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Date : 20201120


Dossier : IMM-6178-19

Référence : 2020 CF 1077

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2020

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

TANWEER-UL-HAQ MANZOOR-UL-HAQ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR], en date du 18 septembre 2019 [la décision de la SAR]. Dans sa décision, la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’art 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] ni celle de personne à protéger aux termes de l’art 97 de la LIPR.

[2]  Comme il est expliqué plus en détail ci-après, la demande est accueillie, puisque j’ai conclu que la SAR avait manqué à son obligation d’équité procédurale d’aviser le demandeur de son intention de prendre en compte des possibilités de refuge intérieur [PRI] que la SPR n’avait pas jugées viables. La seule PRI qui n’est pas touchée par ce manquement était la communauté de Dadu, à l’égard de laquelle la SAR a omis d’effectuer une analyse raisonnable en vertu du second volet du critère applicable à la PRI.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur est un citoyen du Pakistan, qui demande l’asile au Canada au motif de sa crainte alléguée de persécution aux mains de l’organisation islamique Tanzeem-e-Islami [le T‑e‑I] s’il retourne au Pakistan.

[4]  Le demandeur a travaillé à titre d’agent de voyage pendant quelques années à Djedda, en Arabie saoudite, et à Dubaï, aux Émirats arabes unis. Il est rentré au Pakistan en 2015 et a résidé à Rawalpindi. En juin 2016, le demandeur s’est rendu à Teri, au Pakistan, pour passer la fête de l’Aïd avec sa famille. Il allègue que pendant qu’il était à Teri, il a reçu un appel sur son téléphone cellulaire lui demandant d’effectuer un don en argent et lui disant qu’il n’était pas le bienvenu après avoir vécu à l’étranger. Peu après, il a trouvé une pierre enveloppée d’une note exigeant le versement d’un million de roupies en face du domicile familial. Le demandeur allègue qu’il s’est adressé à la police, mais que celle-ci n’a pas enregistré de plainte. Environ une semaine plus tard, il a reçu un autre appel. Cette fois, l’interlocuteur a affirmé qu’il savait que le demandeur s’était adressé à la police et a menacé de le punir pour son geste.

[5]   Le demandeur allègue que le mois suivant, il a été agressé près du domicile familial à Teri par deux hommes qui se sont identifiés comme appartenant à « Islami Tazeem » (autre nom pour le T–e‑I). Les hommes ont menacé de tuer sa famille s’il ne versait pas l’argent demandé. Après l’agression, l’épouse et le fils du demandeur sont retournés à Rawalpindi et sont demeurés avec l’oncle du demandeur. Le demandeur a quitté le Pakistan en direction du Canada le 18 juillet 2016. Il allègue que des membres du T‑e‑I se sont rendus au domicile de son oncle et ont agressé son beau-frère. Après cet incident, l’épouse et le fils du demandeur sont déménagés au domicile d’un ami et ont cessé d’aller au travail et à l’école.

[6]  De plus, le demandeur estime que le T‑e‑I a obtenu de l’information à son sujet par l’intermédiaire d’un membre de la famille élargie s’appelant Waqas qui habite à Teri. Il soupçonne Waqas d’être un informateur du T‑e‑I.

III.  La décision de la SPR

[7]  Dans la décision en date du 27 mars 2018 [la décision de la SPR], la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, concluant que ce dernier n’était pas un témoin crédible et, subsidiairement, qu’il avait une PRI viable dans deux villes du Pakistan – Dadu et Kasur.

[8]  La SPR a rejeté le témoignage du demandeur selon lequel le T‑e‑I était en mesure de le trouver où qu'il soit au Pakistan, privilégiant les éléments de preuve objectifs dans le dossier selon lesquels le T‑e‑I est un groupe non violent ayant pour objectif l’établissement d’un califat islamique au Pakistan et l’imposition de la charia, et dont la portée se limite aux grandes villes. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les membres du T‑e‑I étaient des militants pacifiques et que les problèmes du demandeur se limitaient à Teri et à Ralwapindi et étaient perpétués par des individus dévoyés du T‑e‑I agissant dans leur propre intérêt. La SPR n’était pas convaincue que le T‑e‑I continuerait de chercher le demandeur dans les PRI proposées parce que le but poursuivi par l’organisation était l’obtention de dons, qu’elle pouvait soutirer à d’autres personnes dans la zone locale.

IV.  La décision de la SAR

[9]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR, soutenant que la SPR avait commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité et dans son appréciation des PRI.

[10]  La SAR a conclu que, tout bien pesé, il n’y avait pas de preuve convaincante que le demandeur était exposé à un préjudice de la part d’une « organisation islamique » ou plus précisément du T‑e‑I. Elle a souligné que, dans le témoignage du demandeur, ce dernier, lorsqu’il s’était vu demander qui il craignait, avait répondu simplement que c’était une « organisation islamique ». De plus, les lettres et les affidavits produits par le demandeur décrivaient les auteurs des menaces proférées et des gestes posés à son encontre comme des [traduction] « inconnus » ou [traduction] « quelqu’un ». La SAR a conclu que, si le demandeur connaissait le groupe qui le poursuivait, les auteurs des documents fournis à l’appui de sa demande d’asile l’auraient désigné.

[11]  De plus, la SAR a souligné que le demandeur avait déclaré que sa famille et lui soupçonnaient un parent, Waqas, de fournir des renseignements au [traduction« groupe » et que des membres de sa famille avaient vu Waqas avec des personnes armées. La SAR a toutefois conclu que la preuve du demandeur montrait que Waqas était simplement un criminel local. Elle a aussi conclu que les problèmes liés à l’extorsion du demandeur étaient limités et se posaient dans sa région d’origine.

[12]  En ce qui concerne l’analyse de la PRI, la SAR a souligné que, pendant l’audience devant la SPR, celle-ci a demandé au demandeur s’il pouvait vivre à Multan, à Lahore, à Karachi ou à Hyderabad ainsi que dans certains centres plus petits, comme Kasur ou Dadu. En dernière analyse, la SPR a conclu que le demandeur disposait d’une PRI raisonnable à Kasur ou à Dadu.

[13]  La SAR a appliqué le critère à deux volets énoncé dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 [Rasaratnam], afin d’établir si le demandeur avait une PRI viable. Suivant le premier volet, la SAR doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté ou d’être personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumis à la torture, dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI. Selon le second volet, la situation dans cette partie du pays envisagée à titre de PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile, compte tenu de toutes les circonstances, de s’y réfugier. La SAR a souligné que les deux volets du critère devaient être satisfaits pour conclure que le demandeur dispose d’une PRI, et qu’il incombait à celui-ci de démontrer qu’il ne dispose pas d’une PRI.

[14]  Selon le premier volet du critère, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté ou soit personnellement exposé à des risques. Elle a examiné la documentation du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni et du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le HCR] sur la situation dans le pays concernant la possibilité pour les personnes de fuir les situations de discrimination ou de violence en déménageant ailleurs au Pakistan. La SAR a souligné que le document du HCR affirmait que la portée de certains groupes militants pouvait s’étendre au‑delà de leur point d’origine physique, mais qu’il ne mentionnait pas expressément le T‑e‑I.

[15]  La SAR a estimé que, pour prendre pour cible le demandeur à Multan, à Lahore, à Karachi, à Hyderabad, à Kasur ou à Dadu, il faudrait que l’agent de persécution : 1) apprenne que le demandeur était retourné au Pakistan, 2) apprenne que le demandeur s’était réinstallé dans l’un ou l’autre des endroits proposés comme PRI, 3) détermine où se trouvait le demandeur dans ces endroits. Elle a conclu qu’il faudrait une entité bien organisée pour s’en prendre au demandeur dans l’un des endroits proposés comme PRI, compte tenu de la superficie du Pakistan, de son grand nombre de points d’entrée et de la population dans les endroits proposés comme PRI. Elle a souligné qu’elle avait examiné les observations du demandeur et les éléments de preuve documentaire à sa disposition, et qu’elle avait conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir que Waqas ou le T‑e‑I ont la capacité opérationnelle ou la portée géographique nécessaire pour être informés du retour du demandeur au Pakistan à un point d’entrée dans le pays, ou pour suivre les déplacements du demandeur au Pakistan.

[16]  En ce qui concerne le second volet du critère énoncé dans l’arrêt Rasaratnam, la SAR a examiné la question de savoir s’il était déraisonnable, dans toutes les circonstances, pour le demandeur d’asile de se réfugier dans les PRI proposées. Elle a fait remarquer que la SPR avait questionné le demandeur sur sa capacité à résider à Multan, à Lahore, à Karachi ou à Hyderabad, à Kasur ou à Dadu et qu’il avait répondu qu’il n’avait qu’une seule préoccupation, à savoir que le T‑e‑I pouvait le trouver n’importe où. Le demandeur a expliqué qu’il avait été trouvé et persécuté à Rawalpindi. Toutefois, la SAR n’était pas convaincue que le fait que l’agent de persécution ait pu trouver la famille du demandeur au domicile de son oncle à Rawalpindi signifiait que lui-même pouvait être trouvé dans les PRI. Rawalpindi n’est qu’à 200 kilomètres de Teri, et le demandeur faisait la navette entre Teri et Rawalpindi régulièrement. La SAR a jugé qu’il était raisonnable de croire que Waqas, un membre de la famille, s’attendait à ce que le demandeur cherche refuge chez des parents dans un endroit que l’on savait qu’il fréquentait. En revanche, l’épouse et l’enfant du demandeur résidaient en toute sécurité chez un ami à Rawalpindi depuis octobre 2016.

[17]  La SAR a souligné que le conseil du demandeur avait présenté des observations après l’audience devant la SPR et qu’il n’avait formulé aucune préoccupation particulière à l’égard des endroits proposés pouvant constituer une PRI, au‑delà de la vaste portée des groupes extrémistes au Pakistan. Toutefois, elle a fait remarquer que, dans son mémoire à l’appui de l’appel, le demandeur a soutenu que Kasur ne convenait pas en raison d’obstacles en matière de langue et d’emploi, bien qu’il n’eût produit aucune preuve à l’appui pour ce qui est de la source de son information. De plus, le demandeur a précisé qu’il aurait dû recevoir un avis et avoir une possibilité additionnelle de répondre si un des autres endroits proposés comme PRI était considéré par la SAR. Cette dernière a jugé qu’un avis additionnel n’était pas nécessaire dans les circonstances puisque le demandeur avait été avisé lors de l’audience devant la SPR des endroits pouvant constituer une PRI qui étaient considérés et qu’il avait eu deux occasions de présenter des éléments de preuve ou des observations additionnels.

[18]  En ce qui concerne la PRI proposée à Kasur, la SAR a conclu que le demandeur pouvait faire le trajet d’environ une heure pour aller travailler à Lahore, un grand centre urbain où résident plus de dix millions de personnes et où il serait exposé à peu de risques. Elle a souligné que le demandeur avait fait des études secondaires, qu’il était un voyageur international chevronné et qu’il avait résidé dans un certain nombre d’endroits. Le demandeur parle urdu (la langue nationale du Pakistan), pachtou et anglais, et il a déclaré avoir occupé un emploi à Dubaï, où sa première langue n’était pas celle du pays où il résidait. La SAR a conclu que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve pour confirmer qu’il existait des circonstances ou des conditions qui faisaient de l’un ou l’autre des endroits proposés une PRI déraisonnable.

[19]  La SAR a invoqué l’arrêt Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu] en ce qui concerne le critère du caractère raisonnable en vertu du second volet. Elle a souligné que les difficultés liées au déplacement et à la réinstallation ne constituaient pas le genre de préjudice indu qui rend une PRI déraisonnable, pas plus que le fait qu’on n’y ait ni amis ni parents ou qu’on risque de ne pas y trouver de travail qui convienne. La SAR a estimé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y avait pas de sérieux obstacles sociaux, économiques ou autres à la réinstallation du demandeur à Multan, à Lahore, à Karachi, à Hyderabad, à Dadu ou à Kasur.

[20]  Ayant conclu que les deux volets du critère énoncé dans l’arrêt Rasaratnam avaient été remplis, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

V.  Questions en litige et norme de contrôle

[21]  Le demandeur soulève les questions suivantes dans la présente demande de contrôle judiciaire :

  1. La décision de la SAR était-elle inéquitable sur le plan de la procédure?

  2. La SAR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la PRI?

[22]  Le demandeur soutient, et c’est aussi mon avis, que la première question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte et la seconde, selon la norme de la décision raisonnable.

VI.  Analyse

[23]  Bien que le demandeur soulève plusieurs arguments quant à l’équité procédurale, les observations qui attirent mon attention consistent en la position selon laquelle, avant de rendre une décision quant à la PRI relativement à des endroits qui n’ont pas été jugés viables par la SPR, la SAR devait aviser le demandeur qu’ils étaient considérés.

[24]  Comme le soutient le demandeur, si la CISR estime que le demandeur d’asile a une PRI viable, elle doit l’en aviser. Il revient alors au demandeur d’asile d’établir que la PRI proposée est déraisonnable (voir l’arrêt Thirunavukkarasu c Canada (MEI), [1994] 1 CF 589 (CAF) [Thirunavukkarasu] au para 10).

[25]  Le défendeur affirme que cette obligation d’informer a été remplie parce que, comme le montre la décision de la SPR, cette dernière avait proposé six endroits pour une PRI (Multan, Lahore, Karachi, Hyderabad, Dadu et Kasur). Il soutient, par conséquent, que le demandeur n’a pas été [traduction] « pris au dépourvu » par la décision de la SAR d’analyser les six endroits possibles pour une PRI. Toutefois, la SPR a, en dernière analyse, jugé que seules Dadu et Kasur répondaient aux critères quant à une PRI viable. Par conséquent, le demandeur soutient que, si la SAR souhaitait prendre en compte les quatre endroits autres que Dadu et Kasur comme PRI, elle devait l’en aviser.

[26]  Je souscris à l’observation du demandeur. Dans la décision Ojarikre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 896 [Ojarikre] au para 9, le juge Annis a statué qu’il y avait manquement à l’équité procédurale lorsque la SAR soulève une nouvelle question sur laquelle la SPR n’a tiré aucune conclusion, sans d’abord donner l’occasion de présenter de nouveaux éléments de preuve documentaire et des observations à cet égard parce que cela prive le demandeur d’asile de la possibilité de présenter des observations à la SAR au sujet de la question que cette dernière juge déterminante de l’issue du litige. Il s’agissait d’une affaire dans le cadre de laquelle la question de la PRI avait été soulevée devant la SPR, mais que celle-ci n’avait tiré aucune conclusion à cet égard. J’estime par conséquent que la décision Ojarikre s’applique à l’espèce, puisque la SPR a soulevé six endroits considérés pour une PRI, mais n’a tiré de conclusion qu’à l’égard de deux d’entre eux. La SAR devait aviser le demandeur avant de tirer des conclusions en ce qui concerne les quatre autres PRI.

[27]  Le défendeur soulève un argument plus convaincant selon lequel ce manquement à l’équité procédurale (se rapportant à des PRI à Multan, à Lahore, à Karachi et à Hyderabad) ne se rapporte pas à une question déterminante quant à l’issue de l’affaire puisque la SAR a aussi conclu que le demandeur avait des PRI viables à Dadu et à Kasur. Ainsi que le prétend le défendeur, le demandeur ne conteste pas le fait qu’il était loisible à la SAR de considérer Dadu et Kasur sans devoir l’aviser à cet égard. Par conséquent, si la conclusion de la SAR, en ce qui concerne Dadu et Kasur, est exempte d’erreurs susceptibles de contrôle, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[28]  Cependant, le demandeur soulève aussi des questions concernant la façon dont la SAR a appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Rasaratnam à Dadu et à Kasur. Comme il est expliqué ci-après, je conviens avec le demandeur que la SAR a commis une erreur en ce qui concerne ces PRI, bien que ce soit pour des motifs différents pour chacun de ces deux endroits.

[29]  En ce qui concerne Kasur, l’appréciation de la SAR est entachée par le manquement à l’équité procédurale décrit précédemment. Le demandeur a soulevé des préoccupations devant la SAR quant à sa capacité de trouver un emploi à Kasur comme à Dadu. En appliquant le second volet du critère défini dans l’arrêt Rasaratnam en réponse à cette préoccupation, la SAR s’est largement fondée sur la conclusion selon laquelle le demandeur pouvait résider à Kasur et se rendre à Lahore, à proximité, pour y travailler. Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans l’appréciation du risque que le T‑e‑I le reconnaisse à Lahore. Il n’est pas nécessaire que je tire une conclusion quant au caractère raisonnable de cette appréciation du risque, puisque la SAR a commis une erreur en omettant d’aviser le demandeur que la ville de Lahore était considérée avant de procéder à cette appréciation.

[30]  Je suis conscient que ce volet de la décision ne porte pas expressément sur Lahore en tant que PRI, mais plutôt sur la viabilité de Kasur. Toutefois, si la viabilité de Kasur repose sur la possibilité d’occuper un emploi à Lahore, la viabilité de Lahore s’insère alors aussi dans cet aspect de l’analyse. La question d’équité procédurale relevée précédemment est donc aussi pertinente.

[31]  Le défendeur affirme qu’il est artificiel d’apprécier séparément une ville et l’une de ses banlieues. Par conséquent, il soutient que le fait d’aviser le demandeur que Kasur est considérée permet la prise en compte de Lahore aussi. Le demandeur rétorque à cet argument en soulignant l’explication donnée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thirunavukkarasu voulant que la CISR doive aviser le demandeur d’asile si la question d’une PRI sera soulevée. Je conviens avec le demandeur qu’un avis doit être donné qu’un endroit spécifique est considéré. Le demandeur n’a pas été avisé comme il se devait que la SAR examinait la viabilité de Lahore en tant que PRI. La SAR a par conséquent commis une erreur susceptible de contrôle en prenant en compte la disponibilité d’emplois à Lahore dans l’application du second volet du critère énoncé dans l’arrêt Rasaratnam à la ville de Kasur.

[32]  Il reste à déterminer si la SAR a commis une erreur dans son appréciation de Dadu en tant que PRI. Aucune question d’équité procédurale n’est associée à cette appréciation. Toutefois, le demandeur soutient que cet aspect de la décision est déraisonnable parce qu’il ne comporte pas une analyse de la viabilité de Dadu en vertu du second volet du critère énoncé dans l’arrêt Rasaratnam.

[33]  En réponse à cet argument, le défendeur soutient que le demandeur examine les motifs de la décision de la SAR de manière trop microscopique. Il soutient que la SAR a examiné les antécédents du demandeur, notamment en matière de scolarité, de travail et de voyage, et son omission d’explorer le déménagement dans une autre région du Pakistan comme moyen d’échapper à la persécution, et a conclu qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de déménager à Kasur ou à Dadu.

[34]  La conclusion tirée par la SAR au titre du second volet du critère englobe bel et bien Dadu, puisqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas de sérieux obstacles sociaux, économiques ou autres à la réinstallation du demandeur dans l’une des six PRI considérées. Toutefois, je conviens avec le demandeur que la décision ne comporte pas une analyse justifiant cette conclusion en ce qui concerne Dadu.

[35]  Dans son mémoire à l’appui de l’appel devant la SAR, le demandeur a soulevé des préoccupations en matière de langue et d’emploi pour Kasur comme pour Dadu. Le demandeur est agent de voyage, et son épouse est enseignante. En ce qui concerne Dadu, il a expliqué que son épouse et lui ne parlent pas le sindhi, la langue parlée à Dadu, et que cet endroit est essentiellement un centre agricole comptant quelque 150 000 habitants, sans aéroport international. Il a, par conséquent, soutenu que ni lui ni son épouse ne pourrait trouver d’emploi à Dadu.

[36]  Comme le souligne le défendeur, la décision met en relief les études secondaires et l’expérience des voyages à l’étranger du demandeur, de même que ses antécédents de résidence et d’emploi sans difficultés de réinstallation dans un certain nombre d’endroits. Toutefois, l’analyse de la SAR ne porte pas sur les arguments avancés par le demandeur en ce qui concerne Dadu. Elle met l’accent sur la possibilité de résider à Kasur et de travailler à Lahore comme réponse aux préoccupations du demandeur concernant l’emploi et la langue à Kasur. La décision ne comporte pas d’analyse comparable relativement à Dadu.

[37]  Je constate aussi que, en présentant son analyse en vertu du second volet du critère défini dans l’arrêt Rasaratnam, la SAR a affirmé « [d]ans son mémoire, l’appelant soutient à présent que Kasur est un endroit qui ne convient pas en raison d’obstacles en matière de langue et d’emploi […] » [non souligné dans l’original]. Le fait que la SAR n’ait renvoyé qu’à Kasur, et non pas à Dadu, quant aux observations formulées par le demandeur vient étayer la position du demandeur selon laquelle la décision ne comporte pas une analyse raisonnable au sujet de Dadu.

[38]  Je conclus par conséquent que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et que l’affaire doit être renvoyée à la SAR pour nouvelle décision. Aucune partie n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6178-19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel des réfugiés pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-6178-19

INTITULÉ :

TANWEER-UL-HAQ MANZOOR-UL-HAQ

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À PARTIR DE TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 NOVEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 20 NOVEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Adrienne Smith

POUR LE DEMANDEUR

Charles Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Smith

Migration Law Group

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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