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Date : 20201102


Dossier : IMM-4694-19

Référence : 2020 CF 1024

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2020

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

WITHNEY STEPHANIE PIERRE

partie demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demande de contrôle judiciaire faite en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] devait être entendue d’abord le 25 février 2020, puis le 31 août 2020 et finalement doit être entendue le 5 novembre. Une lettre conjointe des avocats des parties du 26 octobre 2020 demandait à la Cour « de rendre une décision dans le présent dossier sur la base des prétentions écrites » sans tenir d’audition. L’audience du 5 novembre 2020 est annulée. Ceci constitue la décision de la Cour, rendue sans audition des parties.

[2]  Le 31 août 2020, la demanderesse requérait que l’audition soit suspendue parce que, disait-elle, la décision de notre Cour dans Conseil canadien des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 770 [Conseil canadien des réfugiés], avait une incidence sur sa situation.

[3]  Dans l’ordonnance et motifs du 9 octobre 2020 (2020 CF 960) disposant de cette requête, la Cour expose les circonstances dans lesquelles elle doit rejeter la demande de suspension d’instance faite à l’audience du 31 août. Les parties avaient présenté leurs points de vue dans des notes supplémentaires présentées à la Cour durant le mois de septembre 2020. L’ordonnance fournit les détails de ce qui constitue la toile de fond de cette affaire ayant ses particularités. Je ne discute ici que des faits saillants.

[4]  Dans son ordonnance du 9 octobre, la Cour concluait que les questions soulevées dans Conseil canadien des réfugiés, soit la constitutionalité des articles 101(1)e) de la LIPR et 159.3 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], sont bien différentes puisque les dispositions en cause dans cette affaire ne sont pas celles dont il est question en notre espèce (al. 112(2)d) de la LIPR, lu avec l’art. 159.5 du Règlement), lesquelles n’ont pas empêché la demanderesse de voir son statut de réfugié déterminé au Canada, contrairement à la situation dans Conseil canadien des réfugiés où les demandes d’asile sont irrecevables, ce qui empêche la détermination d’un statut de réfugié au Canada. Par ailleurs, la déclaration d’inconstitutionnalité avait fait l’objet d’une suspension, faisant en sorte que les dispositions en cause font loi. J’ajoute que la Cour d’appel fédérale a depuis fait droit à une demande de sursis de la part du Ministre, en vertu de la règle 398(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, jusqu’à ce que l’appel et le contre-appel aient été décidés (2020 CAF 181). En somme, il n’y avait aucune raison de ne pas entendre cette demande de contrôle judiciaire.

[5]  Mme Pierre s’est présentée à la frontière américaine et y avait demandé de recevoir le statut de réfugié au Canada. Malgré qu’elle soit arrivée d’un tiers pays sûr, elle n’a pas été refoulée puisqu’un membre de sa famille se trouvait déjà au Canada. L’alinéa 101(1)e) de la LIPR rend une demande d’asile irrecevable lorsque la personne arrive d’un tiers pays sûr (comme les États-Unis), mais l’article 159.5 du Règlement exclut cette irrecevabilité du fait de la présence d’un membre de sa famille qui correspond à l’un des alinéas de l’article. C’est ainsi que la demanderesse a été entendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. Sa demande d’asile a été rejetée.

[6]  Son appel devant la Section d’appel des réfugiés [SAR] a lui aussi été rejeté, mais dans ce cas pour défaut de compétence de la SAR. C’est que, quoiqu’une réclamation de demande d’asile puisse être faite malgré l’arrivée d’un tiers pays sûr dans un cas comme celui de Mme Pierre, la LIPR prévoit spécifiquement que la décision de la SPR ne peut faire l’objet d’un appel devant la SAR (al. 110(2)d) de la LIPR).

[7]  La demande d’autorisation du contrôle judiciaire par la demanderesse était bicéphale, en ce que la demanderesse présentait dans la même procédure des demandes d’autorisation tant contre la décision de la SPR que celle de la SAR. Cette façon de faire est contraire à la règle 302 des Règles des Cours fédérales. Quoiqu’il en soit, notre Cour accordait le 27 novembre 2019 la permission de faire une demande de contrôle judiciaire, mais uniquement pour ce qui est de la décision de la SAR. La décision de la SPR ne se trouve donc pas devant cette Cour puisqu’aucune autorisation n’a été accordée.

[8]  Il faut comprendre qu’avait cours durant cette période un débat sur la constitutionnalité du régime qui interdit l’appel devant la SAR dans les cas semblables à celui de Mme Pierre. Le débat a été résolu par la Cour d’appel fédérale le 19 août 2019 grâce à son arrêt Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223 [Kreishan], où la constitutionnalité du régime qui exclut un appel devant la SAR a été confirmée. Il en résultait que la SAR avait raison de décliner compétence comme elle l’a fait le 3 juillet 2019 parce que le Parlement en a ainsi décidé.

[9]  Cependant, l’affaire n’était pas complète puisque la décision de la Cour d’appel fédérale était portée devant la Cour suprême du Canada pour que permission d’en appeler soit accordée. C’est ainsi que l’audition du contrôle judiciaire de la décision de la SAR, prévue pour le 25 février dernier, a été reportée le 24 février. La Cour suprême devait refuser la permission d’en appeler dans Kreishan le 5 mars 2020. La pandémie fit en sorte que l’audition était éventuellement reportée au 31 août 2020.

[10]  Le 31 août 2020, comme indiqué plus haut, la demanderesse faisait une demande de suspension d’instance qui a été refusée le 9 octobre dernier.

[11]  Il ne fait aucun doute que seule la décision de la SAR de décliner compétence est devant cette Cour puisque c’est la seule autorisation qui a été donnée. De fait, la demanderesse l’a très loyalement concédé dans ses notes supplémentaires du 18 septembre dernier. Elle y notait que l’autorisation accordée en notre espèce portait seulement sur la décision de la SAR. Cette autorisation permettait de connaître le résultat définitif du débat judiciaire une fois le résultat de l’étape de la Cour suprême connu. L’autorisation faisait en sorte de maintenir le statu quo (notes supplémentaires, paras 1 et 9). Une décision qui aurait conclu que l’exclusion de l’appel est inconstitutionnelle aurait fait en sorte que la SAR n’aurait pas dû décliner compétence. C’est le contraire qui s’est produit.

[12]  Il en résulte que la SAR avait raison de décliner compétence puisque la LIPR interdit un appel devant la SAR de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR de décliner juridiction doit être rejetée. Aucune question sérieuse d’importance générale n’est soumise.


JUGEMENT au dossier IMM-4694-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR de décliner juridiction est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4694-19

INTITULÉ :

WITHNEY STEPHANIE PIERRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE EXAMINÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À LA DEMANDE CONJOINTE DES PARTIES LE 26 OCTOBRE 2020

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 2 novembre 2020

PRÉTENTIONS ÉCRITES PAR :

Rym Jawad

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Édith Savard

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Aristide Koudiatou Inc.

Montréal (Québec)

Pour lA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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