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Date : 20201202


Dossier : IMM-5371-18

Référence : 2020 CF 1109

Montréal (Québec), le 2 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

GENET PAULOS TEDDLA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’est écoulé plus de deux ans depuis que la présente demande de contrôle judiciaire a été déposée le 1er novembre 2018. Rappelons que le 15 février 2019 la demanderesse a présenté une requête en suspension de l’instance; requête qui a été accordée le 19 mars 2019 par la Cour. Cette suspension a pris fin le 23 octobre 2019. Puis, avec l’arrivée de la première vague de la COVID-19, l’audition orale qui devait avoir lieu le 16 avril 2020 a été ajournée sine die par la Directive de pratique et l’ordonnance du juge en chef Crampton, datée du 17 mars 2020.

[2] Selon le passeport émis le 21 novembre 2014 par l’État de l’Érythrée, produit au dossier de la Cour et établi au nom de Genet Pawlos Teddla [véritable nom], la demanderesse est née le 1er janvier 1989 à Addis-Abeba en Éthiopie. Elle possède la nationalité érythréenne. Le 28 septembre 2018, elle a demandé l’asile au Canada. Cette Cour doit aujourd’hui statuer sur la légalité de l’avis émis le 17 octobre 2018 par un agent d’immigration qui statue que cette demande d’asile est irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], parce que la demanderesse s’est déjà vu reconnaître la qualité de réfugiée en Norvège, un pays vers lequel elle peut être renvoyée [décision contestée].

[3] Devant cette Cour, le principal de l’attaque de la demanderesse à l’encontre de la décision contestée porte sur la raisonnabilité de la détermination effectuée par l’agent d’immigration [décideur]. La demanderesse soumet que les preuves au dossier ne lui permettaient pas de conclure que la demanderesse pouvait être renvoyée en Norvège. De son côté, le défendeur soutient que la décision contestée est raisonnable considérant les déclarations de la demanderesse, les courriels échangés et l’ensemble de la preuve au dossier, qui corroborent le fait que la demanderesse a la qualité de réfugiée et qu’elle peut être renvoyée en Norvège.

[4] Conformément à la décision de la Cour suprême dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], il convient de présumer que la décision dans son ensemble doit être réexaminée selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux paras 16-17). Bien que certaines exceptions s’appliquent à la présomption établie, aucune n’est applicable en l’espèce.

[5] Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, cette Cour doit d’abord examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à une conclusion. Ce que doit faire le décideur pour justifier sa décision dépend du contexte dans lequel la décision est rendue. La décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. En bref, il incombe au décideur d’apprécier et d’évaluer la preuve qui lui est soumise. À moins de circonstances exceptionnelles, cette Cour ne doit pas modifier ses conclusions de fait (Vavilov au para 125). Ceci étant dit, « le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov au para 126).

[6] L’alinéa 101(1)d) de la LIPR prescrit que la demande d’asile est irrecevable dans le cas de « reconnaissance de la qualité de réfugié par un pays vers lequel [le demandeur] peut être renvoyé ». Au regard de la preuve au dossier, la Cour conclut que la décision contestée est raisonnable.

[7] Une remarque liminaire de la Cour : la décision contestée est, à sa face même, claire et transparente. Ainsi, le décideur conclut que la demande d’asile au Canada est irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR parce que la demanderesse a été reconnue en Norvège comme une réfugiée et qu’elle peut être renvoyée dans ce dernier pays. La qualité de réfugiée de la demanderesse n’étant pas contestée, reste à savoir si elle peut être renvoyée en Norvège. Évaluons donc la raisonnabilité de cette conclusion avec les faits et la preuve au dossier de la Cour.

[8] La demanderesse aurait quitté l’Érythrée pour le Soudan en décembre 2010. Puis, en septembre 2011, elle s’est rendue en Norvège, où elle a demandé l’asile sous son véritable nom [première demande d’asile]. De fait, en 2012, elle s’est vue reconnaître la qualité de réfugiée au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention]. Un permis de résidence temporaire lui est alors délivré par les autorités d’immigration norvégiennes. Après un séjour de trois ans, elle obtient par la suite un permis de résidence permanente. Il n’existe aucune preuve au dossier à l’effet que la demanderesse a perdu la qualité de réfugiée au sens de la Convention et/ou que son statut de résidente permanente a été révoqué par la Norvège comme nous le verrons plus loin.

[9] En septembre 2016, la demanderesse quitte la Norvège avec des documents de voyage norvégiens. Le 12 septembre 2016, la demanderesse entre illégalement aux États-Unis après avoir transité en Allemagne et au Mexique. Elle revendique le statut de réfugié sous le nom de Koste Saron Bechane [nom d’emprunt]. Elle est immédiatement arrêtée et détenue par les autorités américaines d’immigration. Cette seconde demande d’asile est apparemment refusée. Quoi qu’il en soit, une ordonnance définitive de renvoi vers l’Érythrée est émise le 3 janvier 2017 par une cour d’immigration de l’État de la Californie. Entretemps, la demanderesse s’est mariée en 2016 avec un citoyen américain. De fait, la demanderesse demeurera en détention jusqu’en juillet 2017. En vertu de l’ordonnance de supervision émise le 6 juillet 2017, elle a l’obligation de se rapporter et d’assister les autorités d’immigration américaines dans l’obtention de tout document de voyage nécessaire en vue de son renvoi. Elle résidera en Pennsylvanie du mois de juillet 2017 au mois de septembre 2018. De fait, une carte d’identité authentique lui sera délivrée par l’État de la Pennsylvanie sous son nom d’emprunt.

[10] Le 27 septembre 2018, trois mois apparemment après s’être séparée avec son mari américain, la demanderesse qui n’a pas de visa valide et n’est pas autorisée à entrer au Canada traverse (sous son nom d’emprunt) la frontière canado-américaine, via le chemin Roxham. Elle est interceptée par la Gendarmerie royale du Canada. Elle veut revendiquer le statut de réfugié au Canada. Le jour suivant, la demanderesse est amenée devant une agente d’exécution de la loi au service de l’Agence ses services frontaliers du Canada [ASFC].

[11] Par un instrument de désignation et de délégation émanant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, les agents désignés de l’ASFC ont le pouvoir de prendre certaines décisions en vertu de la LIPR et de son règlement d’application, dont celui de recevoir la demande d’asile de l’étranger se trouvant au Canada; de statuer sur sa recevabilité et, si elle est jugée recevable, de la déférer à la Section de la protection des réfugiés.

[12] Le 28 septembre 2018, un rapport circonstancié en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR est établi par l’agente d’exécution de la loi; la demanderesse étant interdite de territoire pour manquement à la loi en vertu de l’article 41 de la LIPR. Les pièces d’identité (faux passeport érythréen et carte d’identité de l’État de la Pennsylvanie sous son nom d’emprunt) en possession de la demanderesse sont également saisies par l’agente. Lorsque confrontée avec le caractère douteux ou contrefait des pièces d’identité en question, la demanderesse déclare alors s’appeler « Paulos [sic] Teddla Genet ». L’agente ordonne son arrestation sans mandat et sa détention administrative pour fins de vérification de son identité en vertu de l’article 55 de la LIPR.

[13] Toujours, le 28 septembre 2018, un premier interrogatoire concernant la recevabilité au Canada de sa demande d’asile est conduit par l’agente. La demanderesse dit alors craindre pour sa vie en Érythrée – pays contre lequel elle revendique spécifiquement le statut de réfugié. Elle déclare également penser être une résidente permanente de la Norvège et dit avoir déjà été reconnue comme une réfugiée là-bas. Néanmoins, l’agente a des doutes sur l’identité de la demanderesse, car elle ne peut fournir aucune pièce d’identité sous son véritable nom. La demanderesse devra donc demeurée détenue, le temps qu’on puisse vérifier l’identité et les dires de celle-ci. Le 1er octobre 2018, la Section de l’immigration prolonge la détention de la demanderesse.

[14] Le 3 octobre 2018, un deuxième interrogatoire pour recueillir la déclaration statutaire de la demanderesse est conduit par une autre agente d’exécution de la loi. La demanderesse confirme à nouveau avoir vécu en Norvège de 2011 à 2016 et avoir obtenu le statut de réfugié et être devenue résidente permanente. Si elle n’a pas voulu dévoiler son véritable nom à son mari ainsi qu’aux autorités américaines, c’est qu’elle craignait d’être déportée en Norvège. L’agente explique alors à la demanderesse que, puisqu’elle a déjà la qualité de réfugiée au sens de la Convention, sa demande d’asile au Canada est irrecevable. Toutefois, aucun avis en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR n’est alors formellement émis, et ce, parce que le Ministre n’est toujours pas en mesure à ce moment-là de confirmer la véritable identité de la demanderesse – ce qui sera bien entendu nécessaire pour la renvoyer en Norvège si elle a effectivement la qualité de réfugiée. Le 5 octobre 2018, puisque le Ministre continue de faire des efforts valables pour établir l’identité de la demanderesse, la Section de l’immigration prolonge la détention de la demanderesse.

[15] Le 11 octobre 2018, un représentant du Canada en Europe fait une demande d’assistance au nom de l’ASFC aux autorités norvégiennes. Le 11 octobre 2018, l’agente d’exécution de la loi qui a interviewé la demanderesse le 3 octobre 2018 reçoit confirmation officielle de l’identité véritable et du statut de la demanderesse en Norvège. De fait, la demanderesse est effectivement enregistrée dans ce pays sous le nom de Genet Pawlos Teddla, et ce, comme citoyenne de l’Érythrée; elle détient toujours un passeport valide de l’Érythrée délivré sous son véritable nom et dont la date d’expiration est le 20 novembre 2019; elle détient également un permis valide de résidente permanente à titre de réfugiée; enfin une carte d’identité norvégienne lui a été délivrée le 25 mai 2015 sous son véritable nom, mais celle-ci est apparemment expirée.

[16] Le 12 octobre 2018, l’agente d’exécution de la loi s’enquiert auprès de l’ambassade de la Norvège à Ottawa [autorités consulaires] de la nécessité ou non d’obtenir un document de voyage particulier pour renvoyer la demanderesse en Norvège. Le 15 octobre 2018, les autorités consulaires répondent qu’un visa d’entrée est requis à moins d’avoir une carte de résidence permanente délivrée par la Direction de l’immigration de la Norvège. Le visa d’entrée sera attaché au document de voyage (à ce moment-là, le passeport érythréen de la demanderesse est toujours valide). La documentation requise pourra être délivrée au nom de la Norvège par l’ambassade du Danemark à Ottawa, en suivant la procédure indiquée dans le courriel en question. La demanderesse devra compléter et signer le formulaire de demande, fournir une photo passeport, payer les frais exigibles et expliquer les circonstances de la perte du document de voyage si elle l’a perdu. De plus, les autorités consulaires mentionnent qu’elles feront d’autres vérifications. Entretemps, les autorités canadiennes devront fournir l’itinéraire et les dates du voyage de retour de la demanderesse en Norvège, ses billets d’avion, ou dans l’alternative, l’ordonnance de renvoi.

[17] Le 17 octobre 2018, les autorités consulaires confirment à l’agente d’exécution de la loi que la demanderesse peut bel et bien faire une demande pour obtenir tout document de voyage d’urgence pouvant être requis (visa d’entrée) pour procéder à son renvoi en Norvège, le cas échéant. Enfin, le même jour, un agent désigné de l’ASFC rend la décision contestée dont la demanderesse recherche aujourd’hui l’annulation.

[18] La demanderesse soutient avec force devant cette Cour que l’agent d’immigration n’aurait pas dû s’arrêter à ce que les autorités consulaires avaient indiqué dans les courriels du 11 et 15 octobre 2018. Bien que la demanderesse n’a pas perdu son statut de réfugiée en Norvège, avant d’émettre un avis en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR, l’agent d’immigration aurait également dû obtenir une confirmation écrite émanant de la Direction de l’immigration que son permis de résidence permanente ne sera pas révoqué, et le cas échéant, qu’un document de voyage d’urgence (visa d’entrée) lui sera effectivement délivré par les autorités consulaires. Subsidiairement, bien que le droit norvégien n’ait pas été prouvé devant la Cour, la demanderesse soumet que si une personne a été à l’extérieur de la Norvège pendant plus de deux ans, son permis de séjour à titre de résident permanent peut lui être retiré, alors qu’il n’est pas certain qu’un visa d’entrée sera délivré à la demanderesse par les autorités consulaires.

[19] De son côté, le défendeur rétorque qu’en vertu de la loi, il incombe exclusivement au demandeur d’asile de démontrer la recevabilité de sa demande, et non à l’agent d’immigration de démontrer que celle-ci est irrecevable (Hermes Ablahad v Canada (Citizenship and Immigration), 2019 FC 1315 aux paras 25-26 [Hermes Ablahad]). Or, la demanderesse ne s’est tout simplement pas déchargée de son fardeau de preuve (Guleed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 22 au para 20). En l’espèce, la demanderesse a elle-même admis lors des interrogatoires des 28 septembre et 3 octobre 2018 être une réfugiée et avoir obtenu le statut de résidente permanente de la Norvège. Quant aux démarches auprès des autorités consulaires de la Norvège pour obtenir la délivrance d’un document de voyage d’urgence (visa d’entrée), celles-ci ne sont pas pertinentes à cette étape du dossier. En effet, la demanderesse n’est pas prête pour son renvoi et toutes les démarches en ce sens par l’ASFC sont suspendues pour le moment, puisque la demanderesse a également fait une demande d’évaluation des risques avant renvoi, qui n’a toujours pas été décidée.

[20] Je suis d’accord avec le défendeur. Le processus expéditif et relativement simple prévu aux articles 100 à 102 de la LIPR vise à écarter les demandes d’asile qui sont irrecevables suite à un examen sommaire par l’agent d’immigration (Jekula c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 1 CF 266 au para 44 [Jekula]; Wangden c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1230 au para 76). Car, faut-il le rappeler, en vertu du paragraphe 100(1.1) de la LIPR, la preuve de la recevabilité de la demande d’asile au Canada incombe exclusivement au demandeur; ce dernier ayant de surcroît, l’obligation de répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées (voir également Hermes Ablahad aux paras 25-26; Gaspard c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 29 au para 16 [Gaspard]).

[21] De façon générale, il faut interpréter l'expression « peut être renvoyé », utilisée à l’alinéa 101(1)d) de la LIPR, comme liée au statut du demandeur dans le pays où il y a « reconnaissance de la qualité de réfugié », en ce sens que le pays d'asile est tenu de permettre au revendicateur de revenir (Kaberuka c Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration, [1995] 3 CF 252 à la p 7 [Kaberuka]). Ainsi, lorsqu’un réfugié s’éloigne d’un État qui lui a accordé une protection internationale, cet État continue d’avoir des obligations permanentes envers l’individu, à moins que son statut de réfugié n’ait pris fin, ce qui n’est pas le cas en l’espèce selon la preuve au dossier (UNHCR, « Orientations sur les mesures à prendre en cas de déplacements secondaires irréguliers des réfugiés et demandeurs d’asile » (2019 au para 33). La perte du statut de résident permanent ou le refus d’accorder la résidence permanente dans le pays d’asile n’affecte pas la qualité de réfugié d’un demandeur (Gaspard aux paras 15-16).

[22] Sous réserve de certains cas d’exclusion (interdiction de territoire pour grande criminalité constituant un danger pour le public, ou encore pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux), la demanderesse ne peut pas être renvoyée en Érythrée (article 115 de la LIPR). En effet, le Canada et la Norvège – qui sont signataires de la Convention – sont soumis l’un et l’autre à l’obligation de non-refoulement contenu à l’article 33 de la Convention. Il est donc suffisant pour l’agent d’immigration qui statue sur la recevabilité d’une demande d’asile au Canada de s’assurer que la personne dont la qualité de réfugiée a déjà été reconnue par un autre pays pourra, le cas échéant, obtenir les documents de voyage nécessaires afin d’être renvoyée dans le pays d’asile, (à moins qu’elle n’ait exprimé à l’agent d’exécution de la loi de l’ASFC lorsqu’elle est prête à être renvoyée, qu’elle préfère être renvoyée dans son pays de nationalité plutôt que le pays d’asile).

[23] Il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce. Outre les admissions de la demanderesse sur sa qualité de réfugiée et son statut de résidente permanente en Norvège (entrevues du 28 septembre et du 3 octobre 2018), l’agent d’immigration pouvait également s’appuyer sur le courriel du 11 octobre 2018 des autorités consulaires confirmant que la demanderesse était bel et bien qui elle prétendait être, que la Norvège lui avait reconnu la qualité de réfugiée, et qu’elle avait toujours un permis de séjour valide comme résidente permanente à cette dernière date – sinon qu’une demande pour l’obtention d’un document de voyage d’urgence pourra toujours être faite si la carte d’identité comme résidence permanente de la Norvège est expirée, comme le suggèrent les courriels du 15 et 17 octobre 2018. La décision contestée est donc raisonnable.

[24] Ce qui a été indiqué plus haut par la Cour suffirait pour disposer du dossier et rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Toutefois, je ferai les observations supplémentaires suivantes concernant le nouvel argument soulevé à l’audience devant cette Cour par le procureur de la demanderesse, à savoir que la demande d’asile au Canada n’aurait pas dû être déclarée irrecevable parce que la demanderesse a peur d’être persécutée ou dit craindre pour sa vie si elle est renvoyée en Norvège, le pays même qui lui a accordé l’asile. Il faut écarter ce moyen subsidiaire également.

[25] En premier lieu, l’agent d’immigration qui statue sur la recevabilité de la demande d’asile n’est pas tenu d’examiner tout risque qu’un demandeur peut encourir dans le pays où il a déjà obtenu l’asile (Jekula au para 44). Au passage, lors des interrogatoires des 28 septembre et 3 octobre 2018, la demanderesse n’a jamais exprimé une crainte de persécution en Norvège. Qu’à cela ne tienne, le dossier n’est pas rendu à l’étape du renvoi, mais seulement de la recevabilité de la demande d’asile du 28 septembre 2018. D’ailleurs, depuis que la décision contestée a été rendue, la demanderesse s’est déjà prévalue de la possibilité de faire une demande d’évaluation des risques avant renvoi et aucune décision n’a encore été rendue par l’agent saisi de cette demande.

[26] En second lieu, il faut souligner que la demanderesse a fait pas moins de trois demandes d’asile distinctes dans pas moins de trois pays signataires de la Convention, soit la Norvège, les États-Unis et le Canada. Pourtant, en principe, le droit international des réfugiés ne confère pas aux réfugiés le droit de choisir leur pays d’asile (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 726 [Ward]; Mohamed v Canada (Citizenship and Immigration), 127 FTR 241 à la p 4 [Mohamed]; UNHCR, « Orientations sur les mesures à prendre en cas de déplacements secondaires irréguliers des réfugiés et des demandeurs d’asile » (2019) aux paras 5, 14). Il n’autorise pas non plus leur circulation irrégulière entre pays successifs dans le seul but de bénéficier de conditions plus favorables. En outre, les réfugiés et les demandeurs d’asile ont le devoir et l’obligation de respecter les lois et les mesures nationales visant à maintenir l’ordre public, y compris l’obligation de coopérer à la procédure d’asile, qui peut consister à se présenter aux autorités et à déposer rapidement une demande d’asile, ou à se conformer aux procédures pour régulariser leur séjour. Or, selon la preuve au dossier, la demanderesse, a toujours la qualité de réfugiée en Norvège où sa première demande d’asile a été accueillie.

[27] Enfin, il incombe à la demanderesse de suivre la procédure indiquée par les autorités d’immigration pour régulariser son séjour en Norvège une fois que l’ordonnance de renvoi aura été exécutée. En l’espèce, il m’apparaîtrait abusif de forcer l’agent d’immigration à référer la demande d’asile du 28 septembre 2018 à la Section de protection des réfugiés. Cette conclusion est en accord avec les articles 100 et 101 de la LIPR, ainsi que la jurisprudence canadienne et le droit international (UNHCR, « Orientations sur les mesures à prendre en cas de déplacements secondaires irréguliers des réfugiés et des demandeurs d’asile » (2019) aux paras 5, 6, 13-14, 33; Executive Committee of the High Commissioner’s Programme, Problem of Refugees and Asylum-Seekers Who Move in an Irregular Manner from a Country in Which They Had Already Found Protection, UNHCR, 40th Sess UN Doc 12A (A/44/12/Add.1) au para e); Mohamed, à la p 4; Ward à la p 726).

[28] En conséquence, toute attaque subsidiaire de la demanderesse à l’encontre de la légalité de la décision contestée doit échouer.

[29] En terminant, la demanderesse soutient que la présente demande de contrôle judiciaire soulève par ailleurs une question de droit d’importance générale, qui devrait être certifiée par la Cour en vertu du paragraphe 74(d) de la LIPR. Voici cette question : « Est-ce qu’il faut une confirmation écrite des autorités du pays dans lequel la personne ayant obtenu la qualité de réfugiée sera renvoyée au sens de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR? ».

[30] Dans Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 au paragraphe 46, la Cour d’appel fédérale a réitéré les critères de certification :

La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle-même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, 29 Imm. L.R. (4th) 211, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186, aux paragraphes 15 et 35).

[31] Il n’y a pas lieu de certifier la question proposée, qui n’est pas déterminante en l’espèce. L’alinéa 101(1)d) de la LIPR mentionne seulement « peut être renvoyé ». La réponse à cette question dépend essentiellement des faits qui sont uniques à cette affaire et qui peuvent varier d’un dossier à l’autre. La Cour ne peut à l’avance définir les cas où un demandeur « peut être renvoyé ». C’est une détermination qui relève exclusivement de l’agent d’immigration. L’existence ou non d’une confirmation écrite, comme l’acceptation ou non de tel ou tel document de voyage, font partie des échanges habituels entre les autorités concernées lorsque le Ministre est prêt à procéder au renvoi et que la date de renvoi est connue. Je suis donc d’avis que la question proposée par la demanderesse ne satisfait pas aux critères de certification mentionnée plus haut.

[32] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.


JUGEMENT au dossier IMM-5371-18

LA COUR STATUE ET ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5371-18

 

INTITULÉ :

GENET PAULOS TEDDLA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 novembre 2020

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 décembre 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Gjergji Hasa

 

Pour lA demanderesse

Me Sherry Rafai Far

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ferdoussi Hasa Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour lA demandeResse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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