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Date : 20060321

Dossier : IMM-5290-05

Référence : 2006 CF 365

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

OMAR SAADA

NASSERA CHERRAT

WALID SAADA

MOUNIR CELAS SAADA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d'une décision de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 22 juillet 2005, qui rejetait l'appel des demandeurs d'une mesure de renvoi prise contre eux et qui concluait qu'il n'existait pas de raisons d'ordre humanitaire justifiant la prise d'une mesure spéciale.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les demandeurs ont soulevé les questions en litige suivantes :

            1.          La Commission a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle en ne tenant pas compte de certaines preuves pertinentes dans ses motifs?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur donnant lieu à révision en ne tenant pas compte de certains facteurs pertinents lorsqu'elle a conclu qu'il n'existait pas de raisons d'ordre humanitaire justifiant la prise d'une mesure spéciale?

[3]                Pour les motifs suivants, la réponse à la première question est affirmative et la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Compte tenu de la réponse à la première question, il n'est pas nécessaire de répondre à la deuxième question en litige.

LE CONTEXTE

[4]                Le demandeur principal, M. Omar Saada, est un citoyen de l'Algérie. Il est né le 7 octobre 1964 à Bejaia. Il est marié à Mme Nassera Cherrat et ils ont trois enfants : Walid, Mounir, et Rayan.

[5]                Le demandeur principal, son épouse et ses deux fils aînés sont arrivés au Canada le 23 mai 2001 en possession d'un visa d'immigrant de la catégorie des entrepreneurs.

[6]                Le demandeur principal est un pharmacien qualifié et, en raison d'un manque chronique de places à l'Université de Montréal et à l'Université Laval de Québec, il a été incapable d'obtenir une équivalence de diplôme d'une université du Québec après son arrivée.

[7]                Les demandeurs sont retournés en Algérie à la fin 2001, et le demandeur principal et ses deux fils aînés y sont restés jusqu'en septembre 2003. Pendant ce temps, les demandeurs ont liquidé leurs actifs en Algérie : le demandeur principal a vendu sa pharmacie et a travaillé un certain temps pour son beau-frère, et son épouse a vendu sa clinique dentaire. Leurs deux fils aînés ont fréquenté l'école en Algérie, et leur fils cadet, Rayan, est né le 11 juin 2002.

[8]                À son retour au Canada, le demandeur principal a tenté une fois de plus d'obtenir une équivalence de diplôme, sans succès.

[9]                Les demandeurs ont eu de la difficulté à obtenir un visa leur permettant d'amener Rayan avec eux au Canada, et l'épouse du demandeur principal est finalement revenue au Canada avec son fils en décembre 2003. À leur arrivée à Montréal, un agent d'immigration a émis à Rayan un visa de résident temporaire.

[10]            Comme le demandeur principal n'avait pas réussi à obtenir une équivalence de diplôme, il était incapable de travailler comme pharmacien et n'a pas pu s'acheter une pharmacie, comme il voulait le faire lorsqu'il est arrivé au Canada. Il a tenté d'acheter une station-service en présentant des demandes à Petro-Canada et à Shell, en vain.

[11]            Le 8 juin 2004, une mesure de renvoi a été prise contre les demandeurs, parce que le demandeur principal n'avait pas réussi à remplir les conditions de son visa d'immigrant de la catégorie des entrepreneurs.

[12]            Le 30 mai 2005, lors de l'audition de l'appel interjeté contre la mesure de renvoi, le demandeur principal a présenté une preuve qu'il avait fait une promesse d'achat d'une entreprise.

[13]            Le 29 juin 2005, après l'audition de l'appel, mais avant que la décision soit rendue, le demandeur principal a présenté la preuve de l'achat d'un magasin de produits de santé et d'une maison.

[14]            Le demandeur principal travaille maintenant comme technicien dans une pharmacie et son épouse travaille dans une résidence pour personnes âgées. Elle en est à la moitié de ses études en hygiène dentaire, et les demandeurs soutiennent qu'ils souhaitent ouvrir une clinique dentaire lorsqu'elle aura obtenu son diplôme.

[15]            Les deux fils aînés des demandeurs fréquentent l'école à Montréal depuis leur retour en septembre 2003.

[16]            Le 22 juillet 2005, la Commission a rejeté l'appel des demandeurs de la mesure de renvoi prise contre eux.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[17]            Dans ses motifs, la Commission a noté qu'aucun avocat n'avait représenté les demandeurs à l'audience et qu'ils n'avaient pas contesté la légalité de la mesure de renvoi. Les demandeurs ont demandé la prise d'une mesure spéciale pour des raisons d'ordre humanitaire, au sens de l'alinéa 67(1)c) de la Loi.

[18]            La Commission a fondé son analyse juridique sur les principes provenant de l'affaire Ribic c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] I.A.B.D. no 4 (QL); de l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, et de l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[19]            La Commission a conclu qu'une grande partie de la preuve qui lui avait été présentée indiquait que le niveau d'établissement des demandeurs au Canada était minime, et que le demandeur principal n'avait pas pris de mesures pour informer les agents d'immigration des difficultés auxquelles il avait fait face et qui l'avaient empêché de remplir les conditions de son visa.

[20]            La Commission a noté que, bien qu'elle reconnût l'existence de difficultés auxquelles les gens d'affaires immigrants faisaient face en arrivant au Canada, les demandeurs avaient quitté le Canada six mois après leur arrivée et étaient restés à l'étranger presque deux ans, reprenant une vie normale en Algérie.

[21]            Au sujet des intérêts supérieurs des enfants, la Commission a noté que le fils cadet des demandeurs, Rayan, n'avait pas de statut de résident permanent au Canada et que les circonstances de son arrivée au Canada étaient critiquables et troublantes. Aucune preuve n'a été présentée au sujet des répercussions possibles qu'aurait la réinstallation des demandeurs en Algérie sur les deux fils aînés. La Commission a conclu, au contraire, qu'ils avaient déjà fréquenté l'école en Algérie et qu'ils avaient beaucoup de cousins là-bas.

[22]            La Commission a conclu ses motifs en déclarant que les demandeurs n'avaient pas satisfait à l'obligation d'établir qu'il existait suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour justifier que leur appel soit accueilli.

ANALYSE

[23]            Le paragraphe 63(3), l'alinéa 67(1)c) et le paragraphe 175(1) de la Loi se lisent comme suit :

63. (3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l'enquête.

63. (3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

67. (1) Il est fait droit à l'appel sur preuve qu'au moment où il en est disposé : [...]

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of, [...]

c) sauf dans le cas de l'appel du ministre, il y a - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - des motifs d'ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l'affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

175. (1) Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section d'appel de l'immigration :

175. (1) The Immigration Appeal Division, in any proceeding before it,

a) dispose de l'appel formé au titre du paragraphe 63(4) par la tenue d'une audience;

(a) must, in the case of an appeal under subsection 63(4), hold a hearing;

b) n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

(b) is not bound by any legal or technical rules of evidence; and

c) peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision.

(c) may receive and base a decision on evidence adduced in the proceedings that it considers credible or trustworthy in the circumstances.

1.          La Commission a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle en ne tenant pas compte de certaines preuves pertinentes dans ses motifs?

[24]            Les demandeurs allèguent que la Commission a manqué à un principe de justice naturelle en ne mentionnant pas ou en ne tenant pas compte de la preuve portant sur l'achat d'une entreprise et d'une maison par le demandeur principal, dans son analyse du degré d'établissement des demandeurs au Canada. Ils soutiennent que cette preuve était cruciale pour eux dans leurs efforts en vue d'établir l'existence de raisons d'ordre humanitaire justifiant que leur appel soit accueilli, et que le devoir d'équité de la Commission exigeait qu'elle examine la valeur probante de la preuve et qu'elle traite de celle-ci dans ses motifs.

[25]            Le défendeur soutient que les demandeurs sont simplement en désaccord avec la Commission et qu'ils tentent de substituer leur opinion à celle de la Commission. Le défendeur ajoute que la preuve d'investissement dans une entreprise et d'achat d'une maison de la part du demandeur ne pouvait pas changer le fondement de la conclusion de la Commission.

[26]            Je ne suis pas d'accord avec le défendeur à ce sujet. Bien que le rôle de la Cour ne soit pas de substituer sa propre opinion à celle de la Commission, il semble tout à fait évident que la preuve d'achat d'une entreprise, de la « déclaration d'immatriculation » et de l'achat d'une maison par le demandeur principal sont des facteurs pertinents que la Commission aurait dû examiner dans son analyse du niveau d'établissement des demandeurs au Canada. Au paragraphe 9 de sa décision, la Commission a mentionné la pièce A-20, qui est un document signé par le demandeur attestant qu'il avait fait une offre d'achat sur un magasin de produits de santé, mais il n'y aucune mention des trois documents que le demandeur a envoyés par lettre après l'audience.

[27]            Cette preuve pouvait ou pouvait ne pas être suffisante pour établir l'existence de raisons d'ordre humanitaire justifiant que l'appel des demandeurs soit accueilli. Cependant, le devoir d'équité procédurale exigeait que la Commission fasse mention de cette preuve dans ses motifs, parce qu'elle indiquait que le degré d'établissement du demandeur pouvait ne pas être aussi faible que les conclusions de la Commission laissaient supposer.

[28]            Le dossier du tribunal indique que la preuve a été présentée après l'audience, mais avant que la Commission rende sa décision.

[29]            Compte tenu de leur importance dans le contexte de l'appel des demandeurs, je conclus que la Commission avait le devoir d'examiner toutes les preuves qui lui avaient été présentées avant qu'elle soit dessaisie (Nagulesan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 FC 1382, [2004] A.C.F. no 1690 (1re inst.) (QL)).

[30]            Comme la Commission a clairement manqué à son devoir d'équité procédurale en ne mentionnant pas ou en ne tenant pas compte de cette preuve importante et pertinente, la demande sera accueillie et l'affaire sera renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

[31]            Aucune question n'a été soumise à des fins de certification et l'affaire n'en soulève aucune.

JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen. Aucune question certifiée.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5290-05

INTITULÉ :                                     OMARSAADA, NASSERA CHERRAT,

                                                            WALID SAADA, MOUNIR CELAS SAADA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 14 mars 2006

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                       Le 21 mars 2006

COMPARUTIONS :

Viken G. Artinian                                                                       POUR LES DEMANDEURS

Edith Savard                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joseph W. Allen                                                                        POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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