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Date : 20201119


Dossier : IMM-7621-19

Référence : 2020 CF 1068

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2020

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

MOULOUD AIT ELHOCINE

AMINA JASMINE BENABBES

KAIS ALLANE AIT ELHOCINE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Ait Elhocine et Mme Benabbes sollicitent, en leur nom et celui de leur fils mineur, le contrôle judiciaire du rejet de leur demande d’asile. Ils allèguent deux manquements à l’équité procédurale, soit l’absence de représentation par avocat et le refus de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] d’admettre un rapport d’expert concernant l’enregistrement de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés [SPR]. Ils soutiennent également que les conclusions de fait de la SAR quant aux conditions du pays sont déraisonnables.

[2]  Je suis d’avis qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale et que les conclusions de la SAR sont raisonnables. Conséquemment, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

I.  Contexte

[3]  Les demandeurs sont citoyens de l’Algérie. Au moment des faits allégués, M. Ait Elhocine était un cadre supérieur d’une importante entreprise appartenant à l’État algérien. En janvier 2010, il a été arrêté en compagnie d’autres cadres relativement à des accusations de criminalité financière en lien avec cette entreprise. En février 2016, après un procès hautement médiatisé lors duquel Mme Benabbes, à titre d’avocate, a pris sa défense, M. Ait Elhocine a été acquitté.

[4]  Les demandeurs allèguent que le procès était en fait une attaque politique orchestrée par le Département de Renseignement et de la Sécurité [DRS] contre les partisans du président de l’époque. Ils craignent que des révélations faites au cours du procès par M. Ait Elhocine soient perçues comme une provocation par les services secrets et qu’ils deviennent la cible de mauvais traitements.

[5]  En juin 2017, les demandeurs ont quitté l’Algérie pour le Canada, où ils ont déposé leur demande d’asile. À l’aéroport, l’agente de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] chargée du traitement de leur demande a été « très élogieu[se] » quant à l’organisation de la preuve documentaire des demandeurs. Elle les a assurés qu’ils n’auraient pas besoin de l’aide d’un avocat.

[6]  Les demandeurs ont choisi de se représenter seuls. À l’audience devant la SPR, ils ont témoigné de leur confiance en leur capacité à se représenter seuls et de leur désir de ne « pas être une charge pour le gouvernement » en n’ayant pas recours à l’aide juridique.

[7]  La SPR a rejeté leur demande d’asile, notamment en raison du manque de crédibilité des demandeurs. La SPR a relevé certaines incohérences, dont le fait que les demandeurs n’ont pas demandé l’asile lors de leur premier séjour au Canada, survenu après le procès de M. Ait Elhocine. En effet, les demandeurs ont séjourné au Canada de juin à août 2016 pour des raisons familiales. Dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA], M. Ait Elhocine soutient qu’il n’a pas quitté l’Algérie avant juin 2017 afin d’attendre le verdict du procès, de constituer en preuve les documents relatifs à cette affaire, de ne pas nuire aux études de son fils et de quitter discrètement le pays sous le couvert des vacances estivales. La SPR a constaté que ces critères étaient déjà remplis lors de leur voyage au Canada en juin 2016. Conséquemment, elle a tiré une inférence négative de leur défaut d’avoir demandé l’asile lors de leur premier séjour au Canada.

[8]  La SPR a également tiré une seconde conclusion négative quant à la crédibilité des demandeurs en raison d’omissions au formulaire de FDA de Mme Benabbes. Lors de l’audience, Mme Benabbes a affirmé avoir été victime d’une collision automobile et d’un cambriolage, deux évènements qu’elle croit être reliés au procès de son mari. Toutefois, le FDA soumis par Mme Benabbes ne faisait pas mention de ces évènements et témoignait plutôt des actes d’hostilité et de rejet de la part de leurs collègues et voisins, ainsi que de l’atteinte à leur réputation et du stress vécu à la suite du procès. Questionnée quant à ces omissions importantes, Mme Benabbes a déclaré qu’elle ne connaissait pas l’auteur des infractions et n’en avait aucune preuve puisque la police n’avait pas rempli de procès-verbal ni donné suite à la plainte. En l’absence de preuve documentaire, elle croyait donc ne pas pouvoir appuyer sa demande sur ces incidents. La SPR a rejeté cette explication, en soulignant que les allégations d’atteinte à la réputation et d’hostilité des proches n’étaient pas non plus corroborées. En conséquent, elle a accordé peu de poids à l’argument selon lesquels les demandeurs auraient omis de mentionner le cambriolage et la collision en raison de l’absence de corroboration.

[9]  Devant la SAR, les demandeurs ont sollicité l’autorisation d’introduire deux nouveaux éléments de preuve, dont un rapport d’analyse des enregistrements audio de l’audience devant la SPR. Aux dires des demandeurs, ce rapport démontrait la présence de coupures dans l’enregistrement de l’audience. Les demandeurs ont toutefois omis d’indiquer quelles informations étaient exclues de l’enregistrement et en quoi celles-ci seraient pertinentes à l’appel. La SAR a comparé cet enregistrement au procès-verbal de l’audience et n’a pas constaté de coupures indiquant une absence d’information. Les demandeurs ayant échoué à démontrer en quoi le dossier devant la SAR était insuffisant pour lui permettre de statuer correctement sur l’appel, la SAR a conclu que l’enregistrement n’était pas pertinent et n’avait aucune valeur probante. Elle a conséquemment refusé d’admettre ce nouvel élément de preuve, en application du paragraphe 29(4) des Règles de la Section d’appel des réfugiés [les Règles].

[10]  Par ailleurs, la SAR a fait siennes les conclusions de la SPR quant au manque de crédibilité des appelants. Elle a donc rejeté l’appel des demandeurs à l’encontre de la décision de la SPR.

[11]  Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

II.  Analyse

[12]  D’emblée, il m’apparaît que les demandeurs ont tenté, à chaque étape du processus, d’invoquer des irrégularités somme toute mineures dans le but d’obtenir une nouvelle audience. Les motifs invoqués à l’encontre de la décision de la SAR ne présentent qu’un lien ténu avec le fond de l’affaire. Quoique les demandeurs s’efforcent de donner à leur cheminement devant la CISR les apparences d’une grave injustice, leurs prétentions ne survivent pas à l’examen.

A.  L’absence de représentation par avocat

[13]  Dans leur demande de contrôle judiciaire, M. Ait Elhocine et Mme Benabbes soulèvent deux manquements à l’équité procédurale qui auraient entaché la décision de la SAR. Le premier moyen des demandeurs repose sur l’absence de représentation juridique lors de l’audience devant la SPR.

[14]  Au soutien de cette prétention, les demandeurs allèguent que l’agente de l’ASFC les a induits en erreur lorsqu’elle leur a dit qu’ils n’auraient pas besoin de recourir aux services d’un avocat, en raison de la qualité du dossier qu’ils avaient préparé. Il incombait à la SPR de remédier à cette erreur et de les aviser de leur intérêt d’être représenté par un avocat. De plus, les demandeurs invoquent que la SPR aurait assujetti leur demande à une norme plus élevée en se fondant indûment sur le statut d’avocate de Mme Benabbes.

[15]  Tout d’abord, il faut rappeler qu’une personne physique est libre de choisir de se représenter elle-même ou de recourir aux services d’un avocat. En principe, un tribunal est tenu de respecter ce choix. La jurisprudence pose néanmoins des limites fondées sur l’équité procédurale lorsque la situation particulière du demandeur l’exige : voir Nemeth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 590 [Nemeth]. L’absence de représentation par avocat n’entraîne une violation de l’équité procédurale que si, compte tenu des circonstances, le demandeur se trouve privé de l’opportunité de « participer utilement » à l’audience : Austria c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 423, au paragraphe 6; Nemeth; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 927, au paragraphe 37 [Li].

[16]  Il existe des circonstances où un demandeur d’asile ayant choisi de se représenter seul est effectivement privé d’une participation utile à l’audience, de telle sorte que la décision qui en découle est inéquitable. Je considère toutefois que ce n’est pas le cas en l’espèce. J’estime que les demandeurs ont eu droit à une audience équitable à laquelle ils ont pu participer utilement. Ultimement, leur décision de ne pas être représenté par un avocat n’a pas affecté le caractère équitable de l’audience. Pour les motifs présentés ci-dessous, je rejette les trois arguments à l’effet contraire soulevés par les demandeurs.

[17]  Premièrement, les demandeurs reprochent au commissaire de la SPR de ne pas leur avoir suggéré de faire appel à un avocat. Toutefois, rien n’indique que les demandeurs aient eu besoin de cette suggestion pour participer utilement à l’audience ou qu’ils n’aient pas été au fait de leur droit à être représentés par avocat. Le commissaire s’est enquis de leur besoin d’un interprète, a confirmé que les demandeurs n’avaient pas retenu les services d’un avocat et leur a expliqué le processus. En s’assurant que les demandeurs comprenaient le déroulement de l’audience, il a respecté l’exigence d’équité procédurale : Li, au paragraphe 37. Il faut également souligner que M. Ait Elhocine a déclaré spontanément au cours de l’audience que leur volonté de ne pas « être une charge pour le gouvernement » avait guidé leur choix de ne pas recourir aux services d’un avocat. Les demandeurs n’ont d’ailleurs pas demandé d’ajournement afin retenir les services d’un avocat ou autrement témoigné de leur désir d’être représenté. Face à ce choix clairement exprimé, la SPR n’avait pas l’obligation d’insister auprès des demandeurs sur la possibilité d’être représenté.

[18]  Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que l’agente de l’ASFC les aurait « induits en erreur » par ses commentaires sur la qualité de leur dossier de pièces. Ils témoignent de leur « impression d’avoir été trompés par le gouvernement canadien » et d’être « tombés dans un piège ». Il m’est difficile de percevoir cette situation comme un cas où les demandeurs auraient été bernés, intentionnellement ou non, par l’agente. Rien n’indique que la décision des demandeurs devrait être imputée aux commentaires de l’agente. De toute manière, M. Ait Elhocine a clairement exprimé que leur décision de ne pas être représentés reposait sur d’autres considérations.

[19]  Troisièmement, les demandeurs allèguent que la SPR a indûment soulevé la formation juridique de Mme Benabbes à plusieurs reprises, de façon à les assujettir à un standard plus élevé. La conduite du commissaire témoignerait d’un manque de sensibilité et aggraverait l’iniquité subie par les demandeurs en raison du fait qu’ils n’étaient pas représentés.

[20]  Je note que la profession de Mme Benabbes a été soulignée à de nombreuses reprises. Le commissaire a émis des commentaires quant à l’absence d’une table des matières au dossier, ce qui compliquait la recherche rapide de la preuve dans une documentation qualifiée de « volumineuse ». Il s’est également enquis auprès des demandeurs s’ils étaient au courant de l’existence du Cartable national de documentation en mentionnant :

... à plus forte raison si madame est avocate, en plus, vous comprendrez pourquoi je voudrai m’assurer que vous êtes au courant.

[21]  Je peine à voir en quoi ces commentaires auraient imposé aux demandeurs un standard plus élevé. Le fait que Mme Benabbes soit avocate est mentionné à plusieurs reprises, certes, mais principalement dans un contexte d’organisation des éléments de preuve. Vraisemblablement, le commissaire de la SPR en fait mention afin d’illustrer que les demandeurs sont des professionnels instruits en pleine mesure de comprendre le processus auquel ils participent, ce qui n’est pas le cas de tous les demandeurs d’asile. Ainsi, rien ne démontre que la SPR ait exigé de leur part une compréhension accrue des règles juridiques applicables. Le commissaire leur a plutôt fait part de la nécessité d’organiser plus clairement leur dossier et de prendre connaissance de la preuve qui figure au Cartable national de documentation.

[22]  Je note également que le commissaire de la SPR a fourni aux demandeurs une seconde journée complète d’audience pour exposer leurs prétentions et les a encouragés à préciser le lien entre les éléments de preuve présentés et leur situation personnelle. Bien loin de leur imposer un fardeau plus élevé, la SPR a en fait donné toutes les chances aux demandeurs de présenter une preuve et de faire valoir leurs moyens. 

[23]  Les remarques qui précèdent permettent de distinguer la situation des demandeurs de celles des décisions Castroman c Canada (Secrétaire d’État), [1994] ACF no 962 (1ère inst) [Castroman] et Nemeth qu’ils invoquent au soutien de leur demande.

[24]  L’affaire Castroman traite d’une situation exceptionnelle où l’avocate du demandeur s’est retirée au milieu de l’audience, le laissant sans représentation. La SPR a ensuite refusé une demande d’ajournement visant à permettre au demandeur de se trouver un nouvel avocat. Or, en l’espèce, les demandeurs ont fait le choix de ne pas retenir les services d’un avocat et se sont préparés en conséquence. Contrairement à l’affaire Castroman, l’absence de représentation juridique à l’audience ne les a pas déstabilisés et n’a pas contrarié la présentation de leurs arguments.

[25]  L’affaire Nemeth est invoquée par les demandeurs afin de soutenir que l’obligation de garantir l’équité procédurale est plus élevée lorsque les demandeurs ne sont pas représentés. Toutefois, cette affaire impliquait des demandeurs qui ne comprenaient pas plusieurs aspects fondamentaux du processus, allant jusqu’à une méconnaissance de la langue utilisée à l’audience : Nemeth, aux paragraphes 11 et 15. En l’espèce, tout semble démontrer que les demandeurs comprenaient les enjeux en cause, la langue et le processus. Lorsque leur connaissance faisait défaut, le commissaire prenait même soin de les renseigner, notamment quant à l’existence et l’application du Cartable national de documentation.

[26]  Au final, j’estime que les demandeurs n’ont pas été privés de la possibilité de présenter de la preuve et n’ont pas subi de préjudice en raison de l’absence de représentation. À la lecture du raisonnement de la SAR et de la SPR, il apparaît que ce sont les faits, et non l’absence de représentation par avocat, qui ont été déterminants dans le rejet de la demande d’asile.

B.  Le rejet de l’analyse de l’enregistrement audio

[27]  Comme deuxième manquement à l’équité procédurale, les demandeurs s’en prennent au refus de la SAR d’admettre le rapport d’expert concernant l’enregistrement de l’audience. Les coupures alléguées à l’enregistrement de l’audience seraient survenues à des moments où les demandeurs discutaient de questions centrales à leur demande. Si la SAR avait admis ce nouvel élément de preuve, elle y aurait trouvé une explication raisonnable aux omissions constatées par la SPR, ce qui aurait eu une incidence sur la conclusion relative à la crédibilité des demandeurs.

[28]  La CISR n’a pas l’obligation d’enregistrer les audiences de demande d’asile : Antunano Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 744, au paragraphe 7 [Antunano]. Comme le rappelle mon collègue le juge John Norris dans Patel c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 804 :

[31] [...] Dans les cas où il n’y a pas de droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, « les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d’appel ou de révision. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle » (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c Montréal (Ville), 1997 CanLII 386 (CSC), [1997] 1 RCS 793, au paragraphe 81). D’autre part, si la Cour ne peut statuer sur la demande dont elle est saisie en raison de l’absence d’une transcription, il y aura manquement aux règles de justice naturelle.

[29]  Pour établir qu’il est impossible pour la SAR de statuer convenablement sur leur demande d’asile, les demandeurs doivent soulever une question qui a une incidence sur l’issue de l’affaire et qui peut uniquement être tranchée en se fondant sur la transcription de ce qui a été dit à l’audience : Nweke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 242, au paragraphe 34. En d’autres termes, les demandeurs doivent identifier les éléments manquants de l’enregistrement et expliquer en quoi ceux-ci sont déterminants pour résoudre une question centrale à leur demande d’asile.

[30]  Lorsque les demandeurs invoquent des coupures dans l’enregistrement de l’audience, ils doivent donc démontrer une « possibilité sérieuse » que ces coupures les aient privés d’un moyen d’appel : Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c Montréal (Ville), [1997] 1 RCS 793, au paragraphe 81.

[31]  Or, les demandeurs ne précisent pas en quoi les coupures alléguées donnent lieu à une « possibilité sérieuse » d’atteinte à leurs moyens d’appel. Ils allèguent que les coupures surviennent à des moments où ils discutent d’éléments « qui vont au cœur de leur demande et de leur crédibilité ». Or, devant la SAR, les demandeurs ont omis de mentionner ce qui manquait aux transcriptions de l’audience : Antunano, au paragraphe 13. Au soutien de leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont produit des affidavits alléguant que les informations manquantes permettraient d’expliquer pourquoi ils ne font pas mention de l’accident de voiture dans leur FDA. L’audience devant cette Cour n’a pas permis de déterminer quelles étaient ces informations, si elles avaient été omises du dossier de la SAR et en quoi elles étaient déterminantes pour trancher une question centrale à leur demande d’asile. Il ne revient pas à la Cour de spéculer sur les éléments qui auraient pu être abordés à l’audience, mais bien aux demandeurs d’indiquer en quoi il y a eu omission brimant leur droit à l’équité procédurale. À la lecture des décisions de la SPR et de la SAR, il semblerait d’ailleurs que les explications de la demanderesse concernant la collision automobile aient été prises en compte et subséquemment rejetées.

[32]  Par ailleurs, les demandeurs prétendent que la SAR s’est arrogée le rôle d’un expert en rejetant le rapport d’analyse audio de l’ingénieur informatique sur la base de sa propre écoute de l’enregistrement. À ce propos, les demandeurs revendiquent l’application des critères d’admissibilité de la preuve d’expert énoncés dans l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9 [Mohan] tels que transposés dans le contexte du droit administratif par la décision Moffat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 896, au paragraphe 45 [Moffat]. À la lecture de la décision de la SAR, on remarque toutefois que celle-ci a rejeté la preuve d’expert sur la base d’éléments qui étaient accessibles à un profane. Elle n’a fait que constater que le flux des questions et des réponses ne révèle pas d’incohérences ou d’interruptions manifestes, contrairement aux prétentions de l’expert. Elle compare la durée approximative des coupures à celle des pauses enregistrées au procès-verbal. Aucune expertise particulière n’était nécessaire pour faire de tels constats. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les critères de l’arrêt Mohan.

[33]  Malgré les allégations des demandeurs, je constate que la SAR a fait un examen diligent de l’analyse de l’enregistrement de l’audience. Puisque les demandeurs n’ont pas indiqué la nature des informations omises, il était légitime pour la SAR de considérer que l’analyse n’était pas pertinente et de la rejeter conformément au paragraphe 29(4) des Règles.

C.  Les conclusions sur le changement de situation en Algérie

[34]  Les demandeurs allèguent que les conclusions de la SAR quant au changement de situation en Algérie sont hâtives et incomplètes. Après une lecture de la preuve documentaire, la SAR a conclu qu’il n’existait plus de risque prospectif en Algérie pour les demandeurs en raison notamment de la dissolution du DRS.

[35]  J’ai examiné la preuve documentaire et je constate que la SAR pouvait raisonnablement parvenir à cette conclusion. La SAR prend acte de la dissolution du DRS et de son remplacement par trois divisions qui se rapportent directement au président. Cela est conforme à la preuve présentée. Les observations de la SAR sont fidèles aux informations relayées par le Cartable national de documentation et ne brossent pas un portrait plus favorable du pays dans le but de rejeter la demande. La SAR reconnaît d’ailleurs la possibilité invoquée par les demandeurs qu’une « guerre des clans » puisse ressurgir entre les services secrets et le président. Toutefois, elle considère que la capacité d’action du DRS est fortement diminuée, tout comme son intérêt à persécuter les demandeurs.

[36]  En outre, même si la SAR avait tranché différemment la question du risque prospectif, la demande d’asile se heurte à un obstacle infranchissable, soit l’absence de contestation de la conclusion de la SAR quant au manque de crédibilité des demandeurs. La SAR parvient à cette conclusion en se fondant sur leur défaut d’avoir demandé l’asile lors de leur séjour au Canada en juin 2016. Puisque cette conclusion déterminante demeure incontestée, elle doit être tenue pour avérée et constitue, à elle seule, un motif suffisant de rejet de la demande de contrôle judiciaire : Perez Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 506, au paragraphe 38.

D.  La question à certifier

[37]  À l’audience, le procureur des demandeurs a demandé de certifier la question suivante au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 :

Lors de la détermination de la pertinence d’une nouvelle preuve d’expert en vertu de la règle 29(4) des Règles de la SAR, un décideur devrait-il se référer aux règles énoncés dans Moffat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 FC 896 pour voir s’il a des raisons de refuser sa soumission ?

[38]   Je refuse la certification, puisque les demandeurs n’ont pas donné l’avis de cinq jours exigé par les Lignes directrices sur la pratique dans les instances intéressant la citoyenneté, l’immigration et les réfugiés (le 5 novembre 2018) :

[...] Si une partie entend proposer une question à certifier, la partie opposée doit en être informée au moins cinq (5) jours avant l’audience, dans le but de s’entendre sur le libellé de la question proposée.

[39]  Au surplus, la question proposée ne répond pas aux critères applicables à la certification, que la Cour d’appel fédérale a définis dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 RCF 674 :

[46] [...] La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle-même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. [...]

[40]  Pour les raisons exposées précédemment, la question concernant les critères d’admission d’une nouvelle preuve d’expert par la SAR n’est pas déterminante quant à l’issue de la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7621-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM‑7621-19

 

INTITULÉ :

MOULOUD AIT ELHOCINE, AMINA JASMINE BENABBES, KAIS ALLANE AIT ELHOCINE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VISIOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) ET MONTRÉAL (qUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 NOVEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

Le 19 NOVEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Daniel Epstein

POUR LE DEMANDEUR

 

Lynne Lazaroff

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Epstein

Conseiller juridique canadien

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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