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Date : 20201002


Dossier : T‑1288‑19

Référence : 2020 CF 951

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 2 octobre 2020

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

SAJJAD ASGHAR

demandeur

et

ROGERS COMMUNICATIONS INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Sajjad Asghar (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) selon laquelle sa plainte pour discrimination contre Rogers Communications Canada Inc. (Rogers) est frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (LCDP). Pour les motifs suivants, je n’interviendrai pas dans la décision de la Commission.

II.  Contexte

[2]  M. Asghar a postulé trois postes différents chez Rogers. Il prétend que les circonstances entourant chacune des possibilités d’emploi, individuellement et collectivement, équivalaient à de la discrimination fondée sur un motif de distinction illicite comme la race, l’origine nationale ou ethnique, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre et les caractéristiques génétiques.

[3]  M. Asghar a postulé un poste de conseiller en ventes (la première possibilité) le 21 juin 2017. Dans le cadre du processus de demande, il a rempli et envoyé un questionnaire facultatif (le questionnaire) qui visait l’obtention de renseignements concernant l’appartenance à une minorité, le sexe, l’orientation sexuelle et d’autres questions liées à l’équité en matière d’emploi. Un recruteur de Rogers (le recruteur no 1) a invité M. Asghar à répondre à un autre questionnaire et a prévu une entrevue téléphonique pour le 22 juin 2017. Il est difficile de savoir si les deux personnes ont prévu l’entrevue à 11 h 30, comme M. Asghar le soutient, ou à 11 h 45, comme l’a mentionné le recruteur no 1. Il deviendra évident que le choix du moment a une importance dans ce litige.

[4]  Le recruteur no 1 a appelé M. Asghar à 11 h 56 le jour de l’entrevue – soit 26 minutes après l’heure prévue. M. Asghar a refusé l’entrevue. Le même jour, il a envoyé un courriel au recruteur no 1, prétendant qu’il s’agissait d’un retard intentionnel et que le recruteur no 1 avait agi pour le compte d’une tierce partie afin de se livrer à de la discrimination, à du crime organisé et à un manquement professionnel qui le ciblaient de manière précise. Le recruteur no 1 a présenté ses excuses et a offert de poursuivre l’entrevue téléphonique, ce que M. Asghar a refusé.

[5]  Le 28 août 2017, un deuxième recruteur de Rogers (le recruteur no 2) a envoyé un courriel à M. Asghar au sujet d’un poste de conseiller en service à la clientèle (la deuxième possibilité). Dans le courriel du recruteur no 2 figurait un lien menant à une offre d’emploi, mais ce lien a redirigé M. Asghar vers une possibilité d’emploi qui n’était plus offerte. M. Asghar prétend que le recruteur no 2 cherchait à le ridiculiser et à faire de la discrimination contre lui en le dirigeant vers une possibilité d’emploi non légitime.

[6]  Le 14 septembre 2017, un troisième recruteur de Rogers (le recruteur no 3) a communiqué avec M. Asghar au sujet d’un poste de conseiller en ventes internes (la troisième possibilité). Le recruteur no 3 a envoyé à M. Asghar une évaluation en ligne pour qu’il la remplisse et l’envoie par l’entremise d’un site Internet propre à Rogers. Quatre jours plus tard, le recruteur no 3 a avisé M. Asghar qu’il n’avait pas reçu l’évaluation remplie et lui a accordé 24 heures de plus pour la remplir. M. Asghar a répondu en insistant sur le fait qu’il avait envoyé son évaluation le jour même où il l’avait reçue et il a demandé des précisions. Il est impossible de savoir de façon claire d’après le dossier si le recruteur no 3 a répondu à ce message, mais le 5 octobre 2017, M. Asghar a reçu un courriel de Rogers déclarant que sa demande pour la troisième possibilité n’avait pas été acceptée.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[7]  Le 23 octobre 2017, M. Asghar a déposé contre Rogers une plainte relative aux droits de la personne auprès de la Commission, pour discrimination en matière d’emploi (la plainte), pour les motifs susmentionnés au paragraphe 2.

[8]  Dans une lettre datée du 9 novembre 2017, la Commission a informé les parties qu’elle préparerait un rapport en vertu des articles 40 et 41 (le rapport) pour déterminer s’il y avait lieu de traiter la plainte ou de la rejeter pour cause de frivolité. La lettre mentionnait l’application possible de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP à la plainte de M. Asghar, en particulier en ce qui concerne l’absence de lien entre le comportement reproché et un motif de distinction illicite. La Commission a ensuite invité les parties à présenter des observations sur la question.

[9]  Dans sa réponse du 20 novembre 2017 à la Commission, le demandeur a essentiellement répété les mêmes allégations et prétendu que la Commission ne lui a pas permis de présenter des éléments de preuve. Rogers a présenté sa réponse le 3 janvier 2018.

[10]  Une agente des droits de la personne de la Commission (l’agente) a produit le rapport le 14 mai 2019, concluant que la plainte était frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP. Plus précisément, le rapport concluait que M. Asghar avait fait de simples allégations et n’avait pas démontré qu’il avait des motifs raisonnables de croire que Rogers avait agi de façon discriminatoire. La Commission a encore une fois demandé des observations aux parties. M. Asghar a répondu le 9 juin 2019, faisant encore une fois les mêmes allégations, en plus de souligner le retard dans la préparation du rapport. Le 12 juillet 2019, la Commission a rendu sa décision (la décision), en adoptant la conclusion du rapport selon laquelle la plainte était frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP. M. Asghar a présenté une demande de contrôle judiciaire le 7 août 2019.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[11]  M. Asghar soulève cinq questions que la Cour doit examiner :

  1. La décision de la Commission est‑elle raisonnable?
  2. La décision viole‑t‑elle le droit de M. Asghar en matière d’équité procédurale?
  3. Est‑ce que Rogers ou la Commission a violé les droits de M. Asghar prévus par la Charte?
  4. La LCDP est‑elle constitutionnelle?
  5. Est‑ce qu’il convient d’accorder à M. Asghar les dommages‑intérêts ou les dépens qu’il réclame?

[12]  En ce qui concerne la norme de contrôle, la présente demande a été présentée dans le contexte de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. La Cour doit maintenant examiner la décision en fonction du nouveau cadre analytique applicable aux décisions administratives élaborées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. À ce titre, le cadre repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable (Vavilov, au para 16); voir aussi Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, au para 27 [Postes Canada].

[13]  Comme c’était le cas avant l’arrêt Vavilov, la norme du caractère raisonnable quant au fondement d’une décision continue de s’appliquer à l’égard d’un contexte des droits de la personne (voir O’Grady c Bell Canada, 2020 CF 535, au para 30 [Bell II]; Ennis c Canada (Procureur général), 2020 CF 43, au para 18). Par conséquent, il convient d’appliquer le caractère raisonnable à la décision de rejeter la plainte pour motif de frivolité.

[14]  Dans le cadre d’un contrôle du caractère raisonnable, la Cour doit examiner les motifs du décideur et déterminer si la décision est fondée sur un « raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Postes Canada, au para 2). Pour ce faire, la Cour doit examiner si la décision dans son ensemble était déraisonnable, à la lumière du raisonnement suivi et du résultat de la décision (Vavilov, au para 83). Si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes, la Cour ne devrait pas intervenir (Vavilov, au para 99).

[15]  Il convient de souligner que la Commission n’est pas un organisme décisionnel, car la LCDP confère cette fonction au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) : voir Société canadienne des postes c Association canadienne des maîtres de poste et adjoints (ACMPA), 2016 CF 882, au para 27 [ACMPA]; Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, au para 53. Au lieu de cela, la Commission procède à l’examen préalable des plaintes et détermine si le Tribunal devrait les examiner. Ainsi, une cour de révision peut uniquement établir si cette décision « d’examen préalable » était raisonnable (voir ACMPA, au para 27; O’Grady c Bell Canada, 2012 CF 1448, au para 37 [Bell I]). De plus, ces types de décisions discrétionnaires prises par les commissions des droits de la personne méritent la déférence; voir Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au para 17, Hood c Canada (Procureur général), 2019 CAF 302, au para 27 [Hood].

[16]  L’arrêt Vavilov n’a pas modifié la norme de la décision correcte comme norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale (Vavilov, au para 23; Bell II, au para 30). La cour de révision doit déterminer elle‑même si le processus administratif a satisfait aux critères d’équité dictés par les circonstances (Hood, au para 25).

V.  Analyse

A.  La décision de la Commission était raisonnable

[17]  Les décisions rendues par la Commission au titre de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP comprennent habituellement de brefs motifs qui doivent se lire en même temps que le rapport d’enquête (Bell I, au para 12); voir aussi Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au para 37. Conformément à l’obligation d’analyser à la fois le résultat et le processus sous‑jacent, j’examinerai non seulement la décision, mais aussi le rapport, la plainte initiale et toutes les observations faites par les parties à la Commission, lesquels ont tous mené à la décision (voir Piché c Canada (Procureur général), 2008 CAF 356, aux para 14‑15).

[18]  Comme il a été mentionné ci‑dessus, la Commission exerce une fonction d’examen préalable à l’égard du Tribunal. Une partie de ce rôle consiste à disposer des plaintes que la Commission considère comme « frivoles, vexatoires ou entachées de mauvaise foi » (LCDP, art 41(1)d)). Pour ce faire, la Commission doit décider, en se fondant sur le dossier, s’il est « clair et évident » que la plainte est vouée à l’échec (voir Gregg c Association des pilotes d’Air Canada, 2019 CAF 218, au para 7 [Gregg]; Love c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2015 CAF 198, au para 23 [Love]).

[19]  En évaluant si une plainte est frivole, la Commission peut vérifier l’absence d’un lien allégué entre le comportement reproché et un motif de discrimination interdit (Love, au para 24). Comme l’a expliqué la juge Mary Gleason dans l’arrêt Love, la Commission peut conclure raisonnablement qu’il est clair et évident que la plainte ne pouvait être accueillie, si un plaignant « n’arrive pas à expliquer pourquoi le traitement défavorable était lié à l’un des motifs illicites prévus par la LCDP » (au para 24; voir aussi l’arrêt McIlvenna c La banque de Nouvelle‑Écosse, 2014 CAF 203, 466 N.R. 195, au para 14).

[20]  En l’espèce, la Commission a bien cerné le critère « clair et évident » de la frivolité. Elle a également déterminé que la LCDP exige qu’un plaignant ait un motif raisonnable pour déposer une plainte. Plus précisément, l’article 40 de la LCDP permet aux plaignants « ayant des motifs raisonnables de croire » qu’une personne a commis un acte ou un geste discriminatoire de déposer une plainte :

40 (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (7), un individu ou un groupe d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

[Non souligné dans l’original.]

40 (1) Subject to subsections (5) and (7), any individual or group of individuals having reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice may file with the Commission a complaint in a form acceptable to the Commission.

[Emphasis added.]

[21]  Le seuil pour établir qu’il existe des « motifs raisonnables de croire » qu’un acte discriminatoire a été commis est peut‑être faible, mais il existe néanmoins. Ainsi, la Commission peut rejeter une plainte si elle estime que la plainte est frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) si l’allégation de discrimination n’a pas un fondement raisonnable ou une apparence de fondement (Love, au para 23) : voir aussi l’arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2015 CAF 174, au para 33. D’un autre côté, le plaignant doit présenter des éléments de preuve crédibles pour convaincre la Commission que sa plainte est fondée, sans quoi sa demande risque d’être écartée (Gregg, au para 7).

[22]  En l’espèce, le demandeur a prétendu devant la Commission que Rogers l’avait traité de façon discriminatoire pour des motifs illicites, et ce, à trois occasions distinctes dans le cadre de la première possibilité à la troisième possibilité, révélant de façon individuelle et collective une pratique d’embauche discriminatoire. Il prétend que Rogers n’a jamais eu l’intention de l’embaucher, mais que l’entreprise cherchait plutôt à l’humilier et à le rabaisser en retardant intentionnellement une entrevue, en lui envoyant une possibilité d’emploi qui n’existait plus et en lui refusant un emploi en ne prenant pas son évaluation en considération.

[23]  Fait important, le demandeur a affirmé que son nom – qui, selon lui, suggère une nationalité et (ou) une religion – ainsi que les données contenues dans le questionnaire montrent le lien nécessaire entre le comportement reproché à Rogers et un ou plusieurs motifs de distinction illicite. Le demandeur a déclaré que chacun des trois recruteurs a agi [traduction« comme un arnaqueur embauché par le réseau intermédiaire du crime organisé et que [M. Asghar] a donc été victime de discrimination sur des motifs interdits comme la couleur, l’origine, la situation de minorité, le sexe, l’orientation sexuelle et la religion; ces motifs étaient apparents en raison de son nom ainsi qu’en raison du questionnaire qui faisait partie de la demande d’emploi et en raison de la base de données ».

[24]  Je constate que M. Asghar a répété devant la Cour ses allégations selon lesquelles un réseau criminel contrôlerait les trois recruteurs, tant dans ses observations de vive voix que dans son mémoire des faits et du droit, affirmant que les trois recruteurs [traduction« s’en prennent aux demandeurs, dans un état d’esprit faussé dû à l’enracinement communautaire du crime organisé dirigé par l’État ».

[25]  Lorsque j’ai demandé de quelle façon Rogers avait fait preuve de discrimination à son endroit pour un motif prévu, M. Asghar a répondu qu’il avait désigné l’entreprise comme partie seulement en raison de sa responsabilité du fait d’autrui pour la [traduction« mauvaise foi » de ses trois recruteurs qui ont fait preuve de discrimination à son égard en se conduisant d’une manière préméditée – leur conduite a été orchestrée dès le départ par le réseau du crime organisé. Comme l’avocat de Rogers l’a fait remarquer, même s’il y avait une sorte de complot en jeu, plutôt que des erreurs pouvant être attribuées à des retards, à des problèmes techniques ou à une erreur humaine, ce que le dossier semblait donner à penser, M. Asghar n’a pas établi de lien entre un tel complot et les motifs de discrimination énoncés, autre que sa parole.

[26]  L’agente a conclu dans son rapport que M. Asghar n’avait établi aucun lien entre le comportement reproché et la discrimination prétendue et d’autres faits ou éléments de preuve. L’agente a conclu dans ses deux paragraphes clés (20 et 21) du rapport que :

[traduction]

Il faut plus que des suppositions pour déposer une plainte. Pour qu’une plainte soit réputée fondée sur des motifs raisonnables, il faut plus qu’une déclaration ou une simple affirmation selon laquelle le comportement est discriminatoire. Le plaignant a l’obligation de démontrer qu’une personne raisonnable se retrouvant dans sa situation serait d’avis que les politiques ou les pratiques dont il se plaint sont discriminatoires.

Le plaignant prétend que l’intimée a fait preuve de discrimination à son endroit pour les motifs invoqués, car il a rempli un questionnaire facultatif et que son nom peut laisser entendre qu’il appartient à une certaine religion ou à une certaine origine nationale ou ethnique. Toutefois, il n’a fourni aucun renseignement ou fait à l’appui de ses allégations selon lesquelles l’intimée l’a traité différemment en raison de ces motifs. Ses déclarations sont de simples allégations qui ne sont appuyées par aucun des faits énoncés dans la plainte. Le plaignant n’a pas démontré qu’une personne raisonnable dans sa situation serait d’avis que l’intimée a fait preuve de discrimination à son endroit. Par conséquent, cette plainte ne peut pas être accueillie, et elle est frivole au sens de la Loi.

[27]  Compte tenu des contraintes juridiques et factuelles, j’estime qu’il s’agit d’une conclusion raisonnable. M. Asghar n’a pas expliqué en quoi son nom aurait pu jouer un rôle dans le comportement de Rogers, outre l’allégation selon laquelle ce serait le cas. De même, M. Asghar n’a pas démontré à quel moment ni de quelle façon les données figurant dans le questionnaire ont influencé le comportement de Rogers. En effet, Rogers semble avoir poursuivi ses efforts afin de recruter M. Asghar après que ce dernier ait rempli le questionnaire. Cependant, M. Asghar n’a pas coopéré. Par exemple, lorsque le recruteur no 1 a eu quelques minutes de retard pour son entrevue, qu’il s’est excusé et qu’il a tenté de changer de date, M. Asghar a refusé chacune de ces mesures.

[28]  Enfin, je conviens que le questionnaire – comme tout questionnaire sur l’équité en matière d’emploi – a posé des questions dont la réponse pourrait servir à offrir un traitement différentiel, constituant une raison de faire une plainte pour discrimination. Toutefois, dans cette affaire, M. Asghar n’a fait que simplement affirmer que les données du questionnaire ont mené à un traitement différentiel, sans démontrer de quelle façon, et il n’a pas fourni de preuve à cet effet. C’est précisément pour ce type d’omission que la Commission a jugé clair et évident qu’une plainte ne pouvait pas être accueillie, ce qui était justifié au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Par conséquent, la décision était cohérente, logique et donc raisonnable, compte tenu de l’absence de tout lien entre le comportement et un motif de distinction illicite.

B.  Le processus décisionnel de la Commission était équitable sur le plan de la procédure

[29]  M. Asghar, dans ses observations de vive voix, a déclaré qu’il s’est appuyé sur ses arguments écrits touchant le manque d’équité procédurale, selon lesquels la Commission a) n’a pas obtenu et n’a pas tenté d’obtenir la transcription de son appel téléphonique avec le recruteur no 1; b) l’a empêché de présenter des éléments de preuve documentaire; c) a trop tardé pour rendre sa décision.

(1)  La Commission n’avait pas l’obligation de mener une enquête

[30]  La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux conclu que, conformément à sa fonction d’examen, la Commission n’est pas tenue d’enquêter sur chaque plainte, au titre de l’alinéa 41(1)d); voir Davidson c Canada (Procureur général), 2019 CF 877, au para 26 [Davidson]; Wisdom c Air Canada, 2017 CF 440 aux para 28 et 30. Au lieu de cela, la seule fonction de la Commission à l’étape du processus d’examen préalable est de « rechercher si, prima facie, la plainte serait irrecevable pour l’un des motifs prévus au para 41(1) et, dans l’affirmative, décider si elle va tout de même statuer sur la plainte » : Davidson, au para 26, English‑Baker c Canada (Procureur général), 2009 CF 1253 au para 18.

[31]  Par conséquent, la Commission n’était pas tenue, à cette étape d’examen préalable, de se pencher sur la question à savoir si Rogers avait des transcriptions de l’appel entre M. Asghar et le recruteur no 1. Son seul devoir était d’examiner la plainte et les observations subséquentes pour déterminer si, prima facie, la plainte satisfaisait aux critères législatifs pertinents.

(2)  M. Asghar a eu amplement l’occasion de faire valoir son point de vue

[32]  M. Asghar prétend que la Commission ne lui a pas permis de présenter des éléments de preuve documentaire établissant un lien entre le comportement prétendu et les motifs invoqués. Il est impossible de savoir précisément quelle preuve M. Asghar n’aurait pas pu présenter, à son avis. Le rapport traite toutefois de cette préoccupation aux paragraphes 22 et 23, comme suit :

[traduction]

Dans son énoncé de position, le plaignant fait remarquer que le personnel de la Commission ne lui a pas permis de présenter des éléments de preuve pour démontrer un lien entre le comportement prétendu et les motifs invoqués. Il semble que le plaignant fasse référence à la documentation qu’il a jointe à sa plainte initiale. Bien que les documents à l’appui ne puissent pas faire partie du formulaire de plainte, la Commission tient compte des renseignements supplémentaires présentés par les parties à l’étape prévue au paragraphe 41 s’ils sont pertinents aux questions analysées.

Pour plus de certitude et par souci d’équité envers le plaignant, l’agente de la Commission des droits de la personne a examiné tous les documents qu’il avait initialement présentés à la Commission. Il s’agit de confirmations par courriel des candidatures du plaignant à divers postes auprès de l’intimée et de ses communications avec les recruteurs mentionnés dans le formulaire de plainte. Toutefois, un examen approfondi de ces documents ne révèle aucun renseignement qui, pris isolément, établirait un lien entre le traitement négatif prétendu et un motif de distinction illicite en vertu de la Loi.

[Non souligné dans l’original.]

[33]  L’agente a donc tenu compte du témoignage de M. Asghar et, sur la base de ces conclusions, avait parfaitement le droit d’interrompre le processus d’examen préalable. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. M. Asghar a eu trois occasions de présenter son exposé des faits : i) la plainte initiale, ii) sa lettre de réponse du 9 novembre 2017, et iii) sa réponse au rapport. Il n’a jamais été privé de la possibilité de faire valoir son point de vue ou d’être entendu.

(3)  Le retard de la Commission n’a pas causé de préjudice grave ou important à M. Asghar

[34]  De plus, M. Asghar prétend que la Commission a commis une « erreur judiciaire » en retardant la publication de son rapport. Entre le dépôt de la plainte (le 17 octobre 2017) et la publication du rapport (le 19 mai 2019), il s’est écoulé 19 mois.

[35]  Dans l’arrêt Lignes aériennes Canadien International Ltée c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 1 CF 638, 1995 CanLII 3546 (CAF), autorisation d’en appeler à la CSC refusée, [1996] 3 RCS vi, [1996] SCCA no 44 (QL), le juge Décary s’est penché sur la question de savoir si un délai de six mois entre le dépôt d’une plainte relative aux droits de la personne et la décision de nommer un tribunal était déraisonnable. Tout en soulignant que les retards déraisonnables peuvent constituer un abus de procédure, il a conclu qu’il doit y avoir des preuves d’un préjudice d’une ampleur suffisante pour avoir une incidence sur l’équité de l’audience. Il a soutenu que le préjudice causé par le retard ne répondait pas au critère exigé, soit de porter une atteinte importante à la capacité d’une partie d’obtenir une audience équitable (voir aussi Canada (Procureur général) c Norman, 2002 CAF 423 aux para 26-28).

[36]  Dans l’arrêt Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 [Blencoe], le juge Bastarache a reconnu qu’un délai inacceptable peut constituer un abus de procédure, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise (au para 115). Cependant, il a prévenu que rares sont les longs délais qui satisfont à ce critère. De plus, lorsque l’équité n’est pas en cause, le délai doit être « manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important » et il doit s’agir d’un délai qui « déconsidérerait le régime de protection des droits de la personne » et constituerait un « abus de procédure » (Blencoe, au para 115).

[37]  Le délai en l’espèce ne satisfait pas au critère établi dans la décision Blencoe. M. Asghar n’a pas établi que le délai avait causé un préjudice important, à lui‑même ou au processus des droits de la personne; il n’a subi aucun effet préjudiciable, si ce n’est d’avoir été obligé d’attendre plus longtemps qu’il l’aurait souhaité pour obtenir une décision à laquelle il ne souscrit pas. La Commission, comme de nombreux autres tribunaux, subit des pressions – en partie en raison de cas comme ceux‑ci – et compte tenu de ses ressources limitées, elle doit parfois attendre avant de rendre une décision. Le retard était désagréable et a déplu à M. Asghar, mais il ne pouvait être qualifié d’[traduction« abusif » selon la jurisprudence.

C.  Aucun manquement à la Constitution ou à la Charte

[38]  L’avis de question constitutionnelle de M. Asghar (l’avis) affirme, de façon alambiquée, que ses droits au titre de l’alinéa 6(2)b), des articles 7 et 12, et des paragraphes 15(1) et 24(1) garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11, para 91(24) (la Charte) ont été violés par i) Rogers; ii) la Commission; et iii) l’ordonnance de notre Cour supprimant la Commission à titre de défenderesse désignée dans la présente demande (l’ordonnance de la juge Elliott). Il soutient également que la LCDP est inconstitutionnelle.

[39]  L’objectif de l’avis exigé par l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 est de contester, sur le fondement de l’article 52 de la Charte, la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une disposition législative (Yue c Banque de Montréal, 2020 CF 468 au para 38 [Yue]). L’avis précise que les violations de la Charte exigent un recours en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

[40]  La Charte ne s’applique pas dans cette situation, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, comme il a été expliqué précédemment, le contrôle judiciaire se limite au contrôle de la décision sous‑jacente, par opposition à une action qui peut entraîner des dommages‑intérêts au titre de la Charte.

[41]  Deuxièmement, la Charte ne s’applique pas aux litiges privés (voir SDGMR c Dolphin Delivery Ltd, [1986] 2 RCS 573, 603 [Dolphin Delivery]; Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c Wall, 2018 CSC 26 au para 39 [Wall]). Selon l’article 32, la Charte ne s’applique qu’aux pouvoirs législatif, exécutif et administratif du gouvernement (Dolphin Delivery, 603; Wall, au para 39).

[42]  Troisièmement, la Commission, qui a déjà été partie au présent contrôle judiciaire, n’en fait plus partie, en raison d’une requête antérieure dans le cadre du présent litige qui n’a jamais fait l’objet d’un appel.

[43]  Quatrièmement, et à titre d’information pour M. Asghar, les observations de ce dernier mettent l’accent sur le fait que la décision de la Commission est déraisonnable et injuste. Les litiges fondés sur la Charte « exigent de bien cerner le droit protégé par la Charte ou la valeur en cause, la façon précise dont le droit a été violé et, le cas échéant, par la Charte que l’on précise le droit ou la valeur en cause en vertu de la Charte, la façon exacte dont ce droit a été violé et, le cas échéant, si la violation de la Charte par l’acteur gouvernemental était justifiée » (Yue, au para 43). Comme dans la décision Yue, j’estime que ces éléments sont absents en l’espèce. Les arguments relatifs à la Charte – que ce soit au titre de l’alinéa 6(2)b) ou des articles 7, 12 et 15 – n’ont aucun fondement ici, comme je l’expliquerai brièvement ci‑dessous.

[44]  L’alinéa 6(2)b) (le droit de gagner sa vie) doit être interprété dans le contexte de l’article 6 qui porte sur la liberté de circulation et d’établissement. Il touche les gens qui se voient refuser le droit de gagner leur vie parce qu’ils ont déjà résidé dans une autre province ou qu’ils ne résident pas dans la même province que leur lieu de travail (Law Society of Upper Canada c Skapinker, [1984] 1 RCS 357 aux para 28‑29 et 33; voir aussi HOGG, Peter, Constitutional Law of Canada, 5e éd., feuilles mobiles (Toronto: Thomson Reuters Canada Limited, 2019) à 46.1d) (ProView).

[45]  En ce qui concerne les arguments de M. Asghar relatifs à l’article 7 (sécurité de la personne), le juge Bastarache a reconnu dans la décision Blencoe que la protection de la sécurité de la personne comprend la protection contre « la tension psychologique grave causée par l’État » (au para 56). Pour que cet aspect soit en cause, le préjudice psychologique doit :i) être causé par l’État et ii)  être grave (Blencoe, au para 57). De plus, la Cour doit être saisie de certains éléments de preuve démontrant l’ampleur du préjudice psychologique; voir James c Canada (Procureur général), 2015 CF 965 au para 75 [James]. En l’espèce, la seule preuve de préjudice psychologique est une affirmation de M. Asghar, sans preuve psychologique ni médicale (voir James, au para 75; Blencoe, aux para 46 à 48 et 57).

[46]  L’article 12 protège contre les peines cruelles et inusitées. Le fait que la plainte de M. Asghar n’a pas été entendue par le Tribunal ne constitue pas une telle peine. Même si certains peuvent se sentir punis lorsqu’ils n’obtiennent pas ce à quoi ils estiment avoir droit, ce n’est assurément pas le genre de peine qui entraîne l’application de l’article 12 (Yue, au para 45).

[47]  Au titre du paragraphe 15(1), M. Asghar affirme que la Commission a violé ses droits à la même protection et au même bénéfice de la loi en rejetant la plainte. Toutefois, il ne précise pas comment la Commission l’a traité différemment en se fondant sur un motif énuméré ou analogue de la Charte. Il n’a pas été en mesure de démontrer un traitement différentiel, encore moins un traitement fondé sur un motif énuméré ou analogue.

[48]  Enfin, M. Asghar prétend que l’ordonnance de la juge Elliott viole ses droits garantis par la Charte, car elle l’empêche d’exercer à l’encontre de la Commission le recours prévu au paragraphe 24(1) de la Charte. M. Asghar aurait pu interjeter appel de l’ordonnance de la juge Elliott à l’époque, mais il ne l’a pas fait. Il ne peut pas s’y attaquer maintenant, et ce, pour une foule de raisons, à commencer par le fait que l’avis ne constitue pas le moment ou le lieu approprié, et que la Cour n’est pas non plus la tribune appropriée.

D.  Aucun motif invoqué pour contester la constitutionnalité de la Loi canadienne sur les droits de la personne

[49]  Enfin, dans l’avis, M. Asghar demande à la Cour de quelle façon il serait possible [traduction« à la lumière des art 6(2)b), 7, 12 et 15(1) de la Charte, de justifier la [LCDP] au titre de l’art 24(1) ». Si cet énoncé constitue effectivement une contestation, en vertu de l’article 52 de la Charte, de la validité, de l’applicabilité ou de l’effet sur le plan constitutionnel de la LCDP, et puisque l’alinéa 41(1)d) était la seule disposition en cause dans la présente décision, ce vague énoncé vise, au mieux, à contester la constitutionnalité de cet alinéa. M. Asghar omet de préciser en quoi le comportement de l’État ou la loi a porté atteinte à un droit garanti par la Charte ou est invalide sur le plan constitutionnel. Une simple affirmation selon laquelle la décision rendue par la Commission au titre de l’alinéa 41(1)d) est erronée et injuste est bien loin de répondre à cette exigence.

E.  Dommages‑intérêts et dépens

[50]  M. Asghar a demandé un certain nombre de réparations dans le cadre du présent contrôle judiciaire, en plus du fait de demander une ordonnance d’annulation de la décision et de renvoi à la Commission, ce que je n’accorderai pas, pour tous les motifs énoncés ci‑dessus. Les réparations demandées à la Cour comprennent des dommages‑intérêts importants. J’ai expliqué à M. Asghar que les dommages‑intérêts qu’il demande, à savoir (i) des dommages‑intérêts spéciaux équivalents au salaire qu’il aurait gagné à partir de son premier contact avec Rogers jusqu’à la date de la décision, et (ii) des dommages‑intérêts généraux, punitifs et majorés de 500 000 $ ne sauraient être adjugés lors d’un contrôle judiciaire : voir, par exemple, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hinton, 2008 CAF 215 au para 45.

[51]  À l’audience, j’ai également avisé M. Asghar que je ne jugeais pas approprié d’accorder la réparation supplémentaire demandée, à savoir que j’ordonne que cette demande soit instruite comme s’il s’agissait d’une action, conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Nous sommes très loin d’avoir des « motifs très clairs » où la Cour peut, à juste titre, recourir à ce mécanisme : Macinnis c Canada (Procureur général), [1994] 2 CF 464, 1994 CanLII 3467 (CAF) au para 7. Cela est attribuable, en partie, comme la Commission l’a jugé de façon raisonnable, aux faiblesses de la preuve à l’appui des prétentions de M. Asghar.

[52]  À l’audience, l’avocat de Rogers a demandé des dépens de 10 000 $, ce qui, bien qu’inférieur au taux tarifaire et considérablement inférieur aux frais juridiques réels de son cabinet, dissuaderait néanmoins M. Asghar de continuer d’intenter des poursuites frivoles et d’imposer des coûts et des inconvénients importants et inutiles à des employeurs comme son client – ou à de plus petits clients à l’avenir. Il a invoqué non seulement les déclarations qui ont été présentées, que la Commission a jugées frivoles, mais aussi la teneur de ses observations, lesquelles comprenaient de nombreux cas de langage inapproprié ainsi que des menaces directes, particulièrement à la lumière de ses antécédents auprès des cours et des tribunaux (voir ci‑après).

[53]  J’ai demandé un compte rendu détaillé de ces dépens, et M. Levitt (l’avocat de Rogers) a déclaré que, bien qu’il n’ait pas apporté un mémoire des dépens à la Cour, il lui en fournirait un dans un délai d’un jour. J’ai offert la même possibilité à M. Asghar. Les deux parties ont fait un suivi par écrit.

[54]  Dans son exposé, M. Asghar a demandé les frais [traduction« de comparution, de recherche, de travail juridique, de déplacement et de plusieurs années consacrées au processus, à un tarif super réduit = 10 000 $, tout compris ». Rogers, pour sa part, a fourni un mémoire des dépens conforme aux règles, calculés sur la base de la colonne III du tarif B, d’une somme de 14 635,38 $ (y compris les débours de 1 033,20 $).

[55]  Avant de fixer le montant des dépens que devra verser M. Asghar en raison de l’issue du contrôle judiciaire, je souhaite commenter les observations de M. Levitt au sujet des observations inappropriées formulées par M. Asghar auprès de la Cour. J’ai aussi fait part de mes commentaires à M. Asghar au début de l’audience, soulignant de façon très claire que la Cour ne tolérerait pas ce type de langage ni les menaces implicites que contiennent ses observations écrites. M. Asghar s’est excusé de ses propos à ce moment‑là.

[56]  Je ne donnerai pas d’importance aux paroles et aux menaces de M. Asghar en les répétant ici : Je ne vois pas la nécessité de laisser un tel pot‑pourri de vulgarités contaminer les présents motifs. Je me contenterai de dire que M. Asghar a utilisé un éventail impressionnant de blasphèmes, qui conviennent mieux à une cour d’école qu’à la Cour, même s’il faut souligner que M. Asghar n’a pas employé ces termes lors du présent contrôle judiciaire. Il a parsemé ses observations en réponse à la Commission de passages éloquents et d’obscénités tout aussi colorées, dont des termes appartiennent aux mêmes motifs de distinction illicite que ceux dont il prétendait être une victime.

[57]  Du côté positif, M. Asghar a présenté d’autres excuses dans ses observations de vive voix, après que M. Levitt s’est exprimé. Il faut reconnaître le fait que M. Asghar a convenu que son langage était inacceptable et qu’il était conscient de l’effet [traduction« inattendu » que pouvaient avoir ses paroles. Toutefois, je constate que ce comportement dans le cadre du présent contrôle judiciaire ne semble pas isolé. Dans une décision rendue il y a moins de deux mois, le juge David Corbett a reproduit un passage des plaidoyers soumis par M. Asghar à la Cour supérieure de l’Ontario. Il a utilisé un langage grossier semblable dans l’affaire Asghar v Office of the Independent Police Review Director, 2020 ONSC 4686. Le juge Corbett a ensuite souligné ce qui suit :

[traduction]

[13]  Il y a deux points à faire valoir en l’espèce. Premièrement, M. Asghar fait référence à une décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans une affaire précédente dans laquelle il était en cause. La Cour a fait remarquer que, même lorsqu’un plaideur est impoli et qu’il agit mal, il incombe toujours à la Cour de trancher les questions sous‑jacentes avec impartialité. Une demande valide ne devrait pas être rejetée simplement parce qu’un plaideur est impoli ou agressif. Voir Asghar v Toronto Police Services Board, 2019 ONCA 479.

[14]  M. Asghar semble croire que ces remarques de la Cour d’appel constituent une autorisation pour manquer de civisme. Continuer de penser ainsi serait une grave erreur.

[15]  À titre de plaideur, M. Asghar est tenu de traiter la Cour et les autres intervenants du système de justice avec respect et décorum, même s’il est fortement en désaccord avec eux et même s’il est contrarié par ce qu’ils ont fait.

[16]  Si M. Asghar avait dit en cour ce qu’il a écrit au paragraphe 12, précité, je l’aurais mis en garde contre l’outrage au tribunal. Je lui aurais donné l’occasion de réfléchir à sa conduite et de présenter des excuses, mais je ne lui aurais pas permis de continuer à utiliser de tels termes envers la Cour ou envers d’autres intervenants du système. Cela ne signifie pas que je suis une personne trop sensible, blessée par l’agressivité d’un plaideur insatisfait ou qu’un langage fort me cause une profonde offense. Il faut plutôt y voir le fait que la cour est un établissement public solennel, et que chacun doit s’y comporter avec civisme et politesse. À titre de juge présidant l’audience, je suis tenu d’y faire régner le respect, pour que les procédures ne tombent pas dans le chaos.

[17]  Deuxièmement, M. Asghar explique qu’il faut comprendre son langage fort comme reflétant la gravité de sa situation et sa réaction naturellement forte à ce qu’il croit s’être passé. Je crois comprendre que M. Asghar tient beaucoup à ces éléments. Cependant, ce n’est pas une excuse pour se montrer impoli, agressif et raciste envers les autres intervenants du système de justice. La violence et le manque de civisme ne sont pas une forme de ponctuation d’un argument rationnel, servant à manifester un engagement passionné. Il s’agit d’un comportement immature, non civilisé et désordonné, et il ne sera pas toléré.

[18]  L’avis de question constitutionnelle de M. Asghar est truffé de violence raciale et d’un manque de civisme grossier, envers les policiers, le chef de police et d’autres personnes. Ce comportement est tout simplement inadmissible et il ne sera pas toléré. Si M. Asghar persiste sur cette voie, la Cour pourrait l’obliger à comparaître et expliquer pour quelle raison il ne devrait pas être accusé d’outrage au tribunal. Voir Lochner v Ontario Civilian Police Commission, 2019 ONSC 3048. En tant que plaideur adulte, M. Asghar est tenu de maîtriser ses émotions, de présenter ses arguments de façon rationnelle et de ne pas se livrer à des injures envers d’autres intervenants du système de justice.

[58]  Je constate plusieurs ressemblances entre l’avis de question constitutionnelle décrit par le juge Corbett dans ce passage et l’avis de M. Asghar en l’espèce. En effet, M. Levitt a affirmé que, mis à part les termes tout à fait inappropriés également utilisés dans le présent contrôle judiciaire, M. Asghar avait contraint Rogers à prendre des mesures inutiles pour se défendre contre la plainte frivole en matière de droits de la personne. Il a invoqué plus de 20 décisions accessibles au public, au cours des cinq dernières années seulement, dans lesquelles M. Asghar et (ou) le fondement de ses demandes ont été critiqués par les tribunaux, notamment :

  1. il a été déclaré plaideur vexatoire par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario dans la cause Asghar v HCR Permanent Search, 2018 HRTO 1274 au para 2;
  2. il été jugé par la Cour d’appel de l’Ontario, dans sa décision invoquée ci‑dessus (Asghar v Toronto Police Services Board, 2019 ONCA 479 au para 13) qu’il avait fait des plaidoyers scandaleux;
  3. une action, fondée sur des faits et des allégations semblables à la présente demande, dont la discrimination découlant du défaut d’offrir une entrevue d’emploi, basée sur un complot de gang du crime organisé, qu’il a introduite, a été rejetée (Asghar v Avepoint Toronto, 2015 ONSC 5544 aux para 4 et 6).

[59]  Je suis conscient que M. Asghar, comme il l’a fait remarquer à maintes reprises à la Cour, se représente lui‑même. Je remarque également que, dans ses observations à la Cour, il a déclaré que [traduction« la Cour comprendra qu’à titre de travailleur autonome, le demandeur ici présent a un revenu d’environ 2 M$ depuis un certain temps. Il est important de comprendre que vous n’avez pas affaire à un gars ordinaire qui présente une demande d’emploi subalterne et à salaire horaire à Rogers Communications Inc. ».

[60]  M. Asghar ne semble donc pas être un plaideur non représenté naïf ou sans moyens. En fait, il se décrit comme étant sophistiqué, et je suis d’accord pour dire que, lorsqu’il se présente devant la Cour, il donne l’impression d’être poli et de savoir s’exprimer. Néanmoins, M. Asghar ne peut pas s’attendre à ce que sa mauvaise conduite à l’extérieur de la salle d’audience soit oubliée. Par conséquent, compte tenu des faits en l’occurrence et étant donné que la demande de dépens de M. Levitt, compte tenu de son mémoire des dépens, était raisonnable, j’ordonne un paiement forfaitaire de 10 000 $ à Rogers.

VI.  Conclusion

[61]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les dépens fixés à 10 000 $, y compris les débours, sont adjugés à Rogers et payables immédiatement par M. Asghar.


JUGEMENT dans le dossier T‑1288‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les dépens fixés à 10 000 $, y compris les débours, sont adjugés à Rogers et payables immédiatement par M. Asghar.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1288‑19

INTITULÉ :

SAJJAD ASGHAR c ROGERS COMMUNICATIONS INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 septembre 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

LE 2 octobre 2020

COMPARUTIONS :

Sajjad Asghar

POUR SON PROPRE COMPTE

Howard Levitt

POUR La défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levitt LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR La défenderesse

 

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