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Date : 20201117


Dossier : T‑538‑19

Référence : 2020 CF 1062

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2020

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP

demanderesse

et

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’un appel de l’ordonnance par laquelle la protonotaire Angela Furlanetto [agissant à titre de juge responsable de la gestion de l’instance, la JRGI] a refusé de radier un avis de demande de contrôle judiciaire. Les motifs invoqués à l’appui de la requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire sont le caractère théorique et prématuré de la demande. La Cour conclut que la JRGI n’a pas commis d’« erreur manifeste et dominante », soit la norme de contrôle applicable en appel.
Le procureur général du Canada n’a pas participé à l’appel.

II.  Contexte

[2]  La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 1er mars 2019 [la décision du 1er mars] par laquelle l’Administration portuaire Vancouver Fraser [l’APVF] a refusé d’effectuer une enquête préliminaire de projet [EPP] demandée par GCT Canada Limited relativement à l’ajout d’un poste d’amarrage pour l’exploitation d’un terminal appelé le projet d’agrandissement de Deltaport consistant à construire un quatrième poste d’amarrage à banc Roberts [le projet DP4]. Accepter de procéder à une EPP équivaut à approuver la mise en œuvre du projet. La décision du 1er mars (et son retrait allégué le 23 septembre 2019 [la décision du 23 septembre]) fait l’objet du présent appel. Le contrôle judiciaire soulève de sérieuses questions de partialité de la part de l’APVF.

[3]  La partie défenderesse (la demanderesse dans le cadre du contrôle judiciaire, appelée « GCT » pour faciliter la lecture) est un exploitant de terminal commercial possédant deux terminaux en Colombie‑Britannique, un à New York et un au New Jersey. L’emplacement pertinent est la région du terminal à banc Roberts, dans la municipalité de Delta, en Colombie‑Britannique [Deltaport]. L’entreprise de GCT, qui exerce ses activités depuis 1997, prévoyait initialement deux postes d’amarrage pour les navires. Le terminal a été agrandi en 2010 pour inclure un troisième poste d’amarrage [le projet DP3]. Le projet en cause en l’espèce concerne l’ajout d’un autre port d’amarrage [DP4].

[4]  Le 1er mars 2019, l’APVF a refusé d’effectuer une EPP visant le DP4 de GCT, citant sa préférence pour son propre projet comme raison principale justifiant son refus.

[traduction

[...] le projet de Terminal 2 est le projet que nous privilégions pour l’augmentation de la capacité à Roberts Bank. Vous devez comprendre que votre proposition de projet Deltaport 4, même si elle est en mesure de recevoir les approbations environnementales et réglementaires nécessaires, ne pourrait être considérée que comme projet ultérieur et supplémentaire au projet du Terminal 2. Nous notons que votre calendrier de développement proposé serait en conflit avec la mise en œuvre de la capacité du projet du Terminal 2. En tenant compte de tous les facteurs susmentionnés, nous ne traiterons pas votre demande de renseignement dans le cadre du processus d’examen de projet et de l’environnement pour le moment. Nous serions disposés à examiner les plans de développement de Deltaport avec GCT à un moment où nous serons mieux en mesure de prévoir la nécessité d’une capacité supplémentaire au‑delà du projet du Terminal 2.

[5]  GCT allègue que le refus de l’APVF de traiter le projet DP4 dans le cadre de son processus d’examen environnemental et de projet (EEP) découlait de la partialité réelle de l’APVF en faveur de son propre projet concurrent à un terminal distinct, au banc Roberts [le projet du Terminal 2]. La demanderesse allègue également que les terrains touchés par le projet DP4 ne relèvent pas de la compétence de l’APVF.

GCT demande un éventail de réparations, notamment une ordonnance annulant la décision du 1er mars, une déclaration portant que l’APVF a rendu sa décision en se fondant sur des considérations extrinsèques et irrégulières ainsi qu’une ordonnance interdisant à l’APVF de faire progresser davantage le projet Terminal 2 jusqu’à ce que le ministre ait mené le processus de délivrance de permis à l’égard du projet DP4.

[6]  À la suite de la signification, en vertu de l’article 307 des Règles des Cours fédérales (les Règles), des éléments de preuve, une commission d’examen environnemental a tenu des audiences publiques. Or, le 28 août 2019, la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, art 52, a été abrogée et remplacée par la Loi sur l’évaluation d’impact, LC 2019, c 28, art 1, de sorte que le projet DP4 est devenu un projet désigné pouvant être tenu de faire l’objet d’une évaluation d’impact par l’Agence d’évaluation d’impact du Canada avant l’examen par l’APVF dans le cadre du processus d’EEP.

[7]  Le 6 septembre 2019, le juge Pentney a rendu une ordonnance en vertu de laquelle Lawson Lundell, LLP était dorénavant inhabile à représenter l’APVF.

[8]  Le 23 septembre 2019, l’APVF a envoyé une lettre à CGT, l’informant qu’elle annulait sa lettre de décision du 1er mars 2019 et qu’elle procéderait à l’EPP que cette dernière avait demandée concernant le projet DP4.

GCT a refusé de s’engager dans le processus de l’APVF en raison de la partialité de cette dernière.

[9]  GCT a demandé d’accroître la portée de sa demande de réparation pour motif de partialité afin d’inclure une déclaration portant que la décision du 23 septembre, qui annulerait la décision du 1er mars, a été prise pour des motifs irréguliers. La réparation modifiée est décrite ci‑après et comprend une réparation demandée en conséquence de la partialité établie.

[traduction

a) Une ordonnance de certiorari visant à annuler la décision et à ordonner au ministre des Transports (Canada) ou à un délégué compétent de Sa Majesté la Reine, autre que l’APVF, tel que déterminé par la Cour (le ministre), de mener surveiller les activités processus d’évaluation et de délivrance de permis concernant le projet DP4, qui relèvent sont l’obligation de la compétence de l’APVF en vertu de la Loi maritime du Canada, LC 1998, c 10 (la Loi), du Règlement sur l’exploitation des administrations portuaires, DORS/2000‑55 pris en application de la Loi, et de l’article 67 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, art 52 (la LCCE) [...]

b) Une déclaration portant que :

i. la décision du 1er mars a été prise en fonction de la partialité réelle de lAPVF; 

ii. la décision du 23 septembre, qui annulerait la décision du 1er mars 2019, a été prise pour des motifs irréguliers et en fonction de la partialité réelle de l’APVF; 

iii. Subsidiairement, et au besoin, que l’APVF a créé une situation de partialité inévitable, de sorte que, si l’APVF demeure le décideur, GCT n’a aucune possibilité de faire progresser le DP4 devant un décideur non partial;

c) Une ordonnance enjoignant à l’APVF de remettre le dossier de la décision intégrale et de produire tous les documents, y compris tous les documents relatifs à son processus décisionnel concernant la décision du 1er mars et la décision du 23 septembre;

d) Une ordonnance exigeant une surveillance indépendante des pouvoirs administratifs, de délivrance de permis et d’autres pouvoirs de l’APVF concernant le projet DP4, relativement à ce qui suit : [...]

e) b) Une déclaration portant que l’APVF a rendu pris la décision en se fondant sur des considérations extrinsèques et irrégulières découlant de sa propre partialité réelle, [...]

f) c)Une déclaration portant que l’APVF n’a pas mené et ne peut pas mener un processus équitable et impartial au titre de la Loi, [...]

g) d) Une déclaration portant que les terrains touchés par le projet DP4 ne relèvent pas tous de la compétence de l’APVF [...]

h) e) Une ordonnance interdisant à l’APVF de faire progresser le projet Terminal 2 jusqu’à ce que le ministre qu’une évaluation d’impact ait été menée le processus de délivrance de permis à l’égard du projet DP4, en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impactLC. 2019, c.28 (la LEI);

[10]  Les requêtes, desquelles découle la décision de la JRGI qui fait l’objet du présent appel, étaient les suivantes :

  • la requête présentée par GCT visant à modifier l’avis de demande initial et à obtenir l’autorisation de déposer des éléments de preuve supplémentaires;

  • la requête présentée par l’APVF (et le procureur général [le PGC]) visant à faire radier l’avis de demande initial en raison de son caractère théorique et prématuré et pour défaut de compétence et une requête visant à radier un affidavit;

  • la requête présentée par le PGC visant à contester sa désignation à titre de partie défenderesse.

[11]  En ce qui concerne la question de la radiation de l’avis de demande, la JRGI a souligné que seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier la radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire à un stade préliminaire et que la question devait généralement être tranchée par le juge saisi de la demande. S’agissant du caractère théorique, la JRGI a appliqué le critère établi dans l’arrêt Borowski (Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342) :

Afin de décider si une affaire est théorique, il est nécessaire de déterminer s’il subsiste un litige actuel. S’il n’existe aucun litige actuel, il incombe donc à la partie qui demande que l’affaire soit tranchée de justifier la raison pour laquelle la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l’affaire. Dans le cadre de cette deuxième partie du critère, la Cour tiendra compte des facteurs suivants : (i) le contexte contradictoire; (ii) l’économie des ressources judiciaires; (iii) le rôle de la Cour [...]

GCT Canada Limited Partnership c Administration portuaire Vancouver Fraser, 2020 CF 348, par. 20

[12]  La JRGI a conclu que la question de la partialité était une question réelle, distincte et continue et a donc statué que la demande de contrôle judiciaire n’était pas théorique. Elle a ensuite appliqué (vraisemblablement par souci d’exhaustivité) le deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Borowski concernant le pouvoir discrétionnaire de la Cour et a souligné que même si la décision du 23 septembre annulait la décision du 1er mars, la question de la partialité subsisterait entre les parties.

[13]  En ce qui a trait au caractère prématuré, soit le fait qu’il n’existait aucune « décision », la JRGI a reconnu qu’un organe décisionnel ne peut pas tenter de se soustraire indûment au contrôle judiciaire simplement en annonçant que sa décision n’est pas définitive.

[14]  La JRGI n’a pas conclu qu’il était « évident et manifeste » que la requête en radiation pour défaut de compétence ne révélait aucune cause d’action raisonnable ou que la requête « n’avait aucune chance d’être accueilli[e] » et a statué que cette question devait donc être tranchée par le juge du fond.

[15]  La décision a également abordé d’autres questions d’ordre procédural. Or, aucune d’entre elles n’a eu d’incidence sur les questions déterminantes du présent appel, soit celles se rapportant au refus de radier la demande de contrôle judiciaire.

III.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[16]  La norme de contrôle régissant le contrôle de la décision par la Cour a été établie dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, à savoir que la Cour doit appliquer la norme de contrôle applicable en appel. Selon cette norme, les questions de droit (y compris les questions de droit inextricables) doivent être examinées selon la norme de la décision correcte.

[17]  Comme il a été statué au paragraphe 36 de l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen], une erreur de droit ou de principe isolable peut être imputable à l’application d’une norme incorrecte, à l’omission de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique ou à une autre erreur de principe semblable.

[18]  La norme applicable à l’égard des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit est celle de la norme de l’« erreur manifeste et dominante » (Housen, para 29).

[19]  La qualification des actes de procédure, y compris l’avis de demande de contrôle judiciaire, est une question mixte de fait et de droit comportant l’application d’une norme juridique – telle que le caractère théorique, la partialité, la prématurité – à un ensemble de faits.

[20]  Dans l’arrêt Teal Cedar Products Ltd c Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, la Cour a souligné qu’un avocat peut avoir des motivations pour « qualifie[r] stratégiquement une question mixte de question de droit ». Les questions soulevées dans le cadre du présent appel sont essentiellement des questions mixtes de droit et de fait. Certaines de ces questions relèvent de l’exercice d’un vaste pouvoir discrétionnaire, et sont également soumises à la norme applicable en appel dans les causes civiles, laquelle a été établie dans l’arrêt Housen, précité.

[21]  Dans l’arrêt Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 [Mahjoub], la Cour d’appel a souligné au paragraphe 61 de ses motifs la grande déférence que commande la norme de l’« erreur manifeste et dominante » :

[61]  La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle qui commande une grande déférence : arrêts Benhaim c. St‑Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38, et H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. Voir l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286, au paragraphe 46, cité avec l’approbation de la Cour suprême dans l’arrêt St‑Germain, précité.

[22]  Dans la même décision, la Cour d’appel a indiqué que par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente (par 62) tandis que par erreur « dominante » (par 64), on entend :

[...] une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Il se peut qu’un fait donné n’aurait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas « dominante ». Le jugement du tribunal de première instance demeure.

[23]  Dans l’arrêt Mahjoub, le juge Stratas a fait des observations concernant la norme de contrôle applicable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un tribunal, y compris les décisions d’un juge responsable de la gestion de l’instance, soulignant que l’exercice du pouvoir discrétionnaire fait intervenir l’application de normes juridiques aux faits tels qu’on les trouve et qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit.

 [74]  En vertu de la jurisprudence Housen, les questions mixtes de droit et de fait, y compris l’exercice du pouvoir discrétionnaire, peuvent être annulées uniquement aux motifs d’une erreur manifeste et dominante — le seuil élevé décrit plus haut —, à moins qu’une erreur à l’égard d’une question de droit ou de règle de droit isolable ne soit présente. Donc, par exemple, si un tribunal d’appel peut discerner une erreur de droit ou de règle de droit sous‑tendant l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal de première instance, il peut renverser l’exercice du pouvoir discrétionnaire aux motifs de cette erreur. En d’autres termes, il s’agit de savoir si le pouvoir discrétionnaire était « entaché ou vicié » d’une méconnaissance de la loi ou de la règle de droit : arrêt Housen, au paragraphe 35.

B.  Radiation d’une demande de contrôle judiciaire – critère juridique

[24]  La JRGI a correctement déterminé le critère juridique à appliquer à une requête en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire. Elle précisé que la décision qui fait autorité à cet égard est David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 (CA) [David Bull], dans laquelle on explique que la Cour radiera un avis de demande de contrôle judiciaire que dans une situation exceptionnelle où celui‑ci « est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli ».

[25]  Elle a également cité d’autres jugements précisant que la Cour doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande. Cette orientation illustre le critère établi dans David Bull, selon lequel l’avis doit être « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli ». En l’absence de cette caractéristique, les questions relatives au contrôle judiciaire doivent être tranchées par le juge du fond.

[26]  En rejetant les requêtes (sauf celles qui concernent la radiation de la demande d’interdiction), la JRGI a déterminé que la question au cœur de la présente affaire, à savoir que la partialité sous‑jacente alléguée demeure une question réelle, n’est pas si manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune possibilité d’être accueillie. Elle répondait ainsi de manière exhaustive à l’allégation de l’APVF concernant le caractère théorique et prématuré.

C.  Caractère théorique 

[27]  Si le caractère théorique a pu, à une certaine époque, servir de motif pour radier une demande de contrôle judiciaire, comme l’a indiqué la JRGI, la Cour est désormais tenue d’appliquer le critère de l’arrêt Borowski lorsqu’elle examine le caractère théorique allégué :

  1. Est‑ce qu’il existe un litige actuel?

  2. Dans la négative, la Cour doit‑elle néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l’affaire?

[28]  Dans le contexte de la présente affaire, la première question est une question mixte de droit et de fait; la deuxième est une question qui concerne l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Les deux questions commandent l’application de la norme déférente de la décision raisonnable.

[29]  La deuxième question demande à la Cour de soupeser et de comparer trois facteurs :

  • a) le contexte contradictoire – la relation conflictuelle subsistera‑t‑elle malgré le caractère théorique, de sorte que les parties ayant un intérêt dans l’issue du litige pourront en débattre complètement tous les aspects?

  • b) l’économie des ressources judiciaires – y a‑t‑il des avantages, tels que la résolution d’un conflit qui se poursuivra en l’absence de clarification juridique, la résolution d’une question d’importance publique ou d’une question répétitive mais de courte durée qui pourrait autrement échapper au contrôle de la Cour, qui justifient l’utilisation de ressources judiciaires?

  • c) le rôle de la Cour – est‑il demandé à la Cour d’exercer une fonction au cœur de sa compétence sans empiéter sur le rôle du législateur?

[30]  Le premier point en ce qui concerne le caractère théorique concerne le fait qu’aucune conclusion quant au caractère théorique ne peut être établie. La question de savoir si l’APVF peut annuler sa décision de mars 2019, par sa lettre du 23 septembre, est une question déterminante dans le présent litige. Cette lettre en tant que telle soulève les mêmes préoccupations de partialité que la décision de mars 2019, car on peut soutenir qu’il s’agit d’une tentative d’empêcher le contrôle judiciaire. Plus important encore, elle soulève la question de savoir s’il existe une décision du 1er mars; si elle a été annulée, est‑ce que l’annulation soulève les mêmes questions? Il s’agit de questions réelles.

[31]  Le problème de partialité allégué est l’apparente préférence de l’APVF pour son propre projet et le conflit d’intérêts inhérent aux multiples rôles joués par l’APVF en tant que propriétaire, organisme de réglementation, exploitant de terminal et concurrent.

[32]  La JRGI a reconnu le problème de la lettre du 23 septembre 2019 en la qualifiant de décision qui [traduction« annulerait » la décision du 1er mars. Elle a également reconnu que cette annulation alléguée en tant que telle était une « question réelle » qui s’ajoutait à l’allégation sous‑jacente de partialité.

[33]  Aux paragraphes 27, 28, 32, 33 et 36 de ses motifs, la JRGI expose les fondements du conflit en cours et souligne sa nature continue.

[34]  Les préoccupations de GCT en matière de partialité peuvent se résumer comme suit : comment son projet peut‑il être traité de manière juste et impartiale compte tenu de la préférence évidente de l’APVF pour son propre projet? Cette question n’a pas disparu de la relation entre les parties. Il était donc raisonnable pour la JRGI de conclure que le caractère théorique n’avait pas été établi.

[35]  Selon moi, après avoir raisonnablement déterminé que le caractère théorique n’avait pas été établi, la JRGI n’était pas tenue d’examiner le deuxième volet du critère de l’arrêt Borowski. Toutefois, elle a décidé de procéder à cet examen, et ce, pour des motifs raisonnables, certains des facteurs de ce second volet recoupant les facteurs liés au caractère théorique.

[36]  Pour déterminer l’existence d’un contexte contradictoire, la JRGI a correctement pris en compte les éléments de preuve indiquant que la relation entre les parties était continue, que les prochaines étapes du processus étaient incertaines, que la communication entre les parties était paralysée, que la question de la partialité (même si elle devait être théorique) subsistait et que l’affaire pouvait être tranchée par la Cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir Michel c Tribunal de révision de la collectivité de la bande d’Adams Lake, 2017 CF 835 aux para 28‑31).

[37]  La JRGI a reconnu la continuité du conflit entre les parties relativement aux projets concurrents. La lettre du 23 septembre n’a fait que renforcer la nature continue du différend. Le caractère de continuité se retrouvait également dans le rôle de l’APVF en ce que cette dernière allait continuer d’agir conformément aux mêmes orientations qui, selon elle, relevaient du mandat qui lui était conféré par la loi. Aucune de ces questions n’était susceptible de disparaître.

[38]  Les allégations de partialité subsisteront. À mon avis, il n’est pas nécessaire que GCT reprenne tout le processus de demande pour cristalliser à nouveau les questions de partialité; celles‑ci sont au cœur du dossier actuel. Il serait inutile et coûteux de faire l’exercice administratif de présenter la même demande de base pour l’approbation d’un projet et, au final, se retrouver dans la même position que celle qui nous occupe.

[39]  Bien que la JRGI ne se soit pas expressément penchée sur la question de l’« économie des ressources judiciaires », elle a reconnu les avantages de la résolution d’un conflit qui se poursuivrait en l’absence de clarification juridique. La question des rôles multiples de l’APVF et la détermination de la manière dont les instances doivent se dérouler dans les cas allégués de partialité ou de conflit d’intérêts est d’importance publique.

[40]  Il n’y a pas de véritable problème d’usurpation par la Cour du rôle du législateur.

[41]  Même concernant le deuxième volet du critère de l’arrêt Borowski, il était raisonnable de conclure que la question du caractère théorique n’empêchait pas la résolution de ce conflit continu par le juge du fond.

D.  Caractère prématuré

[42]  À cet égard, la JRGI a reconnu à juste titre le principe selon lequel « [l]a question de prématurité ne peut pas découler du propre processus décisionnel du décideur ».

[43]  L’allégation de prématurité découle de l’annulation alléguée de la décision de mars. L’APVF affirme qu’en l’absence de la décision de mars, il n’y a pas de contrôle judiciaire approprié et que tant que GCT ne présente pas de nouvelle demande d’approbation pour son projet, il est prématuré d’envisager toute action de la part de l’APVF.

[44]  La JRGI a dûment pris en compte la décision Whalen c. Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 732, dans laquelle la Cour a conclu qu’un organe décisionnel ne peut pas manipuler la doctrine de la prématurité pour se protéger d’un contrôle judiciaire en annonçant simplement que la décision n’est pas définitive. En l’espèce, l’APVF faisait essentiellement valoir que la décision de mars n’était pas définitive parce qu’elle avait été annulée.

[45]  La possibilité pour un décideur de [traduction« jouer avec le système » en modifiant ou en annulant des décisions pour éviter un contrôle judiciaire est une situation qui ne peut être autorisée. La JRGI a reconnu que la lettre du 23 septembre renforce la position de l’APVF, selon laquelle le DP4 ne peut être présenté selon un calendrier qui peut faire concurrence avec le Terminal 2.

[46]  Il faut également tenir compte du fait que la présente affaire est un cas de partialité réelle. La nécessité de soulever des allégations de partialité dès que les circonstances le permettent est une exigence de longue date, car la partialité est une atteinte à l’équité fondamentale d’un processus.

[47]  Je conclus que la JRGI n’a aucunement outrepassé sa compétence en rejetant les motifs de prématurité de la requête.

IV.  Conclusion

[48]  En résumé, l’examen minutieux et complet de la requête en radiation par la JRGI ne doit pas être modifié. L’appel de la décision du 9 mars 2020 sera rejeté, les dépens devant suivre l’issue de la cause.


ORDONNANCE dans le dossier T‑538‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. L’appel de la décision de la protonotaire datée du 9 mars 2020 relativement à la radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire est rejeté.

  2. Les dépens suivront l’issue de la cause.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑538‑19

 

INTITULÉ :

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP c L'ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence à Vancouver (colombie‑britannique) et À toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 24 SEPTEMBRE 2020

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

le 17 NOVEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Peter Griffin

Matthew Lerner

Christopher Yung

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Joan Young

Charlotte Conlin

Grace Shaw

 

POUR LE DÉFENDEUR,

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

 

Jordan Marks

Gwen MacIsaac

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

McMillan LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR,

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

 

Procureur général du Canada

Ottawa, Ontario

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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