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Date : 20060719

Dossier : T‑1156‑06

Référence : 2006 CF 903

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION OJIBWAY DE SANDY BAY

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

 

[1]               Nkemhurunaya Juliana Eligwe est une religieuse catholique romaine originaire du Nigeria. Elle n’est pas une Indienne inscrite du Manitoba. Le ministre a prononcé contre elle une mesure de renvoi devant être exécutée demain. Il n’y aura pas de sursis d’exécution de la mesure de renvoi.

 

[2]               Sœur Eligwe est entrée au Canada en 2001 à la faveur d’un visa de visiteur. Sa revendication du statut de réfugiée au sens de la Convention des Nations Unies a été rejetée. Plus récemment, elle a demandé qu’un examen des risques avant renvoi soit fait et que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire et lui accorde, pour des motifs d’ordre humanitaire, le statut de résidente permanente, comme le prévoit l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). L’agent qui a examiné ses demandes a décidé que, même si en effet elle se consacrait aux bonnes œuvres et était fort respectée, le pouvoir discrétionnaire du ministre ne serait pas exercé en sa faveur. S’agissant de son retour au Nigeria, l’examen des conditions ayant cours dans ce pays fut extrêmement détaillé. Sœur Eligwe vient d’une région chrétienne, peuplée essentiellement de catholiques, d’anglicans et de méthodistes. L’agent n’a constaté aucun risque appréciable de persécution quand bien même porterait‑elle l’habit de religieuse.

 

[3]               Sœur Eligwe a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de ces deux décisions, qui ont été rendues le 31 mars 2006. Dans le dossier renfermant cette demande, no du greffe IMM‑3744‑06, elle sollicitait un sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre elle. Cependant, au cours de l’audience il y a deux jours, elle s’est désistée de sa requête.

 

[4]               La Première nation ojibway de Sandy Bay a maintenant en son propre nom déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de ces deux décisions. Je passerai sur certaines irrégularités. Une demande de contrôle judiciaire se limite en général à une décision. Ici, il y en avait deux. S’il s’agit d’une demande présentée en vertu de la LIPR, elle aurait dû être déposée dans les quinze jours de la décision, et une telle demande requiert une autorisation avant de pouvoir être jugée au fond. S’il s’agit d’une demande présentée en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, elle aurait dû être déposée dans un délai de 30 jours. Aucune requête en prorogation de délai n’a été présentée.

 

[5]               Le fond de la demande est que, après qu’ont été rendues les décisions défavorables à sœur Eligwe, les membres de la Première nation ojibway de Sandy Bay ont décidé le 26 juin de l’adopter et d’en faire une des leurs.

 

[6]               L’article 19 de la LIPR prévoit que « toute personne inscrite comme Indien, en vertu de la Loi sur les Indiens, a le droit d’entrer au Canada et d’y séjourner […] » Sœur Eligwe n’est pas inscrite en vertu de la Loi sur les Indiens, mais l’on fait valoir qu’elle a le droit d’être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)b) de cette loi parce qu’elle est membre d’un groupe de personnes déclaré par le gouverneur en conseil être une bande.

 

[7]               Puis l’on soutient que la bande a le droit de décider de l’appartenance à ses effectifs et qu’elle a de son propre chef un intérêt suffisant pour contester les deux décisions prises au nom du ministre, en raison de l’un des attendus de la résolution du conseil de bande : [traduction] « attendu que le chef et le conseil subviennent aux besoins de tous les membres de la bande qui sont nés ou ont été adoptés au sein de la Première nation ojibway de Sandy Bay ».

 

[8]               Après avoir entendu les observations orales faites au nom de la bande, j’ai rejeté la demande.

 

[9]               La bande n’a pas l’intérêt requis pour agir. L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée « par quiconque est directement touché par l’objet de la demande ». La personne directement touchée est sœur Eligwe. La bande n’est touchée qu’indirectement.

 

[10]           Par ailleurs, une demande de sursis d’exécution est un recours extraordinaire. Il doit y avoir au départ une question sérieuse à trancher, il doit y avoir un préjudice irréparable pour le cas où le sursis d’exécution ne serait pas accordé et la prépondérance des inconvénients doit militer en faveur du demandeur (voir : Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302; RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311).

 

[11]           S’agissant de la question sérieuse à trancher, l’argument qui est avancé, s’il est porté à son extrême, signifie que chacune des bandes (et il y en a plus de 600) est habilitée à passer outre au pouvoir discrétionnaire du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en acceptant des non‑résidents parmi ses membres et en leur accordant par le fait même le statut de résident permanent.

 

[12]           Il ne m’est pas nécessaire de m’exprimer sur la gravité de la question sous‑jacente, puisqu’aucun précédent n’a été allégué montrant qu’il y aurait un préjudice irréparable. L’argument était simplement que sœur Eligwe était membre de la Première nation ojibway de Sandy Bay, laquelle était titulaire du droit ancestral de dire qui sont ses membres, et que lesdits membres ne pouvaient pas être contraints de quitter le pays. Si un jour cette position est confirmée, alors sœur Eligwe pourra revenir.

 

[13]           Par ailleurs, la prépondérance des inconvénients milite en faveur du ministre. C’est là certainement un cas où l’intérêt public dont parle l’article 48 de la LIPR requiert que les mesures de renvoi soient appliquées dès que les circonstances le permettent. L’adoption semble avoir pour objet de faire en sorte que sœur Eligwe puisse rester au Canada. Elle est en fait mise en apprentissage au sein de la Première nation parce que la résolution prévoit également que [traduction] « la présente résolution du conseil de bande […] demeurera en vigueur jusqu’à ce que la Première nation et le conseil ojibway de Sandy Bay annulent les présentes directives par consentement écrit du chef et du conseil ». Aujourd’hui elle est membre de la bande, demain elle pourrait ne pas l’être!

 

Le statut religieux de sœur Eligwe

 

[14]           Que l’on ne s’imagine pas qu’elle est renvoyée du Canada parce qu’elle est une religieuse. L’alinéa 186l) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit que l’étranger peut travailler au Canada sans permis de travail :

l) à titre de personne chargée d’aider une communauté ou un groupe à atteindre ses objectifs spirituels et dont les fonctions consistent principalement à prêcher une doctrine, à exercer des fonctions relatives aux rencontres de cette communauté ou de ce groupe ou à donner des conseils d’ordre spirituel;

 

Par ailleurs, selon l’article 205, un permis de travail peut être délivré si le travail « est d’ordre religieux ou charitable ».

 

[15]           Sœur Eligwe semble n’avoir rien fait pour s’établir sous ce rapport. La décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire parle de ses qualités en termes très élogieux. Citons ici Timothée, chapitre 5, verset 10 : « qu’elle soit recommandable par de bonnes œuvres, ayant élevé des enfants, exercé l’hospitalité, lavé les pieds des saints, secouru les malheureux, pratiqué toute espèce de bonne œuvre ». On ferme les portes du Canada aux criminels, mais on ne laisse pas nécessairement les saints y entrer.

 

[16]           Elle a par ailleurs travaillé ici comme cuisinière de plats‑minute, ainsi qu’en d’autres qualités d’ordre non religieux, bien qu’elle ait également dirigé le chœur de la bande et prodigué un soutien spirituel à beaucoup de gens. Il n’est absolument pas établi qu’elle a un quelconque statut diocésain.

 

[17]           Pour ces motifs, j’ai rejeté plus tôt aujourd’hui la requête, avec dépens en faveur des défendeurs, pour la somme de 1 000 $, payables sans délai quelle que soit l’issue de la cause.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                           T‑1156‑06

 

 

INTITULÉ :                                          LA PREMIÈRE NATION OJIBWAY DE SANDY BAY

                                                               c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    OTTAWA (ONTARIO) ET WINNIPEG (MANITOBA), PAR CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE

 

DATE DE L’AUDIENCE :                  LE 19 JUILLET 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :     LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                         LE 19 JUILLET 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hafeez Khan                                           POUR LA DEMANDERESSE

 

Dayna S. Anderson et                              POUR LES DÉFENDEURS

Carena Roller

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Booth Dennehy LLP                                POUR LA DEMANDERESSE

Winnipeg (Manitoba)

 

John H. Sims, c.r.                                    POUR LES DÉFENDEURS

Sous‑procureur général du Canada

 

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