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Date : 20060220

Dossier : T-39-04

Référence : 2006 CF 217

ENTRE :

BOUTIQUE JACOB INC.

demanderesse

et

PANTAINER LTD.,

PANALPINA INC.,

ORIENT OVERSEAS CONTAINER LINE LTD.

et

CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

défenderesses

et

PANTAINER LTD.

demanderesse reconventionnelle

et

ORIENT OVERSEAS CONTAINER LINE LTD.

défenderesse reconventionnelle


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(version publique)

LE JUGE de MONTIGNY

LES FAITS

[1]                La présente action de la demanderesse découle des dommages causés à sa cargaison par suite d'un déraillement de train survenu vers le 27 avril 2003. Les parties se sont entendues sur tous les faits pertinents et ont admis en preuve les documents qui concernent la cause. Je reproduis donc ci-après l'exposé conjoint des faits.

[traduction]

1.                     Boutique Jacob Inc. (ci-après appelée Boutique Jacob) est une personne morale ayant un établissement à 6125, chemin Côte-de-Liesse, dans la ville de Montréal, province de Québec et se spécialise dans la vente au détail de vêtements et d'accessoires de mode pour dames, jeunes filles et fillettes dans des boutiques situées un peu partout au Canada;

2.              Pantainer Inc. est un transporteur non maritime qui poursuit des activités de transport de marchandises à l'échelle internationale pour les clients du groupe de sociétés Panalpina, dont Panalpina Inc., groupeur de marchandises au Canada;

3.              Panalpina Inc. utilise les services de Panalpina (China) Ltd., son groupeur de marchandises correspondant en Extrême-Orient;

4.              Boutique Jacob Inc. est le client de Panalpina Inc., qui est son groupeur de marchandises et dont elle a déjà utilisé les services et ceux de sa société liée, Pantainer Inc., pour d'autres expéditions en provenance de l'Extrême-Orient;

5.              Orient Overseas Container Line Ltd. (connue dans l'industrie sous l'acronyme OOCL) est une entreprise qui offre des services de transport maritime par conteneur dans le monde entier, notamment de Hong Kong à Vancouver, et dont le siège social se trouve à Hong Kong;

6.              Chemin de fer Canadien Pacifique est une société canadienne dont le principal établissement se trouve à Calgary, en Alberta, et qui offre des services de transport ferroviaire dans l'ensemble du Canada et des États-Unis et de Vancouver à Montréal;

7.                     À toutes les époques pertinentes, Boutique Jacob était le propriétaire d'une cargaison de vêtements et d'accessoires assortis qui comportait un total de 16 740 pièces de textile emballées dans 1 605 caisses et dont le poids brut total atteignait 10 549 kilogrammes (ci-après la cargaison);

8.                     Boutique Jacob a acheté la cargaison à différents fournisseurs de Hong Kong sur une base f.a.b. Hong Kong;

9.                     La valeur f.a.b. Hong Kong de la cargaison qui a été endommagée ou perdue (ci-après appelée la cargaison en cause) s'élevait à 26 880,40 $CAN;

10.                  La cargaison en cause se composait de 3 342 pièces de textile pesant au total 494,1 kilogrammes;

11.                  Le prix d'achat de la cargaison en cause s'établissait à 33 598,64 $CAN, ce qui comprenait le fret et l'assurance;

12.                  La cargaison a été commandée en décembre 2002, étant donné qu'un délai de mise en production d'environ quatre à cinq mois est nécessaire pour respecter les exigences du marché saisonnier visé. Dans l'industrie du vêtement, où les tendances et la mode jouent un rôle prépondérant, les délais représentent un aspect essentiel du processus de production et de marchandisage. En conséquence, Boutique Jacob n'a pu remplacer la cargaison en cause;

13.                  Boutique Jacob a vendu des marchandises du même style que celui de la cargaison en cause à ses différentes boutiques du Canada à plein prix et à différents prix réduits. Selon la moyenne de tous les prix de vente des styles de la cargaison en cause, la valeur de celle-ci (soit le prix moyen auquel cette cargaison se serait vendue, si elle n'avait pas été endommagée) se serait élevée à 71 550,47 $CAN;

14.                  Selon le plus bas prix de vente réduit du même style de marchandises que celui de la cargaison en cause pendant la période mentionnée au paragraphe 13, la valeur de cette cargaison se serait élevée à 35 116,58 $CAN;

15.                  En ce qui a trait aux faits mentionnés aux paragraphes 13 et 14, il y a lieu de se reporter au tableau de ventilation préparé par Boutique Jacob Inc. et aux documents à l'appui de ce tableau ainsi qu'à une lettre du 28 avril 2005 dans laquelle les avocats de Boutique Jacob fournissent d'autres renseignements financiers;

16.                  Par l'entremise de Panalpina Inc., Boutique Jacob a retenu les services de Pantainer Ltd. (ci-après appelée Pantainer) pour transporter la cargaison de Hong Kong au lieu de livraison de Montréal (Canada) et lui a payé le coût de ces services;

17.                  Pantainer a délivré à Boutique Jacob les connaissements d'Express Line portant les numéros 744870, 744871, 744872, 744873, 744874, 744813, 744726 et 744869 relativement au transport de la cargaison. La valeur de celle-ci n'a pas été déclarée. Pantainer avait utilisé le même type de connaissement comportant des conditions identiques à celles qui figurent au verso pour des envois précédents dont elle s'était occupée pour Boutique Jacob au cours des deux années qui ont précédé l'expédition de la cargaison en cause;

18.                  Par l'entremise de Panalpina (China) Ltd. et conformément aux directives de Panalpina Inc., Pantainer a à son tour retenu les services d'Orient Overseas Container Line Ltd. (ci-après OOCL) pour transporter la cargaison depuis le port de chargement de Hong Kong, en Chine au lieu de livraison de Montréal (Canada) selon le connaissement (lettre de transport) OOLU8292212, et lui a payé le coût de ces services. La valeur de la cargaison n'a pas été déclarée;

19.                  OOCL n'a pas établi de lettre de transport ou de connaissement, que ce soit un original ou une copie papier, et Pantainer ne lui a pas demandé de le faire non plus. Pantainer et OOCL n'ont signé aucun contrat principal ou note d'engagement de fret. Le document couvrant l'envoi en question a été préparé, établi et mis à exécution par voie électronique. Le document électronique lui-même comporte la clause suivante : [traduction] « Le texte imprimé des conditions figurant au verso et au recto du présent connaissement peut être consulté à www.oocl.com, dans le tarif publié d'OOCL aux États-Unis et dans les brochures » . Ni Pantainer non plus qu'OOCL n'ont de registres de discussions concernant les limitations de la responsabilité ou d'autres conditions d'OOCL ou ne se rappellent avoir discuté de ces questions;

20.                  OOCL exploite un site Web à www.oocl.com par l'entremise duquel les transporteurs non maritimes comme Pantainer peuvent réserver de l'espace à bord de navires selon les horaires de départ correspondant à différentes destinations, fournir les renseignements qui doivent figurer sur le connaissement électronique (lettre de transport) et obtenir une confirmation du chargement des conteneurs présentés pour expédition au terminal ainsi que du nom du navire, de l'itinéraire de celui-ci, de l'heure d'arrivée prévue et de l'arrivée proprement dite. Les transporteurs non maritimes peuvent obtenir une copie électronique du connaissement (lettre de transport), qui ne devient disponible que lorsque les conteneurs sont effectivement chargés à bord d'un porte-conteneurs;

21.                  OOCL utilise le même site Web pour informer la partie dont le nom figure sur le connaissement de l'arrivée du conteneur au port de déchargement;

22.                  Le site Web susmentionné d'OOCL comporte un lien précis menant aux conditions du connaissement. Ces conditions sont en vigueur sous leur forme actuelle depuis au moins l'année 2000 et n'ont pas été modifiées. Elles étaient en vigueur lorsque le contrat de transport de la cargaison en cause a été formé et exécuté;

23.                  Pantainer n'était pas au courant des conditions précises du connaissement d'OOCL qui étaient en vigueur à la date de l'expédition en question; que ce soit de son propre chef ou par l'entremise de Panalpina (China) Ltd. ou Panalpina Inc., Pantainer a utilisé à maintes reprises les services en ligne d'OOCL relativement au transport de marchandises pour la demanderesse et d'autres clients dans le passé et elle a effectivement utilisé les services en ligne pour le transport de la cargaison en cause;

24.                  À son tour, OOCL a confié à Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) le transport par rail de la cargaison de Vancouver à Montréal, au Canada, conformément au contrat confidentiel conclu entre ces deux sociétés, et lui a payé le coût de ce service;

25.                  OOCL a fait la réservation relative au transport par rail de la cargaison de Vancouver à Montréal avec CFCP; Les réservations entre OOCL et CFCP pour les conteneurs d'importation de l'Amérique du Nord sont faites par échange de données informatisé (EDI) depuis le bureau d'OOCL à Chicago. Aucun document sur support papier n'a été généré;

26.                  CFCP n'a pas établi de lettre de transport ou de connaissement EDI pour l'expédition en question, mais elle a consigné la réception du conteneur et les données relatives au train dans son système en ligne dont se servent Pantainer et OOCL;

27.                  Pantainer a reconnu avoir reçu la cargaison en bon état vers le 7 avril 2003 et l'a fait arrimer à l'intérieur d'un conteneur fourni par OOCL;

28.                  OOCL a reconnu avoir reçu un conteneur comportant la cargaison de Pantainer à Hong Kong, laquelle cargaison était apparemment en bon état, le 7 avril 2003;

29.                  OOCL a fait charger le conteneur à bord du porte-conteneurs NYK KAI conformément au contrat d'affrètement qu'elle a conclu avec les propriétaires de ce navire, dont l'exploitant a transporté le conteneur, l'a déchargé à Vancouver et a ensuite fait préparer son connaissement (lettre de transport) électronique;

30.                  CFCP a reçu le même conteneur d'OOCL à Vancouver en bon état apparent le 20 avril 2003 et l'a expédié le même jour par train depuis Vancouver à Montréal;

31.                  Pendant le transport de la cargaison par train de Vancouver à Montréal, un déraillement est survenu vers le 27 avril 2003 à Sudbury (Ontario). Par suite du déraillement, une partie de la cargaison a été endommagée et une autre a été perdue;

32.                  Aucune question ne se pose quant à l'absence de négligence de CFCP;

33.                  Boutique Jacob a donné aux défenderesses un avis raisonnable de l'endommagement et de la perte de la cargaison et aucune question ne se pose à ce sujet;

34.                  La nature et l'étendue des dommages causés à la cargaison étaient telles qu'elle n'a pu être conservée et qu'aucune partie n'a pu être récupérée. La partie endommagée de la cargaison en cause était donc une perte réputée totale;

35.                  Boutique Jacob a déployé tous les efforts voulus pour atténuer sa perte;

36.                  La cargaison en cause qui a été perdue ou endommagée par suite du déraillement était couverte par les connaissements de Pantainer portant les numéros 744873 et 744869 et par le connaissement (lettre de transport) d'OOCL;

37.                  Le 27 avril 2003, le droit de tirage spécial équivalait à 2 $CAN selon le site Web du Fonds monétaire international;

38.                  Vers le 27 avril 2003, le taux de change du dollar américain en dollar canadien s'établissait à 1,45, selon le site Web de la Banque du Canada;

39.                  Depuis le 27 avril 2003 jusqu'à ce jour, le taux préférentiel moyen exigé par les entreprises à charte canadiennes s'établit à 4,3 p. 100, et le taux commercial moyen s'élève à 6 p. 100; si le taux moyen change d'ici la date de l'instruction, les parties soumettront une révision de ce pourcentage; les parties ne peuvent s'entendre sur la façon de calculer l'indemnité sous forme d'intérêt, qu'il s'agisse d'intérêts simples ou d'intérêts composés à l'intérieur d'un certain délai;

40.                  La demanderesse a déposé sa déclaration le 8 janvier 2004 et l'a signifiée aux défenderesses dans les délais; toutes les parties défenderesses ont nié leur responsabilité ou ont déclaré que, si l'une d'elles est jugée responsable, chacune cherchera à limiter ou à exclure cette responsabilité;

41.                  La défenderesse Pantainer Inc. a signifié une demande reconventionnelle à OOCL, qui a nié sa responsabilité envers elle;

42.                  Pantainer et OOCL ne sollicitent aucune conclusion contre CFCP et celle-ci ne recherche aucune conclusion contre elles; [...]

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les parties ont convenu que les questions suivantes doivent être tranchées :

a)          La demanderesse a-t-elle droit à une indemnité de l'une des défenderesses ou de l'ensemble ou de certaines d'entre elles sur une base solidaire?

b)          Dans l'affirmative, quelles sont les défenderesses qui devraient être tenues de verser une indemnité et sur quelle base?

c)          Comment les dommages causés à la demanderesse doivent-ils être évalués et quel en est le montant?

d)          Les défenderesses qui sont jugées responsables envers la demanderesse, le cas échéant, ont-elles le droit de limiter leur responsabilité et, dans l'affirmative, selon quelle règle de droit ou quelle stipulation contractuelle?

e)          OOCL doit-elle quelque montant que ce soit à Pantainer selon la loi ou son contrat?

f)           Quelle est l'indemnité appropriée à accorder sous forme d'intérêts?

ANALYSE

[3]                J'examinerai d'abord la responsabilité des différentes parties ainsi que les clauses de limitation de la responsabilité pertinentes qui sont énoncées dans les contrats régissant les relations complexes entre la demanderesse et les quatre défenderesses. Au besoin, j'examinerai ensuite la question des dommages et la meilleure façon d'en déterminer le montant; dans ce contexte, je m'attarderai à la demande d'intérêts composés que la demanderesse a formulée.

A)         La responsabilité et les limitations

[4]                Il appert de l'exposé conjoint des faits que le groupe de sociétés Panalpina (c'est-à-dire, aux fins de la présente affaire, Panalpina Inc. et son correspondant pour l'Extrême-Orient, Panalpina (China) Ltd.) agissait exclusivement comme groupeur de marchandises et mandataire pour le transporteur, Pantainer. C'est ce qui ressort des différents connaissements que celui-ci a établis et dont il est fait mention dans l'exposé conjoint des faits. En d'autres termes, Pantainer était la partie contractante vis-à-vis la demanderesse, tandis que Panalpina était en tout temps un mandataire. L'avocat de Jacob a explicitement admis ce fait à l'audience.

[5]                Il est désormais admis que le mandataire n'est pas responsable lorsqu'il est mentionné clairement dans le contrat qu'il agit uniquement en qualité de représentant du mandant (Q.N.S. Paper Co., c. Chartwell Shipping Ltd., [1989] 2 R.C.S. 683; N. & J. Vlassopulos Ltd. c. Ne Shipping Ltd. (The « Santa Carina » ) (1977), 1 Lloyd's Rep. 478). À moins que les autres clauses du contrat n'énoncent clairement sa responsabilité personnelle ou ne montrent qu'il est le véritable mandant, le mandataire n'aura aucune responsabilité contractuelle. Étant donné que ce n'est manifestement pas le cas en l'espèce, l'action est rejetée contre la défenderesse Panalpina Inc.

[6]                De toute évidence, la question est plus complexe en ce qui concerne les trois autres défenderesses. Dans le cas de Pantainer, il est indéniable qu'elle est responsable sur le plan contractuel envers Jacob. Les parties ont débattu à l'audience la question de savoir si Pantainer peut être considérée comme un baillaire rémunéré ou comme un transporteur général, de sorte que les obligations qui incombent à cette personne s'appliqueraient à elle. Cependant, il n'est pas nécessaire que je m'attarde à cette question dans le cas de Pantainer, parce que la clause 6 du connaissement est très claire à ce sujet :

[traduction]

6.1 Le transporteur est responsable de la perte ou de l'endommagement des marchandises entre le moment où il en prend la possession et celui où il les livre.

[7]                En conséquence, Pantainer est responsable à titre de transporteur contractant de tous les dommages que subit la cargaison, à moins qu'elle ne puisse limiter sa responsabilité. C'est ce qu'a admis l'avocat de Pantainer à l'audience. Cependant, le connaissement comporte effectivement une clause de limitation de la responsabilité qui est ainsi rédigée :

[traduction]

La responsabilité du transporteur est régie par les règles de responsabilité suivantes :

6.2            Cas où l'endroit où la perte ou les dommages sont survenus est connu :

6.2.1         Clause générale (sauf aux É.-U.) :

a)              Transport maritime - s'il est établi que la perte ou les dommages sont survenus pendant le transport maritime, la responsabilité sera régie par les règles applicables énoncées à l'article 1 du présent connaissement;

b)            Transport terrestre/aérien - s'il est établi que la perte ou les dommages sont survenus pendant le transport aérien ou terrestre, sauf aux É.-U., la responsabilité sera régie par les règles suivantes :

Transport terrestre : par la Convention CMR (camionnage) ou la Convention CRM (chemin de fer) ou par toute autre loi sur le transport nationale dont l'application est impérative ou, si aucune loi de cette nature ne s'applique, la responsabilité maximale correspondra à celle qui est prévue à l'alinéa 7.1b)

Transport aérien : par la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international (Convention de Varsovie) ou par toute autre loi sur le transport nationale dont l'application est impérative ou, si aucune loi de cette nature ne s'applique, la responsabilité maximale correspondra à celle qui est prévue à l'alinéa 7.1b).

[8]                Il est évident que la perte en question est survenue pendant le transport terrestre. De plus, ni la demanderesse ni Pantainer n'ont soutenu que la Convention CMR s'appliquerait, parce que le Canada ne l'a pas ratifiée. Cependant, l'alinéa b) renvoie à [traduction] « toute loi sur le transport nationale dont l'application est impérative » . Selon la demanderesse, il existe une loi de cette nature au Canada, en l'occurrence, la Loi sur les transports au Canada (L.C. 1996, ch. 10). La partie III de cette Loi, intitulée « Transport ferroviaire » , comporte une disposition qui permet aux transporteurs ferroviaires de limiter leur responsabilité :

Limitation par accord

137.(1) La compagnie de chemin de fer ne peut limiter sa responsabilité envers un expéditeur pour le transport des marchandises de celui-ci, sauf par accord écrit signé soit par l'expéditeur, soit par une association ou un groupe représentant les expéditeurs.

Mesure de la limitation

(2) En l'absence d'un tel accord, la mesure dans laquelle la responsabilité de la compagnie de chemin de fer peut être limitée en ce qui concerne un transport de marchandises est prévue par les conditions de cette limitation soit fixées par l'Office pour le transport, sur demande de la compagnie, soit, si aucune condition n'est fixée, établies par règlement de l'Office

[9]                Étant donné qu'il n'y a aucun « accord écrit signé soit par l'expéditeur, soit par une association ou un groupe représentant les expéditeurs » , la demanderesse soutient que Pantainer ne peut limiter sa responsabilité. En conséquence, l'étendue de la responsabilité de Pantainer devrait être régie par l'article 11 du Règlement sur la responsabilité à l'égard du transport ferroviaire des marchandises, dont voici le libellé :

11. Le montant des pertes ou des dommages dont le transporteur est responsable quant aux marchandises transportées correspond à la moindre de la valeur des marchandises au lieu et au moment de l'expédition, y compris le fret et autres frais payés ayant une incidence sur cette valeur et les droits de douane payés ou payables et non remboursables ou :

a) soit la valeur indiquée par écrit par l'expéditeur;

b) soit la valeur dont ont convenu le transporteur et l'expéditeur;

c) soit la valeur qui a été déterminée d'après le classement tarifaire des marchandises sur lequel est fondé le prix du transport.

[10]            Malgré l'argument astucieux de M. Sproule, je ne crois pas que l'article 137 de la Loi sur les transports au Canada puisse être considéré comme une « loi sur le transport nationale dont l'application est impérative » . L'article 88 énonce que la partie III s'applique « aux personnes, aux compagnies de chemin de fer et aux chemins de fer qui relèvent de l'autorité législative du Parlement » . Il est indéniable que Pantainer n'est pas une compagnie de chemin de fer qui relève de l'autorité législative du Parlement.

[11]            Cependant, ce fait n'a pas d'importance selon M. Sproule, car l'alinéa 6.2.1b) a pour effet d'incorporer par renvoi la Loi sur les transports au Canada, notamment l'article 137 de celle-ci. Je ne vois pas comment les mots « ou par une loi sur le transport nationale dont l'application est impérative » pourraient être interprétés comme des mots ayant pour effet d'intégrer les dispositions de la Loi sur les transports au Canada dans le connaissement. Si telle avait été l'intention, elle aurait pu être exprimée de manière beaucoup plus convaincante. Effectivement, le même argument pourrait être invoqué dans le cas de la Convention CMR; si nous acceptons ce raisonnement, le fait que le Canada ne l'a pas ratifiée ne signifierait pas qu'elle ne pourrait être incorporée par renvoi dans le connaissement.

[12]            Toutefois, cette interprétation de l'alinéa 6.2.1b) va carrément à l'encontre du texte même de cette disposition. Il est indéniable que le rédacteur voulait prévoir trois possibilités différentes en ce qui concerne la responsabilité. Si la convention pertinente n'a pas été ratifiée et s'il n'y a aucune loi sur le transport nationale dont l'application est impérative, la responsabilité sera régie par l'alinéa 7.1b). Ce résultat est compatible avec l'objet et l'esprit du connaissement, qui permet aux parties de négocier un montant supérieur à titre de limite de la responsabilité du transporteur lorsqu'une entente de cette nature n'est pas interdite par une convention internationale ou par une loi nationale.

[13]            En conséquence, je suis d'avis que la responsabilité de Pantainer doit être régie par l'alinéa 7.1b) du connaissement de celle-ci, dont voici le texte :

[traduction]

Indemnisation des pertes et dommages :

7.1            Clause générale (pour toutes les expéditions dans le monde entier, sauf aux É.-U.) : À moins que le marchand, avec le consentement du transporteur, n'ait déclaré une valeur supérieure à l'égard des marchandises dans l'espace prévu au recto du connaissement et n'ait payé des frais supplémentaires selon le tarif du transporteur, auquel cas cette valeur constituera le plafond, la responsabilité du transporteur se limite à ce qui suit :

a) Si l'endroit où la perte ou les dommages sont survenus peut être déterminé, les limites de responsabilité prévues dans les conventions internationales ou les lois nationales mentionnées à l'article 1 et à l'alinéa 6.2.1b) s'appliqueront;

b) Si l'endroit où la perte ou les dommages sont survenus ne peut être déterminé ou s'il n'y a aucune loi ou règle dont l'application est impérative, l'indemnité ne pourra dépasser 2 DTS (droits de tirage spéciaux) du Fonds monétaire international (FMI) par kilogramme de poids brut, jusqu'à concurrence de 1 000 DTS par connaissement.

[14]            Compte tenu de l'exposé conjoint des faits, selon lequel le poids total de la cargaison s'élevait à 494,1 kilogrammes et la valeur des DTS le 27 avril 2003, à 2 $CAN, il semble que la responsabilité de Pantainer ne peut dépasser 1 976,40 $ par connaissement. Étant donné que la cargaison perdue ou endommagée par suite du déraillement était couverte par deux connaissements, la responsabilité totale de Pantainer s'élèverait à la somme de 3 952,80 $.

[15]            Dans son mémoire, M. Sproule a tenté de faire valoir que cette clause de limitation de la responsabilité ne pouvait s'appliquer, en raison de ses [traduction] « failles et lacunes intrinsèques » . Si je comprends bien son argument, l'alinéa 7.1b) serait trop large, parce qu'il couvre différentes façons dont la responsabilité de Pantainer pourrait naître sans être suffisamment précis. Au soutien de cette proposition, M. Sproule a invoqué le critère énoncé dans Canada Steamship Lines Ltd. c. The King, [1952] A.C. 192, où Lord Morton devait décider s'il était possible d'interpréter une clause de limitation de la responsabilité comme une clause excluant la responsabilité pour négligence. Lord Morton a conclu que, lorsque la négligence n'est pas mentionnée expressément dans la clause de limitation, mais que les termes employés sont assez généraux pour englober cette négligence, la clause sera néanmoins réputée ne pas couvrir la négligence lorsque la catégorie des dommages peut avoir une autre cause que la personne invoquant la stipulation en question aurait pu prévoir.

[16]            Comme l'a souligné le juge Stone dans Produits forestiers Canadien Pacifique Ltée - Région du Pacifique Tahsis c. Beltimber (Le), [1999] 4 C.F. 320, au paragraphe 2), « À l'origine de ces critères dégagés dans la cause Canada Steamship, il y a le fait qu'il est hautement improbable qu'une partie entende absoudre l'autre partie de toute négligence dans l'exécution du contrat » . Dans la présente affaire, aucune question ne se pose au sujet de la négligence. Malgré sa rédaction boiteuse, j'estime que le paragraphe 32 de l'exposé conjoint des faits, selon lequel [traduction] « aucune question ne se pose quant à l'absence de négligence de CFCP » , signifie que la négligence possible de CFCP ne doit pas être débattue dans le contexte du présent litige. Effectivement, aucun élément de preuve n'a été présenté à ce sujet et l'affaire a procédé par voie d'exposé de cause sans témoin. Pantainer aurait pu être jugée négligente uniquement si elle avait choisi OOCL pour expédier la cargaison de Hong Kong à Vancouver. Le dossier ne renferme aucune suggestion et certainement aucun élément de preuve en ce sens.

[17]            En tout état de cause, une simple lecture de l'alinéa 7.1b) montre à mon avis que cette disposition ne comporte pas la moindre ambiguïté. Cette clause prévoit explicitement un plafond quant à toute indemnité, quelle que soit la source de la responsabilité. Pour leur part, les réclamations de nature délictuelle sont couvertes par l'article 25 du connaissement :

[traduction]

25. Les moyens de défense et limites de responsabilité prévus dans les présentes conditions s'appliquent à toute action intentée contre un transporteur par suite de la perte ou de l'endommagement de marchandises, que l'action soit fondée sur la responsabilité contractuelle ou délictuelle.

[18]            Pour les motifs exposés ci-dessus, j'en arrive à la conclusion que Pantainer ne peut être redevable d'un montant supérieur à 1 976,40 $ envers Jacob relativement à chacun des connaissements, soit un total de 3 952,80 $.

[19]            J'en arrive maintenant à la réclamation que la demanderesse a formulée contre OOCL. L'article 3.1 du connaissement de Pantainer prévoit que celle-ci [traduction] « a le droit de confier en sous-traitance, directement ou indirectement, selon les conditions qu'elle estime à propos, tout ou partie de l'entreposage ou du transport des marchandises et des fonctions du transporteur s'y rapportant » . C'est précisément ce que Pantainer a fait en confiant en sous-traitance à OOCL la totalité des tâches de transport qu'elle s'était engagée à exécuter envers Jacob (voir l'exposé conjoint des faits, au paragraphe 16).

[20]            C'est donc à titre de sous-baillaire rémunéré qu'OOCL est responsable envers Jacob. La demanderesse n'a aucune réclamation contractuelle contre OOCL, puisque c'est Pantainer qui a conclu un contrat avec celle-ci, laquelle s'est entendue à son tour avec CFCP. Aucun élément de preuve ne montre que Pantainer agissait en qualité de représentant de la demanderesse ou d'une personne de laquelle celle-ci a obtenu un titre de propriété. Les faits montrent plutôt le contraire : le fret a été payé conformément à des contrats séparés et indépendants (voir l'exposé conjoint des faits, aux paragraphes 16, 18 et 24); Pantainer a établi ses propres connaissements, sur lesquels elle s'est décrite comme un transporteur (voir l'article 2.2 des connaissements); comme le montrent les pièces elles-mêmes, les connaissements de Pantainer ont été endossés et utilisés pour transférer le titre de propriété, et non le document d'OOCL, dans lequel Pantainer est décrite comme expéditeur et non comme représentant. Pour toutes ces raisons, il n'y a manifestement aucun lien contractuel direct entre la demanderesse et la défenderesse OOCL.

[21]            De plus, la demanderesse n'a aucun droit fondé sur la responsabilité délictuelle contre OOCL. Il n'y a aucun élément de preuve établissant que celle-ci a été insouciante dans le choix du transporteur ferroviaire, avec lequel elle fait apparemment affaires depuis des années. Aucun élément de preuve n'établit non plus que la forme, le poids ou l'état du conteneur d'OOCL a provoqué le déraillement et la demanderesse n'a invoqué aucun argument de cette nature.

[22]            En conséquence, OOCL ne pourrait être tenue responsable qu'à titre de sous-baillaire, à certaines conditions. La demanderesse a également soutenu qu'OOCL était responsable envers elle à titre de transporteur général. Le transporteur général a été défini comme [traduction] « un transporteur qui fait du transport de marchandises sur une base régulière et qui se montre disponible à cette fin auprès de ceux qui désirent retenir ses services » (voir Carver's Carriage by Sea, vol. 1, 13e édition, par Raoul Colinvaux, 1982, au paragraphe 4). La responsabilité du transporteur général a été décrite comme celle d'un assureur en ce qui concerne la sécurité des marchandises dont le transport lui est confié, sauf lorsque la perte ou l'endommagement des marchandises découle d'un cas fortuit ou d'un acte de l'ennemi, de la faute de l'expéditeur ou d'un vice propre des marchandises elles-mêmes (voir Halsbury's Laws of England, 4e édition (nouveau tirage), Butterworths, 1993, à la page 351; Chitty on Contracts, 26e édition, volume II, Specific Contracts, Sweet & Maxwell, 1989, aux paragraphes 3160 et suivants).

[23]            Cette responsabilité quasi contractuelle est reconnue en droit canadien (voir, par exemple, Canadian National Railway co. c. Harris, [1946] R.C.S. 352; Canadian Forest Products Ltd. c. B.C. Rail Ltd., 2005 BCCA 369. Elle est bien décrite dans l'extrait suivant de l'ouvrage d'Otto Kahn-Freund, The Law of Carriage by Inland Transport, 4e éd., (Londres : Stevens & Sons, 1965, aux pages 193 et 194) :

[traduction] Le transporteur est tenu non seulement de transporter les marchandises, mais de le faire de façon sûre et de les livrer dans un état intact à leur propriétaire ou au mandataire de celui-ci. Cela signifie qu'il est responsable de la perte des marchandises ainsi que des dommages qu'elles subissent. Cette obligation du transporteur est considérée, surtout pour des raisons historiques, comme une obligation qui découle de la common law et qui existe indépendamment de tout contrat. Elle lui est imposée non seulement parce qu'il s'est engagé par contrat à transporter et à livrer les marchandises, mais parce que les marchandises d'une autre personne lui ont été confiées. En termes juridiques, le transporteur est considéré comme un baillaire qui, dans certaines circonstances [...] est responsable envers le baillant lorsqu'il ne livre pas les marchandises dans un état intact.

[24]            La question de savoir si OOCL et même Pantainer pourraient être considérées comme des transporteurs généraux a été débattue à l'audience. L'avocat d'OOCL a farouchement contesté cette description, soutenant qu'en l'absence de texte législatif régissant leurs activités commerciales (ce qui n'est pas le cas des compagnies de chemin de fer), le groupeur de marchandises, le transporteur non maritime ainsi que le propriétaire et l'exploitant d'un navire n'étaient nullement tenus de prendre possession de marchandises et de les transporter. Il n'est pas nécessaire que je tranche cette question, étant donné que Pantainer et OOCL s'étaient acquittées de leurs obligations comme transporteurs lorsque la cargaison a été endommagée par suite du déraillement. Ce principe ressort clairement de l'arrêt International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et al., [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 798, et la demanderesse ne le conteste pas.

[25]            Par conséquent, OOCL n'est responsable qu'à titre de baillaire rémunéré, étant donné qu'elle a reçu la cargaison à Hong Kong et s'est engagée à la livrer à Montréal, tel qu'il appert du paragraphe 18 de l'exposé conjoint des faits (voir également la lettre de transport et les conditions figurant dans l'exposé conjoint des faits). Le contrat de baillement est accepté en droit maritime canadien et il est bien reconnu que le propriétaire des marchandises peut poursuivre directement le sous-baillaire en cas de perte ou d'endommagement de celles-ci. La seule question qui se pose est de savoir si la demanderesse est liée par les conditions énoncées dans le connaissement d'OOCL.

[26]            Lord Denning a bien défini la question dans Morris c. Martin, [1966] 1 Q.B. 716, aux pages 729 et 730, décision que m'ont citée tant la demanderesse que la défenderesse OOCL. Dans cette affaire, la demanderesse avait envoyé son étole de vison à un fourreur pour la faire nettoyer; le fourreur ne l'a pas nettoyée lui-même, mais a téléphoné à la demanderesse et lui a proposé de l'envoyer à un nettoyeur digne de confiance, ce qu'elle a accepté. Ce nettoyeur, que la demanderesse connaissait, travaillait uniquement pour les gens de l'industrie et non pour les particuliers. Alors qu'elle se trouvait chez le nettoyeur, l'étole a été volée par un des préposés. La question était de savoir si les clauses de limitation de la responsabilité du contrat de nettoyage pouvaient être invoquées contre la demanderesse :

[traduction] La question qui se pose maintenant est la suivante : les nettoyeurs peuvent-ils invoquer les clauses d'exonération contre Mme Morris, même s'ils n'ont conclu aucun contrat directement avec elle? Des arguments valables peuvent être invoqués de part et d'autre. D'une part, Mme Morris risque de voir sa réclamation bien fondée rejetée par l'application de clauses d'exonération qu'elle ignorait et qu'elle n'a pas acceptées. D'autre part, les nettoyeurs pourraient se voir imputer une responsabilité supérieure à celle qu'ils ont prise en charge. (...) À mon avis, la réponse au problème est la suivante : le propriétaire sera lié par les conditions uniquement s'il a expressément ou implicitement consenti à ce que le baillaire confie les articles à un sous-baillaire conformément à un contrat comportant ces conditions. (...) Dans la présente affaire, Mme Morris a accepté que M. Beder envoie la fourrure aux nettoyeurs et, ce faisant, elle a consenti implicitement je pense à ce qu'il conclue un contrat de nettoyage selon les conditions courantes dans l'industrie.

[27]            Dans le contexte du droit maritime, le Conseil privé a également décidé que l'autorisation de confier en sous-traitance tout ou partie du transport des marchandises, [traduction] « quelles que soient les conditions » , démontrait que le propriétaire [traduction] « avait expressément consenti » au sous-dépôt de ses marchandises indépendamment des conditions et que ce consentement explicite avait une portée suffisamment large pour comprendre une clause de juridiction exclusive (voir K.H. Entreprise (The) c. Pioneer Container (The), [1994] 2 A.C. 324; voir également Singer Co. (U.K.) Ltd. c. Tees and Hartlepool Port Authorty, [1988] 2 Lloyd's Rep. 164).

[28]            Ces principes ont été intégrés dans le droit canadien à maintes reprises : voir, par exemple, Punch c. Savoy's Jewellers Ltd. et al. (1986), 14 O.C.A. 4 (C.A. Ont.); Bombardier Inc. c. Canadian Pacific Ltd. (1991), 85 D.L.R. (4th) 558 (C.A. Ont.). Dans cette dernière affaire, Mitsubishi avait expédié trois conteneurs de ses marchandises à N.Y.K. en vue de leur transport depuis Kobe, au Japon, au représentant de Mitsubishi à Montréal et, de là, à leur destination finale, soit l'établissement de Bombardier à La Pocatière (Québec). Cette mesure a été autorisée par un connaissement maritime qui prévoyait que les marchandises seraient transportées à bord du navire nommé [traduction] « ou de tout autre moyen de transport » . La cargaison a été transportée par bateau jusqu'à Vancouver et confiée à la garde de CFCP en vue de son transport par chemin de fer à Montréal. Le train a déraillé sans qu'il y ait eu négligence de la part de l'appelante. La Cour a conclu que Mitsubishi avait expressément autorisé le sous-dépôt et était liée par les conditions du connaissement de CFCP au même titre que si elle avait signé le document elle-même en qualité d'expéditeur. Pour la présente analyse, il n'est pas important que le connaissement régulier que CFCP utilisait à l'époque ait comporté les conditions prescrites par la Commission canadienne des transports plutôt que celles dont les parties ont convenu, comme c'est le cas en l'espèce.

[28]

[29]       La question à trancher est donc de savoir si Jacob et Pantainer ont consenti, expressément ou implicitement, aux conditions d'OOCL. Ni Jacob non plus que Pantainer n'ont admis qu'elles étaient effectivement au courant de ces conditions, qui se trouvent sur le site Web d'OOCL. Il n'en demeure pas moins que Pantainer, par l'entremise de Panalpina (China) Ltd. et de Panalpina Inc., avait fait affaires à l'occasion avec OOCL, notamment en ce qui a trait aux cargaisons en provenance de l'Extrême-Orient. La documentation d'OOCL comporte à l'intention des lecteurs comme Pantainer un avertissement au sujet de ses conditions et du tarif applicable, qu'il est facile de consulter sur le site Web d'OOCL. Pantainer admet consulter ce site pour d'autres fins liées aux réservations et au suivi des cargaisons. Toute personne travaillant pour Pantainer ou pour le groupe Panalpina aurait pu trouver ces conditions en cliquant sur l'icône « B/L Terms » (conditions du connaissement) du site Web (voir l'exposé conjoint des faits, aux paragraphes 18 à 23).

[30]       Compte tenu des circonstances, je conviens avec l'avocat d'OOCL que Pantainer devait forcément être au courant des conditions courantes de celle-ci en raison de ses pratiques commerciales et des opérations commerciales qu'elle a conclues avec elle ainsi que du fait qu'aucune des conditions qu'OOCL invoque n'est trop contraignante ou répréhensible dans le contexte commercial. Effectivement, comme nous le verrons sous peu, les limitations énoncées dans les conditions d'OOCL sont très semblables à celles de Pantainer quant à la portée et à l'application.

[31]            L'avocat de la défenderesse OOCL m'a cité un certain nombre de décisions selon lesquelles la partie qui signe un contrat d'expédition de marchandises est réputée connaître les conditions énoncées sur le connaissement. La plus pertinente de ces décisions en droit canadien est celle que la Cour suprême du Canada a rendue dans Anticosti Shipping Co. c. St. Amand, [1959] R.C.S. 372. Dans cette affaire, le demandeur avait conclu avec la défenderesse, par l'entremise de son mandataire, un contrat relatif au transport de son camion par bateau. Un connaissement a été rempli lorsque ce contrat a été formé, mais aucun original ou copie n'a apparemment été donné au mandataire. L'original du connaissement n'a pas été signé et a été égaré. Le camion a été endommagé par la faute de la défenderesse et la demanderesse a intenté une action afin d'être dédommagée de la perte d'utilisation du véhicule pendant l'exécution des réparations. La principale question qui se posait devant la Cour suprême du Canada était de savoir si le contrat de transport maritime du camion était couvert ou non par un connaissement au sens des règles relatives aux connaissements qui étaient énoncées dans l'annexe de la Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1952, ch. 291. Le juge Rand, qui a rédigé le jugement au nom de la Cour suprême, s'est exprimé comme suit :

[traduction] Quelles sont les conditions que Riddell pouvait avoir en tête lorsqu'il a demandé l'expédition du camion, si ce n'est celles qui s'appliquaient invariablement aux marchandises transportées par l'entreprise? Sa simple demande sous-entend le transport du camion « selon votre pratique régulière » . Comment est-il possible de dire que l'intention pouvait être différente? Il s'agissait d'une opération ordinaire et s'il n'a pas jugé à propos, à titre de représentant de la partie intimée, de demander un connaissement, comme il avait le droit de le faire en vertu de la règle (3) de l'article III, cette omission ne peut toucher ce que les deux parties avaient envisagé (pages 374 et 375).

[32]            Il n'est pas nécessaire que je m'attarde sur ce point, parce que la jurisprudence regorge d'exemples de cas où ce principe a été appliqué, lequel devient encore plus pertinent lorsque les parties sont des expéditeurs et des entreprises aguerris plutôt que des particuliers comme dans l'affaire Punch. Le fait que le texte de ces conditions n'était accessible que par l'Internet n'est pas pertinent; à une époque où les opérations informatisées sont plus que jamais la norme, une entreprise commerciale comme Pantainer aurait mauvaise grâce de soutenir qu'elle ignorait les conditions d'OOCL, surtout après avoir admis qu'elle avait fréquemment utilisé les services en ligne de celle-ci (exposé conjoint des faits, au paragraphe 23).

[33]            Quant à Jacob, elle est liée par le connaissement de Pantainer selon lequel celle-ci peut recourir à la sous-traitance « quelles que soient les conditions » . Les conditions énoncées dans la lettre de transport d'OOCL sont semblables à celles que comporte normalement ce type de contrat et ne sont certainement pas déraisonnables ou répréhensibles. De plus, elles sont très semblables à celles que Jacob a acceptées et qui figurent dans le connaissement de Pantainer. Par conséquent, Jacob ne peut soutenir qu'elle a été prise par surprise et qu'elle ne pouvait prévoir les limitations d'OOCL.

[34]            Dans ce contexte, quelles sont les clauses qu'OOCL peut invoquer pour échapper à sa responsabilité ou pour la limiter? L'avocat d'OOCL a attiré mon attention sur la clause 4(B)2(b), qui renvoie aux clauses 4(B)(1)(a) et (c) dont le texte est le suivant :

[traduction]

4) Responsabilité du transporteur et clause prépondérante

               

(B) Transport combiné

1. Lorsque l'étape du transport où la perte ou les dommages sont survenus n'est pas connue

a)        Exclusions : Lorsque l'étape du transport où la perte ou les dommages sont survenus n'est pas connue, le transporteur est responsable de la perte et de l'endommagement des marchandises, à moins que ceux-ci n'aient été causés par :

***

(viii)        un événement ou une cause que le transporteur ne pouvait éviter et dont il n'aurait pu empêcher les conséquences en faisant preuve de diligence raisonnable.

***

c)             Limitation : Si le transporteur est responsable de la perte ou de l'endommagement des marchandises, le montant de l'indemnité sera calculé en fonction de la valeur facturée des marchandises, additionnée du fret et du coût de l'assurance (s'il a été payé).

La responsabilité maximale du transporteur en vertu des présentes ne peut en aucun cas dépasser 2 $US par kilo de poids brut des marchandises perdues ou endommagées, à moins que le commerçant n'ait déclaré la valeur des marchandises avec le consentement du transporteur et qu'un montant n'ait été versé au titre du fret excédentaire, auquel cas la valeur déclarée (si elle est supérieure) figurant au recto du connaissement sera substituée au plafond susmentionné et toute perte ou endommagement partiel sera rajusté sur une base proportionnelle en fonction de cette valeur déclarée.

2. Lorsque l'étape du transport où la perte ou les dommages sont survenus est connue. Malgré toute disposition de la clause 4(B)(1), si l'étape du transport où la perte ou l'endommagement des marchandises est connue, sous réserve de la clause 4(C), qui s'applique lorsque la perte ou l'endommagement survient entre le moment où les marchandises sont chargées à bord du navire au port de chargement et celui où elles sont déchargées du navire au port de déchargement, la responsabilité du transporteur à l'égard de cette perte ou de cet endommagement est déterminée comme suit :

b)            Si aucune convention internationale ou loi nationale ne s'applique, la responsabilité du transporteur est déterminée conformément aux dispositions de la clause 4(B)(1).

[35]            Il semblerait qu'en vertu de la clause 4(B)(1)(a)(viii), qui s'applique à la présente situation par l'interaction de la clause 4(B)(2), OOCL soit totalement exonérée de toute responsabilité. Le déraillement du train de CFCP n'est certainement pas un événement qu'OOCL aurait pu éviter et celle-ci n'a pas été accusée d'avoir fait montre de négligence en choisissant cette compagnie de chemin de fer. En conséquence, il n'est pas nécessaire d'examiner la clause de limitation énoncée au sous-alinéa 4(B)(1)(c) qui, en tout état de cause, aurait eu pour effet de limiter la responsabilité d'OOCL à 2 $US par kilo (soit un montant de 1 432,89 $, étant donné que le poids total de la cargaison perdue s'élevait à 494,1 kilos et que le taux de change américain s'établissait à 1,45 le 27 avril 2003).

[36]            Fait intéressant à souligner, le connaissement de Pantainer comporte une clause d'exemption qui est presque identique à celle qui figure dans les conditions d'OOCL. La clause 6.5 du connaissement de Pantainer est ainsi libellée :

[traduction]

6.5 Le transporteur n'est pas responsable des pertes ou dommages découlant

***

h)            d'un événement ou d'une cause qu'il ne pouvait éviter et dont il n'aurait pu empêcher les conséquences en faisant preuve de diligence raisonnable.

[37]            Les conséquences découlant de l'existence de cette clause comportent deux aspects. D'abord, même si OOCL n'avait pas le droit d'invoquer ses conditions à l'encontre de Jacob, elle pourrait se prévaloir de la clause 6.5 (ainsi que la clause 7.1) du connaissement de Pantainer. En effet, la clause 3.3 de ce dernier document prévoit ce qui suit :

[traduction]

3.2 Chaque préposé, représentant ou sous-traitant du transporteur peut invoquer les mêmes droits, exonérations de responsabilité, moyens de défense et immunités que ceux dont le transporteur dispose. À cet égard, le transporteur est considéré comme le mandataire ou fiduciaire de ce préposé ou représentant, qui est réputé être partie au contrat attesté par le présent connaissement.

[38]            Les clauses de cette nature, appelées « clauses Himalaya » , sont bien reconnues dans le domaine du transport et les tribunaux les appliquent malgré le fait que la tierce partie ignore totalement l'existence d'une stipulation qui lui accorde un avantage au moment de l'exécution de son propre contrat. Les plus hauts tribunaux britanniques reconnaissent ces clauses depuis longtemps (voir, par exemple, Midland Silicones Ltd. c. Scruttons Ltd., [1961] 2 Lloyd's Rep. 365 (C.L.); The Eurymedon (New Zealand Shipping Company Ltd) c. A.M. Satterthwaite & Co. Ltd., [1974] 1 Lloyd's Rep. 534 (C.P.)) et la Cour suprême du Canada les a également acceptées (voir International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et al., aux pages 782 et suivantes, et Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd., [1999] 3 R.C.S. 108.

[39]            Cependant, si OOCL peut invoquer la clause 6.5 du connaissement de Pantainer contre la demanderesse afin de se dégager de toute responsabilité, Pantainer peut faire de même à l'endroit de Jacob. L'avocat de Pantainer a admis franchement pendant l'audience qu'il n'avait pas pensé à ce moyen de défense, mais a dit qu'il désirait néanmoins s'en prévaloir après avoir entendu les arguments de M. Colford, qui représentait OOCL. Il est indubitable dans mon esprit que cette clause s'applique tout aussi bien à Pantainer, pour les mêmes raisons que celles qui ont été mentionnées dans le cas d'OOCL.

[40]            Je suis donc d'avis que Pantainer et OOCL sont toutes deux exonérées de toute responsabilité relativement à la perte que la demanderesse a subie par suite du déraillement du train à bord duquel sa cargaison a été transportée. L'avocat d'OOCL a soulevé, dans ses observations tant verbales qu'écrites, une panoplie de solutions de rechange qui permettraient de limiter la responsabilité de sa cliente; compte tenu de la conclusion à laquelle j'en arrive au sujet des clauses d'exonération énoncées tant dans le connaissement de Pantainer que dans la lettre de transport d'OOCL, il n'est pas nécessaire que j'examine ces autres moyens de défense.

[41]            La réclamation que la demanderesse a formulée contre Pantainer et contre OOCL est donc rejetée et, par voie de conséquence, la demande reconventionnelle que Pantainer a formulée contre OOCL est également rejetée.

[42]            La demanderesse doit donc se tourner vers la dernière défenderesse, soit la compagnie de chemin de fer. Au cours de toutes les époques pertinentes, CFCP était un transporteur général à titre onéreux et un sous-sous-baillaire rémunéré. Les obligations de CFCP à titre de transporteur général ont été intégrées dans un texte de loi par l'article 137 de la Loi sur les transports au Canada et par le Règlement sur la responsabilité à l'égard du transport ferroviaire des marchandises.

[43]            J'ai déjà reproduit l'article 137 de la Loi (voir le paragraphe 8, ci-dessus). Selon les articles 4 et 5 du Règlement sur la responsabilité à l'égard du transport ferroviaire des marchandises, DORS/91/148, pris en application du paragraphe 137(2) de la Loi, CFCP semble être clairement responsable de la perte ou des dommages causés à la cargaison de la demanderesse. Voici le texte de ces dispositions :

4. Sous réserve des articles 8 et 15, pour l'application du paragraphe 137(2) de la Loi, le transporteur est responsable, quant aux marchandises qui sont en sa possession, des pertes, des dommages et des retards de transport subis par celles-ci, sauf dans les cas où cette responsabilité est limitée par le présent règlement.

5. (1) Le transporteur n'est pas responsable des pertes, des dommages et des retards de transport subis par les marchandises qui sont attribuables à l'une des causes suivantes :

a) cas de force majeure;

b) guerre ou insurrection;

c) émeute, grève ou lock-out;

d) défectuosité des marchandises;

e) acte, omission ou négligence de l'expéditeur ou du propriétaire des marchandises;

f) application d'une loi;

g) mise en quarantaine.

[44]            L'avocate de CFCP n'a pas nié que Jacob était le propriétaire de la cargaison, que celle-ci a été endommagée et que les dommages sont survenus pendant le transport ferroviaire. Elle n'a pas fait valoir non plus que CFCP pouvait invoquer l'une des exemptions énoncées à l'article 5 du Règlement. Elle affirme plutôt que CFCP peut invoquer les conditions énoncées dans le contrat confidentiel qu'elle a conclu avec OOCL, dans le tarif CPRS 7589, dans le connaissement OOCL ou dans celui de Pantainer.

[45]            Cet argument aurait été convaincant, comme il l'a été pour les deux autres défenderesses, n'eût été de l'article 137 de la Loi sur les transports au Canada, qui énonce clairement qu'une compagnie de chemin de fer ne peut restreindre sa responsabilité à l'endroit d'un expéditeur, « sauf par accord écrit » . Or, il n'y a aucun accord écrit entre Jacob et CFCP (pas plus qu'il y en a, d'ailleurs, entre CFCP et OOCL, comme le montrent les paragraphes 25 et 26 de l'exposé conjoint des faits). Selon l'avocate de CFCP, OOCL doit être considérée comme l'expéditeur en l'espèce, plutôt que Jacob. Je ne crois pas que cette position soit défendable. L'article 6 de la Loi établit clairement une distinction entre l'expéditeur et le transporteur et je ne comprends pas comment OOCL pourrait être considérée comme une entreprise autre qu'un transporteur pour l'application de cette Loi. En conséquence, CFCP serait responsable dans la mesure prévue à l'article 11 du Règlement.

[46]            Je souligne en passant que ce raisonnement a été adopté dans les deux seules décisions qui m'ont été mentionnées sur ce sujet : Sumitomo Marine & Fire Insurance Company Limited c. Canadian National Railway Company, [2004] J.Q. n ° 11243 (QL), et La Royale du Canada, Compagnie d'assurance c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1999] J.Q. n ° 812 (QL). Cette interprétation de l'article 137 peut sembler trop stricte, mais le Parlement a prévu une solution de rechange en énonçant qu'un accord écrit peut être signé non seulement par l'expéditeur, mais également par une association ou un autre organisme qui représente des expéditeurs.

[47]            En tout état de cause, je ne crois pas que CFCP serait mieux placée même si j'estimais que l'article 137 de la Loi ne constitue pas un obstacle aux limitations de la responsabilité énoncées dans son tarif et dans le contrat confidentiel qu'elle a conclu avec OOCL. L'avocate de CFCP aimerait invoquer le tarif CPRS 7589, qui prévoit, notamment, que la responsabilité de celle-ci ne peut en aucun cas dépasser celle de la compagnie maritime selon le connaissement maritime (si ce montant est inférieur à celui des deux autres calculs). Comme nous l'avons vu au paragraphe 36, cela signifierait que la responsabilité maximale de CFCP s'établirait à un montant de 1 432,89 $.

[48]            Cependant, ce scénario ne tient pas, parce que l'avocate se fonde sur un tarif, soit un document publiquement accessible, sans tenir compte du fait qu'il a été intégré dans un accord confidentiel, voire modifié par celui-ci, lequel accord est un document confidentiel qui a été établi entre OOCL et CFCP, déposé sous pli scellé et auquel le public n'a pas accès.

[49]            Après avoir examiné l'accord confidentiel, qui doit être lu conjointement avec le tarif, j'en arrive à la conclusion qu'il ne restreint pas la responsabilité de CFCP à l'endroit de la demanderesse.

[50]            Subsidiairement, l'avocate de CFCP a fait valoir que sa cliente pourrait invoquer les restrictions et exemptions énoncées dans les documents d'OOCL et de Pantainer. Il est vrai que la clause 1 de la lettre de transport d'OOCL et la clause 3 du connaissement de Pantainer prévoient explicitement que les transporteurs participants peuvent invoquer les mêmes droits, exonérations de responsabilité, moyens de défense et immunités que ceux dont disposent les deux autres transporteurs. Cependant, l'application de ces clauses à une compagnie de chemin de fer irait à l'encontre de l'objet de l'article 137 de la Loi sur les transports au Canada. Il serait illogique de protéger l'expéditeur en énonçant qu'une compagnie de chemin de fer ne peut limiter sa responsabilité, sauf au moyen d'un accord écrit signé par celui-ci, si cette même compagnie pouvait atteindre le même résultat au moyen d'une clause Himalaya qui figure dans le contrat d'un autre transporteur. Je reconnais que ce raisonnement place les compagnies de chemin de fer dans une position moins avantageuse comparativement aux autres transporteurs. Cependant, ce principe vaut non seulement aux fins de la responsabilité, mais également à plusieurs autres égards, étant donné que les autres modes de transport ne sont pas aussi fortement réglementés que le transport ferroviaire.

B) Évaluation des dommages

[51]            L'octroi de dommages-intérêts vise manifestement à placer la partie lésée dans la position dans laquelle elle se serait trouvée si le contrat avait été exécuté. Ce principe est appelé restitutio in integrum. L'article 11 du Règlement sur la responsabilité à l'égard du transport ferroviaire des marchandises prévoit que le montant des pertes ou dommages dont le transporteur ferroviaire est responsable correspond à la moindre de la « valeur des marchandises au lieu et au moment de l'expédition, y compris le fret et les autres frais payés ayant une incidence sur cette valeur et les droits de douane payés ou payables et non remboursables » , et d'autres solutions de rechange non applicables. Étant donné que cette disposition vise à déterminer la responsabilité d'une compagnie de chemin de fer à l'égard de la perte survenue pendant le transport ferroviaire, il n'est que logique que le lieu et le moment de l'expédition soient ceux de l'expédition par train.

[52]            Que la règle qui s'applique pour déterminer les dommages causés dans les situations de transport soit la règle de common law (c'est-à-dire la valeur marchande saine à destination moins la valeur marchande avariée à destination) ou la règle énoncée à l'article 11 du Règlement, le résultat est le même en l'espèce. Lorsque les marchandises n'ont pas été livrées ou qu'elles sont entièrement endommagées à la livraison, il n'y a rien à vendre et donc aucun marché. En pareil cas, les marchandises perdues n'ont que ce que le professeur Tetley a appelé [traduction] « une valeur marchande saine à destination fictive » (voir Tetley, W., Marine Cargo Claims, 4e édition, c. 13, à la page 12).

[53]            Le problème inhérent à l'évaluation de marchandises perdues réside dans le fait qu'à moins que les prix n'aient été publiés à l'égard de ces marchandises, il est impossible de prédire la valeur marchande de celles-ci, parce qu'elles n'ont jamais existé. Cependant, cette faille ne devrait pas empêcher la Cour de faire de son mieux pour dédommager la demanderesse de la perte qu'elle a subie. Comme la Cour suprême du Canada l'a dit dans Pendevic Contracting Co. c. International Nickel Co. of Canada, [1976] 1 R.C.S. 267, aux pages 279 et 280 :

La difficulté à déterminer le montant des dommages-intérêts a été envisagée dans la célèbre cause anglaise Chaplin c. Hicks, [[1911] 2 K.B. 786], qui a été suivie en Division d'appel de la Cour suprême de l'Ontario dans l'affaire Wood c. Grand Valley Railway Company [(1913), 30 O.L.R. 44], où le juge en chef Meredith a dit aux pp. 49 et 50 :

[traduction] Il existe sans aucun doute des causes où il est impossible de convenir de l'existence d'un préjudice réparable par l'adjudication de dommages-intérêts à la suite d'une rupture de contrat, mais les cours ont maintes fois répété que la difficulté à déterminer l'étendue du préjudice ne constitue pas un motif pour refuser d'accorder des dommages-intérêts considérables, et la décision la plus extrême dans ce domaine est peut-être celle de Chaplin c. Hicks, [1911] 2 K.B. 786. Dans cette affaire, le jury avait conclu, à la suite de la rupture du contrat par le défendeur, que la demanderesse avait perdu la chance d'être choisie par ce dernier parmi cinquante jeunes filles comme une des douze à qui il avait promis, si elles étaient choisies, des emplois comme actrices pour une période et un salaire déterminés, et l'action a été intentée en vue de recouvrer des dommages-intérêts pour la rupture du contrat, et le jury a fixé à £ 100 le montant de ces dommages-intérêts. Le défendeur a allégué que les dommages étaient beaucoup trop indirects et qu'ils étaient indéterminables. La première prétention a été déclarée irrecevable par la Cour et a donc été rejetée. Quant à la seconde, on a déclaré que « lorsqu'une perte réelle résultant de la rupture d'un contrat n'est pas douteuse mais difficile à estimer en argent, le jury doit faire pour le mieux; il n'est pas nécessaire qu'il y ait dans chaque cas une mesure absolument précise des dommages » ; le lord juge Fletcher Moulton à la page 795.

Lorsque l'affaire Wood c. Grand Valley Railway Company, précitée, a été plaidée devant la Cour suprême du Canada, la décision a été rendue par le juge Davies et elle fut publiée à 51 R.C.S. 283, où le savant juge a dit à la page 289 :

[traduction] À la lumière des faits de cette cause, c'était vraiment impossible d'évaluer avec grande précision le préjudice subi par la demanderesse, mais il me semble que les savants juges ont clairement établi qu'une telle impossibilité ne « décharge pas pour autant l'auteur du préjudice de l'obligation de payer des dommages pour la rupture du contrat » et que d'autre part, le tribunal doit évaluer le préjudice même si, en pareilles circonstances, le jury ou le juge doit « agir au mieux » , et sa conclusion ne sera pas infirmée même si le montant accordé n'est en fait que le fruit de conjectures.

[54]            La demanderesse a prouvé qu'il était impossible pour elle de faire expédier d'autres marchandises en remplacement de la cargaison perdue (exposé conjoint des faits, au paragraphe 12). De l'avis de Jacob, il convient d'évaluer la perte qu'elle a subie en utilisant les prix moyens de vente, après la perte, des styles de marchandises dont se compose la cargaison, ce qui équivaudrait à un montant de 71 550,47 $. Ce montant correspondrait à la valeur de la cargaison au moment et au lieu du début de transport par rail par CFCP à Vancouver, selon la demanderesse.

[55]            Il a été convenu que Jacob avait déployé tous les efforts voulus pour atténuer sa perte (exposé conjoint des faits, au paragraphe 35). Cependant, je suis loin d'être convaincu qu'il convient d'utiliser le prix de détail moyen de la cargaison comme mesure des dommages. D'abord, il a été mis en preuve qu'une grande partie des marchandises en question ont été vendues à des prix réduits, qui ont augmenté au fur et à mesure que la saison a avancé. Qui plus est, certains éléments de preuve montrent qu'à la fin de la saison (c'est-à-dire au 31 octobre 2003), la demanderesse avait encore une partie de ces marchandises en stock.

[56]            L'avocat de la demanderesse a tenté de soutenir que 94 p. 100 de la réclamation concerne un style particulier de marchandises et que 97 p. 100 des marchandises de ce style étaient vendues à la fin de la saison. C'est peut-être vrai, mais il n'en demeure pas moins que, même le 25 février 2005, ces vêtements n'étaient toujours pas vendus. La demanderesse n'a donc pas été en mesure de prouver que les articles faisant partie de la cargaison endommagée auraient été vendus, et encore moins au prix régulier.

[57]            D'autre part, je suis disposé à reconnaître que Jacob s'attendait certainement à vendre la totalité des marchandises de sa cargaison et qu'elle aurait peut-être déployé de grands efforts de mise en marché à leur égard si elle en avait reçu livraison conformément au contrat. Je suis donc disposé à évaluer la perte que Jacob a subie, non pas au prix d'achat de la cargaison, additionné du fret et du coût d'assurance (soit un montant de 33 598,64 $), mais au plus bas prix de vente réduit des marchandises, soit un montant convenu de 35 116,58 $ (exposé conjoint des faits, au paragraphe 14).

[58]            L'octroi d'intérêts fait également partie de la « restitutio in integrum » , pourvu que des intérêts aient été demandés. Dans la présente affaire, non seulement des intérêts ont-ils été demandés, mais les parties se sont également entendues sur le taux de prêt bancaire préférentiel moyen et sur le taux commercial, soit des taux respectifs de 4,3 p. 100 et 6 p. 100 (exposé conjoint des faits, au paragraphe 39). De plus, aucune question ne se pose quant au retard à présenter et à poursuivre la réclamation, lequel retard justifierait une réduction du taux d'intérêt.

[59]            À moins que des circonstances spéciales ne soient établies, la Cour fédérale a pour politique d'accorder des intérêts simples au taux commercial à compter de la date de la naissance de la cause d'action jusqu'au paiement. Des intérêts composés ne seront accordés que si les parties y ont consenti, qu'elles savaient ou auraient dû savoir que la somme d'argent qui fait l'objet du litige porterait des intérêts composés ou que la partie qui a gain de cause a démontré qu'elle ne pourra être dédommagée équitablement si elle n'obtient pas des intérêts composés. L'avocat de la demanderesse n'a pas fait cette démonstration. En conséquence, des intérêts au taux de 6 p. 100 depuis le 27 avril 2003 jusqu'à la date du paiement me semblent appropriés en l'espèce.

[60]            En conclusion, j'aimerais remercier tous les avocats pour les observations très utiles et approfondies qu'ils m'ont soumises.

[61]            Pour tous les motifs exposés ci-dessus, l'action de la demanderesse contre la défenderesse Pantainer Ltd., la défenderesse Panalpina Inc. et la défenderesse Orient Overseas Container Line Ltd. est rejetée. La demande reconventionnelle de Pantainer Ltd. contre Orient Overseas Container Line Ltd. est également rejetée.

[62]            L'action que la demanderesse a intentée contre la défenderesse Chemin de fer Canadien Pacifique est accueillie en partie et CFCP est condamnée à lui verser une somme de 35 116,58 $ avec intérêt au taux de 6 p. 100 depuis le 27 avril 2003 jusqu'à la date du présent jugement.

[63]            Les parties doivent soumettre leurs observations écrites au sujet des dépens au plus tard quinze jours après la communication des présents motifs et de l'ordonnance ci-jointe.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1)                   L'action que la demanderesse a intentée contre les défenderesses Pantainer Ltd., Panalpina Inc. et Orient Overseas Container Line Ltd. est rejetée. La demande reconventionnelle que la défenderesse Pantainer Ltd. a formulée contre Orient Overseas Container Line Ltd. est également rejetée.

2)                   L'action que la demanderesse a intentée contre la défenderesse Chemin de fer Canadien Pacifique est accueillie en partie et CFCP est condamnée par les présentes à lui verser une somme de 35 116,58 $ avec intérêt au taux de 6 p. 100 à compter du 27 avril 2003 jusqu'à la date du présent jugement.

3)                   Les parties doivent soumettre leurs observations écrites au sujet des dépens au plus tard quinze jours après la communication des motifs ci-joints et de la présente ordonnance.

                                                                                                            « Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-39-04

INTITULÉ :                                        BOUTIQUE JACOB INC. c. PANTAINER LTD., PANALPINA INC., ORIENT OVERSEAS CONTAINER LINE LTD. et CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATES DE L'AUDIENCE :              LES 19 ET 20 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :                       LE 20 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS:                                                             

J. Kenrick Sproule                                 POUR LA DEMANDERESSE

Eric Préfontaine                                     POUR LES DÉFENDERESSES PANTAINER LTD. et PANALPINA INC. et POUR LA DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE PANTAINER LTD.

David G. Colford                                   POUR LA DÉFENDERESSE ET DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELE OOCL

Karine Joizil                                           POUR LA DÉFENDERESSE CFCP

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                  

Le cabinet de J. Kenrick Sproule           POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Stikeman, Elliott                                     POUR LES DÉFENDERESSES PANTAINER LTD. et

Montréal (Québec)                                PANALPINA INC. et POUR LA DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE PANTAINER LTD.

Brisset Bishop                                       POUR LA DÉFENDERESSE et LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)                                RECONVENTIONNELLE OOCL

Fasken Martineau Dumoulin, LLP          POUR LA DÉFENDERESSE CFCP

Montréal (Québec)

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