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Date: 19991202


Dossier: IMM-742-99



ENTRE:

     NICOLAS BARLETTA,

     Demandeur;

ET:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Défendeur;


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi), à l'encontre d'une décision rendue par M. Bernard Sivak, membre du tribunal de la section d'appel de l'immigration (la S.A.I.) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 6 janvier 1999. Dans cette décision, la Commission a conclu que le dépôt de l'avis du ministre prévu par le paragraphe 70(5) de la Loi empêche le demandeur de faire appel devant la section d'appel et que la section d'appel n'avait pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité de l'alinéa 70(5)c) de la Loi.

LES FAITS

[2]      Le demandeur, M. Barletta, un citoyen italien, est né à Liège, en Belgique, le 14 mars 1957. Il a été admis au Canada en qualité de résident permanent le 11 mai 1968, à l'âge de 11 ans.

[3]      Depuis 1985, M. Barletta vit avec Mme Lynda Ducharme. Ils ont une fille, prénommée Catherine, née le 20 mars 1994.

[4]      Le 6 mars 1985, le demandeur a été déclaré coupable de possession d'une arme illégale, infraction prévue par l'article 91 du Code criminel et punissable d'une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement.

[5]      Le 23 septembre 1991, le demandeur a été déclaré coupable de voies de fait, infraction prévue à l'article 268 du Code criminel. Le demandeur, qui était passible d'une peine maximale de quatorze ans de prison pour cette infraction, a écopé une peine d'un an d'emprisonnement.

[6]      Le 4 avril 1995, le demandeur a été déclaré coupable de possession de stupéfiants dans le but d'en faire le trafic et encourait une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité.

[7]      Le 23 juin 1997, le représentant du ministre, le directeur général, gestion des cas, a informé le demandeur conformément au paragraphe 70(5) de la Loi qu'il constituait un danger pour le public au Canada du fait qu'il avait été déclaré coupable de nombreuses infractions.

[8]      Le 24 novembre 1997, le demandeur a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du ministre portant qu'il constituait un danger pour le public au Canada.

[9]      Le 9 décembre 1997, un arbitre a conclu que le demandeur était une personne visée aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) de la Loi; il a donc rejeté sa demande et pris une mesure d'expulsion contre le demandeur.

                                    

[10]      Le 9 décembre 1997, le demandeur a déposé un avis d'appel devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et donné avis de son intention de contester la validité constitutionnelle du paragraphe 70(5) de la Loi devant la section d'appel en plaidant qu'il est incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B (la Charte).

[11]      Le 4 mai 1998, l'intimé a présenté une requête demandant à la section d'appel de statuer qu'elle n'avait pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 70(5).

[12]      Le 15 mai 1998, la section d'appel de l'immigration a rejeté la requête du défendeur et statué qu'elle avait compétence pour entendre l'appel relatif à la constitutionnalité du paragraphe 70(5) de la Loi.

[13]      Le 18 juin 1998, sur présentation d'une requête devant la Cour fédérale, madame le juge Tremblay-Lamer a accordé au demandeur l'autorisation d'engager une procédure de contrôle judiciaire de la décision du ministre portant que le demandeur était réputé constituer un danger pour le public.

[14]      Le 10 septembre 1998, les parties ont convenu de soumettre leurs arguments par écrit à la section d'appel de l'immigration sur la question de sa compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 70(5) de la Loi, et de faire trancher cette question avant l'audition de l'appel sur le fond.

[15]      Les parties ont convenu que les arguments en l'espèce étaient identiques à ceux soumis par les avocats des parties dans un appel analogue interjeté par M. Esteban Mateo, qui était représenté par le même avocat, et que les observations écrites dans cette affaire seraient donc utilisées dans le cadre de l'appel devant la section d'appel de l'immigration.

[16]      Le 25 septembre 1998, le juge Dubé a rejeté la demande de contrôle judiciaire devant la présente Cour.

[17]      Le 5 février 1999, la section d'appel de l'immigration a prononcé sa décision et rejeté l'appel du demandeur au motif que celui-ci était assujetti aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) de la Loi. Par conséquent, la S.A.I. a refusé de se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 70(5) de la Loi.

LA DÉCISION DE LA SECTION D'APPEL DE L'IMMIGRATION     
[18]      Voici comment la S.A.I. a traité la question :
         [Traduction] La question en litige est celle de savoir si la section d'appel a compétence pour rendre une décision quant à la constitutionnalité du paragraphe 70(5). Dans l'affaire Reynolds, la Section de première instance a statué catégoriquement que la section d'appel n'a pas cette compétence. La Section de première instance a conclu ... " le pouvoir général qu'a la section d'appel d'examiner des questions de droit et de compétence ne peut logiquement habiliter celle-ci à déclarer inconstitutionnel le paragraphe 70(5) et, par le fait même, à ne tenir aucun compte d'une limitation expresse que le législateur a imposée à sa compétence. " [...] La section d'appel est liée par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour suprême. Par conséquent, comme la décision Reynolds émane de la Cour fédérale, elle lie la section d'appel, à moins qu'elle soit infirmée par un tribunal d'instance supérieure ou qu'elle soit incompatible avec les décisions rendues par la Cour d'appel ou la Cour suprême sur la même question. Le demandeur souligne, avec raison, que les pouvoirs conférés à l'autorité décisionnelle par sa loi habilitante dans l'affaire Cooper diffèrent de ceux prévus dans la loi habilitante de la section d'appel. La Section de première instance cite néanmoins l'arrêt Cooper à l'appui de sa décision dans l'affaire Reynolds. [...]
         Un examen attentif des dispositions législatives et de la jurisprudence m'amène à conclure que le dépôt de l'avis du ministre en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi empêche le demandeur de former un appel devant la section d'appel et que la section d'appel n'a pas compétence pour connaître d'une contestation du paragraphe 70(5) de la Loi fondée sur la Charte.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas_:

d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale, autre qu'une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions :

(i) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée,

(ii) soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans;

27. (1) An immigration officer or a peace officer shall forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a permanent resident is a person who

(d) has been convicted of an offence under any Act of Parliament, other than an offence designated as a contravention under the Contraventions Act, for which a term of imprisonment of more than six months has been, or five years or more may be, imposed;

70(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre_:

a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

70(5) No appeal may be made to the Appeal Division by a person described in subsection (1) or paragraph (2)(a) or (b) against whom a deportation order or conditional deportation order is made where the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada and the person has been determined by an adjudicator to be

(a) a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(c), (c.1), (c.2) or (d);

(b) a person described in paragraph 27(1)(a.1); or

(c) a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed.

LA QUESTION EN LITIGE

[19]      La demande ne soulève qu'une question :
         La section d'appel a-t-elle compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité d'une disposition de sa loi habilitante?

LA POSITION DES PARTIES

La position du demandeur

[20]      Le demandeur soutient que la section d'appel a compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 70(5) de la Loi et qu'elle a commis une erreur en s'abstenant d'exercer cette compétence. Il fait valoir que la section d'appel a commis une erreur en adoptant l'interprétation retenue par le juge en chef adjoint Jerome dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Reynolds, [1997] A.C.F. no 1763, car cette interprétation ne s'applique pas correctement au raisonnement énoncé par la Cour suprême dans l'arrêt Cooper c. Canada, [1996] 3 R.C.S. 854.

[21]      Deuxièmement, le demandeur affirme que le paragraphe 70(5) est inconstitutionnel parce qu'il contrevient à l'article 15 de la Charte en privant les personnes qu'il vise du droit d'interjeter appel. Le demandeur prétend qu'il crée de ce fait une inégalité devant la loi.



La position du défendeur     

[22]      Le défendeur soutient que le raisonnement retenu dans l'affaire Reynolds, précitée, n'entre pas en conflit avec celui adopté par la Cour suprême du Canada comme le prétend le demandeur et, de plus, que c'est à juste titre que la section d'appel s'est appuyée sur la décision Reynolds pour statuer qu'elle n'avait pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 70(5).

[23]      En ce qui concerne la question de la constitutionnalité, le défendeur affirme que ce paragraphe ne contrevient pas à l'article 15 de la Charte.

ANALYSE

[24]      Il importe de préciser clairement dès le départ que le demandeur conteste la décision de la S.A.I. portant qu'elle n'a pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 70(5), et de son refus subséquent de tenir une audition sur le fond de l'appel qui lui était soumis, et non la mesure d'expulsion elle-même. Cette décision ne peut être contestée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[25]      Le paragraphe 70(5) de la Loi a été promulgué le 10 juillet 1995 et il a pour effet de priver du droit d'interjeter appel devant la S.A.I. les personnes qui se trouvent dans la situation suivante :

         (1)      une mesure d'expulsion a été prise contre la personne visée;
         (2)      un avis portant que la personne visée constitue un danger a été exprimé;
         (3)      la personne visée est un résident permanent décrit à l'alinéa 27(1)d).

[26]      Ces trois critères sont remplis en l'espèce. Les parties ne semblent pas le contester. La question soulevée devant la Cour est celle de savoir si la S.A.I. avait compétence pour connaître de l'appel du demandeur en ce qui concerne la constitutionnalité du paragraphe 70(5).

[27]      C'est la Loi sur l'immigration qui confère sa compétence à la S.A.I. et, aux termes du paragraphe 70(5), la Commission n'a pas compétence pour trancher un appel lorsque le ministre a exprimé un avis de danger. Dès qu'un tel avis a été exprimé, la section d'appel perd la compétence d'entendre un appel.

[28]      Dans l'arrêt Chiarelli c. M.E.I., [1992] 1 R.C.S. 711, la Cour suprême du Canada a traité de cette question, à la page 734 :

         Toutes les personnes qui entrent dans la catégorie des résidents permanents mentionnés au sous-al. 27(1)d)(ii) ont cependant un point commun: elles ont manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il leur soit permis de demeurer au Canada. En pareil cas, mettre effectivement fin à leur droit d'y demeurer ne va nullement à l'encontre de la justice fondamentale. Dans le cas du résident permanent, seule l'expulsion permet d'atteindre ce résultat. Une ordonnance impérative n'a rien d'intrinsèquement injuste. La violation délibérée de la condition prescrite par le sous-al. 27(1)d)(ii) suffit pour justifier une ordonnance d'expulsion. Point n'est besoin, pour se conformer aux exigences de la justice fondamentale, de chercher, au-delà de ce seul fait, des circonstances aggravantes ou atténuantes.
[29]      La Cour a ajouté, à la page 741 :
         Il est donc évident qu'un droit universel d'interjeter contre une ordonnance d'expulsion un appel fondé sur les "circonstances de l'espèce" n'a jamais existé. Cet appel a toujours été purement discrétionnaire. Quoique ce moyen d'appel soit maintenant prévu par la loi, l'exécutif conserve toujours le pouvoir d'empêcher qu'un appel fondé sur ce moyen soit accueilli dans des cas mettant en cause de graves questions de sécurité.

            

         Si un droit d'interjeter appel de l'ordonnance d'expulsion visée au par. 32(2) s'impose pour que soient respectés les principes de justice fondamentale, alors une telle exigence est manifestement remplie par un appel véritable dans le cadre duquel des moyens de fait et de droit peuvent être invoqués pour contester la décision du premier palier. L'absence d'un appel fondé sur des moyens dont la portée est plus large que celle des motifs sur lesquels reposait la décision initiale ne constitue pas une violation de l'art. 7.

[30]      Dans la décision Tsang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 107 F.T.R. 214, le juge Dubé a tranché une demande de contrôle judiciaire d'un avis de danger exprimé par le ministre. Voici ce qu'il dit au paragraphe 20 :

         À mon avis, le ministre n'a pas commis d'erreur de droit en exprimant son avis au moment où il l'a fait. Qui plus est, on ne saurait dire que la requérante a été privée de son droit d'appel, étant donné qu'il n'y a jamais eu de droit universel d'interjeter appel d'une mesure d'expulsion.


[31]      La Cour d'appel fédérale a étudié de façon approfondie et confirmé cette interprétation du paragraphe 70(5) dans l'arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646. Au paragraphe 10 de ses motifs, le juge Strayer s'est exprimé dans les termes suivants :

         Comme la Cour suprême l'a déclaré dans l'arrêt Chiarelli, le législateur n'était pas constitutionnellement tenu de prévoir un appel ou un redressement discrétionnaire quelconque. Il s'ensuit que tout droit d'appel accordé par le législateur peut être restreint ou retiré.

[32]      Si l'on applique le raisonnement énoncé dans la jurisprudence susmentionnée aux faits dont la Cour est saisie, le demandeur fait face à une mesure d'expulsion parce qu'il a commis des infractions graves alors qu'il n'était pas citoyen canadien. Les parties ne le contestent pas.

[33]      Ces infractions ont amené le ministre à exprimer un avis en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi, en raison duquel le droit d'appel conféré au demandeur par l'alinéa 70(1)b) sur la question de savoir si, " eu égard aux circonstances particulières de l'espèce ", il ne devrait pas être renvoyé du Canada, est remplacé par le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[34]      À mon avis, cette disposition est bien ancrée dans des motifs d'ordre public, c'est-à-dire la nécessité de protéger les Canadiens des personnes qui ont déjà eu des comportements criminels dangereux. Le libellé du paragraphe 70(5) n'est pas équivoque " si le ministre est d'avis qu'une personne constitue un danger pour le public, celle-ci perd le droit d'appel prévu par l'alinéa 70(1)b ).

[35]      Les deux avocats conviennent que la décision Canada c. Reynolds, 42 IMM L.R. 175, correspond en tous points aux faits qui me sont soumis en l'espèce.

[36]      Je souscris à l'analyse et aux conclusions du juge en chef adjoint dans l'affaire Reynolds. Je n'estime pas utile de répéter les propos tenus par le juge en chef adjoint dans cette affaire.

[37]      La jurisprudence de la Cour est constante pour ce qui est de confirmer la décision de la S.A.I. de refuser d'entendre les appels lorsque le ministre a exprimé l'avis qu'une personne constitue un danger.

[38]      Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la S.A.I. n'a pas commis d'erreur en refusant d'entendre l'appel du demandeur parce qu'elle n'avait pas compétence. La demande est rejetée.

QUESTION À CERTIFIER :

[39]      Les parties ont proposé la certification de la question suivante :

         Est-ce que la Section d"appel de l"Immigration de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié peut, à la demande d"un résident permanent faisant l"objet d"un avis du ministre selon lequel il constitue un danger pour le public au Canada, déclarer inopérant à son endroit le paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration à la lumière de l"article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?





[40]      D'après les renseignements qui m'ont été fournis, cette question n'a jamais été tranchée par la Cour d'appel. Je crois qu'il est suffisamment important que la Cour d'appel tranche cette question et je la certifie.


                             "Max M. Teitelbaum"                                               J.C.F.C.

Montréal (Québec)

Le 2 décembre 1999

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