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Date : 20060511

Dossier : IMM-6672-05

Référence : 2006 CF 575

ENTRE :

HAMAYA MERCEDES FIDELA PAREDES ALONSO

(alias HAMAYA MERCEDES PAREDES ALONSO)

FABIANA ZAVALAGA PAREDES

NICOLAS ZAVALAGA PAREDES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Pinard

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 17 octobre 2005, dans laquelle la Commission a conclu que les demandeurs ne sont pas des « réfugiés au sens de la Convention » ni des « personnes à protéger » tels que définis aux articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[2]                Hamaya Mercedes Fidela Paredes Alonso (la demanderesse) et ses enfants (les demandeurs) ont déposé une demande d'asile, tout comme M. Zavalaga, le mari de la demanderesse et le père des enfants. Ils sont tous citoyens du Pérou. Après l'audience, mais avant que la décision soit rendue, M. Zavalaga a retiré sa demande afin d'accepter un emploi au sein de la mission des Nations Unies à la République démocratique du Congo. Sa femme et ses enfants n'ont pas retiré leurs demandes.

[3]                La Commission a examiné toute la preuve dont elle était saisie et a conclu qu'elle n'étayait pas les éléments objectif et subjectif de la demande d'asile des demandeurs.

Les conclusions au sujet de la vraisemblance

[4]                En s'appuyant sur l'examen de la preuve, la Commission a conclu que toute personne soupçonnée d'être associée aux terroristes du Sentier lumineux aurait été surveillée de près et qu'un agent du renseignement aurait raisonnablement dû vérifier les passeports et prendre les mesures adéquates. La Commission a donc conclu qu'il était invraisemblable que la demanderesse et son mari aient pu garder et/ou obtenir de nouveaux passeports et se procurer des certificats s'ils étaient recherchés par le Service du renseignement comme ils le prétendaient.

[5]                Contrairement aux observations de la demanderesse, la Commission pouvait tirer ces conclusions au vu du dossier. La Commission peut tirer des conclusions non seulement au sujet des incohérences dans la preuve, mais aussi par rapport à la vraisemblance de la preuve. La Commission peut évaluer la preuve pour déterminer si elle concorde avec ce qu'une personne verrait sans difficulté comme vraisemblable compte tenu des circonstances. De plus, lorsqu'elle évalue la vraisemblance de la preuve des demandeurs, la Commission peut examiner le récit des faits des demandeurs par rapport à des critères extrinsèques, comme la rationalité, le bon sens et ses propres connaissances du contexte, et tirer les conclusions qui s'imposent.

[6]                La Commission a conclu qu'il était invraisemblable que le gouvernement du Pérou permette aux demandeurs de quitter le pays s'ils étaient soupçonnés d'être associés au Sentier lumineux. Les conclusions de la Commission sont fondées sur la preuve documentaire au sujet de l'animosité entre le gouvernement du Pérou et le Sentier lumineux.

[7]                Dans une demande de contrôle judiciaire, il incombe au demandeur de prouver que la Commission ne pouvait pas raisonnablement tirer ses conclusions au vu de la preuve dont elle était saisie (Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). À mon avis, la demanderesse ne s'est pas acquittée du fardeau de démontrer qu'il existe une question qui puisse justifier un contrôle judiciaire.

[8]                Bien que les demandeurs relèvent des paragraphes dans la preuve documentaire qui font référence au mauvais moral et à d'autres problèmes dans l'armée au Pérou, l'article ne fait pas du tout référence au Service du renseignement, ni à un quelconque ministère du gouvernement du Pérou. À mon avis, la demanderesse n'a donc pas démontré que la conclusion au sujet de la vraisemblance, soit que le gouvernement aurait surveillé les demandeurs de près si ceux-ci avaient été soupçonnés d'être associés au Sentier lumineux, était manifestement déraisonnable.

[9]                En ce qui a trait à l'argument des demandeurs selon lequel les divers ministères du gouvernement au Pérou ne sont pas nécessairement liés et ne partagent pas nécessairement leurs renseignements, je ne crois pas que ceci s'applique aux certificats qui ont été émis. Les ministères qui ont émis les certificats aux demandeurs étaient le ministère de la Sécurité et le ministère de la Défense. La Commission a conclu qu'il était invraisemblable que le Service du renseignement et les ministères chargés de la sécurité et de la défense du pays ne partagent pas leurs renseignements au sujet d'une personne qui pourrait poser une menace au gouvernement entier. La demanderesse n'a présenté aucune preuve réfutant cette conclusion. Il semble aussi que les demandeurs tentent de faire réexaminer la preuve documentaire, ce qui n'est pas de la compétence de la Cour.

[10]            La Commission a aussi noté que les actions du mari de la demanderesse, qui est retourné au Pérou et a ensuite demandé au gouvernement un passeport et des certificats de service, démontrent l'absence de crainte subjective. La Commission a affirmé, dans des motifs clairs, qu'elle n'acceptait pas l'explication de la demanderesse selon laquelle le Service du renseignement n'était pas lié aux autres ministères du gouvernement du Pérou. La Commission pouvait raisonnablement tirer une telle conclusion.

[11]            Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la Commission selon laquelle, comme le mari avait quitté la Force aérienne depuis 11 ans, le Service du renseignement ne pouvait pas le soupçonner de communiquer des renseignements militaires aux terroristes, n'était pas fondée. Selon les demandeurs, la Commission n'a pas tenu compte de la preuve attestant qu'il avait travaillé comme instructeur à l'école d'aviation civile du Pérou, qui fait partie de la Force aérienne, et qu'il n'avait appris que par après que certaines personnes qu'il avait transportées et d'autres à qui il avait fourni du ravitaillement étaient membres du Sentier lumineux. Lors de l'audience, il a affirmé que le Service du renseignement l'avait accusé de communiquer des renseignements militaires au Sentier lumineux parce qu'il était pilote, qu'il pilotait un avion qui appartenait à la Force aérienne et qu'il pilotait d'un aéroport à un autre.

[12]            La Commission a d'abord noté que le mari de la demanderesse ne faisait plus partie de la Force aérienne depuis 11 ans et qu'il n'était pas au courant des renseignements militaires. Ensuite, la Commission a douté de l'allégation selon laquelle le Service du renseignement croyait qu'il possédait des renseignements sur les initiatives stratégiques du Sentier lumineux, puisqu'il ne savait même pas qu'il avait été lié à des membres de ce groupe. Finalement, la Commission a noté qu'il n'existait aucune preuve que quiconque des trois membres de l'équipe du mari ou que le superviseur de l'école d'aviation ait pu être interrogé par le Service du renseignement.

[13]            Compte tenu de la compétence spécialisée de la Commission au sujet des demandes d'asile, la norme de contrôle appropriée au sujet des conclusions de fait est la décision manifestement déraisonnable. Par conséquent, la Cour peut seulement intervenir si la décision de la Commission a été prise de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7), ce qui n'est pas le cas en l'espèce. À mon avis, bien que d'autres décideurs eussent raisonnablement pu décider autrement, je ne crois pas que les conclusions de la Commission soient manifestement déraisonnables.

La preuve médicale

[14]            Les demandeurs soutiennent que la Commission était saisie de rapports médicaux pour M. Zavalaga au sujet de son état de santé au 8 juin 2003 et pour Mme Paredes, qui faisait état de marques de coups et des lacérations dans les zones du vagin et de l'anus. Ils affirment que la Commission n'a pas tenu compte de ces rapports médicaux et qu'il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission de les rejeter sans même se demander s'ils pouvaient renforcer la crédibilité du témoignage ou corroborer l'allégation d'un préjudice équivalant à de la persécution.

[15]            À mon avis, les commentaires de mon collègue le juge Kelen dans l'affaire Sepehri c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 1123, au sujet d'une demande d'asile fondée sur les opinions politiques, sont pertinents en l'espèce :

[9]       La SSR n'a pas commis d'erreur susceptible d'être révisée et qui justifierait l'intervention de notre Cour. Les conclusions auxquelles en est arrivé le tribunal sont raisonnables et s'appuient sur toute une série d'éléments. Comme cela est démontré par la liste fournie ci-dessus, il ne s'agit pas d'un cas où le tribunal s'est contenté de tirer une conclusion, sans fournir d'éléments expliquant pourquoi il a estimé que la revendication du demandeur n'était pas crédible. La SSR avait également toute latitude pour n'accorder aucune force probante au rapport médical. Le rapport confirme l'existence d'une cicatrice sur le dos du demandeur, qui pourrait provenir d'un coup de couteau, mais ce rapport n'est pas une preuve qui permet de relier la cicatrice à un cas de persécution.

[16]            En l'espèce, la Commission a aussi fourni les raisons expliquant pourquoi elle avait estimé que la revendication des demandeurs n'était pas crédible. Comme pour l'affaire Sepehri, le rapport confirme l'existence de blessures compatibles avec une agression sexuelle, mais n'est pas suffisant pour lier l'agression à un cas de persécution.

[17]            À mon avis, la Commission n'a pas commis d'erreur en ne tenant pas compte de la preuve médicale des demandeurs.

Le défaut de demander l'asile aux États-Unis

[18]            Les demandeurs allèguent aussi que la Commission a commis une erreur de droit en concluant qu'ils avaient l'obligation de demander l'asile à la première occasion raisonnable.

[19]            Les demandeurs ont raison lorsqu'ils affirment que le défaut de demander l'asile dans un pays tiers sûr ne peut pas être utilisé comme facteur décisif en soi et que l'on ne peut donc pas en conclure que le demandeur n'a pas de crainte subjective. Cependant, ce facteur peut être examiné conjointement avec d'autres facteurs.

[20]            À mon avis, le défaut des demandeurs de présenter une demande d'asile plus tôt est un fait qui trahit leur manque de crainte subjective. La Commission a noté que si les demandeurs avaient été sérieux dans leur recherche de protection, ils auraient fait une demande d'asile à la première occasion. Au contraire, les demandeurs ont attendu presque un an entre le moment où ils se sont renseignés sur la façon d'obtenir la protection des États-Unis et le moment où ils sont venus au Canada et y ont déposé leur demande. La Commission n'a commis aucune erreur en tenant compte du temps écoulé. La Commission a mentionné l'explication de la demanderesse, soit que les demandeurs avaient discuté de la question avec un technicien juridique aux États-Unis qui leur avait expliqué qu'il était improbable que leur demande y soit accueillie en raison des événements du 11 septembre 2001. Cependant, il est clair que la Commission a conclu que cette explication n'était pas raisonnable parce que les demandeurs ont alors attendu un an avant de venir au Canada et d'y déposer une demande d'asile.

[21]            Les demandeurs ont raison lorsqu'ils affirment que la Commission semble avoir fait une distinction entre le fait de demander des conseils à un avocat et le fait de demander des conseils à un technicien juridique. À mon avis, cependant, l'intention de la Commission n'était pas de faire une distinction entre le fait que les demandeurs pouvaient demander des conseils à un avocat ou demander des conseils à un technicien juridique, mais plutôt de mentionner que si les demandeurs avaient vraiment eu une crainte subjective, ils auraient déposé une demande d'asile à la première occasion, au lieu d'attendre un an avant de le faire.

[22]            Cependant, même si cette distinction constituait une erreur, à mon avis cela ne serait pas suffisant pour invalider la décision de la Commission dans son ensemble, parce que la conclusion de la Commission au sujet du temps écoulé n'était pas décisive.

Conclusion

[23]            Pour tous les motifs susmentionnés, les demandeurs n'ont pas démontré que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

« Yvon Pinard »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 11 mai 2006

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6672-05

INTITULÉ :                                       HAMAYA MERCEDES FIDELA PAREDES ALONSO (alias HAMAYA MERCEDES PAREDES ALONSO), FABIANA ZAVALAGA PAREDES, NICOLAS ZAVALAGA PAREDES c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 3 mai 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                       Le 11 mai 2006

COMPARUTIONS:

Mordechai Wasserman                          POUR LES DEMANDEURS

Sally Thomas                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mordechai Wasserman                          POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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