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Date : 20041123

Dossier : IMM-2229-04

Référence : 2004 CF 1646

Toronto (Ontario), le 23 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                             MOHAN LOKUSIRIYAGE ET SANJEEV LOKUSIRIYAGE

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                                          LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mohan et Sanjeev Lokusiriyage sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision en date du 29 janvier 2004 dans laquelle un agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR) a conclu qu'ils ne seraient pas exposés au risque de persécution, de torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'ils étaient renvoyés dans leur pays d'origine, le Sri Lanka. Pour les motifs énoncés ci-dessous, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de l'agent, et je rejette la demande.


[2]                À titre préliminaire, l'avocate du défendeur sollicite une ordonnance en vue de modifier l'intitulé de la cause de façon que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration soit désigné comme défendeur, et la Cour fait droit à sa demande.

[3]                Les demandeurs soulèvent une objection relativement à l'admission en preuve de l'affidavit d'une agente d'ERAR, Carole Benoit. Je me pencherai sur cette objection lorsque je traiterai de la première question de fond.

[4]                M. Lokusiriyage affirme avoir été un adhérent du Parti national uni (PNU) pendant la campagne électorale de 1994. Pour cette raison, il a été la cible d'hommes de main affiliés à la campagne d'un candidat de l'Alliance populaire (AP). Il s'est tenu coi par la suite et, en 1998, il est parti au Qatar pour travailler. Il y est resté jusqu'en avril 2001. À son retour au Sri Lanka, il a repris ses activités politiques et a encore une fois été ciblé par des hommes de main liés à des partis politiques. Mme Lokusiriyage dit avoir été kidnappée et agressée sexuellement par les hommes de main en question en juillet 2001 à cause des activités politiques de son mari.

[5]                M. et Mme Lokusiriyage sont entrés au Canada en août 2001. Leur demande d'asile a été rejetée par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) en août 2002 pour des motifs liés à la crédibilité.

[6]                Pour les besoins de l'ERAR, en plus des renseignements qui avaient été mis à la disposition de la CISR, M. Lokusiriyage a fourni un affidavit et une lettre de son père pour corroborer le récit de l'enlèvement de son épouse et de la persécution commise par les hommes de main de l'AP. L'affidavit mentionnait que l'AP était désormais affiliée au PNU, et que la famille du demandeur continuait à être victime de harcèlement au Sri Lanka.

[7]                L'agent d'ERAR a conclu que l'affidavit du père était intéressé et incompatible avec la preuve fournie antérieurement. Par conséquent, il lui a accordé peu d'importance. En outre, il a conclu que la preuve documentaire n'établissait pas que l'instabilité gouvernementale était une situation nouvelle ou qu'il y avait eu une détérioration importante de la situation depuis l'audition de la demande d'asile des demandeurs.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]                1.          L'agent a-t-il tiré des conclusions contradictoires dans son évaluation des risques?

2.          L'agent a-t-il omis de tenir compte d'éléments de preuve ou mal interprété ces derniers?


ANALYSE

1. Conclusions contradictoires

[9]                L'argument des demandeurs en ce qui concerne les contradictions dans l'évaluation des risques est fondé sur une interprétation du sens des coches apparaissant dans la partie 5 du formulaire d'évaluation rempli par l'agent d'ERAR. Les demandeurs font valoir que ces coches représentent des conclusions de l'agent qui sont incompatibles avec ses exposés circonstanciés ultérieurs. Il s'ensuit, selon eux, que l'agent n'a pas pu appliquer de façon appropriée les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Ceci constitue une erreur de droit : Ward c. Canada,[1993] 2 R.C.S. 689.


[10]            La partie 5 des notes au dossier ou du formulaire d'évaluation concernant l'ERAR consiste en une liste de contrôle intitulée [traduction] _ Considérations générales _, suivie d'une rubrique intitulée [traduction] _ Considérations générales applicables à tous les motifs de protection _, qui est subdivisée en quatre catégories de questions touchant la nature du risque; la protection de l'État; la possibilité de refuge intérieur ou le(s) pays de nationalité ou de résidence habituelle; et la règle d'application générale. Chacune des catégories comporte des énoncés assortis de cases _ oui _ et _ non _ que l'agent doit cocher. Par exemple, dans la première catégorie, l'agent doit cocher la case _ oui _ ou _ non _ pour répondre à la question suivante : [traduction] _ Le risque mentionné par le demandeur fait partie des risques visés aux articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. _ En l'espèce, l'agent a coché la case _ oui _adjacente à cet énoncé.

[11]            Le défendeur soutient que ces coches ne correspondent pas aux conclusions tirées par l'agent et n'impliquent pas que celui-ci a reconnu l'existence des risques mentionnés ou le fait que les demandeurs y sont exposés, mais qu'elles servent plutôt simplement à consigner ces aspects de la demande des demandeurs. À l'appui de cet argument, le défendeur a déposé l'affidavit de l'agente Benoit, qui a affirmé que tel était bien l'objet de la partie 5. Ce n'est pas l'agente Benoit qui a rendu la décision relative à l'ERAR qui est en cause en l'espèce. L'agent qui l'a rendue était en congé et ne pouvait pas déposer d'affidavit.

[12]            Les demandeurs font valoir que l'affidavit de Carol Benoit est inadmissible parce qu'il étoffe ou explique des motifs qui ont déjà été énoncés par un autre agent. Il ne s'agit pas d'une preuve consistant en des connaissances ou en des croyances personnelles touchant la décision rendue par M. Ball. Le tribunal ne peut étoffer ses motifs en raison du principe de dessaisissement : Chaudhry c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 104, au paragraphe 25.


[13]            Le défendeur soutient, et je suis d'accord avec lui, que l'affidavit de Carol Benoit est admissible parce qu'il ne porte que sur des éléments de preuve touchant les procédures suivies par l'agent d'ERAR dont elle avait une connaissance personnelle. Il ne vise pas a étoffer ou à expliquer la décision en cause. Il ne traite pas des motifs de la décision. On y explique plutôt la procédure suivie par tous les agents d'ERAR lorsqu'ils remplissent les formulaires relatifs aux motifs de leurs décisions.

[14]            Par conséquent, je conclus que l'agent d'ERAR n'a pas tiré les conclusions de fait qui lui sont attribuées par les demandeurs, et qu'il ne s'est donc pas contredit. Ayant pris note des risques allégués, l'agent a ensuite évalué les risques dans ses énoncés circonstanciés figurant à la partie 6 du formulaire. Après avoir examiné les énoncés en question, j'en arrive à la conclusion que l'agent n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans l'application des articles 96 et 97 de la LIPR, et que les demandeurs ne peuvent donc avoir gain de cause pour ce motif.

2. Appréciation de la preuve

[15]            Les demandeurs soutiennent que la décision n'était pas étayée par la preuve que l'agent avait à sa disposition. L'agent a mal interprété la preuve lorsqu'il a conclu que M. Lokusiriyage n'allait pas être exposé à un risque parce que ses prétendus agents de persécution s'étaient ralliés au parti auquel il adhérait. Il existe encore des adhérents de l'AP qui chercheront à lui faire du mal.


[16]            De plus, les demandeurs affirment que l'agent n'a pas tenu compte d'éléments de preuve selon lesquels les hommes de main continuaient à proférer des menaces à l'endroit de la famille de M. Lokusiriyage et avaient promis de le tuer s'il retournait au Sri Lanka : Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106, aux pages 113 et 114 (C.A.F.).

[17]            Le défendeur soutient que l'agent pouvait raisonnablement tirer les conclusions qu'il a tirées. Parmi les éléments de preuve soumis, rien n'indiquait que M. Lokusiriyage occupait au sein du PNU une position importante qui l'exposerait à un risque particulièrement grand. En fait, la preuve révélait qu'il n'avait participé aux activités du PNU que pendant une période de six à sept mois. Aucune preuve documentaire ou autre n'a été présentée à l'appui de la prétention que les anciens membres de l'AP qui étaient devenus des membres du PNU persécutaient les membres du PNU. La seule preuve de la persécution commise par ces personnes se trouvait dans l'affidavit du père du demandeur, et l'agent a accordé peu de poids à cet élément de preuve, comme il lui était loisible de le faire.

[18]            À mon avis, les demandeurs n'ont pas démontré que la décision de l'agent n'était pas étayée par la preuve ou que l'agent ne s'était pas acquitté de son obligation de tenir compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Huang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de Immigration) (1993), 66 F.T.R. 178;Randhawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. no 606.

[19]            La Cour doit faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions de l'agent concernant la situation dans le pays et la pertinence de ces conclusions par rapport à la situation des demandeurs : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 72; Sashitharan c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1021.

[20]            En effet, les demandeurs veulent amener la Cour à apprécier la preuve d'une façon différente de celle qui sous-tend la conclusion de l'agent. Je ne trouve rien de manifestement déraisonnable dans les conclusions tirées par l'agent, et je dois donc rejeter la présente demande.

[21]            Comme les parties n'ont proposé aucune question de portée générale, aucune question n'est certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :


1.         L'intitulé de la cause est modifié en substituant le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration au Solliciteur général du Canada.

2.          La présente demande est rejetée.

3.          Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                         _ Richard G. Mosley _            

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2229-04

INTITULÉ :                                        MOHAN LOKUSIRIYAGE et SANJEEV LOKUSIRIYAGE

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 22 NOVEMBRE 2004   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                       LE 23 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS:                        

Waikwa Wanyoike                                POUR LES DEMANDEURS

                                                                                

Margherita Braccio                                POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Waikwa Wanyoike                                POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                     

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


                         COUR FÉDÉRALE

                                             Date : 20041123

                                 Dossier : IMM-2229-04

ENTRE :

MOHAN LOKUSIRIYAGE ET

SANJEEV LOKUSIRIYAGE

demandeurs

et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                 défendeur

                                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                  


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