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Date : 19971211


Dossier : IMM-4723-96

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE MCGILLIS

ENTRE :


JEANNETTE GREY MORERA ORTEGA,


requérante,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


intimé.


ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision de la Commission est annulée et l"affaire est renvoyée à une Commission différemment constituée pour que celle-ci procède à une nouvelle audition et statue de nouveau sur l'affaire. L'espèce ne soulève aucune question grave de portée générale.

                                 D. McGillis

                             ____________________________

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.


Date : 19971211


Dossier : IMM-4723-96

ENTRE :


JEANNETTE GREY MORERA ORTEGA,

requérante,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

intimé.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE MCGILLIS

LES FAITS

[1] La Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la "Commission") a rejeté la revendication du statut de réfugié présentée par la requérante pour le motif qu"il n"était guère probable qu"elle soit persécutée en République dominicaine [TRADUCTION] "... aux mains de son ex-mari ou aux mains d"un criminel qu"il pourrait engager pour lui nuire".

[2] La preuve versée dans le dossier révèle, entre autres choses, que la requérante était brutalisée par son mari, Polivio Antonio Pepin Enriquez (ci-après "Pepin"), durant leur mariage. Après leur divorce et plusieurs années de séparation, la requérante a décidé de permettre aux enfants du mariage, qui vivaient avec elle en République dominicaine, de rejoindre Pepin au Canada. Pepin, qui avait au Canada le statut de résident permanent, s'est rendu en République dominicaine pour ramener les enfants avec lui au Canada. Cependant, à son arrivée en République dominicaine, il a été arrêté pour trafic de drogue et condamné à cinq ans d"emprisonnement. En appel, sa peine fut ramenée à trois ans d"emprisonnement. Malgré l"incarcération de Pepin en République dominicaine, la requérante a envoyé ses enfants vivre au Canada chez un parent. Elle n'a pas révélé aux autorités de l"immigration que Pepin avait été emprisonné en Républicaine dominicaine pour trafic de drogue.

[3] Durant l"incarcération de Pepin en République dominicaine, la requérante le visitait chaque deux ou trois mois. À la faveur de ces visites, elle eut le sentiment qu"il avait modifié son attitude. Après l"élargissement de Pepin et son retour au Canada, la requérante entreprit de faire les démarches nécessaires pour immigrer au Canada, afin de se marier avec Pepin et de rejoindre ses enfants. La requérante est arrivée au Canada et a commencé à vivre avec Pepin et ses enfants à Montréal vers le mois de septembre 1994. Durant les premiers temps de leur cohabitation au Canada, elle a découvert que Pepin avait des liaisons avec d"autres femmes, dont une qu"il avait rendue enceinte. Elle a découvert aussi qu"il s"occupait de trafic de drogue et de prostitution.

[4] En décembre 1994, la requérante a menacé de rapporter à la police ses activités illégales. Pepin a alors menacé la requérante avec un couteau, mais l'a épargné grâce à l"intervention de leur fils. La requérante n"a pas appelé la police parce qu"elle ne parlait pas la langue et n"avait pas de papiers d"immigration.

[5] En février 1995, la requérante a déclaré à Pepin qu"elle le dénoncerait à la police. Encore une fois, il la menaça avec un couteau.

[6] En mars 1995, la police a effectué une perquisition à leur domicile et y a trouvé de la drogue. Pepin n"était pas à la maison à ce moment-là. La requérante fut arrêtée et inculpée de trafic de stupéfiant. Peu après, Pepin a été accusé de possession d"un stupéfiant pour en faire le trafic, et accusé d"autres infractions connexes.

[7] La requérante n"est pas retournée chez elle après son arrestation, parce qu"elle avait peur. Elle a emmené ses deux filles et s'est rendue dans un refuge pour femmes battues à Ottawa. Le 31 mars 1995, un juge de la Cour de justice de l"Ontario (Division générale) a accordé à la requérante la garde provisoire de ses deux filles. Il a ordonné aussi, entre autres choses, que Pepin s"abstienne d"importuner, de harceler ou d"ennuyer la requérante ou de communiquer avec elle, directement ou non.

[8] Quelques mois plus tard, le fils de la requérante a découvert l'endroit où elle vivait et a commencé à l'appeler. Apparemment, le numéro de téléphone du refuge avait été par inadvertance inscrit sur certains documents juridiques qui avaient été signifiés à Pepin. À une occasion, Pepin a appelé le refuge, prétendant être le fils de la requérante. Pepin parla à la requérante et lui dit qu"elle avait [TRADUCTION] "brisé sa vie en enlevant les filles". Il ajouta qu'elle paierait très cher pour avoir pris les filles.

[9] La requérante et ses deux filles ont quitté le refuge après environ six ou sept mois. Le numéro de téléphone de son domicile ne figurait pas dans l"annuaire et elle le donna à son fils, alors âgé de 17 ans , à la condition qu"il ne le révèle pas à Pepin. Son fils, qui vivait avec Pepin, lui téléphonait et la visitait régulièrement. Pepin ne l"avait appelée qu"à une seule occasion, au refuge.

[10] À l"audience, la requérante a déclaré que Pepin avait appelé sa mère (la mère de la requérante), ainsi qu"une tante de New-York. Pepin a déclaré à la mère et à la tante que, lorsqu"il trouverait la requérante, il la tuerait. Il a aussi affirmé qu"il la renverrait en République dominicaine dans un cercueil. La requérante a ajouté dans sa déposition que Pepin croit qu"il a été accusé de trafic de drogue en raison de déclarations qu'elle a faites à la police.

[11] À l"audience, Mercedes Paredes, une citoyenne canadienne, a témoigné pour la requérante. Mme Paredes est une missionnaire ecclésiastique qui a travaillé en République dominicaine à différentes époques. Durant l"une de ses affectations dans ce pays, elle a rencontré Pepin pendant qu"il était incarcéré et qu"il purgeait sa peine d"emprisonnement de trois ans pour trafic de stupéfiant. Il participait en prison à l"étude de la Bible, et elle pensait qu"il était bon et humble. Sa relation avec Pepin et sa famille se poursuivit, et elle s"occupa beaucoup d"eux à Montréal. Environ six mois après le retour de Pepin au Canada, il revint à ses "vieilles habitudes" et fut expulsé de l"église pour inconduite. Pepin traitait la requérante sans ménagement pendant qu"ils vivaient ensemble à Montréal. Finalement, Mme Paredes a aidé la requérante à quitter Pepin et a pris les dispositions nécessaires pour lui permettre de se réfugier dans un abri à Ottawa. Mme Paredes a témoigné que Pepin s"était vanté auprès d"elle de toujours mettre ses projets à exécution, affirmant qu"il avait déjà cassé des jambes. Elle a aussi témoigné que Pepin blâme la requérante pour tout ce qui lui est arrivé. À une occasion, Pepin a parlé à Mme Paredes après le départ de la requérante. Durant cette conversation, il a affirmé que la requérante était une "mégère" parce qu"elle lui avait enlevé ses filles.

[12] La requérante a été déclarée coupable de trafic de stupéfiant. Elle a été condamnée avec sursis et soumise à une période de probation. Le juge qui l"a condamnée a déclaré qu"il lui aurait imposé une peine de six mois d"emprisonnement, mais que les intérêts de la collectivité seraient mieux servis s"il la laissait s"occuper de ses filles. Il a aussi fait observer que la requérante avait menti dans son témoignage pendant le procès.

[13] En juin 1996, juste avant l"audition de la requérante devant la Commission, Pepin plaida coupable à cinq infractions de trafic de stupéfiant et fut condamné à six mois d"emprisonnement pour chacune d"elles, avec confusion des peines.


LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[14] Dans sa décision, la Commission s"est surtout demandé si la requérante avait raison de craindre d"être persécutée en République dominicaine. Analysant cette question, la Commission a déclaré à quatre reprises que la requérante n"était pas crédible. Puis la Commission s"est exprimée ainsi :

         [TRADUCTION]         
              L"ex-mari de la revendicatrice savait où elle se trouvait dans le refuge et il a communiqué avec elle à cet endroit une fois. Elle y est restée environ quatre mois sans qu"il communique de nouveau avec elle et sans qu"il profère de menaces contre elle. À partir de ce moment, l"ex-mari de la revendicatrice savait où elle se trouvait, leur fils vit avec lui et il visite régulièrement la revendicatrice. Depuis lors et jusqu"à aujourd"hui, la requérante n"a pas reçu la visite de son ex-mari et celui-ci n"a proféré contre elle aucune menace directe. Le tribunal ne saurait donc conclure de cette preuve que la revendicatrice est réellement importunée par son ex-mari.         
              Il semble que l"ex-mari de la revendicatrice a été jugé et condamné pour les infractions qui ont également conduit à l"arrestation de la revendicatrice et à sa condamnation ultérieure. Aucune preuve n"a été produite attestant que la revendicatrice a témoigné à ce procès ou que le mari a été déclaré coupable en raison de l"information fournie par la revendicatrice à la police. Par conséquent, et puisqu"il n"est pas établi que la revendicatrice est importunée par son ex-mari, le tribunal est d"avis que la preuve n"appuie pas l"affirmation de la revendicatrice selon laquelle son ex-mari lui impute son arrestation.         
              La revendicatrice nous demande d"imaginer que son ex-mari pourrait être expulsé du Canada et que, s"il l"est, il imputera son expulsion à la revendicatrice et voudra se venger en République dominicaine. Le tribunal ne peut se livrer à de telles conjectures. Il se peut que l"ex-mari de la revendicatrice fasse l"objet de mesures de la part du ministère de l"Immigration. Cependant, le tribunal n"a pas la preuve que de telles mesures ont été entreprises, qu"elles sont imminentes ou qu"elles sont même probables. Les faits ne permettent tout simplement pas au tribunal de dire que l"ex-mari de la revendicatrice est susceptible de devenir une menace pour elle en République dominicaine, quand bien même le tribunal arriverait-il à la conclusion qu"il a cherché à l"importuner au Canada.         
         ...         
              La revendicatrice affirme que, si elle devait retourner en République dominicaine, son ex-mari a suffisamment de moyens et connaît suffisamment de gens prêts à agir à sa place pour de l"argent, et elle dit que sa vie sera menacée même s"il reste au Canada. Le tribunal estime que la revendicatrice n"a pas apporté la preuve qu"elle est menacée par son ex-mari au Canada et, étant donné les antécédents criminels de celui-ci et les activités criminelles auxquelles il s"est livré, il ne semble pas déraisonnable d"imaginer qu"il aurait des amis disposés à faire les choses à sa place pour de l"argent, y compris à menacer son ex-femme ou à lui nuire. Il avait le temps de faire cela avant son procès en septembre 1995 s"il croyait qu"elle avait des renseignements pouvant nuire à sa défense. Or, ce scénario n"est pas démontré. Selon le tribunal, la revendicatrice se livre à des conjectures gratuites lorsqu"elle affirme que son ex-mari aurait la volonté ou les moyens de lui nuire en République dominicaine pendant que lui se trouve au Canada.         
              Pour tous les motifs ci-dessus, le tribunal ne peut croire que la revendicatrice a raison de craindre d"être persécutée aux mains de son ex-mari ou aux mains d"un criminel qu"il pourrait engager pour lui nuire. Vu cette conclusion, il n"est pas nécessaire pour le tribunal d"examiner l"aspect de la protection d"État en République dominicaine.         

ANALYSE

[15] L"avocat du Procureur général du Canada a reconnu que les conclusions défavorables touchant la crédibilité de la requérante se rapportaient à des aspects qui étaient accessoires et non essentiels à la conclusion de la Commission selon laquelle la requérante n"a pas apporté la preuve démontrant le bien-fondé de sa crainte de persécution. Il a aussi admis que Pepin avait proféré de graves menaces contre la requérante au Canada.

[16] Un examen de la décision montre que la Commission a donné une importance considérable, dans son analyse, à l"absence d"éléments de preuve attestant que Pepin menaçait véritablement la requérante. Cependant, la Commission n"a pas tenu compte, dans sa décision, de l"ordonnance restrictive qui interdisait à Pepin de communiquer avec la requérante. Vu l"importance accordée par la Commission dans son analyse à l"absence de preuves attestant que la requérante était poursuivie par Pepin, la Commission aurait dû tenir compte de l"ordonnance restrictive et de l"effet qu"une telle ordonnance avait pu avoir sur la conduite de Pepin.

[17] Estimant que la requérante n"avait pas prouvé qu"elle était poursuivie par Pepin, la Commission a cru par conséquent devoir conclure que les faits n"autorisaient pas [TRADUCTION] "l'affirmation de la revendicatrice selon laquelle son ex-mari lui impute son arrestation". Cependant, la Commission n"a tiré aucune conclusion défavorable sur la crédibilité de la requérante ou celle de Mme Paredes lorsque toutes deux ont déclaré formellement que Pepin avait blâmé la requérante pour son arrestation et qu"il s"était montré menaçant envers la requérante lorsqu"il avait parlé à la mère et à la tante de celle-ci. À mon avis, il n"appartenait pas à la Commission d"ignorer les dépositions sous serment des deux témoins sur cet aspect crucial de l"enquête, puisqu"elle n"avait pas mis en doute leur crédibilité. Non seulement la Commission a erré en ignorant les dépositions sous serment, mais elle a aussi erré en affirmant que les preuves étaient insuffisantes parce que le harcèlement de la requérante n"était pas établi, et cela sans s"interroger sur les effets de l"ordonnance restrictive.

[18] Vu les erreurs commises par la Commission dans ces aspects cruciaux de son analyse, la décision qu"elle a rendue ne saurait subsister.

CONCLUSION

[19] La demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision de la Commission est annulée et l"affaire est renvoyée à une Commission différemment constituée pour que celle-ci procède à une nouvelle audition et statue de nouveau sur l'affaire. L'espèce ne soulève aucune question grave de portée générale.

                                     D. McGILLIS

                                 _________________________

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-4723-96
INTITULÉ :                      JEANNETTE GREY MORERA ORTEGA
                         c.
                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
                         ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L"AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L"AUDIENCE :              LE 9 DÉCEMBRE 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE MCGILLIS

EN DATE DU 11 DÉCEMBRE 1997

ONT COMPARU

M. PABLO FERNANDEZ-DAVILA      POUR LA REQUÉRANTE
M. DARREL L. KLOEZE              POUR L"INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

M. PABLO FERNANDEZ-DAVILA      POUR LA REQUÉRANTE

OTTAWA (ONTARIO)

M. GEORGE THOMSON              POUR L"INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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