Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20011218

Dossier : T-854-96

                                                                                                        Référence neutre : 2001 CFPI 1406

ENTRE :

                                                                EMILIE MARINAKI

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH

Aperçu

[1]                 La demanderesse, Emilie Marinaki (Mme Marinaki), a introduit une action en responsabilité délictuelle visant l'obtention de dommages-intérêts contre Sa Majesté la Reine, qui est représentée par l'employeur de Mme Marinaki, le ministère du Développement des ressources humaines.


[2]                 La défenderesse, pour sa part, a présenté une requête en radiation de l'action en invoquant que celle-ci ne révèle aucune cause d'action puisque la Cour n'a pas compétence pour entendre la demande.

[3]                 Dans une requête en radiation fondée sur l'absence d'une cause d'action, il faut tenir pour avérées les allégations de fait du demandeur. Le lourd fardeau de la preuve incombe à la partie présentant la requête en radiation. Pour avoir gain de cause, cette dernière doit convaincre la Cour qu'il est évident et manifeste qu'il n'y a aucune possibilité que la demande soit accueillie.

[4]                 Pour les motifs suivants, je conclus que, dans le cas présent, Sa Majesté s'est acquittée du fardeau qui lui incombait et que l'action de la demanderesse ne doit pas se poursuivre.

Demande de la demanderesse

[5]                 Commençons par le résumé des faits allégués dans la déclaration de la demanderesse.

[6]                 La demanderesse est employée par la défenderesse aux Opérations internationales du Développement des ressources humaines depuis juin 1981. Elle a travaillé à de nombreuses reprises sous la supervision directe ou indirecte d'André Thivierge (M. Thivierge), de Dominic Scarizzi (M. Scarizzi), d'Ed Tamagno (M. Tamagno) et de Steve Shipley (M. Shipley).


[7]                 La demanderesse prétend que M. Scarizzi a commencé à lui faire des commentaires dégradants et déplacés de nature sexuelle depuis la fin des années 80. Il était alors son collègue. En 1989, la demanderesse a quitté les Opérations internationales pour aller travailler à la section de la TPS de Revenu Canada dans le cadre du Programme d'affectations ministérielles. Elle devait retourner aux Opérations internationales en 1992 mais, en avril de cette même année, son père est décédé et elle a obtenu un congé de maladie autorisé d'avril à août 1992.

[8]                 Avant le retour de Mme Marinaki aux Opérations internationales, en août 1992, le médecin de cette dernière a avisé par écrit la défenderesse que sa patiente continuait de souffrir de troubles affectifs et d'être fragile sur le plan émotionnel.

[9]                 Quand la demanderesse est retournée aux Opérations internationales, M. Scarizzi occupait un poste de gestion et était son superviseur. Selon la demanderesse, M. Scarizzi lui a fait des commentaires dégradants de nature sexiste et raciste, a été grossier avec elle, a abusé d'elle verbalement et l'a intimidée. La demanderesse prétend aussi que M. Scarizzi appliquait la politique d'autorisation de congés médicaux de façon sélective, n'accédait pas à ses demandes de congé pour qu'elle se rende à ses rendez-vous chez le médecin et lui assignait une quantité disproportionnée de tâches des plus inintéressantes. Enfin, la demanderesse affirme que M. Scarizzi prenait note de ses activités quotidiennes et qu'il abusait, avec elle, de son autorité de superviseur.


[10]            À ce moment-là, le directeur des Opérations internationales était M. Thivierge. La demanderesse prétend que celui-ci n'a rien fait pour empêcher le harcèlement décrit plus haut, en dépit du fait qu'on lui en avait parlé, et n'a pas pris en considération l'avis écrit du médecin de la demanderesse. Il a, de plus, refusé de fournir des références à la demanderesse, n'a pas tenu compte de sa demande d'être mutée dans un autre service - elle invoquait des raisons médicales - et l'a harcelée, faisant usage avec elle de propos grossiers, d'intimidation et d'abus verbaux.

[11]            Le directeur du Développement des ressources humaines en poste à ce moment-là était M. Shipley. Après qu'il eut été mis au courant du harcèlement dont était victime la demanderesse, celle-ci allègue qu'il n'a rien fait pour la protéger : il n'a ni suivi de près ni donné suite à cette affaire ni, finalement, pris des mesures en vue d'empêcher le harcèlement.

[12]            Le 23 août 1993, la demanderesse a déposé une plainte de harcèlement. Mme Marinaki prétend qu'on l'a affectée, pendant l'enquête, à des fonctions insignifiantes et peu satisfaisantes [TRADUCTION] « créées de toutes pièces » pour elle. Elle allègue de plus qu'on ne lui a donné aucun détail sur l'enquête et que tout le processus a été indûment retardé. Finalement, elle dit que la défenderesse n'a pas donné suite aux recommandations contenues au rapport de l'enquête interne.

[13]            En janvier 1996, on a informé Mme Marinaki qu'elle devait retourner aux Opérations internationales. Elle a pris un congé de maladie peu après.


[14]            Le 1er février 1996, le médecin de famille de la demanderesse a avisé le directeur général des Prestations internationales et Affaires étrangères, M. Tamagno, que la demanderesse ne pourrait pas retourner aux Opérations internationales parce que ce lieu de travail lui causait un stress intense. Le 8 février 1996, l'avocat de la demanderesse a aussi écrit une lettre à M. Tamagno dans laquelle il lui a répété l'avis du médecin.

[15]            Selon la demanderesse, M. Tamagno a malgré tout décidé de la réintégrer dans ses fonctions aux Opérations internationales, ce qu'elle a fait le 19 février 1996. Deux jours plus tard, elle a eu une crise de panique et a quitté son lieu de travail en ambulance. La demanderesse n'a pas travaillé depuis ce jour.

[16]            Mme Marinaki est en congé d'invalidité de longue durée depuis 1996, souffrant de dépression aiguë et d'anxiété. Elle prétend que, pendant son absence, la défenderesse n'a pas traité en temps voulu ses demandes de prestations pour congé de maladie et d'invalidité.


[17]            Mme Marinaki allègue qu'il était raisonnablement prévisible qu'elle souffrirait de peur et subirait des souffrances morales et un choc nerveux en raison de la conduite de la défenderesse. La demanderesse cherche à obtenir des dommages-intérêts généraux s'élevant à 250 000 $ pour le choc nerveux et le harcèlement subis et des dommages-intérêts spéciaux pour le manque à gagner, les pertes de prestations et de pension, les augmentations de salaire auxquelles elle n'a pu avoir droit et les possibilités d'avancement perdues. Elle cherche également à obtenir des dommages-intérêts exemplaires pour un montant de 100 000 $.

Preuve par affidavit

[18]            La défenderesse cherche à obtenir une ordonnance radiant la demande de la demanderesse en application des alinéas 221(1)a) et f) des Règles de la Cour fédérale (1998). À l'appui de ses prétentions, la défenderesse invoque, premièrement, l'absence d'une cause d'action raisonnable puisque la Cour n'a pas compétence pour entendre l'action de la demanderesse. Deuxièmement, elle allègue que l'action constitue un abus de procédure. Finalement, elle prétend que la demanderesse cherche à débattre à nouveau de questions qui ont déjà été tranchées et qui ont donc l'autorité de choses jugées entre les parties.

[19]            La première question en litige porte sur l'admissibilité de la preuve par affidavit dans une requête en radiation fondée sur l'absence d'une cause d'action.


[20]            À cet égard, je conviens avec la défenderesse que l'inadmissibilité de la preuve dans le contexte d'une requête en radiation présentée en application de l'alinéa 221(1)a) des Règles ne s'applique pas quand la partie requérante met en cause la compétence de la Cour. Il en est de même pour la preuve présentée en vue d'obtenir la radiation d'une demande qui constituerait un abus de procédure. L'affidavit de M. Shipley est donc admissible, tout comme les faits suivants qui se rapportent, d'une part, à la question fondamentale de savoir de quel recours disposait Mme Marinaki et, d'autre part, à celle de voir dans quelle mesure la demanderesse a exercé ses droits pour attaquer la conduite qu'elle impute à son employeur.

[21]            Premièrement, la plainte de harcèlement déposée par la demanderesse en août 1993 s'est soldée par un rapport interne par lequel la plainte portée contre M. Scarizzi et M. Thivierge a été rejetée. Selon les conclusions de ce rapport, M. Thivierge n'avait cependant pas pris de mesures adéquates concernant le langage offensant qu'utilisait M. Scarizzi.

[22]            Quelques semaines après sa plainte datée du 23 août 1993, Mme Marinaki a aussi déposé un grief dans lequel elle alléguait être victime de discrimination, de harcèlement, d'intimidation et d'abus d'autorité de la part de ses superviseurs. À la demande de Mme Marinaki, ce grief est resté en suspens en attendant l'issue de l'enquête interne; le dossier a été réactivé en septembre 1995, après la parution du rapport interne. Monique Plante, sous-ministre adjointe de la Direction générale des ressources humaines, a finalement, en janvier 1996, rejeté le grief au palier final de la procédure. Après le rejet du grief, nous rappelons qu'on a informé la demanderesse qu'elle devait retourner à son travail aux Opérations internationales.

[23]            Le 29 mars 1996, soit environ un mois après qu'elle eut quitté son travail, Mme Marinaki a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) et a ensuite institué la présente action, le 15 avril 1996.


[24]            Dans sa plainte à la CCDP, la demanderesse alléguait qu'elle avait été victime de discrimination de la part de son employeur en raison de son sexe et de ses origines nationales et ethniques, car il ne lui avait pas fourni un lieu de travail exempt de harcèlement. Elle invoquait les mêmes comportements que ceux qui avaient fait l'objet du grief et qui constituent, aujourd'hui, le fondement de son action devant la Cour. Le Tribunal canadien des droits de la personne a mené une enquête et, en juin 2000, a rejeté la plainte. Il a cependant fait état de fautes dans la conduite de l'employeur de la demanderesse et dans sa façon de la traiter à son lieu de travail.

Analyse

[25]            L'essence de l'argumentation de Sa Majesté sur la question de compétence est que le litige opposant Mme Marinaki à son employeur est régi par une convention collective et par les dispositions relatives aux griefs de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (la LRTFP), qui prévoient, en dernier recours, le contrôle judiciaire de la Cour. La défenderesse allègue que ces recours sont les seuls dont dispose Mme Marinaki et qu'elle ne peut intenter d'action devant cette Cour.


[26]            La défenderesse prétend qu'en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et du principe de la « compétence exclusive » énoncé par la Cour suprême dans Weber c. Ontario Hydro (Weber), [1995] 2 R.C.S. 929, et St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. SCTP (St. Anne Nackawic), [1986] 1 R.C.S. 704, la Cour n'a pas compétence pour entendre l'action de Mme Marinaki.

[27]            L'application de ce principe interdit les actions devant les tribunaux quand le litige opposant les parties est régi par une convention collective applicable. La défenderesse prétend que, dans de telles circonstances, le seul recours du demandeur est le régime de règlement des griefs et d'arbitrage prévu à la convention. Les tribunaux se sont déclarés incompétents dans de telles situations et ont fait preuve de retenue judiciaire au profit des régimes prévus aux conventions collectives dans le but d'éviter la prolifération et le dédoublement indus des litiges. Ce principe est énoncé de façon succincte à la page 957 de Weber, précité :          

Ce modèle ne ferme pas la porte à toutes les actions en justice mettant en cause l'employeur et l'employé. Seuls les litiges qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent aux tribunaux.

  

[28]        Le modèle précité a généralement été appliqué afin d'empêcher que les fonctionnaires fédéraux syndiqués n'intentent des actions au civil relativement à des cas prévus à la LRTFP (voir Johnson-Paquette c. Canada (Johnson-Paquette) (1998), 159 F.T.R. 42 , confirmé dans [2000] A.C.F. no 441 (C.A.); Jadwani c. Attorney General of Canada et al (Jadwani) (2000), 47 O.R.(3d) 276, confirmé dans (2001), 52 O.R. (3d) 660 (C.A.), autorisation d'en appeler à la C.S.C. refusée, [2001] C.S.C.R. no 200; Vaughan c.Canada (Vaughan) (2000), 182 F.T.R. 199, confirmé dans [2001] A.C.F. no 1734 (1re inst.); et Cahill c. Canada (Cahill), 2001 CFPI 1083 (1re inst.).


[29]            La demanderesse prétend, avec raison, que la convention collective ne fait pas obstacle au droit du demandeur d'intenter une action en responsabilité délictuelle relativement à un délit qui ne porte pas atteinte au droit qu'il possède en vertu de la convention collective ou qui ne résulte pas de celle-ci (voir Banerd c. Canada (Sous-ministre du Revenu national) (Banerd), [1996] A.C.F. no 260 (C.A.), Watt c. Canada (Transport) (Watt), [1997] A.C.F. no 780 (1re inst.), confirmé dans [1998] A.C.F. no 49 (C.A.), autorisation d'en appeler à la C.S.C. refusée, [1998] C.S.C.R. no 188; Pleau c. Canada (Pleau) (1999), 182 D.L.R. (4th.) 373 (C.A.N.-É.), autorisation d'en appeler à la C.S.C. refusée, [2000] C.S.C.R.

[30]            Mme Marinaki allègue qu'en raison des faits de l'espèce, on ne doit pas appliquer le modèle de compétence exclusive, car ni la négligence de son employeur ni les souffrances morales qu'il lui a intentionnellement infligées, pour lesquelles elle cherche à obtenir une compensation, ne sont prévues de façon explicite ou implicite dans la convention collective. Plus précisément, la demanderesse prétend que la procédure de règlement des griefs n'est pas de nature à lui fournir une réparation efficace et que cette procédure entraînerait obligatoirement une « privation réelle du recours ultime » pour elle, ce qui, selon la Cour suprême, doit être évité (Weber, précité; St. Anne Nackawic, précité).


[31]            Avant d'appliquer les principes établis dans la jurisprudence et d'examiner tous les faits, je dois déterminer l'[TRADUCTION] « essence » du litige et décider si celui-ci est explicitement ou implicitement prévu par la convention collective et, dans l'affirmative, dans quelle mesure il l'est. À cet égard, il ressort de la jurisprudence que l'objet de cette recherche doit porter sur la véritable nature du litige et non pas sur la description juridique, faite par le demandeur, de la conduite de son employeur ni sur le libellé de l'action (en l'espèce, la négligence ayant causé des souffrances morales).

[32]            Il ne fait pas de doute que les sujets de plainte de Mme Marinaki constituent des conflits en milieu de travail qui découlent du comportement de ses collègues et de ses superviseurs. Mme Marinaki est une partie à la convention collective et est liée par celle-ci. Selon l'article M-38.02 de la convention, l'employé lésé qui a été « traité de façon injuste » ou qui s'estime lésé par « une action ou l'inaction » de l'employeur peut présenter un grief relativement au comportement reproché.

[33]            La convention collective à laquelle Mme Marinaki est assujettie et les articles 91 et 92 de la LRTFP prévoient une procédure de règlement des griefs qui se termine par une décision du palier final. Dans certains cas, des agents des griefs du ministère examinent les griefs au palier final, tandis que dans d'autres, il y a arbitrage par un tiers. Dans les deux cas, la décision est finale, sous réserve du contrôle judiciaire de la Cour.


[34]            En l'espèce, la demanderesse impute à son employeur un certain nombre d'actions ou d'omissions qui, de par leur nature même, sont susceptibles de donner ouverture à un grief en vertu de la convention collective. Dans cette catégorie d'actions et d'inactions, il y a, par exemple, le refus de l'employeur d'autoriser la mutation de la demanderesse et d'accéder à ses demandes pour qu'elle puisse se rendre à ses rendez-vous chez le médecin. Cela dit, l'essence du litige relevé dans la demande de Mme Marinaki est l'allégation selon laquelle son employeur l'a intimidée et harcelée et n'a pris aucune mesure en vue de prévenir ce harcèlement et d'assurer sa protection.

[35]            À mon avis, le libellé général de l'article M-38.02 de la Convention cadre couvre le comportement reproché de l'employeur (qui est, avant tout, le harcèlement et l'abus d'autorité) et un grief peut être présenté en vertu de cet article; on pourrait donc dire que le comportement en cause est régi par la convention collective. La demanderesse a d'ailleurs présenté un grief fondé sur le comportement reproché. Elle s'est ainsi prévalue de la procédure de règlement des griefs prévue à la convention collective et a obtenu une décision du palier final de la procédure. Malheureusement (de son point de vue), le grief a été rejeté.

[36]            La même conclusion a été tirée dans Johnson-Paquette, précité, au sujet de la portée et de l'application de la convention collective et, plus récemment dans Cahill, précité, où étaient en cause des dispositions d'une convention collective identiques à celles qui lient la demanderesse en l'espèce, dans des contextes où le harcèlement, l'intimidation, l'abus de pouvoir et le choc nerveux causé par la négligence de l'employeur ont été allégués (voir également Jadwani, précité).


[37]            Johnson-Paquette, précité, est effectivement très pertinent. Dans cette affaire, la demanderesse a présenté, dans des circonstances semblables à celles de l'espèce, un grief visant la négligence de son employeur (les cadres supérieurs avaient été incapables de prendre les mesures requises concernant la plainte d'agression sexuelle de la demanderesse). Après le rejet de son grief au palier final de la procédure de règlement des griefs prévu à la LRTFP, la demanderesse a institué une action en responsabilité délictuelle visant l'obtention de dommages-intérêts contre Sa Majesté. Le juge Tremblay-Lamer, qui a conclu à l'irrecevabilité de l'action de la demanderesse, a énoncé, à la page 17 de ses motifs :

En l'espèce, la demanderesse n'a pas épuisé la procédure de grief prévue par la Loi ni le recours en contrôle judiciaire subséquent. Ce qu'elle essaie de faire, c'est d'attaquer en contrôle judiciaire la décision de l'agent des griefs par voie d'action en dommages-intérêts pour délit civil, ce qu'elle ne peut pas faire.

[38]            En l'espèce, la demanderesse, après s'être prévalue de la procédure de règlement des griefs et s'être rendue jusqu'au palier final, n'a pas cherché à obtenir le contrôle judiciaire de la décision, mais a plutôt présenté une action en dommages-intérêts relativement aux mêmes comportements (pour l'essentiel) que ceux dont elle s'était plainte et pour lesquels elle avait déjà présenté un grief conformément à la convention collective.

[39]            J'examinerai maintenant l'argument de la demanderesse selon lequel la LRTFP la prive obligatoirement et inévitablement d'une réparation efficace. Mme Marinaki dit que même si elle avait eu gain de cause dans son grief ou dans un contrôle judiciaire, elle n'aurait pu qu'espérer le retrait du lieu de travail de son harceleur. Selon Mme Marinaki, une telle mesure ne constituerait pas une réparation adéquate pour elle, qui est devenue psychologiquement incapable, et la priverait d'une compensation pour les préjudices qu'elle allègue avoir subis en raison du comportement de son employeur.


[40]            Il est donc demandé que la Cour reconnaisse sa compétence, sans quoi la demanderesse se verra privée de son droit de procéder à l'interrogatoire préalable et de son recours en dommages-intérêts. En effet, alors que l'argument principal de la demanderesse est que la procédure de règlement des griefs ne lui permet pas d'obtenir un arbitrage par un tiers, elle fait remarquer que même la Commission des relations de travail dans la fonction publique, arbitre tiers selon la LRTFP, n'a compétence pour accorder ni des dommages-intérêts compensatoires ni des dommages-intérêts exemplaires. Pour cet argument, la demanderesse s'appuie sur Pleau, précité, et sur une décision de la Cour dans Edwards c. Canada (Edwards) (2000), 181 F.T.R. 219 (il y a eu désistement de l'appel).

[41]            La présente affaire se distingue de Pleau, précité, sur le plan des faits. Dans cet arrêt, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a conclu à la compétence pour entendre une action en dommages-intérêts pour un délit civil présentée par un fonctionnaire fédéral assujetti à une convention collective semblable à celle à laquelle Mme Marinaki est liée. Dans Pleau, le demandeur alléguait un complot dans le but de causer un acte préjudiciable, une conduite intentionnelle et malveillante, de la diffamation, une violation d'obligation fiduciaire et un exercice négligent de l'autorité. La Cour d'appel a conclu que le différend, s'il était issu d'une relation de travail, n'était pas prévu par la convention collective puisque celle-ci ne prévoyait pas le comportement reproché. La Cour a également conclu que le différend se situait [TRADUCTION] « à l'extérieur de la portée du processus d'arbitrage » et que le demandeur était donc privé d'une réparation efficace.


[42]            Edwards, précité, présente une situation quelque peu différente. Dans cette décision, la Cour a refusé de radier la déclaration d'une fonctionnaire fédérale liée par une convention collective dont les clauses pertinentes sont libellées de façon identique à celles en cause en l'espèce. La Cour a conclu que le comportement négligent de l'employeur, allégué par la demanderesse, était visé par la convention collective et pouvait faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91 de la LRTFP, qui décrit la procédure administrative relative au règlement des griefs. Comme le litige ne pouvait pas faire l'objet d'un arbitrage par un tiers qui pourrait adjuger des dommages-intérêts, la Cour a conclu que Weber, précité, n'avait pas pour effet d'interdire l'action en dommages-intérêts puisque la demanderesse se verrait autrement privée d'une réparation efficace.

[43]            À mon avis, dans la mesure où Edwards traite principalement de l'absence d'arbitrage par un tiers, cette décision a été supplantée par l'arrêt subséquent Johnson-Paquette, précité, de la Cour d'appel fédérale. Dans cette dernière affaire, la demanderesse a présenté le même argument à la Cour d'appel, à savoir que la procédure prévue à la LRTFP la privait d'une réparation efficace parce que ses sujets de plainte ne pouvaient pas faire l'objet d'un arbitrage par un tiers. Le juge Noël, qui a statué au nom de la Cour d'appel fédérale au complet, a rejeté sa prétention de la façon suivante, à la page 2 du jugement :

L'appelante a essayé d'établir une distinction avec l'arrêt Weber pour le motif qu'en l'espèce, la procédure de règlement des griefs ne lui permettait pas de renvoyer l'affaire à l'arbitrage alors que cela lui était permis aux termes de la convention collective en cause dans l'arrêt Weber. Cela, dit-elle, est une différence importante qui permet à la Cour de ne pas tenir compte de la règle établie dans l'arrêt Weber.


Je note dans un premier temps qu'il est inexact de dire que l'appelante ne pouvait avoir recours à l'arbitrage par un tiers en l'espèce. Elle avait accès à l'arbitrage conformément à la procédure de règlement des griefs applicable, à condition de remplir les conditions prescrites au paragraphe 92(1) de la Loi et de convaincre son syndicat que l'affaire devrait être renvoyée à l'arbitrage conformément au paragraphe 92(2).

Chose plus importante toutefois, cette procédure de règlement des griefs est la procédure de règlement des différends qu'ont adoptée les parties à la convention collective pour régler les conflits de travail de la nature de celui qu'a soulevé l'appelante dans son grief. L'appelante s'est conformée à la convention collective et s'est prévalue de cette procédure. [...]

[44]            Le juge Noël a réitéré ce que la jurisprudence de la Cour énonce de façon presque unanime, à savoir que la LRTFP se veut un code complet applicable à la résolution des conflits de travail dans la fonction publique fédérale.

[...] Lorsque, comme c'est le cas pour la LRTFP, le législateur a, au moyen d'une loi, adopté ce qui se veut manifestement un code complet applicable à la résolution des litiges en matière de relations de travail dans un secteur donné d'activité et a rendu l'issue des recours prévus dans la loi finale et obligatoire pour les personnes concernées, le fait de permettre le recours aux tribunaux ordinaires auxquels ces tâches n'ont pas été attribuées porterait atteinte au régime législatif. Pour donner effet à ces régimes, il faut considérer que le législateur a exclu le recours aux tribunaux ordinaires. [Non souligné dans l'original.]

Le juge a conclu de la façon suivante au sujet de la compétence de la Cour :

En vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale, la Section de première instance de la Cour a compétence dans les cas de demande de réparation contre la Couronne « sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi » . À mon avis, le juge des requêtes a à bon droit conclu dans la présente affaire que la LRTFP prévoit le contraire.

Conclusion


[45]            Comme dans Johnson-Paquette, précité, affaire avec laquelle je ne peux pas établir de distinction sur le plan des faits, je conclus qu'il est évident et manifeste que la présente action ne peut être accueillie et je refuse d'exercer mon pouvoir discrétionnaire en vue de permettre la poursuite de la présente action.

[46]            En raison de cette conclusion, je n'ai pas besoin d'examiner l'argument fondé sur la chose jugée invoqué par la défenderesse.

[47]            Une ordonnance séparée sera délivrée pour accueillir la requête et adjuger les dépens.

  

« Roza ARONOVITCH »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


Date : 20011218

Dossier : T-854-96

OTTAWA (Ontario), le 18 décembre 2001

En présence de :         MADAME LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH

ENTRE :

                                      EMILIE MARINAKI

                                                                                          demanderesse

                                                    - et -

                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                           défenderesse

                                           ORDONNANCE

  

VU la requête de la défenderesse visant à obtenir :

1.         conformément à l'alinéa 221(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998), une ordonnance radiant la déclaration, sans autorisation de la modifier, pour le motif que l'action excède la compétence de la Cour;


2.         conformément à l'alinéa 221(1)f) des Règles de la Cour fédérale (1998), une ordonnance radiant la déclaration, ou certaines parties de celle-ci, pour le motif qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour;

3.         subsidiairement, conformément à l'article 8 des Règles de la Cour fédérale (1998), une ordonnance prorogeant à trente jours après la date de l'ordonnance de la Cour le délai de signification et de dépôt d'une défense; et

4.         une ordonnance adjugeant les dépens de la présente requête et de la présente action à la défenderesse.

ET VU mes motifs de l'ordonnance en date d'aujourd'hui;

LA COUR ORDONNE QUE :

1.         La requête est accueillie. La déclaration est radiée, sans autorisation de la modifier, et l'action est rejetée.


2.         Si les parties sont incapables de s'entendre sur les dépens de la requête, elles pourront présenter leurs prétentions dans des observations additionnelles qui devront être signifiées et déposées comme suit : celles de la défenderesse devront être présentés au plus tard vingt (20) jours à partir de la date de la présente ordonnance et celles de la demanderesse, dans les quinze (15) jours subséquents.

« Roza ARONOVITCH »

Protonotaire

   

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-854-96

INTITULÉ :                                                        EMILIE MARINAKI c. SA MAJESTÉ LA REINE

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              MADAME LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH

DATE DES MOTIFS :                                     LE 18 DÉCEMBRE 2001

LIEU :                                                     OTTAWA (ONTARIO)

   

OBSERVATIONS ÉCRITES :

M. J. SANDERSON GRAHAM                       POUR LA DEMANDERESSE

M. DAVID DEBENHAM                                   POUR LA DÉFENDERESSE

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BRAZEAU SELLER, s.r.l.                                  POUR LA DEMANDERESSE

MORRIS ROSENBERG                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

  
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.