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Date : 20201026


Dossier : IMM‑5106‑19

Référence : 2020 CF 1009

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2020

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

BIOLA FALILAT FABUNMI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Biola Falilat Fabunmi, et sa fille craignent d’être persécutées et de subir un préjudice en raison de leur orientation sexuelle. Elles sont citoyennes nigérianes et affirment être bisexuelles et avoir eu des relations homosexuelles au Nigéria. Elles prétendent également que des membres de leur belle‑famille, des justiciers de leur communauté et la police sont à leur recherche au Nigéria. La Section d’appel des réfugiés [la SAR], à l’instar de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] avant elle, a conclu que Mme Fabunmi et sa fille n’étaient pas crédibles en raison d’incohérences dans leurs éléments de preuve et qu’elles n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Mme Fabunmi et sa fille ont demandé le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[2]  La fille de Mme Fabunmi était une codemanderesse jusqu’à ce que la Cour ordonne que son nom soit retiré du dossier, à la suite de l’avis de désistement signifié et déposé en décembre 2019. Mme Fabunmi est donc à présent la seule demanderesse. Notre Cour n’est plus saisie de la décision qu’a rendue la SAR à l’égard de la fille de Mme Fabunmi, contrairement à ce qu’a fait valoir l’avocat de la demanderesse à l’audition de la présente affaire (qui s’est déroulée par téléconférence en raison de la COVID‑19).

[3]  La principale question à trancher est de savoir si la décision de la SAR était déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural. Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que la SAR : i) a manqué à l’équité procédurale en tirant de nouvelles conclusions en matière de crédibilité sans accorder d’audience à la demanderesse; ii) a rendu une décision finale erronée compte tenu du fait qu’elle a estimé que la SPR avait tiré plusieurs conclusions d’invraisemblance erronées; iii) a incorrectement évalué les documents dont elle était saisie et iv) a commis une erreur en omettant d’effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97 (de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]). Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent.

II.  Norme de contrôle

[4]  La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 10. Il ne s’agit pas d’une « simple formalité », mais plutôt d’une forme rigoureuse de contrôle : Vavilov, précité, au para 13. Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles applicables dans les circonstances : Vavilov, au para 85. Les cours de justice ne devraient intervenir que si nécessaire. Pour éviter l’intervention judiciaire, il faut aussi que la décision présente les caractéristiques d’une décision raisonnable – la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. La Cour doit éviter d’évaluer et de pondérer à nouveau la preuve dont disposait le décideur; cependant, une décision peut être déraisonnable si le décideur « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » : Vavilov, précité, aux para 125‑126. C’est à la partie qui conteste la décision qu’il incombe de démontrer qu’elle est déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[5]  Les manquements à l’équité procédurale dans le contexte administratif sont considérés comme étant susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte ou assujettis à un « exercice de révision [...] [TRADUCTION] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » : Chemin de fer Canadien Pacifique Ltée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 54. L’obligation d’équité procédurale « est “éminemment variable”, intrinsèquement souple et tributaire du contexte »; elle doit être déterminée eu égard à l’ensemble des circonstances, notamment les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker : Vavilov, précité, au para 77. En somme, la cour de révision doit surtout se demander si le processus était équitable.

III.  Analyse

i)  La SAR a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale en tirant de nouvelles conclusions en matière de crédibilité sans accorder d’audience à la demanderesse?

[6]  À mon avis, la SAR n’a pas tiré de nouvelles conclusions en matière de crédibilité justifiant la tenue d’une audience, en l’absence d’éléments de preuve admissibles aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR. Contrairement à ce que fait valoir la demanderesse, cela ressort clairement du paragraphe 14 de la décision de la SAR : [traduction] « J’aborderai brièvement les conclusions [de la SPR] que les appelantes contestent en appel et les conclusions [de la SPR] que j’ai indépendamment jugées erronées avant d’analyser les conclusions solides [de la SPR] ». Les précisions que j’apporte entre crochets sont à mon avis implicites dans la déclaration de la SAR. Il ressort clairement de cette « feuille de route » et de la décision de la SAR dans son ensemble que la SAR a examiné les questions dont était saisie la SPR. Elle n’a pas soulevé une nouvelle question; « au contraire, elle [a examiné] la question soulevée par la demanderesse » : Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 380 [Ibrahim], au para 30.

[7]  Lorsque la crédibilité d’un demandeur d’asile est au cœur de la décision de la SPR et des motifs d’appel devant la SAR, « cette dernière est habilitée à tirer des conclusions indépendantes à cet égard, et ce, sans avoir à interroger le demandeur à ce sujet ou encore à lui donner autrement la possibilité de présenter des observations » : Corvil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 300, au para 13.

[8]  Suivant la norme de la décision correcte, la SAR était tenue d’examiner et d’évaluer à nouveau la preuve et j’estime que c’est ce qu’elle a fait : Zhao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1593, au para 33. À moins qu’une explication claire ne soit fournie quant à la raison pour laquelle la SPR est réellement avantagée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur, la SAR doit effectuer sa propre évaluation de la crédibilité, et j’estime également que c’est ce qu’elle a fait en l’espèce : Manan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 150, au para 38. Par ailleurs, « [l]e fait qu’elle a perçu certaines preuves différemment [ou, à mon avis, qu’elle a confirmé une conclusion défavorable en matière de crédibilité au moyen d’une analyse plus logique ou rationnelle] n’est pas une raison de contester la décision pour des motifs d’équité lorsqu’aucune nouvelle question n’a été soulevée » : Ibrahim, précité, au para 30; Iqbal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 170, au para 55. Dans l’affaire dont je suis saisie, la demanderesse conteste les conclusions de la SAR sans expliquer pourquoi la SPR était réellement avantagée par rapport à cette dernière pour évaluer la crédibilité dans les circonstances.

[9]  Quoi qu’il en soit, les [traduction] « nouvelles conclusions en matière de crédibilité » alléguées par la demanderesse concernent sa fille, qui n’est plus partie à la présente instance. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que j’examine cette question plus avant.

ii)  La SAR a‑t‑elle rendu une décision finale erronée compte tenu du fait qu’elle a estimé que la SPR avait tiré plusieurs conclusions d’invraisemblance erronées?

[10]  Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis l’erreur alléguée à cet égard. La demanderesse fait valoir que la SAR est parvenue à sa décision en se fondant sur les incohérences et les invraisemblances relevées par la SPR. Par ailleurs, elle affirme que la SAR aurait dû renvoyer l’affaire à la SPR pour nouvelle décision [traduction] « sachant très bien qu’elle n’avait pas entendu le témoignage oral des demanderesses, au lieu de conjecturer en s’appuyant sur ces conclusions d’invraisemblance erronées ». Cependant, lorsque la SAR relève une erreur dans la décision de la SPR, elle peut, à mon avis, confirmer la décision pour d’autres motifs : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], au para 78. Comme je l’explique plus loin, j’estime que les conclusions tirées par la SAR selon la norme de la décision correcte sont « fondée[s] sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » qui les rend intelligibles, transparentes et justifiées.

[11]  Aux termes du paragraphe 111(1) de la LIPR, la SAR dispose de trois options lorsqu’elle est appelée à rendre une décision. L’une d’elles consiste à renvoyer l’affaire à la SPR pour nouvelle décision. Le paragraphe 111(2) limite toutefois la capacité de la SAR en ce sens. Le paragraphe 111(2) prescrit un critère conjonctif à deux volets pour que la SAR puisse conclure que la décision doit être renvoyée pour nouvelle décision. La SAR doit estimer, premièrement, que la SPR a commis une erreur de droit, de fait ou de droit et de fait et, deuxièmement, qu’elle ne peut confirmer ou infirmer la décision de la SPR ni y substituer sa propre décision sans examiner la preuve qui a été présentée à la SPR.

[12]  Comme l’a expliqué la juge Gauthier, le paragraphe 111(2) de la LIPR repose sur le principe portant que, dans certains cas, la SPR est réellement avantagée par rapport à la SAR pour tirer des conclusions à partir des témoignages de vive voix : Huruglica, précité, au para 70. D’un autre côté, la juge Gauthier a aussi clairement indiqué que dans chaque affaire, un critère à deux volets doit être rempli : « [...] la SAR doit rechercher si la SPR a joui d’un véritable avantage et si, le cas échéant, elle peut néanmoins rendre une décision définitive relativement à une demande d’asile » : Huruglica, précité, au para 70. La juge Gauthier a précisé qu’il est possible que la SPR ne soit pas réellement avantagée par rapport à la SAR si cette dernière peut relever une erreur en se basant sur le bon sens, comme dans les cas où un demandeur d’asile n’a pas été jugé crédible parce que son récit n’était pas vraisemblable : Huruglica, précité, au para 72.

[13]  Le premier volet du critère énoncé au paragraphe 111(2) de la LIPR a été rempli en l’espèce lorsque la SAR a conclu que la SPR avait eu tort de tirer les conclusions d’invraisemblance suivantes à l’égard de la demanderesse, en expliquant pourquoi :

  • 1) la conclusion d’invraisemblance quant au fait que la demanderesse s’était sentie heureuse et positive lorsqu’elle avait réalisé qu’elle était bisexuelle – la SAR a déclaré que la découverte de soi est un processus très personnel;

  • 2) la conclusion d’invraisemblance relative aux orthographes variées du nom de la prétendue partenaire de la demanderesse et la conclusion selon laquelle ces orthographes n’étaient pas étayées par la preuve documentaire – la SAR n’était pas certaine de savoir à quel type de preuve documentaire la SPR faisait référence, ayant conclu que les trois orthographes du nom de la partenaire étaient courantes dans la culture nigériane;

  • 3) la conclusion d’invraisemblance quant au fait que la demanderesse a subi des blessures mineures, alors que son mari est décédé, dans une prétendue attaque par un groupe de garçons; la voiture dans laquelle son mari et elles prenaient place se serait renversée, et leurs agresseurs auraient alors mis le feu à la voiture en hurlant que les homosexuels et les lesbiennes étaient indésirables – la SAR a estimé que la SPR n’avait pas de connaissances spécialisées dans la reconstitution des accidents de voiture et qu’elle ne disposait donc d’aucune méthode fiable pour évaluer la vraisemblance de cet élément de preuve.

[14]  Cependant, le deuxième volet du critère énoncé au paragraphe 111(2) de la LIPR n’a, selon moi, pas été rempli. La SAR a conclu, après avoir examiné l’ensemble de la transcription se rapportant aux trois dates d’audience, la preuve et le dossier de la SPR, que cette dernière ne jouissait d’aucun avantage véritable. La SAR s’est donc attelée à remplir la tâche que lui confiait le paragraphe 111(1) de la LIPR. En l’espèce, elle a confirmé, encore une fois en expliquant son raisonnement, que la SPR avait correctement évalué les incohérences suivantes qui étaient importantes (peut‑être à une exception près) quant à la demande d’asile de la demanderesse, et donc que la SPR avait eu raison de conclure que le témoignage et la preuve documentaire de cette dernière manquaient de crédibilité :

  • 1) Demandes de visa canadien : La demanderesse et sa fille ont présenté des demandes de visa canadien. Les renseignements concernant les frères et sœurs et les enfants de la demanderesse qui figurent dans ces demandes ne concordent pas avec ceux qui figurent dans les demandes d’asile. La SAR a estimé que les deux documents semblaient faire référence à des personnes complètement différentes, ce qui signifiait qu’au moins l’un d’eux contenait des omissions ou des renseignements frauduleux. La SAR a également fait remarquer que lorsqu’elle a été interrogée à l’audience de la SPR, la demanderesse a répondu que son frère et un agent de voyage l’avaient aidée à remplir les demandes de visa. Elle n’a pas pu expliquer pourquoi les renseignements étaient incorrects. La SAR a estimé que les demandes de visa faisaient [traduction] « partie de la multitude d’éléments de preuve essentiels pour établir [leur] identité et les relations avec les membres de la famille, qu’[elles] ont qualifiées durant leur témoignage d’extrêmement pertinentes aux fins de leurs demandes d’asile ». Même s’il s’agissait d’une question accessoire, la SAR a conclu qu’elle n’avait que minimalement influé sur la conclusion globale portant que la preuve de la demanderesse était extrêmement incohérente et donc non fiable.

  • 2) Relation de la demanderesse avec une prétendue partenaire (dont le nom est orthographié de diverses façons) : La demanderesse a allégué, dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) ainsi que dans son témoignage, qu’elles s’étaient rencontrées en janvier 2012 alors que Mme Fabunmi travaillait comme coiffeuse au Midas Touch Salon. La preuve documentaire indique toutefois qu’elle a travaillé dans ce salon ou y a suivi une formation en 2003‑2004, soit huit ou neuf ans auparavant. Interrogée au sujet de cette incohérence, Mme Fabunmi a répondu qu’elle avait oublié la date exacte. La SAR a estimé qu’il s’agissait d’une incohérence grave et importante qui était au cœur de la demande d’asile de la demanderesse. Mme Fabunmi a déclaré durant son témoignage que la relation avait duré environ quatre ans et pris fin peu avant l’attaque dont elle et son époux auraient été victimes au début de 2016.

  • 3) Demandes de visa britannique : Dans son formulaire FDA, Mme Fabunmi a également allégué qu’elle avait présenté deux demandes de visa britannique en 2012 et 2015 afin de retrouver sa partenaire, mais que les demandes avaient été refusées. La preuve biométrique britannique indique toutefois que les demandes ont plutôt été faites en 2010 et 2013. Pour la SAR, ce dernier élément de preuve était fiable et la divergence était problématique : si la relation de quatre ans avait débuté en 2003‑2004, elle devait être terminée depuis longtemps en 2010, mais si elle avait débuté en 2012, la première demande de visa britannique aurait été présentée deux ans avant que Mme Fabunmi ait même rencontré sa prétendue partenaire. Lorsque la SPR l’a mise en présence de ces incohérences, Mme Fabunmi a répondu qu’elle oubliait certaines choses et ne s’en souvenait pas. La SAR a jugé l’explication inacceptable, car les deux questions concernaient la nature de la relation ayant mené à sa prétendue persécution au Nigéria. La SAR a donc conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la relation romantique décrite par la demanderesse n’avait pas existé.

  • 4) Attaque de Mme Fabunmi et de son époux : Dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, Mme Fabunmi mentionne qu’après qu’elle a vu sa partenaire pour la dernière fois en décembre 2015, celle‑ci a retrouvé une ancienne petite amie dont l’époux les a surpris en train d’avoir des relations sexuelles. Elle affirme que l’époux a organisé l’attaque de Mme Fabunmi et de son époux par le groupe de garçons; au moment de l’attaque, sa partenaire vivait clandestinement pour échapper à cet homme. La preuve documentaire comprenait une lettre du Riverdale Immigrant Women’s Centre, qui indique toutefois, sur la foi de renseignements fournis par Mme Fabunmi, que l’attaque avait été orchestrée par la partenaire qui était jalouse du temps que la demanderesse passait avec sa famille. La demanderesse n’a pas été capable d’expliquer l’incohérence et son témoignage se rapportant à cette question était vague et déroutant.

La SAR a jugé cette incohérence importante, car elle est au cœur du danger auquel Mme Fabunmi prétend être exposée au Nigéria. La SAR a également noté que la SPR n’avait reçu aucune preuve corroborant le décès de l’époux de Mme Fabunmi, ou leur séjour à l’hôpital, et l’absence de preuve n’a pas été expliquée. Je note que Mme Fabunmi a eu le temps et la possibilité d’obtenir les documents nécessaires – l’audience de la SPR s’est déroulée sur trois jours entre novembre 2017, soit un an après l’arrivée de Mme Fabunmi au Canada, et août 2018 : Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1126, au para 184; Fatoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 456, au para 35.

  • 5) Clandestinité pour échapper à la police et à la communauté : Le témoignage de Mme Fabunmi et l’exposé circonstancié de son formulaire FDA diffèrent quant à la question de savoir à quel moment la police s’est mise à la rechercher. Par exemple, Mme Fabunmi a déclaré ce qui suit durant son témoignage : les recherches ont été rendues publiques; elle l’a appris de sa bonne; elle l’a appris de son ancienne partenaire. Dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, elle indique toutefois que c’est son frère qui l’en a informée alors qu’ils étaient en route pour l’aéroport afin de quitter le Nigéria. Par ailleurs, les récits de Mme Fabunmi et de sa fille quant à la date, au lieu et à la raison de leur entrée dans la clandestinité étaient contradictoires.

[15]  La SAR a donc confirmé la décision portant que la demanderesse n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. (Cela valait également pour sa fille qui n’est plus partie à la présente demande de contrôle judiciaire.) En dehors des erreurs de la SPR relevées par la SAR, les nombreuses incohérences dans la preuve étaient manifestes et suffisamment importantes pour que la SAR confirme la justesse des autres conclusions de la SPR.

iii)  La SAR a‑t‑elle évalué incorrectement les documents dont elle disposait?

[16]  Cette question concerne plus particulièrement les demandes de visa canadien et la preuve documentaire ayant trait à l’emploi ou à la formation de la demanderesse au Midas Touch Salon et datant de 2003‑2004. Je ne suis pas convaincue que la SAR a évalué incorrectement les éléments de preuve relatifs à l’une ou l’autre de ces questions.

[17]  Comme je l’ai noté au point 1 du paragraphe 14, la SAR a estimé, à la lumière des renseignements contradictoires relevés entre les demandes de visa canadien et les demandes d’asile concernant les frères et sœurs et les enfants de la demanderesse, qu’au moins un des documents contenait des omissions ou des renseignements frauduleux. J’estime que cette conclusion est quelque peu conjecturale et globalement inutile. Cela dit, cela n’enlève rien selon moi au caractère raisonnable de l’examen de cette preuve par la SAR, à la conclusion non contredite d’incohérence et à l’absence d’explication quant à la raison de l’inexactitude des renseignements.

[18]  La demanderesse soutient toutefois que l’utilisation de documents frauduleux pour échapper à la persécution est accessoire à toute demande d’asile, citant à l’appui les décisions Rasheed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 587 [Rasheed], et Fajardo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACJ no 915. Même si j’admets ce principe général, j’estime qu’il ne s’applique pas aux circonstances de l’affaire dont je suis saisie. Premièrement, les renseignements contradictoires concernent des membres de la famille plutôt que l’identité même de la demanderesse. La présente affaire ne porte pas sur une demanderesse qui a menti au sujet de sa propre identité ou est entrée au Canada à l’aide de documents étrangers frauduleux, comme c’était le cas dans l’affaire Rasheed. Deuxièmement, la demanderesse n’a pas avancé cet argument devant la SAR, il est donc inconvenant qu’elle le fasse dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Je conviens avec le défendeur que cela équivaut à demander que la preuve soit examinée et pondérée à nouveau.

[19]  S’agissant de l’emploi ou de la formation de la demanderesse au Midas Touch Salon en 2003‑2004, j’estime que la SAR a formulé ses préoccupations (aux points 2 et 3 du paragraphe 14 ci‑dessus) de manière intelligible, transparente et justifiée. Contrairement à l’argument que la demanderesse a fait valoir devant notre Cour, les contradictions entre différents types d’éléments de preuve, y compris les témoignages, autorisent le décideur à tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité : Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924, au para 21, citant Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183, au para 19.

[20]  Invoquant la décision Selvakumaran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 FCT 623 [Selvakumaran], au para 20 (le paragraphe 21 est incorrectement cité dans ses observations écrites), la demanderesse a soutenu que [traduction] « le témoignage oral est généralement autorisé pour obtenir davantage de détails concernant l’exposé circonstancié d’un demandeur d’asile et il ne devrait pas servir à contester la crédibilité ». Cependant, la Cour a formulé ainsi le principe en question : « selon la jurisprudence, une déposition orale peut permettre de fournir des détails qui ne figurent pas au FRP [Formulaire de renseignements personnels] et cela ne servira pas à entacher la crédibilité du demandeur, à moins que l’incident omis ne soit important pour la revendication » [non souligné dans l’original] : Selvakumaran, au para 20. Contrairement à la situation dont je suis saisie, la Cour a conclu, dans le même paragraphe de la décision Selvakumaran, que « [n]on seulement les éléments de preuve contenus dans le FRP sont compatibles avec la déposition orale du demandeur, mais encore les détails omis sont insignifiants ». Contrairement à ce que fait valoir la demanderesse, je ne suis pas convaincue que la SAR a omis, en l’espèce, de tenir compte d’un élément de preuve important ou qu’elle a écarté un élément de preuve pertinent. Je ne suis donc pas disposée à juger déraisonnable le réexamen par la SAR de la preuve et des témoignages applicables ni ses conclusions concernant les demandes de visa britannique et la relation de la demanderesse avec sa prétendue partenaire.

iv)  La SAR a‑t‑elle eu tort de ne pas effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97?

[21]  Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur à cet égard. La demanderesse semble faire valoir essentiellement que les articles 96 et 97 de la LIPR doivent faire l’objet d’un traitement distinct étant donné que les analyses s’y rapportant diffèrent et que, en ne procédant pas ainsi en l’espèce, la SPR et la SAR ont manqué à l’équité procédurale. En revanche, le défendeur soutient que la SAR n’est pas tenue d’effectuer une autre analyse fondée sur l’article 97 étant donné que les arguments de la demanderesse étaient les mêmes que ceux soumis au titre de l’article 96 : Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1379, au para 51. Il fait valoir que, ayant considéré l’argument de la demanderesse portant qu’elle était exposée à un risque au Nigéria en raison de sa bisexualité et conclu qu’il manquait de crédibilité, la SPR n’était pas tenue d’effectuer une analyse supplémentaire fondée sur l’article 97. Je suis d’accord.

[22]  S’inspirant de la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, aux para 2‑3, la Cour a déjà estimé que « ni la SAR ni la SPR ne sont tenues d’effectuer une analyse au regard de l’article 97 de la LIPR dans les affaires où le demandeur manque de crédibilité » : Chinwuba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 312, au para 31; Huseynov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1392, aux para 7 et 19; Ikeme c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 21, aux para 40‑42; Alkurd c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 298, au para 27. Je ne vois aucune raison dans les circonstances présentes de m’écarter de ce courant jurisprudentiel.

IV.  Conclusion

[23]  Par conséquent, je conclus que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Je conclus également que la décision de la SAR était équitable sur le plan procédural. Aucune partie n’a proposé de question grave de portée générale à des fins de certification et je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5106‑19

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5106‑19

 

INTITULÉ :

BIOLA FALILAT FABUNMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario) (PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 juin 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

La juge FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 octobre 2020

 

COMPARUTIONS :

Jerome Olorunpomi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Idorenyin Udoh‑Orok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jerome Olorunpomi

Aide juridique Ontario

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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