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Date : 20060215

Dossier : T-1999-05

Référence : 2006 CF 203

ENTRE :

RANDY BARNARD

demandeur

et

GEOFF REGAN, MINISTRE DES PÊCHES

ET DES OCÉANS DU CANADA, PÊCHES ET OCÉANS CANADA

et AZULEMAR FISHING LTD.

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

RÉSUMÉ

[1]                Randy Barnard est un pêcheur qui estime que le défendeur, le ministre, a utilisé une méthode incorrecte pour l'attribution d'un rang, pour lui et pour son bateau, relativement à la délivrance des permis canadiens pour la pêche du thon dans les eaux américaines. Il a déposé sa demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le défendeur, le ministre, à l'égard de ce rang après la période de 30 jours prévue pour le dépôt d'une telle demande. Il sollicite une prolongation de délai, du 13 octobre au 4 novembre 2005, pour le dépôt de sa demande de contrôle judiciaire. Il nie qu'il y ait un préjudice pour l'un ou l'autre des défendeurs.

LE CONTEXTE

[2]                Le défendeur, le ministre, a rejeté la demande présentée par M. Barnard en vue de faire modifier le dossier de pêche du thon Albacore de son bateau actuel, le PRINCE OF DENMARK, afin que le dossier de pêche de son ancien bateau, le OLD SPICE, soit pris en compte.

[3]                La décision du ministre a eu pour effet d'ajuster le rang du demandeur du 90e rang au 97e rang dans un système qui prévoit que seulement les 94 premiers bateaux peuvent être autorisés, suivant un traité de pêche entre le Canada et les États-Unis, à pêcher le thon dans les eaux américaines en 2007. L'ajustement de rang n'a pas de conséquences pour M. Barnard quant à la pêche dans les eaux canadiennes et a des conséquences quant à la pêche dans les eaux américaines seulement si le traité n'est pas renégocié, et de toute façon seulement après l'année en cours.

[4]                L'histoire de M. Barnard est extrêmement malheureuse et apparemment ce qui est arrivé n'est pas de sa faute. Il est pêcheur de thon depuis longtemps. Son premier bateau, le OLD SPICE, a été détruit au cours d'un incendie à Tofino, en Colombie-Britannique. L'incendie a éclaté sur un autre bateau attaché le long de son bateau et s'est propagé au OLD SPICE. M. Barnard a remplacé ce bateau par le bateau PRINCE OF DENMARK.

[5]                En 2004, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a donné avis que, étant donné que les États-Unis réduisaient, sur une période de trois ans, le nombre de bateaux canadiens autorisés à pêcher le thon (comme les États-Unis avaient apparemment le droit de le faire suivant le traité de pêche qui s'achève), il utiliserait probablement les dossiers de prises de thon passées pour établir le rang et gérer la réduction du nombre de permis. Le dossier de pêche « suivrait le bateau » , non le pêcheur.

[6]                M. Barnard a par conséquent demandé au MPO d'inclure le dossier de prises du OLD SPICE lors de l'examen du dossier de prises du PRINCE OF DENMARK. Cette demande a été rejetée.

[7]                Le ministre a mis en place un comité de l'industrie des pêches - l' « Albacore Tuna Review Committee » - pour le conseiller sur la façon de gérer les changements qu'entraîne la position des États-Unis sur la réduction de permis que le Canada peut délivrer pour la pêche dans les eaux américaines. Une des fonctions de ce comité était de traiter les appels présentés à l'égard des décisions du MPO sur le fondement de l'existence de « circonstances atténuantes » et de faire des recommandations au ministre relativement aux décisions à rendre quant à ces appels.

[8]                M. Barnard a interjeté appel de la décision du MPO auprès du comité. Le comité n'a pas recommandé de modification quant au calcul effectué dans le dossier de pêche du PRINCE OF DENMARK. La recommandation du comité exposait le fondement de l'appel de M. Barnard. La recommandation soulignait ce qui suit - et c'est le point majeur dans la demande de contrôle judiciaire que M. Barnard envisage de présenter - :

[traduction]

« Il demande que le dossier de pêche du M/V Old Spice soit attribué au dossier des quantités débarquées du M/V « Prince of Denmark » , de façon à ce que le dossier de pêche du bateau dans les eaux américaines soit plus élevé.

Le comité a examiné les circonstances de cet appel et a conclu qu'une exception à la politique du MPO selon laquelle le dossier suit le bateau n'était pas justifiée. »

[9]                La décision du ministre datée du 1er septembre 2005 mentionnait l'appel écrit de M. Barnard et énonçait ce qui suit :

[traduction]

« [...] le ministre a conclu qu'une modification au dossier de pêche du bateau M/V Prince of Denmark n'était pas justifiée. Votre demande visant à combiner le dossier de pêche des deux bateaux est contraire aux politiques et aux objectifs de gestion actuels de Pêches et Océans Canada » .

[10]            Bien que la décision ait été envoyée le 1er septembre 2005, M. Barnard ne l'a pas reçue avant le 13 septembre 2005 puisqu'il était en mer. Il a ensuite retenu les services d'un avocat et il s'est écoulé un délai pendant lequel M. Barnard et son avocat ont pris contact avec les fonctionnaires du MPO. Ils n'ont déposé une demande de contrôle judiciaire que le 4 novembre 2005.

[11]            Compte tenu du calcul effectué par le MPO à l'égard du dossier de pêche, la société Azulemar Fishing Ltd. (appartenant à Gordon Brooks), propriétaire du bateau MOONDANCER, est classée au 94e rang et est par conséquent le dernier bateau a avoir eu un permis pour la pêche du thon aux États-Unis.

[12]            Le 25 octobre 2005, le MOONDANCER a été envoyé pour être remis en état afin qu'il devienne un bateau plus adapté pour la pêche du thon. La remise en état était planifiée depuis longtemps et rien ne démontre qu'Azulemar se soit fondée sur l'absence d'un contrôle judiciaire avant de procéder à la remise en état. Cependant, on a allégué que l'industrie de la pêche du thon en Colombie-Britannique est une petite industrie et que, compte tenu des communications par radio et de la « rumeur » , les pêcheurs savaient généralement qui faisait quoi et à quel moment et ainsi qui aurait vraisemblablement interjeté un appel quant à une décision à l'égard de permis pour la pêche du thon.

[13]            Azulemar déclare qu'elle subirait un préjudice si une prolongation de délai était accordée étant donné qu'une prolongation expose à un risque son investissement et son rang, au mieux, en raison de l'incertitude que causerait une instance en suspens. Elle dit qu'elle avait droit de s'appuyer sur la décision du ministre, sur son propre rang et sur le fait qu'elle n'a pas reçu signification avant le 23 décembre 2005 de l'avis de l'instance ou de la possibilité d'un contrôle judiciaire.

ANALYSE

[14]            La décision portant sur la question de savoir si une prolongation de délai doit être accordée pour le dépôt d'une demande de contrôle judiciaire est une décision discrétionnaire de la Cour. Comme M. le juge Hugessen (alors qu'il était juge à la Cour d'appel fédérale) a déclaré dans l'arrêt Conseil des Canadiens c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence), [1997] A.C.F. no 408 :

Il n'existe pas de liste de contrôle immuable à vérifier chaque fois qu'une demande de prolongation de délai est examinée; le plus que l'on puisse dire est que la Cour examinera généralement si une explication adéquate a été fournie pour l'omission d'agir en temps opportun et si la cause du requérant est défendable.

[15]            J'ajouterais à cette liste non exhaustive des facteurs comme la durée du retard, l'intention de présenter une demande de contrôle judiciaire et le préjudice non seulement pour le demandeur, mais également pour les tiers et le public.

[16]            Le demandeur se plaint principalement du fait que, selon lui, le comité et le ministre ont mal compris son appel. Il croit qu'ils pensaient qu'il voulait combiner les dossiers de prises des deux bateaux pour la période de qualification de 1995 à 2002 - une forme de double calcul étant donné que le OLD SPICE n'a été détruit qu'en 2001. Il a dit que tout ce qu'il voulait c'était que le dossier de prises du OLD SPICE soit considéré comme s'il était le dossier de prises du PRINCE OF DENMARK pour la période de 1995 à 2001.

[17]            Après avoir examiné les documents au dossier, je ne peux pas voir comment le comité et le ministre auraient pu avoir une telle compréhension erronée. La proposition visant le double calcul est si déraisonnable et injuste qu'elle n'aurait pas pu être considérée comme étant la position de M. Barnard - en l'absence de preuve véritable établissant que le ministre et le comité avaient en fait cette compréhension. Par conséquent, à mon avis, le demandeur n'a aucune cause défendable quant à cette question critique.

[18]            Mon opinion est quelque peu renforcée par le comportement du demandeur et celui de son avocat. À la suite de la décision, ils ont tous deux, surtout l'avocat, passé du temps à essayer de savoir ce qui s'était produit au MPO et de connaître la perte réelle subie par le demandeur. Selon ce qu'ils affirment, ils avaient besoin de tous ces renseignements pour déterminer s'ils devaient solliciter un contrôle judiciaire.

[19]            Rien dans ce qu'ils ont appris pendant cette période n'ajoute foi au fondement du contrôle judiciaire. S'il y avait eu une telle compréhension erronée ou si on pouvait tirer une inférence à cet égard, les renseignements étaient à leur disposition dans la décision elle-même. On souligne que la décision mentionne que la demande est une demande qui cherche à [traduction] « combiner les dossiers de pêches quant à deux bateaux » - non pas à combiner les dossiers de pêche de deux bateaux, comme ce que le demandeur affirme être la compréhension du ministre à l'égard de sa demande. (Non souligné dans l'original.)

[20]            La décision énonce clairement qu'elle était fondée sur les objectifs en matière de politiques et de gestion - des facteurs que le demandeur connaissait depuis 2004.

[21]            Il était facile de déposer immédiatement un avis de contrôle judiciaire si les motifs à cet égard existaient vraiment. À mon avis, le demandeur a passé le temps écoulé à chercher une « cause d'action » et étant donné qu'aucune n'a surgi, le demandeur et l'avocat se sont fondés (sans doute de bonne foi) sur l'argument selon lequel il y avait eu une compréhension erronée.

[22]            Il ressort clairement de la preuve que le demandeur n'a nourri l'intention de solliciter le contrôle judiciaire que trois semaines après la date limite de dépôt. Il est bien établi en droit qu'une explication quant à un retard n'est pas une explication adéquate si le retard résulte des efforts déployés pour déterminer les motifs sous-tendant la décision contestée et pour déterminer les mesures de redressement à prendre. (Voir Westinghouse Canada Inc. c. Canada (Le Tribunal canadien du commerce extérieur), [1989] A.C.F. no 540, (1989), 104 N.R. 191.) C'est précisément ce que le demandeur faisait.

[23]            Je dois ajouter que la décision en cause est en réalité une décision de ne pas modifier une politique. À ce titre, il ne s'agit pas d'une décision qui peut facilement faire l'objet d'un contrôle judiciaire. (Voir Skycharter Ltd. c. Canada (ministre des Transports) (1997), 125 F.T.R. 307.) Pour tous les motifs énoncés, je ne suis pas convaincu que le demandeur a une cause défendable.

[24]            Même s'il existe un certain fondement permettant de prétendre qu'il existe une cause défendable, d'autres facteurs jouent également contre le demandeur. Bien que le retard lui-même ne soit pas long - environ trois semaines - et devrait être un facteur favorable au demandeur, ce retard est considérable quant à l'autre défendeur, Azulemar, et cause effectivement un préjudice. Il y a un préjudice pour le public puisqu'il existe un intérêt pour le public dans la finalité des décisions et la règle du 30 jours est une partie importante de cette finalité. (Voir Grenier c. Canada, 2005 CAF 348.)

[25]            Il y a un préjudice clair pour Azulemar - le 94e détenteur de permis. Le système du MPO est un jeu à somme nulle dans lequel le succès du 97e détenteur de permis est au détriment de l'actuel détenteur de permis qui est au 94e rang. Il y a aussi le fait que le MOONDANCER a été remis en état aux fins de la pêche du thon, un processus qui était en cours durant la période précédant la signification du 23 décembre 2005. Par conséquent, il y a un préjudice réel pour Azulemar en fonction de la perte d'éventuel profit et des dépenses pour au moins une portion de la remise en état. Ce préjudice est aggravé, si non créé, par le défaut du demandeur d'avoir signifié ce tiers en temps utile.

[26]            Dans ces circonstances, bien que le demandeur puisse subir un certain préjudice, il s'agit d'un préjudice dont il est le responsable.

[27]            La Cour, prenant tous ces facteurs en compte, n'accueillera pas la présente requête en prolongation de délai.

[28]            La présente requête est rejetée et les dépens sont adjugés au ministre et à Azulemar.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1999-05

INTITULÉ :                                        RANDY BARNARD

                                                            c.

GEOFF REGAN, MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS DU CANADA et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                LES 23 ET 24 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                       LE 15 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS :

Andrew P. Mayer

POUR LE DEMANDEUR

R.S. Whittaker

Paul Partridge

POUR LE DÉFENDEUR

Ministre des Pêches et des Océans du Canada

Brad Caldwell

POUR LE DÉFENDEUR

Azulemar Fishing Ltd.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BERNARD & PARTNERS

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

Ministre des Pêches et des Océans du Canada

CALDWELL & CO.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

Azulemar Fishing Ltd.

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