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Date : 20010724

Dossier : IMM-4555-00

Référence neutre : 2001 CFPI 826

ENTRE :

                                       JOSE EPIFANIO RENEDO PEREZ

                                                                                                                     demandeur

                                                                 et

                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                     défendeur

                                           MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Heneghan

INTRODUCTION

[1]                 M. Jose Epifanio Renedo Perez (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision de Brenda Heal, conseillère en immigration, (la conseillère en immigration). Dans sa décision en date du10 août 2000, la conseillère en immigration a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de motifs d'ordre humanitaire pour permettre d'accueillir la demande et dispenser le demandeur de l'exigence du paragraphe 9(1) de la Loi sur l' immigration , L.R.C. 1985, ch. I-2, tel qu'amendé (la Loi).


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est un citoyen du Mexique. Il est entré au Canada le 22 mars 1991, et il a déposé une demande de réfugié au sens de la Convention le 24 mars 1991. Le 26 octobre 1991, lorsqu'il assistait à un festival qui se tenait à Vancouver, le demandeur a poignardé un homme à mort. Le demandeur a par la suite subi un proçès et a été reconnu coupable de meurtre au premier degré, mais a été déclaré non-responsable criminellement le 15 janvier 1993. Il a été interné au Riverview Hospital, Forensic Psychiatric Institution (l'hôpital Riverview) à Coquitlam en Colombie-Britannique pour une période de détention indéterminée.

[3]                 La demande de statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur a été entendue par un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section du statut de réfugié et, le 15 juillet 1996, il a été décidé qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Une demande d'étude visant à le classer en tant que membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié a été refusée le 3 juin 1998.

[4]                 En janvier 1996 le demandeur a fait la connaissance de Kasandra DeBanou. Ils se sont mariés le 9 septembre 1996. À ce moment là, le demandeur était un patient de l‘hôpital Riverview. Son épouse était également une patiente occasionnelle du même hôpital.


[5]                 Le 8 octobre 1999, le demandeur a soumis, à partir du Canada, une demande de droit d'établissement. Sa demande était en partie fondée sur son statut en tant qu'époux d'une citoyenne canadienne. Au même moment, son épouse a soumis une demande de parrainage du demandeur au Canada à titre d'époux. Les deux demandes mettaient en cause l'exercice par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 114(2) de la Loi.

[6]                 Dans une lettre datée du 10 août 2000, signée par T. Cochlan en tant que surveillant, Unité de traitement des demandes au Canada au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration à Vancouver, on a avisé le demandeur que sa demande de dispense de l'exigence du paragraphe 9(1) de la Loi avait été refusée, au motif qu'il n'y avait pas de raisons suffisantes justifiant de l'exempter de cette exigence, c'est-à-dire, de le dispenser de se conformer à l'exigence habituelle de faire une demande de droit d'établissement au Canada de l'extérieur du Canada.

[7]                 La lettre de refus du10 août 2000 prévoit, entre autre, ce qui suit :

Le 10 août 2000, un agent d'immigration agissant en tant que délégué du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a révisé les circonstances individuelles de votre demande d'être dispensé des exigences prescrites par le paragraphe 9(1) et a décidé qu'une dispense ne serait pas accordée pour votre demande.

Votre demande est donc refusée.

En rendant cette décision, l'agent a tenu compte de la documentation écrite incluse avec votre demande, de l'historique de votre dossier avec Immigration Canada, d'entretiens téléphoniques avec votre ancien agent de règlement des cas, Mme. Richardson, ainsi qu'avec M. Shieh, votre agent actuel, et des observations additionnelles de votre avocate, Mme O'Connor Coulter. Malheureusement, il n'y avait pas suffisamment de considérations humanitaires pour justifier une décision favorable. [En caractères gras dans l'original]


[8]                 Le dossier du tribunal contient un « rapport au dossier » préparé par la conseillère en immigration et dans lequel elle fait mention de quelques facteurs dont elle a tenu compte en rendant sa décision. Elle mentionne comme étant des facteurs positifs à l'appui d'une demande de dispense, le mariage du demandeur à une citoyenne canadienne, la durée de leur relation et le fait que les époux peuvent se voir lorsque le demandeur a la permission de recevoir des visiteurs de l'extérieur.

[9]                 La conseillère en immigration a noté des facteurs plus nombreux allant à l'encontre de l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire. Ces facteurs négatifs sont la condamnation pour meurtre au premier degré du demandeur, le fait qu'il ait été établi subséquemment qu'en raison de sa maladie mentale, il ne devrait pas être tenu responsable criminellement de ce meurtre et son internement à l'hôpital Riverview. De plus, la conseillère en immigration a renvoyé aux diverses décisions du Comité de surveillance concluant que le demandeur présenterait un danger public s'il devait être libéré ainsi qu'aux recommandations constantes de maintenir sa détention au centre Riverview. La conseillère en immigration a également fait référence à la maladie de l'épouse du demandeur, laquelle souffre du même genre de maladie mentale que son mari. Cependant, à différents moments, il arrive que l'épouse ne prenne pas ses médicaments tels que prescrits et qu'il s'en suive une détérioration de sa santé mentale. De tels incidents contribuent à la tension mentale du demandeur et à la régression de sa propre santé mentale.

[10]            La conseillère en immigration a également pris note de la non-admissibilité du demandeur pour des raisons médicales et du fait qu'il fasse l'objet d'une mesure de renvoi.


QUESTIONS

[11]            Le demandeur soulève les questions suivantes dans cette demande :

(a)         Le tribunal a-t-il appliqué les mauvais critères en décidant s'il y avait suffisamment de considérations humanitaires pour accorder une dispense des dispositions du paragraphe 9(1) de la Loi?

(b)         Le tribunal a-t-il tenu compte d'éléments non pertinents en rendant sa décision?

(c)          Le tribunal a-t-il manqué à son devoir d'agir équitablement en ne donnant pas au demandeur l'occasion de répondre à la documentation présentée, et en faisant examiner la demande par un premier agent, en faisant rendre la décision par un deuxième agent et en faisant apparemment rédiger les motifs de la décision par un troisième agent?

(d)         Le tribunal a-t-il agi à l'encontre de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertéset de l'article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en n'offrant pas au demandeur tous les avantages que confère la loi à cause du handicap mental dont lui et son épouse souffrent?

Prétentions du demandeur

[12]            Le demandeur prétend d'abord que la conseillère en immigration a considéré des éléments non pertinents en rendant sa décision. Plus précisément, le demandeur allègue que la conseillère en immigration s'est concentrée sur son handicap mental ainsi que sur celui de son épouse, et a ainsi conclu que l'on ne pouvait s'attendre à ce que ces personnes aient un relation stable ou durable. Le demandeur allègue que la personne responsable de la décision s'est concentrée sur sa maladie et non sur l'authenticité de son mariage.


[13]            En second lieu, le demandeur soutient que la conseillère en immigration a appliqué les mauvais critères en évaluant si les considérations humanitaires étaient suffisamment importantes pour justifier une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi. Le demandeur mentionne que la conseillère en immigration s'est concentrée sur la durabilité de son mariage, même si les dispositions de l'article 8 des lignes directrices des demandes d'établissement présentées au Canada (1P-5) ne requièrent aucunement que les agents d'immigration fassent ce genre d'évaluation. Le demandeur allègue que la responsable de la décision n'avait à se poser que les questions suivantes concernant son mariage :

Le mariage est-il authentique?

A-t il été contracté avec l'intention de résider en permanence avec l'autre conjoint?

A-t-il été contracté afin de demeurer au Canada?

[14]            Le demandeur allègue qu'il n'y a aucune preuve démontrant que la conseillère en immigration se soit penchée sur l'un ou l'autre de ces critères.

[15]            Troisièmement le demandeur allègue que la conseillère en immigration a manqué à son devoir d'agir équitablement et ne lui a pas donné l'occasion d'être entendu selon les principes de justice naturelle. Le demandeur maintient qu'on ne lui a pas donné l'occasion de répondre à la documentation présentée à la conseillère en immigration. Il fait référence ici expressément à son profil médical que la conseillère en immigration a utilisé mais qu'elle n'a pas remis à l'avocat du demandeur.


[16]            Ensuite, le demandeur affirme que la décision de la conseillère en immigration est empreinte de partialité au détriment de personnes souffrant de maladie mentale. Selon lui, il s'agit d'une forme de discrimination qui porte atteinte aux dispositions de la Charte des droits et libertés relatives à l'égalité.

Prétentions du défendeur

[17]            Le défendeur maintient que la bonne approche face à cette demande consiste à étudier la décision en question par rapport à la norme de la décision raisonnable, et il mentionne qu'à la lumière de la preuve présentée à la conseillère en immigration concernant les circonstances uniques du demandeur, la décision est raisonnablement bien fondée.

[18]            Deuxièmement, le défendeur affirme que le demandeur se plaint du poids accordé à cette preuve plutôt que de la procédure suivie par la personne responsable de la décision.

[19]            Ensuite, le défendeur rejette l'allégation du demandeur quant à la partialité. Le défendeur dit que la décision en cause ne démontre aucunement l'existence d'une politique selon laquelle le ministre aurait tendance à ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de manière favorable aux personnes souffrant de maladie mentale. Il s'agit d'un décision précise, fondée sur les circonstances particulières du demandeur.


[20]            Enfin, le défendeur nie le fait qu'il y ait eu déni d'équité procédurale. Le défendeur mentionne que le demandeur était au courant, par le biais de son avocat, de la tenue de discussions entre les conseillers en immigration et les personnes qui lui dispensent soins et traitements, notamment la divulgation du fait qu'il souffrait d'une maladie grave.

ANALYSE

[21]            La décision qui nous occupe est de nature discrétionnaire et est rendue en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi. Ce paragraphe renferme la disposition suivante :

114. (1) ...

(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

114. (1) ...

(2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.

[22]            La mise en oeuvre de cette disposition permet à une personne de demander l'accès au Canada de l'intérieur du pays, contrairement à la procédure générale prévue au paragraphe 9(1), qui se lit comme suit :

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.


[23]            L'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 114(2) de la Loi, dans le cadre de ce qui est communément appelé « une demande basée sur des considérations humanitaires » , est sujet à contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter; voir l'arrêt Baker c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.).

[24]            Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour Suprême du Canada fait état du régime législatif sous-jacent à toutes les décisions rendues pour des considérations humanitaires. Au paragraphe 15, la Cour se prononce comme suit :

Les demandes de résidence permanente doivent normalement être présentées à l'extérieur du Canada, conformément au par. 9(1) de la Loi. L'une des exceptions à cette règle est l'admission fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. En droit, conformément à la Loi et au règlement, c'est le ministre qui prend les décisions d'ordre humanitaire, alors qu'en pratique, ces décisions sont prises en son nom par des agents d'immigration : voir, par exemple, Ministre de l' Emploi et de l'Immigration c. Jiminez-Perez, [1984] 2 R.C.S. 565, à la p. 569. En outre, même si, en droit, une décision d'ordre humanitaire est une décision qui prévoit une dispense d'application du règlement ou de la Loi, en pratique, il s'agit d'une décision, dans des affaires comme celle dont nous sommes saisis, qui détermine si une personne qui est au Canada, mais qui n'a pas de statut, peut y demeurer ou sera tenue de quitter l'endroit où elle s'est établie. Il s'agit d'une décision importante qui a des conséquences capitales sur l'avenir des personnes visées. Elle peut également avoir des répercussions importantes sur la vie des enfants canadiens de la personne qui a fait la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire puisqu 'ils peuvent être séparés d'un de leurs parents ou déracinés de leur pays de citoyenneté, où ils se sont installés et ont des attaches.

[25]            Des lignes directrices sont données par le défendeur pour aider le décideur dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 114(2). Les lignes directrices mentionnent de façon précise qu'elles ne sont pas contraignantes mais qu'elles sont plutôt destinées à guider le décideur dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire :


Les définitions suivantes ne constituent pas des règles strictes. Plutôt, elles ont pour but d'aider à exercer le pouvoir discrétionnaire de déterminer s'il existe des CH justifiant la dispense demandée du L9(1).

[26]            L'article 8.1 des lignes directrices mentionne les facteurs dont il faut tenir compte en évaluant une demande basée sur des considérations humanitaires pour les membres de la catégorie des parents :

8.1.1 Conjoints parrainés comme membres de la catégorie des parents :

Le Canada a depuis longtemps comme politique de faciliter l'admission de la personne qui se trouve au Canada et est parrainée par son conjoint citoyen Canadien ou résident permanent.

Premièrement déterminer

·     S'il y a un parrainage soumis et approuvé

Si oui, le demandeur est un membre possible de la catégorie des parents, ce qui peut constituer un facteur CH favorable. [non-souligné dans l'original]

[27]       En considérant ces directives, je ne suis pas convaincue que la conseillère en immigration se soit trompée lors de son évaluation de la demande du demandeur. Il apparaît très clairement au dossier que l'authenticité du mariage du demandeur n'est pas contestée. Le défendeur ne l'a aucunement mise en doute à l'audition de la demande. Cependant, à mon avis, la conseillère en immigration a bien exercé son pouvoir discrétionnaire en évaluant la demande du demandeur lorsqu'elle ne s'est pas arrêtée uniquement au mariage lui-même mais a tenu compte d'autres faits reliés de façon précise au demandeur, notamment sa maladie, celle de son épouse et les soins à long terme exigés par sa maladie.


[28]       À mon avis, la conseillère en immigration n'a nullement tenu compte de faits non pertinents ou superflus dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Sa décision est bien appuyée par la preuve et une intervention judiciaire n'est pas justifiée.

[29]       Ayant conclu que la conseillère en immigration a rendu sa décision en se fondant sur des faits précis se rapportant au demandeur, il n'est pas nécessaire d'examiner les allégations du demandeur concernant la Charte.

[30]       Les avocats auront une période de cinq jours suivant la réception de ces motifs pour soumettre une question à certifier.

        « Elizabeth Heneghan »

                                                                            juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 24 juillet 2001

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                                   COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                     IMM-4555-00

INTITULÉ:                                    Jose Epifanio Renedo Perez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :         Le17 juillet 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DE LA COUR :                       Le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                Le 24 juillet 2001

COMPARUTIONS :                 

Karen O'Connor Coulter                                                              POUR LE DEMANDEUR

Helen Park                                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Karen O'Connor Coulter                                                              POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

Sous-procureur général du Canada                                              POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

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