIAN FENG LI c.
                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
                         ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 1er AVRIL 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE DENAULT

DATE DES MOTIFS :              8 AVRIL 1999

COMPARUTIONS :

ANTYA SCHRACK                      POUR LE DEMANDEUR
LORIE JANE TURNER                  POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

ANTYA SCHRACK                      POUR LE DEMANDEUR

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

ME MORRIS ROSENBERG              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

__________________

     1      Transcription, dossier du tribunal, vol.1, à la p. 12.

     2      Singh et Narang c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 69 F.T.R. 142, à la p.147 (1re inst.).

     3      Transcription, supra note 1, à la p. 17.

     4      Id., aux p.21 et 27.

     5      Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.); Singh, supra, note 2.

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